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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRET DU 27 OCTOBRE 2022
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/05523 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFPBX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Mars 2022 -Président du TJ de Paris / France – RG n° 20/55151
APPELANTE
LA VILLE DE [Localité 6], prise en la personne de Madame la Maire de [Localité 5], Mme [V] [Z], domiciliée en cette qualité audit siège
Hôtel de Ville
[Localité 3]
Représentée et assistée par Me Colin MAURICE de la SARL CM & L AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1844
INTIME
M. [O], [S] [N]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Laurent POZZI-PASQUIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
Assisté par Me Xavier DEMEUZOY, avocat au barreau de PARIS, toque : D1735
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Septembre 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Thomas RONDEAU, Conseiller, chargé du rapport dont il a donné lecture.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre
Thomas RONDEAU, Conseiller,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSÉ DU LITIGE
Par exploit délivré le 24 juin 2020, la Ville de [Localité 5] a fait citer M. [N] devant le président du tribunal judiciaire de Paris saisi selon la procédure accélérée au fond, sur le fondement notamment des dispositions de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, concernant un appartement situé [Adresse 1].
Par ordonnance du 16 octobre 2020, le président du tribunal a sursis à statuer sur les demandes de la Ville de [Localité 5] dans l’attente d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne appelée, sur renvoi préjudiciel de la Cour de cassation (Civ. 3e, 15 nov. 2018, n°17-26.156), à apprécier la compatibilité de la réglementation nationale, telle que celle prévue par l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, à la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.
Par arrêt du 22 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré la réglementation nationale conforme aux dispositions de la directive 2006/123/CE (CJUE, 22 septembre 2020, Cali Apartments, affaires jointes C-724/18 et C-727/18).
Par cinq arrêts en date du 18 février 2021, la Cour de cassation a tiré les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle a notamment jugé que la réglementation locale de la Ville de [Localité 5] sur le changement d’usage est conforme à la réglementation européenne.
L’affaire a été rétablie à l’audience du 21 janvier 2022.
Dans le dernier état de ses prétentions, la Ville de [Localité 5] a conclu au rejet des prétentions adverses et sollicite la condamnation du défendeur au paiement d’une amende civile de 50.000 euros dont le produit lui sera intégralement versé, ainsi que de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En réplique, M. [N] a demandé le rejet des prétentions adverses, sollicitant subsidiairement la réduction du montant de l’amende, outre 2.000 euros au titre des frais non répétibles.
Par jugement contradictoire rendu selon la procédure accélérée au fond du 2 mars 2022, le magistrat saisi a :
– débouté la Ville de [Localité 5] de ses demandes ;
– rejeté le surplus des demandes ;
– condamné la Ville de [Localité 5] aux dépens ;
– rappelé que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de plein droit.
Par déclaration du 15 mars 2022, la Ville de [Localité 5] a relevé appel de la décision.
Dans ses conclusions remises le 11 avril 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la Ville de [Localité 5] demande à la cour, au visa de l’article 2 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 modifié par la loi n°2014-366 du 24 mars 2014, de l’article 492-1 du code de procédure civile, de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, de l’article L. 632-1 du code de la construction et de l’habitation, de l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation modifié par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, des articles L. 324-1-1 et suivants du code du tourisme, de :
– juger celle-ci, prise en la personne de Mme la maire de [Localité 5], recevable en son appel et en ses conclusions et l’y en juger bien fondée ;
– infirmer le jugement rendu selon la procédure accélérée au fond le 2 mars 2022 (RG 20/55151), en ce que le juge au tribunal judiciaire de Paris a :
‘ débouté celle-ci de ses demandes,
‘ condamné celle-ci aux dépens ;
statuant de nouveau,
– juger que M. [N] a enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation en louant pour de courtes durées l’appartement situé dans le bâtiment A de l’escalier 1, étage 5 de l’immeuble du [Adresse 1] (constituant le lot n°36) ;
– condamner M. [N] à une amende civile de 50.000 euros et ordonner que le produit de cette amende lui soit intégralement versé conformément aux dispositions de l’article L.651-2 du code de la construction et de l’habitation ;
en tout état de cause,
– débouter M. [N] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– condamner M. [N] à lui verser une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [N] aux entiers dépens d’instance et d’appel.
La Ville de [Localité 5] soutient en substance :
– que dans le cadre d’une opération de contrôle de l’occupation des locaux d’habitation, une présomption d’infraction (location meublée de courte durée dans un local à usage d’habitation) a été détectée concernant un appartement situé dans le bâtiment A, de l’escalier 1, étage 5 de l’immeuble du [Adresse 1] (constituant le lot n°36) ;
– que suite à ce contrôle, les recherches effectuées ont permis de déterminer que M. [N] est propriétaire de cet appartement ;
– que la preuve de l’usage d’habitation au 1er janvier 1970 est rapportée par un acte de vente du 25 septembre 1967 conclu entre Mme [A] [Y] épouse [R] et M. [M] ([B]) [J] [H] dès lors qu’il est indiqué sur l’acte de vente que l’acquéreur s’engage pendant une durée minimum de trois ans à ne pas affecter à un usage autre que l’habitation les biens et droits immobiliers faisant l’objet des présente et que le nom de l’acheteur ([B] [H]) est le même que celui qui figure sur la fiche H2 ;
– que la preuve de l’usage d’habitation est rapportée par l’examen de la déclaration H2 du 18 septembre 1970 remplie par M. [B] [H] qui montre que le bien a été acquis en 1967 et qu’il est occupé par le propriétaire depuis son acquisition ;
– que la fiche modèle R confirme cette analyse puisque le nom de la propriétaire y figure pour un bien constituant un logement ou un appartement ;
– qu’après vérification dans le fichier des autorisations de changement d’usage avec compensation délivrées par la ville de [Localité 5], le contrôleur assermenté a été en mesure d’attester que le local n’a fait l’objet d’aucune autorisation de changement d’usage au titre de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation ce qui rapporte la preuve de l’usage d’habitation au 1er janvier 1970 ;
– que le bien litigieux n’est pas la résidence principale du loueur dès lors que celle-ci se trouve au quatrième étage du même immeuble et qu’il s’agit également de son lieu de travail ;
– que si celui-ci affirmait qu’il occupait au quatrième étage un appartement qui formait une «unité d’habitation » avec celui mis en location au cinquième étage, de sorte qu’il pouvait légitimement louer « une chambre chez l’habitant », ce raisonnement est erroné dans la mesure où l’appartement du cinquième étage est indépendant de celui du quatrième et qu’il reconnaît lui-même dans ses conclusions qu’il ne vit pas lui-même au cinquième étage alors que nul ne peut avoir deux résidences principales ;
– qu’il met son bien en locations de courtes durées via des annonces consultables sur le site airbnb.fr avec 315 nuitées en 2018 et 322 nuitées en 2019 ;
– que les locaux ont été utilisés à usage de meublé touristique, loués de manière répétée, pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, en infraction à la réglementation du changement d’usage définie dans les articles L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation et dans le règlement municipal ;
– qu’en l’absence d’autorisation préalable, cette location meublée pour de courtes durées à une clientèle de passage constitue un changement d’usage d’un local d’habitation pour une activité commerciale et caractérise l’infraction aux dispositions de l’article L. 631-7 réprimée par les dispositions de l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation à l’encontre de M. [N] ;
– que selon le relevé des transactions Airbnb transmis par le propriétaire le 06 février 2020, les revenus de l’année 2019 s’élèvent à 42.235,85 euros et que le gain total estimé depuis 2012 serait de l’ordre de 329.818,25 euros.
Dans ses conclusions remises le 9 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, M. [N] demande à la cour, au visa des articles L. 637-1 et L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation, de :
à titre principal,
– confirmer le jugement rendu le 02 mars 2022 en ce que la Ville de [Localité 5] est mal fondée dans sa demande de condamnation reposant sur les articles L. 637-1 et L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation en raison de l’absence de force probante de la déclaration H2 constituant la base légale de l’assignation ;
– confirmer le jugement rendu en ce qu’il a débouté la Ville de [Localité 5] de toutes ses demandes ;
à titre subsidiaire, si par extraordinaire, l’infraction au changement d’usage devait être caractérisée,
– juger que l’appartement visé constitue le prolongement de la résidence principale de M. [N] ;
– juger que le bien litigieux constitue une chambre chez l’habitant ;
en conséquence,
– débouter la Ville de [Localité 5] de l’intégralité de ses demandes ;
et à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, la qualification de chambre chez l’habitant devait être rejetée,
– juger qu’il est de bonne foi et diligent ;
– juger que le montant de 50.000 euros au titre de l’amende civile est manifestement disproportionné et injustifié ;
en conséquence,
– le condamner à une amende symbolique de 1 euro au regard de la cessation de l’infraction présumée et de sa coopération avec la ville de [Localité 5] ;
si la cour devait entrer en voie de condamnation, en tout état de cause,
– le condamner à une somme qui ne pourrait excéder 5.000 euros ;
en tout état de cause,
– juger que l’équité commande qu’il ne soit pas condamné au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonner que les parties conservent la charge de leurs frais de procédure et leurs dépens.
M. [N] soutient en substance :
– qu’il convient de confirmer le jugement en ce que la Ville de [Localité 5] ne parvient pas à rapporter la preuve de l’usage d’habitation au 1er janvier 1970 ;
– qu’en effet, le formulaire H2 produit est daté du 26 octobre 1970 et non au 1er janvier 1970 et que par ailleurs, elle présente des ratures en ce qui concerne l’identité du propriétaire de l’appartement, sans pouvoir déterminer ni l’auteur des modifications, ni la date de ces modifications ;
– qu’il existe donc une incertitude totale sur l’identité de la personne qui a complété le formulaire, rendant douteuses l’ensemble des informations mentionnées ;
– qu’en outre, la prétendue date d’entrée est raturée ;
– que le formulaire R produit par la Ville de [Localité 5] est également inopérant car il n’est pas non plus daté du 1er janvier 1970 et présente une absence totale de signature et de date de la part de l’administration fiscale ;
– que l’acte intitulé « formalité de publicité » produit aux débats est à peine lisible, qu’il se contente de décrire l’immeuble et de préciser qu’il est en copropriété et qu’aucune mention n’indique l’usage d’habitation pour lequel l’immeuble est supposé être destiné ;
– qu’à titre subsidiaire, la Ville de [Localité 5] commet une erreur de qualification dès lors que les deux espaces du 4ème étage forment une unité d’habitation et constituent, la résidence principale de M. [N] ;
– que par conséquent, la qualification juridique applicable dans le cas du bien de M. [N] est celle de chambre chez l’habitant et non pas la législation relative aux meublés touristiques ;
– qu’il n’était donc pas tenu de déclarer à la mairie son activité et qu’en dépit du caractère facultatif de cette déclaration le concernant, il a réclamé le 1er novembre 2017 un numéro d’enregistrement, ce qui témoigne de sa volonté de ne pas dissimuler quelque activité que ce soit ;
– que la limitation de 120 nuitées à l’année ne lui est donc pas applicable ;
– qu’à titre infiniment subsidiaire, il ne pourra être condamné qu’à une amende civile symbolique de 1 euro compte tenu de la transparence et de la coopération dont il a fait preuve à l’égard de la ville, de sa bonne foi, de la clôture immédiate du compte après réception du courrier de la ville et de la cessation totale de la supposée infraction par la conclusion, préalablement à l’assignation, d’un contrat de bail-mobilité puis d’un contrat de location meublée ;
– qu’en tout état de cause, il conviendra de réduire le montant de l’amende sollicitée au regard du bénéfice négligeable réalisé d’un montant maximum de 5.000 euros.
SUR CE LA COUR
L’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation, tel qu’issu de la loi du n°2016-1547 du 18 novembre 2016, dispose que toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50.000 euros (anciennement 25.000 euros avant la loi du 18 novembre 2016) par local irrégulièrement transformé.
Cette amende est prononcée par le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat et sur conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure. Le produit de l’amende est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé ce local. Le tribunal de grande instance compétent est celui dans le ressort duquel est situé le local.
Sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat, le président du tribunal ordonne le retour à l’usage d’habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu’il fixe. A l’expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d’un montant maximal de 1.000 euros par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé.
Passé ce délai, l’administration peut procéder d’office, aux frais du contrevenant, à l’expulsion des occupants et à l’exécution des travaux nécessaires.
Il résulte en outre de l’article L. 631-7, dans sa version résultant de la loi n°2014-366 du 24 mars 2014, que la présente section est applicable aux communes de plus de 200.000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Dans ces communes, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est, dans les conditions fixées par l’article L. 631-7-1, soumis à autorisation préalable.
Constituent des locaux destinés à l’habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l’article L. 632-1.
Pour l’application de la présente section, un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés.
Toutefois, lorsqu’une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 pour changer l’usage d’un local mentionné à l’alinéa précédent, le local autorisé à changer d’usage et le local ayant servi de compensation sont réputés avoir l’usage résultant de l’autorisation.
Sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article.
Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article.
Pour l’application des dispositions susvisées, il y a donc lieu d’établir :
– l’existence d’un local à usage d’habitation, un local étant réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sauf pour les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 qui sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés, le formulaire administratif de type H1 rempli à cette époque permettant de préciser l’usage en cause ;
– un changement illicite, sans autorisation préalable, de cet usage, un tel changement étant notamment établi par le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, hypothèse excluant notamment la location saisonnière de son logement résidence principale, pour une durée n’excédant pas 120 jours par an, la location d’un meublé résidence principale (titre 1er bis de la loi du 6 juillet 1989) ou encore la location d’un meublé dans le cadre d’un bail mobilité (titre 1er ter de la loi du 6 juillet 1989).
Il est en outre constant que, s’agissant des conditions de délivrance des autorisations, la Ville de [Localité 5] a adopté, par règlement municipal et en application de l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation, le principe d’une obligation de compensation par transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.
En l’espèce, les parties s’opposent sur les éléments de preuve à apporter par la ville de ce que le local dont il s’agit est bien un local à usage d’habitation au sens de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, étant rappelé qu’un local est réputé à usage d’habitation au sens de ce texte s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, que cette affectation peut être établie par tout mode de preuve et que la preuve d’une affectation de fait à l’usage d’habitation postérieurement au 1er janvier 1970, date de référence, est inopérante.
Il revient ainsi à la Ville de [Localité 5], pour caractériser l’infraction dénoncée de changement d’usage illicite, de démontrer avant tout que le local en cause était bien affecté au 1er janvier 1970 à l’usage d’habitation.
La fiche H2 a été ici remplie le 18 septembre 1970.
Elle décrit le local comme un appartement à usage exclusif d’habitation de 21 m² et fait état d’une occupation par le propriétaire, M. [H], sans mention d’un locataire et d’un loyer au 1er janvier 1970.
Il est en outre mentionné dans ce document que le bien a été acquis le 25 septembre 1967.
Contrairement ce qu’indique l’intimé, la seule présence de ratures dans la fiche H2 n’est pas de nature à lui enlever toute portée probatoire, s’agissant de mentions en réalité rajoutées visant à actualiser la dite pièce.
De même le seul fait que le déclarant fasse état dans le formulaire d’une adresse à [Localité 4] n’induit pas que la fiche soit sans portée probatoire, le propriétaire pouvant aussi déclarer une autre résidence que sa seule résidence à [Localité 5].
A hauteur d’appel, la Ville de [Localité 5] verse en outre aux débats l’acte de vente du 25 septembre 1967 à M. [H], dont il résulte notamment, de manière suffisamment lisible, que l’acquéreur s’est engagé pendant une durée minimum de trois ans à ne pas affecter à un usage autre que l’habitation les biens en cause.
Il s’en déduit que le bien était à usage d’habitation lors de son acquisition en 1967 et qu’il était occupé par le même propriétaire au 18 septembre 1970, de sorte que l’affectation du bien à usage d’habitation au 1er janvier 1970, pouvant être démontrée par tout mode de preuve, apparaît suffisamment établie, étant observé que le constat de l’agent de la ville relève aussi que le local n’a fait l’objet d’aucune autorisation de changement d’usage avec compensation depuis cette date.
En deuxième lieu, c’est en vain que M. [N] prétend que le logement en cause constituerait sa résidence principale, alors que :
– le logement en cause est situé au 5ème étage tandis que l’intimé a sa résidence principale au 4ème étage, ce qui résulte du constat d’infraction ;
– l’appartement du 5ème étage est indépendant du logement de M. [N] au 4ème, l’intimé lui-même rappelant, comme l’indique à juste titre la Ville de [Localité 5], que le bien au 5ème étage a été acquis afin de lui permettre d’accueillir ses amis et sa famille ;
– la déclaration de meublé effectuée par l’intimée mentionne explicitement qu’il ne s’agit pas de sa résidence principale ;
– les allégations de M. [N], selon lesquelles les deux espaces formeraient une seule unité d’habitation ou encore que le 5ème étage serait “une chambre chez l’habitant” de son logement du 4ème étage, ne résultent d’aucune des pièces versées aux débats.
Ainsi, la limite de 120 jours par an n’est pas applicable au logement en cause, qui n’est pas la résidence principale de l’intimé, étant aussi observé que, faute de tout élément qui démontrerait que le local constituerait “une chambre chez l’habitant”, M. [N] était tenu de respecter les dispositions du code de la construction et de l’habitation applicables à [Localité 5] aux locations touristiques de courte durée.
Il sera aussi précisé que le règlement de copropriété, qui indique de manière générale que les locaux de l’immeuble pourront être utilisés pour l’habitation ou pour l’exercice d’un commerce, est sans effet sur l’application de la réglementation issue du code de la de la construction et de l’habitation.
En troisième lieu, s’agissant des locations de courte durée, le constat de l’agent assermenté de la ville établit :
– que l’annonce sur le site airbnb a fait l’objet, entre mars 2012 et octobre 2019, de 539 commentaires de touristes ;
– que, le 13 décembre 2019, le contrôleur s’est rendu dans l’immeuble et a constaté la présence d’un couple de touristes français pour trois à quatre nuits ;
– que, le 10 février 2020, M. [N] a remis à la ville l’historique des réservations pour 2018 (315 nuitées) et pour 2019 (322 nuitées).
Ainsi, le logement, pourtant à usage d’habitation, a bien été loué à une clientèle de passage pour de courtes durées de manière non conforme au code de la construction et de l’habitation.
En quatrième et dernier lieu, s’agissant du montant de l’amende à prononcer à l’encontre du propriétaire, il faut rappeler que la législation poursuit un objectif d’intérêt général, visant à lutter contre la pénurie de logements à [Localité 5], dans la mesure où certains logements à usage d’habitation ne font plus l’objet de baux classiques.
M. [N] ne peut non plus prétendre qu’il ne pouvait qu’ignorer la réglementation applicable, nonobstant la circonstance qu’il ait sollicité un numéro de loueur auprès de la ville en 2017.
Il est ici établi que, pour l’année 2019, selon le relevé des transactions airbnb transmis par le propriétaire le 6 février 2020, les revenus tirés de la location de courte durée pour l’année 2019 s’établissent à 42.235,85 euros.
La Ville de [Localité 5] relève aussi à juste titre que, pour une estimation de taux de remplissage de 22,5 nuits par mois, la recette mensuelle s’établit à 3.423,60 euros par mois. Les gains tirés d’une location régulière compte tenu du loyer de référence n’auraient été que de 726,60 euros par mois.
Il faut aussi rappeler que le coût de la compensation aurait été de 42.000 euros, comme le rappelle la commune appelante.
En revanche, il faut aussi prendre en compte la coopération de M. [N] lors du contrôle, l’intimé indiquant à très juste titre qu’il a communiqué à l’agent de la ville les pièces réclamées, notamment les relevés de nuitées.
C’est également à tort que la ville entend prendre en compte les revenus illicites depuis l’année 2012, ce alors que c’est la loi du 24 mars 2014 qui a précisé que le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage.
Il faut enfin relever que l’annonce a été par la suite retirée par M. [N] à la suite du contrôle, ce dernier justifiant de la souscription d’un bail-mobilité le 1er mars 2020, puis, le 13 mai 2020, de la signature d’un contrat de bail de location de logement meublé (pièces 23 à 14).
L’intimé justifie ainsi avoir régularisé la situation.
Dans ces conditions, par infirmation de la décision entreprise, l’amende civile sera plus justement fixée à la somme de 20.000 euros, dont le produit sera versé à la Ville de [Localité 5].
L’intimé devra indemniser la ville pour les frais non répétibles exposés, en application de l’article 700 du code de procédure civile, et sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [O] [N] à régler une amende civile de 20.000 euros dont le produit sera versé à la Ville de [Localité 5] ;
Condamne M. [O] [N] à payer à la Ville de [Localité 5] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [O] [N] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE