Your cart is currently empty!
Si une société est liquidée et en l’absence de cession de fonds de commerce, sa personnalité morale, son patrimoine et donc ses droits de propriété intellectuelle disparaissent avec. L’ancien dirigeant est alors considéré comme un tiers et peut déposer tout actif corporel de la société liquidée s’il ne fait pas l’objet d’un droit privatif par un tiers.
L’hypothèse de la cession du fonds de commerce est totalement différente puisque l’acquéreur est investi des marques, du nom commercial et des autres actifs du fonds cédé (application mobile, noms de domaine, nom commercial …). Mais là aussi, le dirigeant devient un tiers. Il appartient donc au cessionnaire de publier au registre des marques de l’INPI la cession pour la rendre opposable à un ex dirigeant.
En cas d’utilisation de la dénomination sociale ou du nom commercial de la société par son ancien dirigeant, le cessionnaire ne pourra pas fonder son action sur le terrain de la responsabilité contractuelle, prévue par l’article 1217 du code civil, car l’ex dirigeant n’est pas partie au contrat de cession invoqué (cessionnaire / tribunal de commerce).
Seul le cessionnaire peut toutefois revendiquer l’usage du nom commercial de la société et la continuité avec l’entreprise acquise.
Cette exclusivité ne prive pas les personnes physiques ayant travaillé au sein de cette entreprise de se prévaloir de leur contribution dans le succès qu’elle peut revendiquer ; mais à condition de ne pas créer de risque de confusion quant à l’identité de celui qui exploite aujourd’hui ce nom.
Une mention (par exemple sur un site internet ou un réseau social) laissant entendre que les créateurs d’une nouvelle société étaient responsables de leur ex société liquidée, sans indiquer qu’ils en ont seulement été membres par le passé sans plus y être liés aujourd’hui, est fautive. En effet, elle induit le consommateur à penser que la société est liée à la nouvelle entité acquise par le cessionnaire, ce qui porte atteinte au nom commercial et caractérise donc une concurrence déloyale.
Outre l’étendue de la protection donnée à la marque, un tiers (ex dirigeant) contre qui elle est susceptible d’être invoquée a également intérêt à connaitre l’identité de son titulaire, car il doit savoir qui a le droit de s’opposer ou consentir à ses actions et, le cas échéant, qui a qualité à défendre le titre qu’il voudrait contester.
Il est donc important d’empêcher le titulaire de dissimuler sa qualité, et de se prévaloir de son droit de propriété lorsqu’il y verrait son intérêt sans avoir également à l’assumer en toute circonstance à l’égard des tiers.
Au demeurant, la faculté d’agir laissée au licencié non enregistré se justifie aussi grâce à cette possibilité de vérifier l’identité du titulaire l’ayant autorisé à agir. L’objectif de sécurité juridique et de protection des droits des tiers implique donc d’interdire de manière générale au nouveau titulaire après transmission de la marque de se prévaloir des droits sur celle-ci tant que la transmission n’a pas été inscrite au registre (comme le fait par ailleurs le règlement sur la marque de l’Union européenne, à son article 20, paragraphe 11).
Cela implique également que la connaissance personnelle que le défendeur en contrefaçon (l’ex dirigeant qui utilise la marque de sa société liquidée et pourtant cédée) pourrait avoir, dans un cas particulier, de l’acte non enregistré de cession de marque, est indifférente ; car la protection de la sécurité juridique des tiers implique précisément d’interdire au titulaire de limiter le nombre de personnes informées de sa qualité, ce qui justifie pleinement une incitation tenant à lui interdire de s’en prévaloir, même contre ceux qui la connaissent.
Une telle approche donne alors sa pleine utilité au 2e alinéa de l’article L. 714-7 du Code de la propriété intellectuelle, qui sans autoriser le cessionnaire à agir contre les tiers ne revendiquant aucun droit, lui permet tout de même de défendre l’utilité de l’acte dont il tire ses droits contre les droits concurrents acquis postérieurement et en connaissance de cause.
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/06395 – No Portalis 352J-W-B7E-CSMNW No MINUTE : Assignation du : 06 et 08 juillet 2020 JUGEMENT rendu le 08 mars 2022 DEMANDERESSE S.A.R.L. MY FUNDS OFFICE [Adresse 1] [Localité 4] représentée par Maître Nathanaël ROCHARD de la SELARL LAMBARD & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, #P0169 DÉFENDEURS S.A.S. HIPPOCAMPUS [Adresse 3] [Localité 4] Monsieur [R] [S] [Adresse 2] [Localité 4] représentés par Maître Emilie LENGLEN de l’AARPI ALL PARTNERS – AJE LENGLEN LAWYERS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B1129 COMPOSITION DU TRIBUNAL Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe Arthur COURILLON-HAVY, juge Linda BOUDOUR, juge assisté de Lorine MILLE, greffière, DÉBATS A l’audience du 06 janvier 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 08 mars 2022. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire En premier ressort ____________________________ Exposé du litige 1.La société My funds office reproche à M. [S] et la société Hippocampus dont il est le gérant l’usage de la marque « Marie quantier » dont elle est cessionnaire en vertu d’un acte qui n’a pas encore été inscrit au registre, d’une chaîne Youtube contenant des vidéos où cette marque apparait, du nom commercial « Q-Hedge tech », et d’une application pour téléphone et tablettes dénommée « Météo des marchés » ; qualifiant ces usages de contrefaçon de droit d’auteur ou de droit voisin (article L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle), de parasitisme, et de violation d’obligations contractuelles. 2.Elle a en effet acquis le 13 janvier 2020, sur autorisation préalable du tribunal de commerce, le fonds de commerce de conseil en investissement financier et courtage de la société Q-Hedge technologies, placée en liquidation judiciaire et dont M. [S] était le dirigeant, incluant notamment : – la marque verbale française « Marie quantier » déposée le 22 janvier 2012 et enregistrée (le 11 mai suivant) sous le numéro 3890727 pour désigner des services en classe 36, – les noms de domaine <mariequantier.com> et <qhedgetech.com>, – l’application pour téléphone et tablette ‘Marie quantier’, – la dénomination sociale ‘Q-Hedge technologies’ et le nom commercial ‘Q-Hedge tech’. 3.Elle expose avoir pourtant constaté que M. [S], ancien gérant de la société Q-Hedge technologies, continuait d’utiliser la marque Marie quantier via une nouvelle société, Hippocampus, ainsi que la chaîne Youtube « Marie quantier » renommée « Temp », et une application dénommée « Météo des marchés » ; et, après une mise en demeure infructueuse, elle a assigné M. [S] et la société Hippocampus en responsabilité contractuelle et contrefaçon de marque, par actes des 6 et 8 juillet 2020. 4.Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 23 juin 2021, la société My funds office résiste aux demandes reconventionnelles et demande elle-même de ?condamner M. [S] et la société Hippocampus à cesser l’utilisation de la marque Marie quantier, « sa » chaîne Youtube, l’application « Météo des marchés », le nom commercial « Q-hedge tech » et « tout autre élément lui appartenant » ; ?les condamner in solidum à lui verser 50 000 euros de dommages et intérêts ; ?outre 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens (comprenant le cout d’un constat d’huissier). 5.Elle fonde ses demandes sur la contrefaçon en citant l’article L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle (relatif à la contrefaçon de droits d’auteur et de droits voisins), le parasitisme, et la responsabilité contractuelle. Elle estime sa demande en contrefaçon recevable malgré l’absence d’inscription au registre de la cession dont elle se prévaut, dès lors d’une part que M. [S] serait le cédant de la marque, de sorte que lui et sa société ne seraient pas des tiers ; et d’autre part que la Cour de justice de l’Union européenne estimerait que l’absence de publication au registre national de la transmission des droits sur une marque n’entrainerait pas nécessairement l’irrecevabilité. 6.Elle reproche à la société Hippocampus de proposer sur son site internet une application « météo des marchés », qu’elle dit « pourtant cédée à la société My funds », de faire également référence, sur ce site, à la société Q-Hedge technologies, alors que ce nom commercial lui a été cédé ; elle reproche à M. [S] l’existence d’une chaîne Youtube intitulée « Marie Quantier » qui a été renommée « Temp » et qui mentionne expressément le nom Marie quantier dans le titre et la descriptions d’une vidéo (« introduction à la gestion conseillée Marie Quantier ») ; soutient qu’en fait de suppression de la chaîne Youtube par M. [S], les vidéos n’ont été que rendues privées puis la chaîne seulement désactivée temporairement et non pas supprimée ; estime qu’en faisant ainsi la promotion de la « météo des marchés » et de la marque Marie quantier, qui plus est sur une chaîne Youtube où les autres vidéos sont présentées avec la même voix, les défendeurs créeraient une confusion quant au détenteur de la marque, ce qui constituerait une contrefaçon et un parasitisme économique. Elle en déduit un préjudice de 50 000 euros, contestant avoir abandonné la marque, expliquant avoir « simplement » opté pour le nom « Zalpha » afin d’attirer une clientèle plus jeune, tout en conservant Marie quantier à l’international et pour une « clientèle premium ». 7.Par ailleurs, elle conteste toute faute et abus de sa part, faisant valoir que l’article qui fait état de la procédure en rapportant les propos de M. [L], son dirigeant, présente également de manière objective la position de M. [S], et ne fait que répondre à un article antérieur publié « sur divers sites internet » en avril 2020 et relatant les propos de M. [S] sur son intention de « s’attaquer frontalement à sa propre création Marie Quantier », ces propos ayant alors fait perdre des investisseurs à la société My funds office pour plus de 200 000 euros. 8.Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 août 2021, M. [S] et la société Hippocampus soulèvent l’irrecevabilité des demandes pour défaut de qualité à agir, y résiste au fond, et reconventionnellement demandent de condamner la société My funds office à leur payer 10 000 euros chacun en réparation de leur préjudice d’image, 3 000 euros chacun pour procédure abusive, et 3 000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens (comprenant les couts de deux constats d’huissier). 9.Ils estiment les demandes irrecevables car l’action en contrefaçon est réservée au propriétaire de la marque par l’article L. 716-5 et que la cession de marque, non inscrite au registre, ne leur serait pas opposable, en application de l’article L. 714-7. Subsidiairement, ils contestent tout comportement actif de leur part, faisant valoir que les vidéos critiquées, qui font simplement partie du CV de M. [S], sont antérieures à la cession ; que le renvoi à la chaîne Youtube litigieuse sur le site internet hippocampus ne faisait pas référence à la marque et n’était pas encouragé, qu’au demeurant les vidéos ont été supprimées puis la chaîne supprimée, et le site hippocampus modifié en supprimant la vidéo critiquée dès la première demande. 10.Ils contestent tout droit privatif sur l’expression « météo des marchés », de même que tout risque de confusion du fait du lien, sur le site hippocampus, vers un article évoquant la liquidation judiciaire de la société Q hedge technologies, contestent encore tout parasitisme en faisant valoir l’absence de faute, et la différence de public visé par leur propre solution, et réfutent toute responsabilité contractuelle, contestant être parties à la cession. Ils estiment enfin qu’aucun préjudice n’a été causé par les actes critiqués, soulignant à cet égard que la société a été immatriculée quelques jours seulement avant l’assignation, que son site n’a généré qu’un trafic très faible et sans rapport avec les faits litigieux, outre que son propre produit n’a donné lieu qu’à deux ventes en 2020 (pour 19,50 euros), et que la demanderesse aurait abandonné à la marque Marie Quantier depuis le 2 juillet 2020. 11.Sur leur demande reconventionnelle pour « préjudices d’image », ils soutiennent que la demanderesse aurait adopté un comportement déloyal, aurait annoncé dans la presse financière son procès, sans réserve, ce qui leur aurait fait perdre la confiance de leurs associés et investisseurs et détérioré leur image. Et sur l’abus, ils estiment que la demanderesse « multiplie » les « contre-vérités », use de « stratagèmes » pour retarder le développement de son nouveau concurrent. 12.L’instruction a été close le 16 septembre 2021, l’affaire plaidée le 6 janvier 2022 et mise en délibéré. MOTIFS 1o) Demandes en interdiction et réparation a. atteinte au droit sur la marque Marie quantier 13.Bien qu’invoquant l’article L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle relatif à la contrefaçon de droits d’auteur et de droits voisins, la demanderesse oppose en réalité aux défendeurs une marque française, qui donne à son titulaire un droit exclusif, dont la violation est qualifiée, par l’article L. 716-4, de contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur, ouvrant ainsi une action que l’article L. 716-4-2 (remplaçant l’article L. 716-5 invoqué par les défendeurs) réserve au titulaire de la marque ou au licencié agissant avec l’accord ou l’abstention de celui-ci. Par ailleurs, l’article L. 714-7, premier alinéa, prévoit que toute transmission ou modification des droits attachés à une marque doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au registre national des marques. 14.Sur cette condition d’opposabilité, la demanderesse se prévaut de la disposition en substance identique du règlement sur la marque de l’Union européenne (aujourd’hui article 27, paragraphe 1 du règlement 2017/1001), pour laquelle la Cour de justice a dit pour droit que le licencié pouvait agir en contrefaçon de la marque communautaire faisant l’objet de la licence bien que cette dernière n’ait pas été inscrite au registre des marques communautaires (CJUE, 4 février 2016, Breiding, C-163/15). 15.Néanmoins, le règlement sur la marque de l’Union européenne ne s’applique pas en lui-même aux marques nationales, et une telle disposition n’est pas prévue par la directive rapprochant les législations sur les marques (directive 2015/2436), qui impose seulement aux États membres de disposer de procédures permettant l’inscription dans leurs registre des transferts, droits réels, mesures d’exécution forcée et licences dont les marques font l’objet (articles 22 à 25). L’article L. 714-7, premier alinéa, en ce qu’il conditionne l’opposabilité de la transmission des droits attachés à une marque à son inscription dans le registre, favorise certes cette inscription en créant une forte incitation, mais rien n’indique qu’une telle disposition soit nécessaire pour « disposer de procédures permettant l’inscription » dans la mesure où l’entend la directive ; il ne s’agit donc pas d’une disposition de droit de l’Union, dont l’interprétation aurait dans ce cas été uniforme avec le règlement ; de sorte que la notion d’opposabilité au sens du règlement n’est pas nécessairement identique à la notion d’opposabilité au sens de l’article L. 714-7 du code de la propriété intellectuelle. Il peut alors être utile, pour interpréter la seconde, d’observer le degré d’identité ou de différence entre les dispositions en cause du droit national et du règlement, prises dans leur contexte et au regard des objectifs de la règlementation dont chacune fait partie. Objectif relatif de l’inopposabilité (et conclusion à l’égard du licencié) 16.L’article L. 714-7 prévoit, à son 2e alinéa, le même tempérament que la 2e phrase de l’article 27, paragraphe 1, du règlement, formulée en des termes presque identiques : si (1er alinéa) toute transmission ou modification des droits attachés à une marque doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au registre national des marques, « toutefois, avant son inscription, un acte est opposable aux tiers qui ont acquis des droits après la date de cet acte mais qui avaient connaissance de celui-ci lors de l’acquisition de ces droits. » 17.Comme l’a relevé la Cour de justice dans l’arrêt Breiding précité (C-163/15, point 20), cela soutient l’idée que cet article a pour objet de régir l’opposabilité des actes affectant une marque à l’égard des tiers qui ont ou qui sont susceptibles d’avoir des droits sur la marque, ce qui est sans lien avec l’atteinte au droit de la marque commise par un tiers à qui ce droit n’a pas été consenti, ni avant ni après l’acte non inscrit. 18.L’article L. 714-7 poursuit ainsi l’objectif d’assurer la sécurité juridique des tiers en protégeant ceux-ci des actes dont ils ne pouvaient être informés. Or celui qui n’a aucun droit sur la marque n’est affecté que par l’existence de la marque elle-même et des droits qui y sont attachés ; pas par l’existence d’actes transmettant ces droits. De la sorte, il a intérêt à connaitre précisément l’objet de la marque, mais l’existence de concessions est sans effet à son égard. Cet objectif ne vise donc pas à faire obstacle à la protection du droit de marque par l’exercice d’une action en contrefaçon, du moins pour le licencié. C’est ce que confirme le 3e alinéa du même article L. 714-7, qui autorise expressément le licencié, partie à un contrat de licence « non inscrit sur le Registre national ou international des marques » à intervenir dans l’instance en contrefaçon engagée par le titulaire de la marque afin d’obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre ; alinéa créé par un amendement (no447) à la loi no2008-776 du 4 aout 2008 et que le rapporteur à l’Assemblée nationale a soutenu, avec l’avis « très favorable » du gouvernement, au motif, précisément, qu’il permettait aux licenciés « de défendre leurs droits devant le tribunal, même s’ils ne sont pas encore inscrits au registre national ou international des marques ». 19.Il peut alors en être conclu qu’il ne faut pas interpréter le 3e alinéa de l’article L. 714-7 comme interdisant a contrario au licencié non inscrit d’agir en contrefaçon seul sans le titulaire de la marque, et ce d’autant moins que la condition de cette action menée seul, prévue à l’article L. 716-4-2 (en application de l’article 25 de la directive 2015/2436), suppose l’accord du titulaire, dont l’identité sera donc révélée par le licencié lors de l’instance, et sera vérifiable par le défendeur grâce au registre. Ainsi, au-delà même du cas prévu expressément par le 3e alinéa de l’article L. 714-7 du code de la propriété intellectuelle, toute action du licencié, même non inscrit, contre un tiers n’ayant acquis aucun droit, respecte l’objectif de sécurité juridique poursuivi par l’incitation à la publicité, dès lors qu’elle remplit par ailleurs les conditions du droit d’agir posées par l’article L. 716-4-2. 20.À l’égard des licences de marque, la solution est donc, en droit interne tel qu’issu de la loi de 2008 puis de l’ordonnance du 11 décembre 2019, la même que celle du droit de l’Union européenne, à savoir que l’inscription d’une licence au registre des marques n’est pas une condition à la demande en contrefaçon du licencié. 21.Il faut alors rechercher, pour répondre à la question posée en l’espèce, si cette interprétation que l’article L. 714-7 pris dans son ensemble suggère à l’égard du licencié, peut plus généralement s’appliquer à toutes les transmissions des droits attachés à une marque. Impossibilité d’étendre cette solution au cas du cessionnaire 22.Outre l’étendue de la protection donnée à la marque, un tiers contre qui elle est susceptible d’être invoquée a également intérêt à connaitre l’identité de son titulaire, car il doit savoir qui a le droit de s’opposer ou consentir à ses actions et, le cas échéant, qui a qualité à défendre le titre qu’il voudrait contester. Il est donc important d’empêcher le titulaire de dissimuler sa qualité, et de se prévaloir de son droit de propriété lorsqu’il y verrait son intérêt sans avoir également à l’assumer en toute circonstance à l’égard des tiers. Au demeurant, comme il a été dit, la faculté d’agir laissée au licencié non enregistré se justifie aussi grâce à cette possibilité de vérifier l’identité du titulaire l’ayant autorisé à agir (cf point 19). L’objectif de sécurité juridique et de protection des droits des tiers implique donc d’interdire de manière générale au nouveau titulaire après transmission de la marque de se prévaloir des droits sur celle-ci tant que la transmission n’a pas été inscrite au registre (comme le fait par ailleurs le règlement sur la marque de l’Union européenne, à son article 20, paragraphe 11). 23.Cela implique également que la connaissance personnelle que le défendeur en contrefaçon pourrait avoir, dans un cas particulier, de l’acte non enregistré de cession de marque, est indifférente ; car la protection de la sécurité juridique des tiers implique précisément d’interdire au titulaire de limiter le nombre de personnes informées de sa qualité, ce qui justifie pleinement une incitation tenant à lui interdire de s’en prévaloir, même contre ceux qui la connaissent. Une telle approche donne alors sa pleine utilité au 2e alinéa de l’article L. 714-7 (précité, point 16) qui sans autoriser le cessionnaire à agir contre les tiers ne revendiquant aucun droit, lui permet tout de même de défendre l’utilité de l’acte dont il tire ses droits contre les droits concurrents acquis postérieurement et en connaissance de cause. 24.La différence de portée donnée à l’inopposabilité, selon qu’elle s’applique au licencié ou au cessionnaire de marque, se justifie enfin au regard du 3e alinéa de l’article L. 714-7, déjà évoqué au point 18, qui prévoit expressément depuis 2008 un régime dérogatoire pour le licencié, et non pour le cessionnaire, tandis que de manière générale en droit français le propriétaire d’un bien soumis à publicité ne peut engager aucune action contre les tiers tant que la formalité n’a pas été accomplie (ainsi, avant 2008, Cass. Com., 11 janvier 2000, no97-10.838, qui applique la condition d’opposabilité à un licencié puis cessionnaire de brevet agissant en contrefaçon). conclusion 25.Il en résulte que pris dans son ensemble et lu au regard de son objectif, qu’éclairent à la fois les motivations ayant conduit à son adoption et les dispositions identiques du droit de l’Union, l’article L. 714-7, combiné avec l’article L. 716-4-2 réservant l’action au titulaire de la marque, ne s’oppose pas à la demande en contrefaçon du licencié non inscrit, tandis qu’il interdit au cessionnaire d’une marque d’agir en contrefaçon tant que la cession n’a pas été inscrite au registre. application à l’espèce 26.En l’espèce, il est constant que la société My funds office a acquis la marque Marie quantier de la société Q-hedge technologies, qui l’avait elle-même acquise de M. [S], qui l’avait déposée ; celui-ci, de même que sa nouvelle société, Hippocampus, sont donc tiers à la seconde cession ; la circonstance qu’il était alors le dirigeant de la société cédante ne fait pas de lui, à titre personnel, une partie à cet acte. Or il est également constant que cette cession n’a pas été inscrite au registre. 27.Par conséquent, les demandes fondées sur la marque Marie quantier par la société My funds office, qui ne peut opposer aux défendeurs la cession qui lui donne qualité à agir, sont irrecevables. b. usage du nom commercial « Q-hedge tech » et du nom « météo des marchés » 28.La demanderesse invoque la responsabilité contractuelle, prévue par l’article 1217 du code civil, mais elle n’est pas applicable contre les défendeurs en l’espèce, qui ne sont pas parties au contrat de cession invoqué. 29.Elle invoque également la notion de parasitisme, qui constitue une faute engageant la responsabilité civile extra-contractuelle de son auteur au sens de l’article 1240 du même code, et qui consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et de façon injustifiée des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individualisée, et générant un avantage concurrentiel. 30.Par ailleurs, est qualifié de concurrence déloyale, également fautive au sens de l’article 1240, l’usage du nom commercial d’un tiers créant un risque de confusion. 31.En l’espèce, l’usage reproché du nom commercial « Q-hedge tech » tient à la mention en grands caractères, sur la page d’accueil du site internet de la société hippocampus qui contient par ailleurs peu d’autres informations, de la phrase « Une équipe avec un savoir-faire dans l’exécution de produits innovants* et performants pour les marchés financiers depuis 2014 » suivie, plus bas, en caractères de même taille, par la phrase à laquelle renvoie l’astérisque : « *Q-Hedge Tech : 70 millions d’euros d’encours, Prix de l’innovation produit, 100% des clients ont respecté leur budget de risque. » Cet usage n’est pas contesté par les défendeurs. 32.Il est constant que le nom commercial « Q-Hedge tech » a été cédé avec le fonds de commerce de la société Q-Hedge technologies. Seul le cessionnaire peut alors revendiquer une continuité avec cette entreprise. Cette exclusivité ne prive pas les personnes physiques ayant travaillé au sein de cette entreprise de se prévaloir de leur contribution dans le succès qu’elle peut revendiquer ; mais à condition de ne pas créer de risque de confusion quant à l’identité de celui qui exploite aujourd’hui ce nom. 33.Or la mention précitée laisse entendre que les créateurs de Hippocampus sont responsables de l’entreprise Q-Hedge Tech, sans indiquer qu’ils en ont seulement été membres par le passé sans plus y être liés aujourd’hui. Elle induit donc le consommateur à penser que la société Hippocampus est liée à Q-Hedge tech, ce qui porte atteinte au nom commercial et caractérise donc une concurrence déloyale, commise par la société Hippocampus (et non M. [S] à titre personnel). 34.Le préjudice causé par cette faute est toutefois limité, en l’absence de toute preuve d’activité commerciale sur ce site internet, et au regard de la faible durée de l’atteinte, réparée dès le mois de juin 2021 à la date des conclusions des défendeurs, qui produisent une nouvelle capture d’écran du site internet, non contestée (leur pièce no18). Ce préjudice est, dès lors, de 1 000 euros. 35.S’agissant du signe « météo des marchés », la demanderesse n’allègue pas en quoi il s’agirait d’un signe privatif, et à supposer qu’il en soit un, elle ne démontre pas à quel titre elle en serait titulaire, ce signe ne faisant, notamment, pas partie des actifs énumérés à la cession. Aucune faute n’est donc caractérisée à cet égard. 36.Par conséquent, la société Hippocampus doit être condamnée à payer 1 000 euros à la société My funds office, mais le trouble étant réparé, la demande en interdiction est rejetée. 2o) Demandes reconventionnelle pour préjudice d’image et procédure abusive 37.Le dénigrement correspond à l’une des déclinaisons de la concurrence déloyale, sanctionnée sur le fondement de l’article 1240 du code civil. Le dénigrement est défini, en substance, comme le fait de jeter publiquement le discrédit sur une personne, une entreprise ou un produit, dans le but de l’évincer. 38.Il est en outre constamment jugé que même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement , à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure (Cass. Com., 9 janvier 2019, pourvoi no 17-18.350). 39.En l’espèce, l’article invoqué par la société Hippocampus et M. [S] (leur pièce no15), loin de jeter le discrédit sur leur personne, présente de façon neutre et équilibrée la position exprimée par chaque partie peu avant le début de l’instance. Au demeurant, il n’est pas démontré que cet article émane, même indirectement, de la société My funds office. Par conséquent, la demande, manifestement mal fondée, est rejetée. 40.Enfin, l’abus du droit d’agir, qui est également fautif, n’est pas caractérisé lorsque, comme en l’espèce, la demande était partiellement fondée et qu’elle résultait pour le surplus d’une erreur compréhensible du demandeur sur l’étendue de ses droits. La demande à ce titre est, par conséquent, rejetée. 3o) Dispositions accessoires 41.Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie. 42.En l’espèce, chaque partie perd en ses demandes et conservera donc la charge des dépens qu’elle aura exposés, et les demandes respectives en indemnité de procédure sont pareillement rejetées. 43.Enfin, rien ne justifie d’écarter l’exécution provisoire. PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire mis à disposition au greffe, Déclare irrecevables les demandes en interdiction et dommages et intérêts fondées sur la marque française Marie quantier (no3890727) ; Condamne la société Hippocampus à payer 1 000 euros de dommages et intérêts à la société My funds office en réparation de l’usage fautif du nom commercial « Q-hedge tech » ; Rejette les demandes en dommages et intérêts et interdiction pour le surplus ; Rejette la demande en dommages et intérêts pour préjudice d’image formée par la société Hippocampus et M. [S] ; Rejette la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par les mêmes ; Laisse à chaque partie la charge de ses dépens et rejette les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; Rappelle que l’exécution provisoire est de droit. Fait et jugé à Paris le 08 mars 2022 La Greffière La Présidente | |