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C’est bien sciemment que le gérant du mythique Batofar a tardé à déclarer la cessation des paiements ; les circonstances qu’il a invoqué n’étaient pas de nature à justifier un tel retard ou à l’exonérer de toute sanction personnelle.
Le grief tiré de la tenue d’une comptabilité incomplète, les opérations n’étant pas enregistrées individuellement et au jour le jour, et irrégulière a également été retenu. Le gérant n’a pu s’exonérer de sa responsabilité de dirigeant en invoquant que la comptabilité de la société Batofar était tenue par une salariée et non par lui-même. |
→ Résumé de l’affaireLa SARL Batofar, exploitant un bar, restaurant et salle de spectacle, a été placée en liquidation judiciaire en février 2018. Le gérant, M. [N] [L], s’est vu infliger une interdiction de gérer pour cinq ans en raison de divers manquements, notamment le défaut de tenue d’une comptabilité régulière et le détournement d’actifs de la société. M. [L] a fait appel de cette décision et demande à la cour de réformer le jugement. Le ministère public a conclu à la confirmation de la décision initiale. La SELAS Etude JP, en charge de la liquidation judiciaire, n’a pas constitué d’avocat. La clôture de l’instruction a été prononcée en novembre 2023.
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→ Les points essentielsSur le détournement d’actif :Dans sa requête, le ministère public a reproché à M. [L] d’avoir détourné l’actif de la société Batofar en ayant retenu la part salariale non payée des cotisations de l’Urssaf d’un montant de 12.355,30 euros. Le tribunal a retenu ce grief. En appel le ministère public soutient que la somme de 12.355,30 euros représentant la part salariale des cotisations impayées à l’Urssaf constitue un actif de la société Batofar qui a été détourné. Mais, comme le fait observer M. [L], la part salariale des cotisations dues à l’Urssaf n’est pas un actif de la société débitrice et son défaut de paiement caractérise non un détournement d’actif mais une dette de la société à l’égard de l’Urssaf. Les faits reprochés à M. [L] ne relevant pas d’un détournement d’actif, le grief doit être écarté. Sur le défaut de comptabilité complète et régulière :Le ministère public reproche à M. [L] l’absence de comptabilité, une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière et le non-respect de son obligation en matière de déclarations sociales et fiscales. Il fait valoir que M. [L] n’a pas remis au liquidateur les journaux, grands livres, bilan, compte de résultat et annexe, seuls les bilans et comptes de résultat des exercices 2010 à 2016 ayant été déposés au greffe du tribunal, que l’administration fiscale a, le 17 décembre 2018, rejeté la comptabilité des exercices 2015 et 2016 et appliqué une majoration de 40 % compte tenu des carences constatées dans la tenue de la comptabilité, que l’Urssaf a déclaré une créance fondée sur une taxation d’office au titre des mois d’octobre et de novembre 2017 et de janvier 2018. M. [L] rappelle qu’il a pris la codirection de la société Batofar en octobre 2015 et soutient qu’à compter du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, il a été dessaisi de ses fonctions et qu’il appartenait au liquidateur de procéder aux diligences comptables, ce qu’il n’a pas fait. Il fait ainsi valoir que les carences constatées relativement au défaut de dépôt des comptes annuels 2017 ne relèvent pas de sa responsabilité et qu’il ne peut être tenu pour responsable de la non conservation des pièces comptables, sur laquelle l’administration fiscale s’est fondée pour rejeter la comptabilité des exercices 2015 et 2016 et appliquer des majorations, alors que ces pièces étaient entreposées dans la péniche, évacuée en janvier et février 2018 en raison de la crue de la Seine, que le liquidateur judiciaire ne les a pas récupérées lors de la restitution des clés de la péniche au bailleur le 30 mars 2018 et que la comptable de la société Batofar a été licenciée alors que le contrôle fiscal était en cours, que la taxation d’office de l’Urssaf au titre de janvier 2018 est imputable au liquidateur qui n’a pas procédé à la déclaration et que celle appliquée au titre d’octobre et novembre 2017 est imputable à la comptable salariée. L’article L. 123-12 alinéa 3 du code de commerce dispose que toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit ” établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultats et une annexe, qui forment un tout indissociable”. L’article R. 123-173 du même code précise quant à lui que ” tout commerçant tient obligatoirement un livre-journal et un grand livre “. Le défaut de dépôt au greffe des comptes annuels de l’exercice clos le 31 décembre 2017 ne peut caractériser un manquement dans la tenue de la comptabilité de la société Batofar imputable à M. [L] dès lors que le jugement de liquidation du 1er février 2018, avec maintien de l’activité jusqu’au 1er mars 2018, l’a dessaisi de cette obligation, pesant sur le dirigeant, avant l’arrêté des comptes et leur approbation. M. [L] établit par des articles et photographies de presse de l’époque que la Seine a atteint un pic de crue le 22 janvier 2018, que la péniche occupée par la société Batofar était inaccessible, sauf en bateau, en raison de l’inondation des quais et qu’elle avait été évacuée comme toutes les péniches servant d’habitation, que la décrue s’annonçait lente. Il résulte du protocole d’accord transactionnel conclu entre le liquidateur judiciaire et la société Osprey, bailleur et cessionnaire des actifs de la société Batofar, que les clés de la péniche ont été remises à la société Osprey le 31 mars 2018 au plus tard, le protocole ayant été signé le 30 mars précédent. Les opérations de vérification de la comptabilité des exercices 2015 et 2016 menées par l’administration fiscale se sont déroulées à compter d’une première réunion tenue le 12 mars 2018, deux autres réunions s’étant tenues les 13 et 29 mars suivants dont l’une dans les locaux d’archivage. Ni les pièces comptables concernant les exercices contrôlés ni les traitements informatiques n’ont été remis à l’administration fiscale qui a en conséquence considéré comme non justifiées certaines charges et appliqué notamment sur ce fondement une majoration de 40 % pour manquement délibéré. M. [L] allègue, sans être contredit, que les pièces comptables étaient entreposées dans la péniche, ce qui est corroboré par les explications données par l’expert-comptable lors du contrôle fiscal, le 12 juillet 2018. Il a également été expliqué à l’administration fiscale que des justificatifs avaient été perdus en raison de la crue de la Seine. M. [L] ajoute que le liquidateur judiciaire n’a pas récupéré la comptabilité avant de remettre les clés à la société Osprey, ce qui n’est pas contredit par le ministère public mais pas non plus établi par les pièces produites aux débats. Il résulte néanmoins de tous ces éléments qu’un doute existe quant au sort des pièces relatives à la comptabilité des exercices 2015 et 2016 de sorte que le défaut de remise à l’administration fiscale de cette comptabilité et des pièces justificatives ne peut être retenu pour caractériser un défaut de tenue de comptabilité complète et régulière. Il en est de même de l’absence de remise au liquidateur des journaux, grands livres, bilan, compte de résultat et annexe reprochée par le ministère public au soutien du grief. Il reste que la proposition de rectification fiscale fait état de diverses anomalies entachant la tenue de la comptabilité de la société Batofar qui établissent qu’elle n’était pas régulière alors que M. [L] en était le co-gérant du 1er juillet au 1er octobre 2015 puis le seul gérant à compter de cette date jusqu’à la liquidation judiciaire. Ainsi, l’administration fiscale a relevé que les écritures comptables n’étaient validées qu’une seule fois le 31 décembre 2016 pour l’exercice 2015 et le 26 octobre 2017 pour l’exercice 2017 et non au jour le jour, que les recettes par catégorie de produits étaient retracées globalement par une seule écriture comptable mensuelle, que le solde du compte de TVA déductible était créditeur pour les deux exercices signifiant que la société Batofar a porté des montants de TVA déductibles supérieurs à ceux qu’elle était autorisée à déduire. Ces seuls constats, dont aucun n’est discuté par M. [L] dans ses écritures, suffisent à établir le grief tiré de la tenue d’une comptabilité incomplète, les opérations n’étant pas enregistrées individuellement et au jour le jour, et irrégulière. M. [L] ne peut, sur ces constats, s’exonérer de sa responsabilité de dirigeant en invoquant que la comptabilité de la société Batofar était tenue par une salariée et non par lui-même. La cour relève également que l’administration fiscale a en outre considéré que des dépenses n’avaient pas été engagées dans l’intérêt de la société Batofar : la société Bateau feu, dont M. [L] était l’associé et le dirigeant, a facturé à la société Batofar (i) des prestations de gestion comptable, alors que cette dernière employait une comptable assurant les mêmes tâches, (ii) la rémunération de l’expert-comptable alors que ce dernier était payé directement par la société Batofar, (iii) des loyers correspondant à des locaux sur lesquels aucune explication n’a été donnée, alors qu’il est rappelé que la société Batofar était facturée par le bailleur, (iv) une mise à disposition de matériels bureautiques et téléphoniques alors que la société Batofar supportait directement les frais de maintenance et de téléphonie, (v) des prestations artistiques, dont une mission de coordination, dont ni la réalité ni l’intérêt n’ont été démontrés alors que la société Batofar supportait directement des frais de coréalisation d’événements, de publicité, de communication, de graphisme. Le grief tiré de la tenue d’une comptabilité irrégulière sera donc retenu. Sur le défaut de déclaration de cessation des paiements :Dans sa requête, le ministère public a reproché à M. [L] d’avoir sciemment tardé à déclarer la cessation des paiements en y procédant le 12 janvier 2018 avec un retard de trois mois par rapport à la date de cessation des paiements fixée par le tribunal au 31 août 2017, retard dont il a résulté une aggravation du passif de 251.953,84 euros. Le tribunal a retenu ce grief. En appel, le ministère public considère ce grief comme établi. M. [L] soutient que ce n’est pas sciemment qu’il a déclaré la cessation des paiements seulement le 12 janvier 2018 et qu’il s’était investi pour trouver des solutions, faisant valoir que les inscriptions de privilèges au 31 août 2017 portaient sur le montant modeste de 9.908 euros, que la créance de la Sacem était discutée et incertaine en son montant, qu’il était en pourparlers avec le bailleur pour convenir d’un maintien dans les lieux malgré une ordonnance d’expulsion et qu’un protocole d’accord a été conclu le 17 décembre 2017, qu’il s’est rapproché du tribunal de commerce pour rechercher des solutions, qu’un administrateur judiciaire l’a ainsi conseillé de déclarer la cessation des paiements, que la crue exceptionnelle de janvier 2018 a cependant conduit à l’évacuation du bateau, du matériel ayant en outre été perdu, et que l’incertitude quant à la possible reprise d’une activité a anéanti les espoirs de redressement. Il ajoute que l’aggravation du passif en période suspecte n’est pas justifiée, que le tribunal avait considéré que l’activité pouvait être maintenue en liquidation judiciaire eu égard à la trésorerie disponible et que l’insolvabilité de la société Batofar a résulté non d’une carence dans la gestion de l’entreprise mais du prononcé de deux décisions de justice défavorables et quasi concomitantes, dont appel avait été interjeté, et de la crue de la Seine. Le jugement d’ouverture ayant fixé la date de cessation des paiements au 31 août 2017, la déclaration de cessation des paiements aurait dû intervenir au plus tard le 15 octobre 2017. M. [L] a donc procédé avec un retard de près de trois mois, le 12 janvier 2018, à la déclaration de cessation des paiements. M. [L] a lui-même indiqué dans cette déclaration du 12 janvier 2018 que la société Batofar avait cessé ses paiements le 30 août 2017 et ce, sans tenir compte ni de l’appel, alors pendant, de l’ordonnance de référé du 14 décembre 2016 ayant condamné la société à payer à la Sacem deux sommes provisionnelles d’un montant de 258.503,32 euros et de 234.358,04 euros, ni de l’instance au fond l’opposant depuis le 23 juillet 2014 à son bailleur, la société Osprey, qui demandait son expulsion et le paiement de diverses sommes, dont l’une d’un montant substantielle de 600.222,68 euros. Cette instance a donné lieu au jugement du 31 août 2017, assorti de l’exécution provisoire, ordonnant l’expulsion et condamnant la société Batofar au paiement des sommes principales de 300.111,34 euros et de 96.385,69 euros. Or la société Batofar a fait appel de ce jugement le 23 octobre 2017 après l’expiration du délai légal pour déclarer la cessation des paiements. M. [L] ne peut dès lors, pour contester avoir sciemment tardé à déclarer la cessation des paiements dont il a lui-même défini la date un jour avant celle retenue par le tribunal, se prévaloir ni de l’ordonnance de référé du 14 décembre 2016, dont il n’a pas lui-même tenu compte pour déterminer la date de cessation des paiements dans sa propre déclaration, ni du jugement du 31 août 2017 dont il n’a été fait appel que postérieurement à l’expiration du délai légal pour déclarer la cessation des paiements. Par ailleurs, les déclarations de créance produites aux débats montrent que la société Batofar était redevable, dans le délai légal de déclaration de la cessation des paiements, de créances fiscales échues au titre de la TVA 2014, de la TVA de juin et de septembre 2017 (montant total de 97.364 euros), de la CVAE 2014 (3.494 euros) et de la CFE 2017 (2.628 euros). L’état des privilèges au 1er février 2018 révèle en outre une inscription du 28 février 2017 de [F] (2.879 euros) et une inscription du 18 mai 2017 de l’Urssaf (7.029 euros) que M. [L] ne conteste pas dans ses écritures. En ayant lui-même fixé la date de cessation des paiements au 30 août 2017, M. [L] a admis que la société Batofar ne disposait alors pas d’un actif disponible suffisant pour s’acquitter de ces seules créances fiscales et sociales dont il n’est pas allégué qu’elles faisaient alors l’objet de contestations ou de moratoires. Si M. [L] a obtenu, le 17 décembre 2017, un accord transactionnel avec la société Osprey permettant d’aménager les modalités de libération spontanée de la péniche, alors que le bailleur avait entamé la procédure d’expulsion et qu’une vente aux enchères publiques des meubles saisis le 25 octobre 2017 était prévue le 19 décembre suivant, cet accord, prévoyant la remise des clés au plus tard le 5 février 2018, ne comportait aucun aménagement des condamnations en paiement. En outre il se déduit des mesures d’exécution rappelées dans ce protocole d’accord que la société Osprey, en litige sur le sort du bail depuis 2013, n’était pas susceptible d’accepter le maintien de la société Batofar dans les locaux. Il résulte enfin de la date du protocole que ce n’est pas la crue de la Seine en janvier 2018 qui a entraîné l’anéantissement de tout espoir de sortir de l’impasse financière dans laquelle se trouvait la société Batofar et d’envisager son redressement. Dans le délai légal de déclaration de la cessation des paiements, alors même que la société Les montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicable– Code de commerce
– Article L. 123-12 alinéa 3 – Article R. 123-173 Article L. 123-12 alinéa 3 du code de commerce: “Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultats et une annexe, qui forment un tout indissociable”. Article R. 123-173 du code de commerce: “Tout commerçant tient obligatoirement un livre-journal et un grand livre”. – Code de commerce Article L. 123-12 alinéa 3 du code de commerce: “Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultats et une annexe, qui forment un tout indissociable”. |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Olivier DARCET
– Madame Florence DUBOIS-STEVANT – Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT – Madame Constance LACHEZE – Madame Liselotte FENOUIL – Monsieur François VAISSETTE |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 19 MARS 2024
(n° / 2024, 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/20245 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGY76
Décision déférée à la Cour : Jugement du 4 octobre 2022 -Tribunal de commerce de PARIS – RG n° 2019050098
APPELANT
Monsieur [N] [L]
Né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 5] (92)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 8]
[Adresse 1]
Représenté par Me Olivier DARCET, avocat au barreau de PARIS, toque : C2103,
INTIMÉE
S.E.L.A.S. ETUDE JP, ès qualités,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS Sous le numéro 840 214 191,
Dont l’étude est située au [Adresse 4]
[Localité 3]
Non constituée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composées de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Madame Constance LACHEZE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 26 avril 2023 et ses observations orales lors de l’audience.
ARRÊT :
– réputé contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
La SARL Batofar exploitait une activité de bar, restaurant et salle de spectacle dans un ancien bateau-feu amarré. M. [N] [L] en était le gérant.
Sur déclaration de cessation des paiements du 12 janvier 2018 et par jugement du 1er février 2018, le tribunal de commerce de Paris a ouvert à son égard une procédure de liquidation judiciaire avec maintien de l’activité jusqu’au 1er mars 2018, fixé la date de cessation des paiements au 31 août 2017 et désigné la SELAS Etude JP, prise en la personne de
Me [E], en qualité de liquidateur judiciaire, et la SELARL Ascagne AJ, prise en la personne de Me [G], en qualité d’administrateur judiciaire.
Sur requête du ministère public du 23 août 2019, invoquant trois griefs tenant au défaut de tenue d’une comptabilité complète et régulière, au détournement de l’actif de la société et au défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal, et par jugement du
4 octobre 2022, le tribunal de commerce de Paris a, retenant les trois griefs, prononcé à l’encontre de M. [L] une mesure d’interdiction de gérer pour une durée de cinq ans et ordonné l’emploi des dépens en frais de liquidation judiciaire.
Par déclaration du 3 décembre 2002, M. [L] a fait appel de ce jugement et, par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 13 novembre 2023, il demande à la cour de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de juger qu’il n’y a pas lieu au prononcé d’une interdiction de gérer à son encontre, à défaut de juger que la durée de l’interdiction de gérer sera limitée à trois mois, en tout état de cause de condamner la SELAS Etude JP et tout succombant à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 26 avril 2023, le ministère public conclut à la confirmation du jugement entrepris.
La déclaration d’appel a été signifiée à la SELAS Etude JP ès qualités par acte remis à personne morale le 8 février 2023. La SELAS Etude JP ès qualités n’a pas constitué avocat.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 14 novembre 2023.
Sur le détournement d’actif :
Dans sa requête, le ministère public a reproché à M. [L] d’avoir détourné l’actif de la société Batofar en ayant retenu la part salariale non payée des cotisations de l’Urssaf d’un montant de 12.355,30 euros. Le tribunal a retenu ce grief. En appel le ministère public soutient que la somme de 12.355,30 euros représentant la part salariale des cotisations impayées à l’Urssaf constitue un actif de la société Batofar qui a été détourné.
Mais, comme le fait observer M. [L], la part salariale des cotisations dues à l’Urssaf n’est pas un actif de la société débitrice et son défaut de paiement caractérise non un détournement d’actif mais une dette de la société à l’égard de l’Urssaf.
Les faits reprochés à M. [L] ne relevant pas d’un détournement d’actif, le grief doit être écarté.
Sur le défaut de comptabilité complète et régulière :
Le ministère public reproche à M. [L] l’absence de comptabilité, une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière et le non-respect de son obligation en matière de déclarations sociales et fiscales. Il fait valoir que M. [L] n’a pas remis au liquidateur les journaux, grands livres, bilan, compte de résultat et annexe, seuls les bilans et comptes de résultat des exercices 2010 à 2016 ayant été déposés au greffe du tribunal, que l’administration fiscale a, le 17 décembre 2018, rejeté la comptabilité des exercices 2015 et 2016 et appliqué une majoration de 40 % compte tenu des carences constatées dans la tenue de la comptabilité, que l’Urssaf a déclaré une créance fondée sur une taxation d’office au titre des mois d’octobre et de novembre 2017 et de janvier 2018.
M. [L] rappelle qu’il a pris la codirection de la société Batofar en octobre 2015 et soutient qu’à compter du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, il a été dessaisi de ses fonctions et qu’il appartenait au liquidateur de procéder aux diligences comptables, ce qu’il n’a pas fait. Il fait ainsi valoir que les carences constatées relativement au défaut de dépôt des comptes annuels 2017 ne relèvent pas de sa responsabilité et qu’il ne peut être tenu pour responsable de la non conservation des pièces comptables, sur laquelle l’administration fiscale s’est fondée pour rejeter la comptabilité des exercices 2015 et 2016 et appliquer des majorations, alors que ces pièces étaient entreposées dans la péniche, évacuée en janvier et février 2018 en raison de la crue de la Seine, que le liquidateur judiciaire ne les a pas récupérées lors de la restitution des clés de la péniche au bailleur le 30 mars 2018 et que la comptable de la société Batofar a été licenciée alors que le contrôle fiscal était en cours, que la taxation d’office de l’Urssaf au titre de janvier 2018 est imputable au liquidateur qui n’a pas procédé à la déclaration et que celle appliquée au titre d’octobre et novembre 2017 est imputable à la comptable salariée.
L’article L. 123-12 alinéa 3 du code de commerce dispose que toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit ” établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice au vu des enregistrements comptables et de l’inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultats et une annexe, qui forment un tout indissociable”. L’article R. 123-173 du même code précise quant à lui que ” tout commerçant tient obligatoirement un livre-journal et un grand livre “.
Le défaut de dépôt au greffe des comptes annuels de l’exercice clos le 31 décembre 2017 ne peut caractériser un manquement dans la tenue de la comptabilité de la société Batofar imputable à M. [L] dès lors que le jugement de liquidation du 1er février 2018, avec maintien de l’activité jusqu’au 1er mars 2018, l’a dessaisi de cette obligation, pesant sur le dirigeant, avant l’arrêté des comptes et leur approbation.
M. [L] établit par des articles et photographies de presse de l’époque que la Seine a atteint un pic de crue le 22 janvier 2018, que la péniche occupée par la société Batofar était inaccessible, sauf en bateau, en raison de l’inondation des quais et qu’elle avait été évacuée comme toutes les péniches servant d’habitation, que la décrue s’annonçait lente. Il résulte du protocole d’accord transactionnel conclu entre le liquidateur judiciaire et la société Osprey, bailleur et cessionnaire des actifs de la société Batofar, que les clés de la péniche ont été remises à la société Osprey le 31 mars 2018 au plus tard, le protocole ayant été signé le 30 mars précédent.
Les opérations de vérification de la comptabilité des exercices 2015 et 2016 menées par l’administration fiscale se sont déroulées à compter d’une première réunion tenue le 12 mars 2018, deux autres réunions s’étant tenues les 13 et 29 mars suivants dont l’une dans les locaux d’archivage. Ni les pièces comptables concernant les exercices contrôlés ni les traitements informatiques n’ont été remis à l’administration fiscale qui a en conséquence considéré comme non justifiées certaines charges et appliqué notamment sur ce fondement une majoration de 40 % pour manquement délibéré.
M. [L] allègue, sans être contredit, que les pièces comptables étaient entreposées dans la péniche, ce qui est corroboré par les explications données par l’expert-comptable lors du contrôle fiscal, le 12 juillet 2018. Il a également été expliqué à l’administration fiscale que des justificatifs avaient été perdus en raison de la crue de la Seine.
M. [L] ajoute que le liquidateur judiciaire n’a pas récupéré la comptabilité avant de remettre les clés à la société Osprey, ce qui n’est pas contredit par le ministère public mais pas non plus établi par les pièces produites aux débats.
Il résulte néanmoins de tous ces éléments qu’un doute existe quant au sort des pièces relatives à la comptabilité des exercices 2015 et 2016 de sorte que le défaut de remise à l’administration fiscale de cette comptabilité et des pièces justificatives ne peut être retenu pour caractériser un défaut de tenue de comptabilité complète et régulière. Il en est de même de l’absence de remise au liquidateur des journaux, grands livres, bilan, compte de résultat et annexe reprochée par le ministère public au soutien du grief.
Il reste que la proposition de rectification fiscale fait état de diverses anomalies entachant la tenue de la comptabilité de la société Batofar qui établissent qu’elle n’était pas régulière alors que M. [L] en était le co-gérant du 1er juillet au 1er octobre 2015 puis le seul gérant à compter de cette date jusqu’à la liquidation judiciaire. Ainsi, l’administration fiscale a relevé que les écritures comptables n’étaient validées qu’une seule fois le 31 décembre 2016 pour l’exercice 2015 et le 26 octobre 2017 pour l’exercice 2017 et non au jour le jour, que les recettes par catégorie de produits étaient retracées globalement par une seule écriture comptable mensuelle, que le solde du compte de TVA déductible était créditeur pour les deux exercices signifiant que la société Batofar a porté des montants de TVA déductibles supérieurs à ceux qu’elle était autorisée à déduire.
Ces seuls constats, dont aucun n’est discuté par M. [L] dans ses écritures, suffisent à établir le grief tiré de la tenue d’une comptabilité incomplète, les opérations n’étant pas enregistrées individuellement et au jour le jour, et irrégulière. M. [L] ne peut, sur ces constats, s’exonérer de sa responsabilité de dirigeant en invoquant que la comptabilité de la société Batofar était tenue par une salariée et non par lui-même.
La cour relève également que l’administration fiscale a en outre considéré que des dépenses n’avaient pas été engagées dans l’intérêt de la société Batofar : la société Bateau feu, dont M. [L] était l’associé et le dirigeant, a facturé à la société Batofar (i) des prestations de gestion comptable, alors que cette dernière employait une comptable assurant les mêmes tâches, (ii) la rémunération de l’expert-comptable alors que ce dernier était payé directement par la société Batofar, (iii) des loyers correspondant à des locaux sur lesquels aucune explication n’a été donnée, alors qu’il est rappelé que la société Batofar était facturée par le bailleur, (iv) une mise à disposition de matériels bureautiques et téléphoniques alors que la société Batofar supportait directement les frais de maintenance et de téléphonie, (v) des prestations artistiques, dont une mission de coordination, dont ni la réalité ni l’intérêt n’ont été démontrés alors que la société Batofar supportait directement des frais de coréalisation d’événements, de publicité, de communication, de graphisme.
Le grief tiré de la tenue d’une comptabilité irrégulière sera donc retenu.
Sur le défaut de déclaration de cessation des paiements :
Dans sa requête, le ministère public a reproché à M. [L] d’avoir sciemment tardé à déclarer la cessation des paiements en y procédant le 12 janvier 2018 avec un retard de trois mois par rapport à la date de cessation des paiements fixée par le tribunal au 31 août 2017, retard dont il a résulté une aggravation du passif de 251.953,84 euros. Le tribunal a retenu ce grief. En appel, le ministère public considère ce grief comme établi.
M. [L] soutient que ce n’est pas sciemment qu’il a déclaré la cessation des paiements seulement le 12 janvier 2018 et qu’il s’était investi pour trouver des solutions, faisant valoir que les inscriptions de privilèges au 31 août 2017 portaient sur le montant modeste de 9.908 euros, que la créance de la Sacem était discutée et incertaine en son montant, qu’il était en pourparlers avec le bailleur pour convenir d’un maintien dans les lieux malgré une ordonnance d’expulsion et qu’un protocole d’accord a été conclu le 17 décembre 2017, qu’il s’est rapproché du tribunal de commerce pour rechercher des solutions, qu’un administrateur judiciaire l’a ainsi conseillé de déclarer la cessation des paiements, que la crue exceptionnelle de janvier 2018 a cependant conduit à l’évacuation du bateau, du matériel ayant en outre été perdu, et que l’incertitude quant à la possible reprise d’une activité a anéanti les espoirs de redressement. Il ajoute que l’aggravation du passif en période suspecte n’est pas justifiée, que le tribunal avait considéré que l’activité pouvait être maintenue en liquidation judiciaire eu égard à la trésorerie disponible et que l’insolvabilité de la société Batofar a résulté non d’une carence dans la gestion de l’entreprise mais du prononcé de deux décisions de justice défavorables et quasi concomitantes, dont appel avait été interjeté, et de la crue de la Seine.
Le jugement d’ouverture ayant fixé la date de cessation des paiements au 31 août 2017, la déclaration de cessation des paiements aurait dû intervenir au plus tard le 15 octobre 2017. M. [L] a donc procédé avec un retard de près de trois mois, le 12 janvier 2018, à la déclaration de cessation des paiements.
M. [L] a lui-même indiqué dans cette déclaration du 12 janvier 2018 que la société Batofar avait cessé ses paiements le 30 août 2017 et ce, sans tenir compte ni de l’appel, alors pendant, de l’ordonnance de référé du 14 décembre 2016 ayant condamné la société à payer à la Sacem deux sommes provisionnelles d’un montant de 258.503,32 euros et de 234.358,04 euros, ni de l’instance au fond l’opposant depuis le 23 juillet 2014 à son bailleur, la société Osprey, qui demandait son expulsion et le paiement de diverses sommes, dont l’une d’un montant substantielle de 600.222,68 euros. Cette instance a donné lieu au jugement du
31 août 2017, assorti de l’exécution provisoire, ordonnant l’expulsion et condamnant la société Batofar au paiement des sommes principales de 300.111,34 euros et de 96.385,69 euros. Or la société Batofar a fait appel de ce jugement le 23 octobre 2017 après l’expiration du délai légal pour déclarer la cessation des paiements.
M. [L] ne peut dès lors, pour contester avoir sciemment tardé à déclarer la cessation des paiements dont il a lui-même défini la date un jour avant celle retenue par le tribunal, se prévaloir ni de l’ordonnance de référé du 14 décembre 2016, dont il n’a pas lui-même tenu compte pour déterminer la date de cessation des paiements dans sa propre déclaration, ni du jugement du 31 août 2017 dont il n’a été fait appel que postérieurement à l’expiration du délai légal pour déclarer la cessation des paiements.
