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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRET DU 06 OCTOBRE 2022
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/22011 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3MX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Octobre 2021 -Président du TJ de PARIS – RG n° 20/57399
APPELANTE
S.A.S. [E] SASU (RCS de PARIS n°819 901 463)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée et assistée par Me Damien WAMBERGUE de la SELARL CHATEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
LA VILLE DE PARIS, prise en la personne de Madame la Maire de [Localité 5], Mme [G] [N], domiciliée en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée et assistée par Me Stéphane DESFORGES de la SELARL LE SOURD DESFORGES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0131
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 30 Juin 2022, en audience publique, devant Michèle CHOPIN, Conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre
Thomas RONDEAU, Conseiller
Michèle CHOPIN, Conseillère
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
******
EXPOSE DU LITIGE
Par assignations en date des 23 septembre et 9 octobre 2020, la Ville de [Localité 5] a fait assigner M. [R] [O] et Mme [K] ainsi que la société [E] devant le président du tribunal judiciaire de Paris, saisi selon la procédure accélérée au fond, aux fins de les voir condamner au paiement d’amendes civiles sur le fondement des articles L. 631-7, L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation et L.324-1-1 du code du tourisme, concernant l’appartement situé au deuxième étage de l’escalier 1 du bâtiment A de l’immeuble sis [Adresse 2] (lots n°43, 44,45 et 6).
Par jugement du 3 décembre 2020, le président du tribunal a sursis à statuer sur les demandes de la Ville de [Localité 5] dans l’attente d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne appelée, sur renvoi préjudiciel de la Cour de cassation (Civ. 3e, 15 nov. 2018, n°17-26.156), à apprécier la compatibilité de la réglementation nationale, telle que celle prévue par l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, à la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.
Par arrêt du 22 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré la réglementation nationale conforme aux dispositions de la directive 2006/123/CE (CJUE, 22 septembre 2020, Cali Apartments, affaires jointes C-724/18 et C-727/18).
Par cinq arrêts en date du 18 février 2021, la Cour de cassation a tiré les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle a notamment jugé que la réglementation locale de la Ville de [Localité 5] sur le changement d’usage est conforme à la réglementation européenne.
L’affaire a été rétablie à l’audience du 24 septembre 2021.
La Ville de [Localité 5] a demandé au tribunal de :
condamner in solidum M. [O] et Mme [L] d’une part, la société [E] d’autre part, à payer à la Ville de [Localité 5] une amende civile de 50.000 euros,
ordonner le retour à l’habitation des locaux transformés sans autorisation, sis [Adresse 2]) (lots n°43, 44, 45 et 6), sous astreinte de 240 euros par jour de retard à compter de l’expiration du délai qu’il plaira au tribunal de fixer,
se réserver la liquidation de l’astreinte,
condamner in solidum M. [O], Mme [L] et la société [E] à payer à la Ville de [Localité 5] une amende civile de 10.000 euros,
condamner in solidum M. [O], Mme [L] et la société [E] à payer à la Ville de [Localité 5] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner in solidum M. [O], Mme [L] et la société [E] aux entiers dépens.
Les défendeurs ont conclu au débouté, M. [O] et Mme [L] soutenant que le local constitue leur résidence principale qu’ils ont louée dans la limite du plafond autorisé par la loi, la société [E] soutenant pour sa part qu’en sa qualité de mandataire des propriétaires elle n’a pas qualité pour solliciter le changement d’usage du bien et ne peut en conséquence se voir reprocher un changement d’usage sans autorisation. Subsidiairement, ils sont sollicité la réduction des amendes.
Par jugement contradictoire rendu selon la procédure accélérée au fond du 29 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
– condamné in solidum M. [O] et Mme [L] à payer une amende civile de 18.000 euros, dont le produit sera versé à la Ville de [Localité 5] ;
– condamné la société [E] à payer une amende civile de 5.000 euros, dont le produit sera versé à la Ville de [Localité 5] ;
– rejeté la demande portant sur le retour à l’habitation des locaux transformés sans autorisation situés [Adresse 2]) (lots n°43,44,45 et 6) ;
– rejeté la demande de la Ville de [Localité 5] fondée sur les dispositions de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme ;
– condamné in solidum M. [O] et Mme [L] à payer à la Ville de [Localité 5] la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société [E] à payer à la Ville de [Localité 5] la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné in solidum M. [O] et Mme [L] à la moitié des dépens ;
– condamné la société [E] à la moitié des dépens ;
– rappelé que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de plein droit.
Par déclaration du 14 décembre 2021, la société [E] a relevé appel de cette décision en ce qu’elle a :
– condamné la société [E] à payer une amende civile de 5.000 euros, dont le produit sera versé à la Ville de [Localité 5] ;
– condamné la société [E] à payer à la Ville de [Localité 5] la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société [E] à la moitié des dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 11 mars 2022, la société [E] demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu le 29 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris, selon la procédure accélérée au fond, en ce qu’il l’a condamnée à payer une amende civile de 5.000 euros, dont le produit sera versé à la Ville de [Localité 5], condamnée à payer à la Ville de [Localité 5] la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et condamné à la moitié des dépens ;
– débouter la Ville de [Localité 5] de sa demande de condamnation à son encontre au titre d’une amende civile ;
– débouter la Ville de [Localité 5] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Subsidiairement,
– minorer le montant de l’amende civile à la somme de 1 euro symbolique ;
En tout état,
– condamner la Ville de [Localité 5] à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La société [E] soutient que les textes fondant la demande de condamnation visent uniquement la personne qui donne en location son bien, le loueur, c’est à dire le propriétaire, à l’exclusion d’un mandataire ou prestataire de services ; que premièrement, la société [E] n’est pas le propriétaire mais un simple prestataire de services agissant pour le compte et au nom du propriétaire ; que la détermination de l’usage d’un bien relève des seuls propriétaires ; que deuxièmement, les consorts [O] affirment que l’appartement en cause est bien leur résidence principale, que dès lors, en l’absence de changement de destination du bien, la demande de condamnation à une amende civile est parfaitement infondée.
A titre subsidiaire, l’appelante sollicite la fixation de l’amende à un euro symbolique, faisant notamment valoir que le bien a été dûment enregistré par les propriétaires auprès des services de la Ville de [Localité 5], que la location a été stoppée le 23 février 2019 soit avant l’établissement du constat d’infraction, que jusqu’à la présente instance la société [E] n’avait jamais fait l’objet de poursuites au titre de ces infractions, que le gain de la location estimé par la Ville de [Localité 5] à 27.000 euros ne correspond pas au chiffre d’affaires réalisé par la société, sa rémunération étant limitée à un pourcentage des revenus locatifs, que le tribunal a fixé l’amende au montant des frais facturés par la société aux époux [O] (6230,85 euros) ce qui ne constitue pas le bénéfice de la société et ne peut donc être retenu pour fixer le montant de l’amende, que son activité a subi de plein fouet la crise sanitaire et les mesures gouvernementales.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 08 avril 2022, la Ville de [Localité 5] demande à la cour de :
– dire et juger que la société [E] en sa qualité de loueur en meublé de tourisme a commis une infraction aux dispositions de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation en louant pour de courtes durées l’appartement situé [Adresse 2]), bâtiment A, escalier numéro un, deuxième étage porte face (lots réunis numéros 43,44,45 et 6), d’une superficie de 72m² ;
– condamner la société [E] en sa qualité de loueur en meublé de tourisme à une amende civile de 18.000 euros et dire que le produit de cette amende lui sera intégralement versé conformément à l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation ;
– condamner la société [E] in solidum au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La Ville de [Localité 5] soutient pour sa part que le mandataire ou l’administrateur de biens, qui en sa qualité de professionnel ne peut ignorer qu’un bien doit faire l’objet d’un usage conforme à la loi, est responsable du fait fautif en application des dispositions des articles L 631-7 et L 651-2 du code de la construction et de l’habitation, qui prévoient que “toute personne” encourt l’amende. Elle reprend les motifs du jugement dont elle sollicite la confirmation. Elle estime toutefois que l’amende qui a été prononcée contre la société [E] n’est pas suffisamment dissuasive.
SUR CE, MOTIFS :
A titre liminaire, il sera relevé que M. [O] et Mme [L] n’ayant pas interjeté appel et la société [E] ne les ayant pas intimés, la décision du tribunal est devenue irrévocable en ce qu’elle a jugé que le local en cause ne constitue pas la résidence principale de ses propriétaires et que ceux-ci ont bien commis l’infraction de changement d’usage non autorisé.
Ainsi, la cour ne se trouve saisie que de la question de l’imputabilité de l’infraction à la société [E] et subsidiairement, du montant de l’amende qui a été prononcée contre elle.
Si l’intermédiaire, contrairement au propriétaire, n’a pas en principe la capacité d’affecter le bien à un usage spécifique, sa responsabilité civile peut être néanmoins engagée si les circonstances de l’espèce démontrent qu’il devait nécessairement avoir connaissance de la violation des dispositions d’ordre public, dispositions qui s’appliquent en effet à toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article (article L 651-2 du code de la construction et de l’habitation), peu important le titre juridique en vertu duquel la personne est intervenue dans la gestion du bien.
En l’espèce, il y a lieu de relever :
– que la société [E], qui a son siège à [Localité 5], a pour objet social “Les activités d’agence immobilière, gestion immobilière, les traitements de données, hébergement et activité connexe et la programmation informatique”;
– qu’elle est donc un professionnel dans le domaine de la location immobilière en ligne, ce qui ressort aussi de l’accord de services qu’elle a conclu en l’espèce avec M. [O] concernant l’appartement litigieux, qui stipule que [E] est un prestataire de services engagé dans des activités immobilières en ligne, intervenant comme un agent ;
– qu’elle ne peut dès lors ignorer la législation et la réglementation applicables à la location de courte durée à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, notamment l’obligation pour le propriétaire non résident à titre principal d’obtenir l’autorisation de la Ville de [Localité 5] pour pouvoir se livrer régulièrement à une telle activité moyennant paiement d’une compensation financière ;
– que le mandat de gestion qu’elle a conclu avec M. [O] a précisément pour objet de donner le bien à la location de courte durée en mettant notamment à sa charge les obligations suivantes : créer une annonce sur les plate formes de location en ligne (comprenant sans s’y limiter : Airbnb, Booking.com, HomeAway, Flipkey, Wimdu, HouseTrip), gérer la réservation, l’occupation et le prix de la location du bien sur les plate formes concernées, agir comme interlocuteur de tous locataires potentiels, fournir un service de check-in et de check-out, fournir les services de ménage et d’entretien du bien et les services de linge de maison et suivre les notes et commentaires des locataires sur les plate formes numériques de location. L’acte précise que le propriétaire peut se réserver la possibilité de jouir de son bien durant des périodes déterminées, à condition d’en aviser son cocontractant en avance et sous réserve de réservations déjà arrêtées ;
– qu’ainsi il appartenait à la société [E], en tant que professionnel, de s’assurer que son cocontractant avait bien obtenu toutes les autorisations nécessaires pour donner son bien à la location de courte durée à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, et cela quand bien même le contrat stipule que M. [O] a accepté d’être le seul responsable de la licéité de la mise en location par l’intermédiaire de la société [E], ce qui n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité sur le fondement des articles L 631-7 et L 651-2 du code de la construction et de l’habitation, toute personne étant tenue de se conformer à la réglementation applicable, mais seulement à lui permettre, le cas échéant, de se voir garantir par son cocontractant de toute responsabilité éventuelle.
C’est donc à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité de la société [E] et l’a condamnée au paiement d’une amende civile sur le fondement des textes précités.
Le montant de l’amende fixée à 5.000 euros n’apparaît nullement excessif compte tenu de ce que le lot litigieux a été mis en location du mois de mai 2018 au mois de février 2019, ainsi qu’en atteste le relevé communiqué par les époux [O] à la Ville de [Localité 5] et le constat de location meublée touristique du 5 juin 2019 et ce qui n’a pas été contesté en première instance, alors en outre que le nombre de nuitées réservées, de 218 sur cette période de location de dix mois, représente un volume important comme l’a justement souligné le premier juge.
Si la société [E] conteste le calcul effectué par la Ville de [Localité 5] d’un revenu illicite de 20.000 euros et soutient que les frais qu’elle a facturés aux époux [O] à hauteur de 6230,85 euros ne sauraient servir de base à la fixation de l’amende par elle encourue, elle se garde bien d’apporter à la cour toutes informations sur les bénéfices réels qui ont été réalisés par ses mandants. Au demeurant, le montant des frais qu’elle a facturés à ses mandants et dont elle ne conteste pas le montant de 6230,85 euros tel que retenu par le tribunal apparaît bien correspondre à un revenu qu’elle a tiré de la location irrégulière et peut ainsi être pris en considération dans la fixation de l’amende.
Mais il doit aussi être tenu compte de l’objectif d’intérêt général poursuivi par la réglementation de lutte contre la pénurie de logements à [Localité 5], au regard duquel l’amende doit présenter un caractère suffisamment dissuasif, ce qui n’est pas le cas de l’amende de 5.000 euros qui a été prononcée en première instance, la société [E] étant un professionnel de la location en ligne qui par son rôle d’intermédiaire et les services qu’elle fournit aux propriétaires concourt largement à la commission de l’infraction.
Compte tenu de ces éléments mais aussi de la période d’infraction limitée, de la cessation de l’infraction après le constat de la Ville de [Localité 5] et de la coopération des parties poursuivies avec la Ville, et de ce que le propriétaire demeure le principal responsable, il sera prononcé contre la société [E] une amende de 10.000 euros.
Le jugement sera ainsi infirmé sur le montant de l’amende à payer par la société [E] à la Ville de [Localité 5].
Il sera confirmé sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile dont il a fait une juste appréciation.
Perdant en appel, la société [E] supportera la charge des dépens de la présente instance, sera déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer sur ce fondement à la Ville de [Localité 5] la somme de 2.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Infirme le jugement entrepris sur le montant de l’amende civile prononcée contre la société [E],
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société [E] à payer à la Ville de [Localité 5] une amende civile de 10.000 euros,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Condamne la société [E] aux dépens de l’instance d’appel,
La déboute de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
La condamne à payer à la Ville de [Localité 5] la somme de 2.000 euros au titre de ses frais non répétibles exposés en appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE