Sous-location : 20 février 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/01871

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Sous-location : 20 février 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/01871
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MINUTE N° 23/139

Copie exécutoire à :

– Me Valérie SPIESER

– Me Noémie BRUNNER

Le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

TROISIEME CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRET DU 20 Février 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : 3 A N° RG 22/01871 – N° Portalis DBVW-V-B7G-H2W2

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 26 avril 2022 par le juge de l’exécution de Schiltigheim

APPELANT :

Monsieur [V] [M]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représenté par Me Valérie SPIESER, avocat au barreau de COLMAR, avocat postulant, et Me Xavier DROUIN, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

INTIMÉES :

Société DELAVAN AUTOMOTIVE LLC

Prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 7]

[Localité 4] (ETATS-UNIS)

Représentée par Me Noémie BRUNNER, avocat au barreau de COLMAR, avocat postulant, et Me Michel MALL, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

S.A.S. LOHR INDUSTRIE

Prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Noémie BRUNNER, avocat au barreau de COLMAR, avocat postulant, et Me Michel MALL, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

Société LOHR NORTH AMERICA LLC

Prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 7]

[Localité 4] (ETATS-UNIS)

Représentée par Me Noémie BRUNNER, avocat au barreau de COLMAR, avocat postulant, et Me Michel MALL, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 28 novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme MARTINO, Présidente de chambre

Mme FABREGUETTES, Conseiller

Madame DAYRE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme HOUSER

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Annie MARTINO, président et Mme Anne HOUSER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

Selon contrat de travail en date du 28 février 2002, Monsieur [V] [M] a été engagé par la société Lohr Service en qualité de cadre gestionnaire. Ce contrat stipule que les frais professionnels, que Monsieur [M] sera amené à engager pour l’accomplissement de ses fonctions, seront pris en charge par l’entreprise dans les conditions qui y sont en vigueur ; qu’au cas où un véhicule serait mis à sa disposition pour ses déplacements professionnels, il devra se conformer aux règles fixées pour l’emploi des véhicules dans l’entreprise.

Monsieur [M] a ensuite été employé au sein de la société Lohr Industrie.

À compter de 2017, Monsieur [M] a pris la direction opérationnelle de la société Delavan Automotive, société de droit américain, filiale du groupe Lohr aux États-Unis et a été rémunéré par cette société à compter du mois de juin 2017.

Le contrat de travail de Monsieur [M] et sa position de directeur général ont été transférés à compter du 1er août 2019 à une autre société américaine du groupe Lohr, Lohr North America – LNA.

Faisant valoir que Monsieur [M] a profité de sa fonction pour s’allouer une rémunération excessivement élevée, décidée par lui seul, une indemnité de logement aussi élevé qu’injustifiée, des frais de scolarité excessifs pour ses trois enfants, des frais de véhicule pour son épouse et lui-même ainsi que de nombreuses dépenses personnelles supportées par la société du fait d’un usage abusif et inconsidéré de la carte de crédit qui lui avait été confiée, le tout pour un montant global évalué à 529 000 dollars, la société LNA a licencié l’intéressé par courrier du 11 mai 2020 pour faute grave.

Par lettre du 29 octobre 2020, la société Lohr Industrie a informé Monsieur [M] de ce qu’elle avait décidé de le licencier de son contrat de travail originel pour faute grave puis, par lettre du même jour, l’a mis en demeure de rembourser le préjudice total causé au groupe Lohr, d’un montant de 499 449,98 dollars.

Par acte du 26 mars 2021, les sociétés Delavan Automotive, Lohr North America et Lohr Industrie ont assigné Monsieur [V] [M] devant le tribunal judiciaire de Strasbourg, aux fins de le voir notamment condamner :

‘ à payer à la société Delavan Automotive la contre-valeur en euros au jour de la décision des sommes suivantes :

– 52 563,33 $ au titre des salaires indus et des charges salariales et patronales indues,

– 123 000 $ en remboursement des loyers et dépôts de garantie,

– 16 050,95 $ en remboursement des charges locatives,

– 91 626,47 $ en remboursement de frais de scolarité,

– 11 196 $ en remboursement de frais de transport aérien indus,

– 54 987,67 $ en remboursement de dépenses de carte bancaire injustifiées,

– 30 000 € à titre de dommages et intérêts punitifs,

‘ à payer à la société LNA les sommes suivantes :

– 18 195 $ au titre des salaires indus et des charges salariales et patronales indues,

– 36 000 $ en remboursement des loyers et dépôt de garantie,

– 5 778,34 $ en remboursement de charges locatives,

– 32 985,53 $ en remboursement de frais de scolarité,

– 20 254,50 $ en remboursement de frais de véhicule indus,

– 4 016,19 $ en remboursement de dépenses de carte bancaire injustifiées,

– 30 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs,

‘ ainsi qu’à payer à la société Lohr Industrie la somme de :

– 20 000 € à titre de dommages et intérêts,

outre la somme de 25 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance sur requête du 22 avril 2021, le juge de l’exécution délégué du tribunal de proximité de Schiltigheim a autorisé les sociétés Delavan Automotive, Lohr North America et Lohr Industrie à inscrire toute hypothèque judiciaire provisoire sur tous les biens immobiliers appartenant à Monsieur [V] [M] et notamment sur le bien immobilier sis [Adresse 3], pour sûreté de la créance détenue par la société Delavan sur le requis à hauteur d’une somme provisoirement évaluée à 292 716,95 € augmentée de 10 % au titre des intérêts, frais et accessoires provisoirement évalués, soit 29 246 €, pour sûreté de la créance détenue par la société LNA sur le requis à hauteur d’une somme provisoirement évaluée à 97 980,26 €, augmentée de 10 % au titre des intérêts, frais et accessoires provisoirement évalués, soit 9 778 € et pour sûreté de la créance détenue par la société Lohr Industrie à hauteur de la somme provisoirement évaluée à 25 068,14 € augmentée de 10 % au titre des intérêts, frais et accessoires provisoirement évalués, soit 2 506 €.

Par acte du 27 août 2021, Monsieur [V] [M] a assigné les sociétés de droit américain Delavan Automotive et Lohr North America ainsi que la Sas Lohr Industrie aux fins de voir ordonner la radiation des inscriptions d’hypothèque judiciaire provisoire effectuées par les défenderesses sur les biens immobiliers lui appartenant, sis [Adresse 3] et inscrites au Livre Foncier de cette commune section S, [Cadastre 6], lots n° 4,7 et 10 et de les voir condamner chacune à lui verser un montant de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il a fait valoir que les créances de remboursement dont se prévalent tardivement les sociétés défenderesses ne sont pas fondées en leur principe, puisqu’il avait droit à des rémunérations et à la prise en charge de certains frais spécifiques à son expatriation aux États-Unis ; qu’il n’existe par ailleurs pas de menaces pesant sur le recouvrement de ces créances contestées, en ce qu’il s’est réinstallé en France avec sa famille et que l’argument selon lequel il serait susceptible de partir à l’étranger est sans fondement.

Les défenderesses ont conclu au rejet de la contestation, à la confirmation de l’ordonnance du 22 avril 2021, ainsi qu’à la condamnation de Monsieur [M] au paiement d’une indemnité procédurale de 5 000 €.

Elles ont fait valoir que les créances de réparation financière formées contre Monsieur [M] sont fondées en leur principe ; que Monsieur [M] a réalisé une grande partie de sa carrière à l’étranger ; qu’il est depuis avril 2020 sans emploi ni ressources propres, de sorte qu’il peut être tenté de s’expatrier à nouveau s’il était condamné et que la seule garantie de recouvrement consiste en son bien immobilier en France, sur lequel les inscriptions d’hypothèque ont été réalisées.

Par jugement du 26 avril 2022, le juge de l’exécution délégué du tribunal de proximité de Schiltigheim a :

-débouté Monsieur [V] [M] de l’ensemble de ses demandes au titre de sa contestation des inscriptions d’hypothèque judiciaire provisoires sur les biens immobiliers lui appartenant,

-constaté l’exécution provisoire de plein droit au jugement,

-condamné Monsieur [V] [M] à payer aux sociétés Delavan Automotive LLC, Lohr North America LLC et Sas Lohr Industrie une indemnité globale de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Monsieur [V] [M] aux entiers frais et dépens.

Pour se déterminer ainsi, le premier juge a retenu qu’au regard de la procédure d’enquête interne réalisée de juillet 2019 à avril 2020 sous l’égide du nouveau président de la société Lohr Industrie, aux fins d’obtenir de Monsieur [M] toutes explications et justificatifs nécessaires des sommes perçues par lui et sur ses seules instructions, ainsi que des conditions financières et quantum communément admis et les procédures mises en place par le

groupe Lohr dans les contrats d’expatriation, au regard des témoignages d’autres salariés, et alors que la juridiction prud’homale saisie par Monsieur [M] pour contester un licenciement qu’il juge abusif, a sursis à statuer sur sa contestation du licenciement dans l’attente de la décision de la juridiction civile, après avoir constaté qu’un certain nombre de frais engagés par lui ne pouvait être considérés comme un salaire ou un accessoire de salaire ni comme découlant de son expatriation, que ces sociétés détenaient l’apparence de créances indemnitaires fondées en leur principe à l’encontre de leur ancien salarié ; que la situation de Monsieur [M], sans emploi ni ressources propres ainsi que son profil professionnel de cadre dirigeant expatrié et le fait qu’il soit associé d’une société indienne de transport sise à Pune, font craindre des difficultés de recouvrement au regard de l’importance des montants des créances réclamées et des attaches personnelles de l’intéressé à l’étranger.

Cette décision a été notifiée à Monsieur [V] [M] par lettre recommandée avec avis de réception signé le 28 avril 2022.

Il en a interjeté appel le 10 mai 2022.

Par écritures notifiées le 17 juin 2022, il conclut à l’infirmation du jugement déféré en tant qu’il l’a débouté de l’ensemble de ses demandes au titre de sa contestation des inscriptions d’hypothèque judiciaire provisoires sur les biens immobiliers lui appartenant, a constaté l’exécution provisoire de plein droit du jugement, l’a condamné à payer aux sociétés Delavan Automotive, Lohr North America et Lohr Industrie une indemnité d’un montant global de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamné aux entiers frais et dépens.

Il demande à la cour de :

‘ ordonner la radiation des inscriptions des hypothèques judiciaires provisoires effectuées par les défenderesses sur les biens immobiliers suivant :

-commune de [Localité 8], section S CO n° [Cadastre 6] lot n° 4,

-commune de [Localité 8], section S CO n° [Cadastre 6] lot n° 7,

-commune de [Localité 8], section S, CO n° [Cadastre 6] lot n° 10,

‘ condamner les défenderesses aux dépens ainsi que chacune au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que les sociétés adverses, qui ne contestent pas qu’il avait droit à des rémunérations et à la prise en charge de certains frais spécifiques à son expatriation aux Etats-Unis, ne démontrent pas qu’il serait allé au-delà de ce qui aurait été convenu et ne justifient ainsi pas d’une créance paraissant fondée en son principe  ; qu’aucune convention n’avait été signée entre la société Lohr Industrie et lui au titre de son expatriation à l’étranger, ni avec ses filiales américaines, alors qu’il appartenait à l’employeur de fixer les conditions de son expatriation, conformément à l’annexe 2 de la Convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie ; que les défenderesses se fondent sur des normes établies unilatéralement a posteriori, sans faire référence à des données objectives ; que lui-même n’a fait que maintenir les conditions dont il a bénéficié lorsqu’il avait été expatrié à Dubaï, conservant notamment la même rémunération nette en euros, son salaire variant en fonction du taux de change et des charges sociales applicables, pour correspondre toujours au même montant mensuel net de 10 750 € ; qu’il conteste totalement le montant total de trop-perçu, qu’il ne reconnaît qu’à hauteur de 21 956,34 €, dû à une erreur sur un taux de change qui n’avait pas été mis à jour et qu’il a lui-même fait remarquer à la société ; que les montants réclamés au titre des charges patronales sont également contestés, en ce qu’elles ne sont que le corollaire du montant brut dont le remboursement est sollicité dans le cadre de la procédure au fond.

Il conteste être l’initiateur de la rédaction d’un faux contrat de travail antidaté, le document qu’il a transmis à la demande du président de Lohr Industrie étant un équivalent non signé et non daté, sans aucune valeur juridique, du contrat qu’il avait conclu et dont le montant net de rémunération mentionné correspond à la rémunération en net perçue à Dubaï.

Sur la participation des sociétés au loyer à hauteur de 8 500 €, considérée comme excessive, il fait valoir qu’elle est identique à celle dont il bénéficiait à Dubaï et que l’employeur a accepté de lui maintenir et qu’il finance lui-même le surcoût de son logement ; que les frais de scolarité de ses enfants ont également été pris en charge par les sociétés dans les mêmes conditions qu’à Dubaï ; qu’il a remboursé la différence de coût d’un billet d’avion pour respecter le tarif en classe économique et n’a facturé que huit allers-retours en France au cours de treize années d’expatriation, au lieu de vingt-six convenus.

Il précise par ailleurs avoir réglé à la société Delavan le coût de la location de véhicules pour son épouse ; que seuls les cinq premiers loyers de 2019 restent à rembourser, la voiture ayant été restituée en mai 2019 ; qu’il reste par ailleurs devoir 2 990 $ au titre de la TVA.

Il conteste avoir utilisé la carte bancaire de la société pour des dépenses personnelles. Il fait valoir que les utilisations ont toujours été justifiées auprès de la société, qui n’a formulé aucun reproche sur l’ensemble de ces frais qui figurent en comptabilité ; qu’aucune pièce ne permet de démontrer que des limites avaient été fixées avec la hiérarchie sur ses dépenses.

Il réfute de même toute menace pesant sur le recouvrement d’une éventuelle créance, dans la mesure où il a retrouvé du travail auprès d’une société française ; qu’il s’est réinstallé en France avec sa famille ; que son travail implique des voyages à l’étranger sur de longues périodes, mais non un déménagement dans le cadre d’une expatriation ; qu’il n’exerce plus aucune fonction dans une société dont le siège social se trouve en Inde et n’y possède aucune part.

Par écritures notifiées le 23 novembre 2022, les sociétés de droit américain Delavan Automotive LLC, Lohr North America LLC et la Sas Lohr Industrie ont conclu au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elles demandent condamnation de Monsieur [M] à leur payer la somme de 5 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’instance d’appel.

Elles font valoir qu’avant son départ pour les États-Unis, des discussions furent menées avec l’ancien président du groupe quant aux conditions financières de son expatriation ; que Monsieur [M] est toutefois parti aux États-Unis avant qu’elles aboutissent, en raison de désaccords importants ; que les recherches menées après le départ de l’ancien directeur n’ont pas permis de trouver trace d’accord quelconque ; que le caractère vraisemblablement fondé des créances qu’elles invoquent est établi  ; que Monsieur [M] a profité du départ de l’ancien directeur avec lequel il était en désaccord pour la définition des conditions de son expatriation, d’un éloignement géographique et d’une large autonomie ainsi que l’ignorance par son supérieur hiérarchique des conditions financières de son expatriation, que ce dernier pensait réglées par l’ancien directeur avant son départ, pour excéder les conditions financières de sa rémunération, de la prise en charge de son logement et des frais de scolarité de ses enfants et pour abuser du crédit que le groupe Lohr lui avait octroyé ; que ce n’est qu’à la suite de la prise de fonction du

nouveau président du groupe que les abus ont été révélés progressivement à compter de juillet 2019 ; que Monsieur [M] a tenté de les couvrir en produisant un faux contrat de travail.

Elles maintiennent que la rémunération que l’appelant s’est octroyée de 2007 à 2020 est très supérieure à la rémunération annuelle convenue 244 000 $, identique à celle qu’il percevait à Dubaï ; qu’aucun accord spécifique n’est démontré quant à un ajustement de cette rémunération en fonction de taxes ou impôts et d’évolution du taux de change ; que les trop-perçus de salaire ont généré des charges patronales indues et des charges salariales supportées par l’employeur ; que l’appelant n’a jamais remboursé une avance sur salaire de 30 000 $ qui lui a été virée à Dubaï.

Elles font valoir que le budget lié au logement, dans la proportion prise en charge par la société, doit résulter d’une négociation ; que Monsieur [M] a décidé tout seul de la fixer à 8 500 $ par mois, alors qu’il a admis qu’à Dubaï, seuls 7 200 $ étaient pris en charge dans un contexte de coût immobilier plus élevé que dans l’État de Géorgie ; que l’appelant s’était lui-même fixé un budget locatif de 6 000 $ pour sa première maison à Atlanta et avait toujours admis qu’il lui appartenait de supporter 1 500 $, de sorte que la contribution maximale de l’entreprise était de 4 500 $ par mois ; que l’intéressé a largement dépassé ce budget, aux frais des deux entreprises américaines, qui ont également supporté l’intégralité de ses charges locatives et des dépôts de garantie ; qu’il en est de même pour la prise en charge de la totalité des frais de scolarité de ses trois enfants, qui n’a jamais été convenue et n’a jamais été dans la politique du groupe ; qu’il n’avait jamais été convenu de maintenir le même niveau de prise en charge qu’à Dubaï ; qu’au regard du coût moyen de la scolarité des trois enfants dans une école privée, Monsieur [M] s’est octroyé un montant indu 224 612 € ; qu’il a de même fait supporter à la société Delavan des billets d’avion en classe business, au lieu du coût de billets en classe économique ; qu’il a également fait supporter des dépenses personnelles par les sociétés américaines, soit l’achat d’un véhicule à disposition de son épouse pendant vingt-cinq mois, outre les frais d’assurance et le coût d’un véhicule qu’il a acquis à titre privé et dont les frais d’assurance et d’immatriculation ont été supportées par la société LNA pendant cinq mois ; qu’il a fait un usage abusif, à caractère exclusivement personnel, des cartes de paiement mises à disposition par les sociétés américaines pour faire l’avance de frais à caractère professionnel ; que la charge du caractère justifié de ses dépenses lui incombe, ce d’autant qu’il était seul à diriger les opérations aux États-Unis et qu’il jouissait d’une grande liberté.

Elles soutiennent que des menaces pèsent sur le recouvrement de leurs créances, en ce que Monsieur [M] ne justifie pas du contrat à durée indéterminée qu’il prétend avoir conclu avec une société française, le contrat produit étant suspect ; qu’il ne pourra faire face au paiement des créances, en cas de condamnation, au vu des montants exposés et de ses ressources courantes, au demeurant non établies ; qu’aucun document récent ne démontre à ce jour sa présence permanente et celle de sa famille à [Localité 8], alors que son profil consiste à occuper des postes de cadre dirigeant expatrié, lui permettant aisément de s’affranchir de toute condamnation en paiement ; que son profil LinkedIn indique toujours qu’il est associé d’une société dont le siège social se trouve à Pune en Inde, de sorte que ses attaches professionnelles à l’étranger sont actuelles et avérées.

MOTIFS

En vertu des dispositions de l’article L 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire.

Sur l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe :

Aux termes de l’article précité, les demanderesses à la mesure conservatoire doivent justifier d’une apparence de créance, fondée en son principe.

Il incombe de ce fait aux sociétés intimées de justifier des sommes qu’elles s’étaient engagées à verser à l’appelant en contrepartie de sa prestation de travail en expatriation et de mettre en évidence le principe et le montant global de montants qu’il se serait unilatéralement octroyés en supplément.

Il sera relevé qu’aucun contrat de travail écrit, spécifiant les conditions de rémunération et de prise en charge de frais dans le cadre de l’expatriation de Monsieur [M] aux États-Unis au sein des sociétés Delavan et Lohr North America, n’a été signé entre les parties, de sorte que la production d’un contrat de travail transmis par Monsieur [M], non daté et non signé et au demeurant argué de faux, ne peut pas servir de base à la détermination des sommes qui lui étaient dues à ce titre.

Le contrat de travail initial signé le 28 février 2002 avec la société Lohr Service se borne à préciser que les frais professionnels que Monsieur [M] serait amené à engager pour l’accomplissement de ses fonctions seront pris en charge par l’entreprise dans les conditions en vigueur, de même que l’emploi de véhicules.

Les sociétés intimées entendent rapporter la preuve de leurs créances paraissant fondées en leur principe, résultant d’indus de rémunérations et de prise en charge de frais liés à l’expatriation de Monsieur [M] aux États-Unis, entre 2017 et 2020, par la comparaison entre les montants perçus par Monsieur [M] et la pratique habituelle du Groupe Lohr.

Concernant la rémunération, les intimées indiquent que la rémunération convenue en 2017 était de 169 000 $ annuels bruts, soit un salaire annuel net de 110 000 € ; que Monsieur [M] a décidé d’augmenter son salaire brut à 210 600 $ sans validation par sa hiérarchie, générant un indu de 90 000 $.

Dans un mail du 11 juillet 2019, répondant à une demande du président du groupe, Monsieur [M] a précisé bénéficier d’un salaire net de 10 750 € par mois, d’une indemnité de logement de 8 500 $ par mois et de la prise en charge de la totalité des frais de scolarité de ses enfants à hauteur de 60 000 $ par an.

Il indique qu’il percevait un montant net annuel de 129 000 € lorsqu’il était à Dubaï, montant contesté par son employeur ; que le maintien de ce montant net aux États-Unis avait une incidence sur le brut en raison du changement de législation sociale et fiscale et que l’octroi d’un montant brut annuel de 169 000 € aurait engendré une baisse de sa rémunération nette.

Le tableau récapitulant les montants qui lui ont été effectivement payés par les sociétés américaines révèlent que Monsieur [M] a perçu, au-delà de la rémunération nette de 12 000 $ validée par la hiérarchie, un trop-perçu de 45 746,36 € incluant le remboursement d’une indemnité logement de 1 500 $ par mois.

Les intimées versent aux débats les courriels par lesquels Monsieur [M] a donné pour instruction à la comptable d’ajuster son salaire « de 1 000 $ pour commencer » à la date du 1er février 2018. Il résulte par ailleurs d’une attestation de cette employée que lors de son arrivée dans les sociétés américaines, Monsieur [M] lui a indiqué les bases de sa rémunération et de son défraiement et de ce que son salaire annuel devait être net et majoré à cette fin, afin d’inclure toutes les taxes américaines ; qu’il était président directeur général des opérations aux États-Unis et seul directeur au sein de l’établissement américain, de sorte

qu’elle n’avait aucune raison de mettre en doute les termes d’un contrat qu’elle n’a jamais vu.

La détermination de la rémunération de Monsieur [M] et de la prise en charge, ou non, des taxes américaines afférentes ressort de la compétence des juridictions du fond, mais les éléments précités permettent de penser que l’appelant a unilatéralement décidé d’augmenter son salaire et de faire supporter à ses employeurs américains la totalité des taxes, charges patronales et salariales, alors que sa rémunération à Dubaï n’était affectée d’aucune taxe ou charges particulières.

Il résulte par ailleurs d’autres éléments du dossier que Monsieur [M], lorsqu’il s’est logé à Dubaï, avait informé sa hiérarchie du coût du loyer de son logement et de ce qu’il se proposait de payer personnellement la différence par rapport au budget dont il disposait de la part de l’entreprise ; qu’en revanche, aucun contact n’a été pris par lui avec sa hiérarchie relativement au montant des loyers acquittés pour les maisons qu’il a occupées avec sa famille aux États-Unis ; que les sociétés américaines ont supporté les dépôts de garantie et les charges du logement de Monsieur [M] de juin 2017 à avril 2020 pour la somme de 21 821 $, en plus des frais de location de son logement, ainsi qu’une somme de 221 632 $ pour les frais de scolarité des enfants de l’appelant de juin 2017 à avril 2020, alors que les intimées versent une capture d’écran indiquant que le prix moyen d’une année scolaire en école privée dans l’État de Géorgie est de 10 780 $ par an, soit 97 020 $ de scolarité pour trois enfants sur trois ans, générant une différence de 124 612 $.

Si la détermination du coût de la scolarité que les employeurs devaient prendre en charge ressortent également d’une compétence du juge du fond, force est de constater que les intimées articulent à ce titre, ainsi qu’au titre des charges locatives, des créances paraissant fondées en leur principe ; que Monsieur [M] a par ailleurs admis avoir bénéficié d’une avance sur salaire de 30 000 €, ainsi que d’avoir facturé à ses employeurs un aller-retour pour sa famille et lui en classe business au lieu de la classe économique, générant un surcoût de 12 000 $ et non seulement de 6000 $ ainsi qu’il admet ; qu’il soutient avoir remboursé ces montants sans en apporter aucune preuve.

Les intimées versent de même aux débats des attestations de témoins établissant que l’appelant a procédé à l’achat d’un véhicule Dodge utilisé par son épouse pendant vingt-cinq mois à des fins privées aux frais des sociétés pour un coût estimé de 16 398 $ incluant les frais d’assurance et d’essence, en sus de la voiture acquise pour ses besoins professionnels, ainsi que le listing des dépenses effectuées par Monsieur [M] avec la carte bancaire fournie par la société LNA, d’un montant de

243 272,41 € entre le mois de mars 2018 et le mois de mars 2020 ; qu’il a été demandé à l’appelant de donner des explications sur un montant de 59 003 dollars sur ce total ; que figurent notamment parmi ces dépenses litigieuses des frais de location en AirBnB, ne relevant pas d’une pratique de l’entreprise ainsi qu’il est établi par des attestations de salariés, une dépense de 2000 $ relative à une moto, dont le caractère personnel est fort vraisemblable, sans compter les billets d’avion en business class.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le premier juge a retenu à bon escient que les intimées démontraient l’existence de créances paraissant fondées en leur principe, à hauteur des montants réclamés.

Sur les menaces pesant sur le recouvrement des créances :

Il est établi par les pièces versées aux débats que Monsieur [M] a exercé sa profession en expatriation depuis de nombreuses années.

Il se prévaut, depuis son licenciement par le groupe Lohr, d’un contrat de travail à durée indéterminée souscrit auprès d’une société dont le nom a été masqué, signé le 5 mars 2021, pour une rémunération qui a de même été cancellée.

Aux termes de ce contrat, il a été embauché en qualité de directeur du développement international, en vue d’implanter une unité de production de remorques et semi-remorques en Inde, d’autres projets du même type étant susceptibles de lui être confiés sur d’autres territoires.

Il est par ailleurs établi que Monsieur [M] a détenu des parts dans une société implantée à Pune, en Inde, dont il était directeur.

Il produit un document établi au nom d’un expert-comptable en Inde, daté du 27 septembre 2022, au terme de laquelle il aurait vendu ses parts le 20 mars 2019, date à laquelle il aurait démissionné de son mandat de directeur.

Pour autant, compte tenu de la nature de la mission qui lui a été confiée, un départ à l’étranger accompagné de sa famille n’est pas à exclure.

En tout état de cause, l’appelant ne verse aux débats qu’un seul bulletin de paie le concernant, pour la période de novembre 2021, faisant apparaître un net à payer de 8 000 €, ainsi que deux bulletins de paie pour son épouse, pour octobre 2021 et juin 2022, d’un montant net à payer de 1 127 €.

Au regard des montants susceptibles de lui être réclamés par les sociétés intimées et de la nature de son travail, fortement orienté vers l’étranger, les intimées justifient de circonstances menaçant

le recouvrement de leurs créances, de sorte que le jugement déféré sera confirmé.

Sur les frais et dépens :

Les dispositions du jugement déféré quant au frais et dépens seront confirmées.

Partie perdante, Monsieur [M] sera condamné aux dépens de l’instance d’appel, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile et sera débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du même code.

Il sera en revanche fait droit à la demande des intimées au titre des frais non compris dans les dépens qu’elles ont dû exposer pour la procédure d’appel, à hauteur d’une somme de 1 500 €.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré,

Y ajoutant,

CONDAMNE Monsieur [V] [M] à payer aux sociétés de droit américain Delavan Automotive et Lohr North America et la Sas Lohr Industrie la somme de 1 500 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [V] [M] aux dépens de l’instance d’appel.

La Greffière La Présidente

 


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