Par ailleurs, les déclarations de créance produites aux débats montrent que la société Batofar était redevable, dans le délai légal de déclaration de la cessation des paiements, de créances fiscales échues au titre de la TVA 2014, de la TVA de juin et de septembre 2017 (montant total de 97.364 euros), de la CVAE 2014 (3.494 euros) et de la CFE 2017 (2.628 euros). L’état des privilèges au 1er février 2018 révèle en outre une inscription du 28 février 2017 de [F] (2.879 euros) et une inscription du 18 mai 2017 de l’Urssaf (7.029 euros) que
M. [L] ne conteste pas dans ses écritures. En ayant lui-même fixé la date de cessation des paiements au 30 août 2017, M. [L] a admis que la société Batofar ne disposait alors pas d’un actif disponible suffisant pour s’acquitter de ces seules créances fiscales et sociales dont il n’est pas allégué qu’elles faisaient alors l’objet de contestations ou de moratoires.
Si M. [L] a obtenu, le 17 décembre 2017, un accord transactionnel avec la société Osprey permettant d’aménager les modalités de libération spontanée de la péniche, alors que le bailleur avait entamé la procédure d’expulsion et qu’une vente aux enchères publiques des meubles saisis le 25 octobre 2017 était prévue le 19 décembre suivant, cet accord, prévoyant la remise des clés au plus tard le 5 février 2018, ne comportait aucun aménagement des condamnations en paiement. En outre il se déduit des mesures d’exécution rappelées dans ce protocole d’accord que la société Osprey, en litige sur le sort du bail depuis 2013, n’était pas susceptible d’accepter le maintien de la société Batofar dans les locaux. Il résulte enfin de la date du protocole que ce n’est pas la crue de la Seine en janvier 2018 qui a entraîné l’anéantissement de tout espoir de sortir de l’impasse financière dans laquelle se trouvait la société Batofar et d’envisager son redressement.
Dans le délai légal de déclaration de la cessation des paiements, alors même que la société Batofar était menacée d’expulsion et faisait face à des difficultés financières et juridiques avec la Sacem, M. [L] n’a pas demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation mais a attendu début janvier 2018 pour se rapprocher de Me [G] puis déposer une déclaration de cessation des paiements en demandant la liquidation judiciaire avec maintien de l’activité en vue d’une cession.
Ce maintien de l’activité, accordé par le tribunal de commerce, avait pour seul objet d’organiser une cession du fonds de commerce et ce, dans un délai ” extrêmement court eu égard aux prévisions de trésorerie ” selon les termes de Me [G] dans une note adressée le 16 janvier 2018 au tribunal de commerce avant l’audience en chambre du conseil. En effet, la déclaration de cessation des paiements prévoyait des pertes d’exploitation en janvier et en février 2018. M. [L] ne peut dès lors se prévaloir de ce maintien d’activité pour contester avoir sciemment tardé à déclarer la cessation des paiements.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que c’est bien sciemment que M. [L] a tardé à déclarer la cessation des paiements et que les circonstances qu’il invoque ne sont pas de nature à justifier un tel retard ou à l’exonérer de toute sanction personnelle.
La cour retiendra donc ce grief pour déterminer le quantum de la sanction d’interdiction de gérer, seule applicable en l’espèce.
Sur la sanction :
La cour a retenu deux griefs dont la nature et la gravité, les irrégularités comptables constatées relevant d’une carence manifeste à respecter les règles de la tenue d’une comptabilité et le retard pris dans la déclaration de cessation des paiements sans ouverture d’une procédure de conciliation ayant précipité la liquidation de la société sans que des mesures de redressement aient pu être mises en place, justifie une mesure d’interdiction de gérer d’une durée de trois ans. Le jugement sera infirmé sur ce point.
M. [L] succombant en son appel sera condamné aux dépens d’appel et ne peut prétendre à une indemnité procédurale. Les dispositions du jugement sur les dépens seront infirmées et ces dépens mis à la charge de M. [L].
La Cour, statuant par arrêt réputé contradictoire,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [N] [L], né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 6] (92), de nationalité française, demeurant [Adresse 7], à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute personne morale pour une durée de trois ans ;
Déboute M. [N] [L] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [N] [L] aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT