Skipper : 8 septembre 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/03756

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Skipper : 8 septembre 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/03756

8 septembre 2022
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG
19/03756

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 08 SEPTEMBRE 2022

N° 2022/249

N° RG 19/03756 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BD4Y4

SARL FIRROS YACHTS

Société HANSEYACHTS AG

C/

SAS [V] [U]

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Pierre-Yves IMPERATORE

Me Martine DESOMBRE

Me Myriam ETTORI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de CANNES en date du 17 Janvier 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2015F00086.

APPELANTES

SARL FIRROS YACHTS, dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN- PROVENCE substitué par Me Rachid CHENIGUER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Valérie MONTI, avocat au barreau de GRASSE

Société HANSE YACHTS AG, dont le siège social est sis [Adresse 5]

représentée par Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Axel ENGELSEN, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMEE

SAS [V] [U], dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Me Myriam ETTORI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Morgane GOACOLOU, avocat au barreau de CARPENTRAS, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 30 Mai 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Septembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Septembre 2022,

Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Le 1° avril 2011 M. [V] [U] a passé commande d’un voilier de marque Moody à la société Firros Yachts pour un montant de 1.225.612,41 euros, la société Firros Yachts étant importateur et distributeur des navires de cette marque, fabriqués en Allemagne par la société Hanse Yachts.

Le 10 septembre 2011 un contrat de location avec option d’achat a été régularisé entre la société [V] [U] et la Compagnie Générale de Location. La société [V] [U] est devenue propriétaire du navire selon acte de vente en date du 5 août 2019.

Le navire «’La Royère III’» a été livré le 7 juin 2012 en Allemagne (Greifswald), lieu du chantier de construction.

Plusieurs avaries ont affecté le navire, destiné à la location, et ce, dès le premier convoyage jusqu’en France, de sorte que la société [V] [U] a obtenu du juge des référés du tribunal de commerce de Cannes la désignation d’un expert par ordonnance du 12 décembre 2013.

L’expert, M. [E], a déposé son rapport le 18 mars 2015 et la société [V] [U] a assigné la société Firros Yachts devant le tribunal de commerce de Cannes afin d’obtenir l’exécution de travaux de remise en état et l’indemnisation de son préjudice.

La société Hanse Yachts, appelée en la cause par la société Firros Yachts, a soulevé l’incompétence du tribunal de commerce de Cannes en faisant valoir les clauses attributives de juridiction du contrat de distribution liant les deux sociétés.

Par jugement du 22 septembre 2016 et décision rectificative du 16 novembre 2017 le tribunal de commerce de Cannes s’est déclaré compétent pour examiner la demande en garantie formée par la société Firros Yachts.

Par arrêt du’13 septembre 2018 la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé la compétence du tribunal de commerce de Cannes. La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi formé à l’encontre de la décision le 13 mai 2020.

Par jugement au fond en date du 17 janvier 2019 le tribunal de commerce de Cannes s’est déclaré compétent au titre de la demande directe formée par la société [V] [U] à l’encontre de la société Hanse Yachts, et a:

-débouté la société Hanse Yachts de sa demande de déclarée irrecevable la demande directe formée par la SAS [V] [U] à l’encontre de la société Hanse Yachts ,’

-débouté la société Hanse Yachts de sa demande de déclarée irrecevable la requête en indemnisation formée par la SAS [V] [U] comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée ;

-constaté l’intérêt à agir de la SA [V] [U] à l’encontre de la SARL Firros Yachts et de la société Hanse Yachts ;

-dit que la SARL Firros Yachts est également recevable à appeler en garantie la société Hanse Yachts;

-dit que les demandes directes formulées par la SAS [V] [U] à l’encontre de la société Hanse Yachts sont régies par la loi française ;

-dit que l’appel en garantie formé par la SARL Firros Yachts à l’encontre de la société Hanse Yachts est régi par les lois françaises ;

-dit que l’action en garantie intentée par la SAS [V] [U] à l’encontre de la SARL Firros Yachts et de la société Hanse Yachts a été faite dans le délai de deux ans de la découverte du vice

-dit que l’action en garantie intentée par la SARL Firros Yachts à l’encontre de la société Hanse Yachts se situe dans les délais imposés par l’article 1648 du Code civil ;

-constaté l’existence de vices cachés rendant impropre à l’usage dont on le destine, le voilier acquis auprès de la SARL Firros Yachts et fabriqué par la société Hanse Yachts et ceci au regard du rapport déposé par l’expert judiciaire Monsieur [W] [E] ;

-dit que ledit rapport d’expertise est opposable à la société Hanse Yachts ;

-condamné solidairement la SARL Firros Yachts et la société Hanse Yachts a remettre à la SAS [V] [U], le manuel de bord du propriétaire en français, ainsi que la documentation technique complet en français a’n de mettre le navire en conformité avec la réglementation française et européenne ;

-condamné la SARL Firros Yachts à payer à la SAS [V] [U] la somme de 11.581,66 euros, au titre de remboursement des travaux effectués ;

-dit que la société Hanse Yachts devra relever et garantir la SARL Firros Yachts de sa condamnation dans la limite de la somme de 7. 721,10 euros ;

-condamné la SARL Firros Yachts à payer à la SAS [V] [U] la somme de 91.285 euros, au titre des travaux à prévoir pour la remise en état du voilier;

-dit que la société Hanse Yachts devra relever et garantir la SARL Firros Yachts de sa condamnation dans la limite de la somme de 60.856, 66 euros ;

-débouté la SAS [V] [U] de sa demande de paiement de la somme de 4.290 euros au titre des réparations pour compensation de la gîte ;

-débouté la SAS [V] [U] de sa demande de remboursement de la somme de 7.698 euros au titre des travaux effectués à la suite du rapport d’expertise ;

-débouté la SAS [V] [U] de sa demande de réparation, pour un montant de 149.005,93 euros du préjudice subi de la perte d’exploitation et de locations ;

-débouté la SAS [V] [U] de sa demande de condamnation de la SARL Firros Yachts et de la société Hanse Yachts d’exécuter les travaux d’urgence ,’

-débouté la SAS [V] [U] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice de jouissance ;

-débouté la SAS [V] [U] de sa demande de condamnation au titre des frais de procédure ;

-condamné solidairement la SARL Firros Yachts et la société Hanse Yachts aux dépens ;

-condamné, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, la SARL Firros Yachts à payer, à la SAS [V] [U], la somme de 2.000 euros, ainsi que le tiers des frais d’expertise;

-condamné, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, la société Hanse Yachts à payer à la SAS [V] [U], la somme de 3.500 euros, ainsi que les 2/3 des frais d’expertise (…) ».

————-

Par déclarations en date des 5 mars et 21 mai 2019 la société Firros Yachts et la société Hanse Yachts ont interjeté appel du jugement. Ces deux procédures ont fait l’objet d’une jonction par ordonnance du 10 janvier 2020.

————-

Par conclusions enregistrées le 25 février 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Firros Yachts (Sarl) fait valoir que:

-les juridictions françaises sont compétentes’; la clause attributive de juridiction contenue au contrat de distribution est inapplicable, le contrat de vente ayant été conclu avant la signature de ce contrat,

-la loi française est applicable au regard des nombreux critères de rattachement,

-le jugement rendu par un tribunal allemand entre la société [V] [U] et la société Hanse Yachts n’a pas autorité de la chose jugée à son égard,

-l’action de la société Firros Yachts à l’encontre de la société Hanse Yachts, de nature contractuelle, se prescrit par 5 ans et non par deux,

-elle est bien-fondée à appeler en garantie la société Hanse Yachts dès lors que les conclusions de l’expert attestent que les désordres relèvent d’un défaut de fabrication ou de construction,

-le rapport d’expertise est opposable à la société Hanse Yachts puisqu’il a été soumis à la contradiction des parties dans le cadre des débats,

-elle ne peut se voir opposer des obligations en tant que distributeur au titre d’un contrat qui n’est pas rétroactif,

-le coût des travaux de remise en état incombe à la société Hanse Yachts seule,

-la demande de la société [V] [U] au titre du préjudice de jouissance se superpose à celle au titre des pertes d’exploitation et aucun élément probant n’est produit au titre des pertes d’exploitation,

-elle n’est qu’un intermédiaire et n’a pas à supporter le poids des condamnations à l’encontre de la société [V] [U]’; le tribunal de commerce n’a pas motivé le partage de responsabilité prononcé

Ainsi, la société Firros Yachts demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a :

-condamné la SARL Firros Yachts à payer à la SAS [V] [U] la somme de 11.581,66 euros, au titre de remboursement des travaux effectués ;

-dit que la société Hanse Yachts devra relever et garantir la société Firros Yachts de sa condamnation dans la limite de la somme de 7. 721,10 euros ;

-condamné la SARL Firros Yachts à payer à la SAS [V] [U] la somme de 91.285 euros, au titre des travaux à prévoir pour la remise en état du voilier ;

-dit que la société Hanse Yachts devra relever et garantir la SARL Firros Yachts de sa condamnation dans la limite de la somme de 60.856, 66 euros ;

-condamné solidairement la SARL Firros Yachts et la société Hanse Yachts à remettre à la SAS [V] [U], le manuel de bord du propriétaire en français, ainsi que la documentation technique complète en français

Statuant à nouveau,

-juger que seule la société Hanse Yachts est tenue de remettre à la société [V] [U] le manuel du propriétaire et la documentation technique complète du bateau en langue française,

-juger que la société Hanse Yachts relève et garantisse la société Firros Yachts de toute condamnation,

-débouter la société Hanse Yachts et la société [V] [U] de leurs demandes plus amples et contraires,

-condamner la société Hanse Yachts au paiement d’une somme de 3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction

—————

Par conclusions enregistrées le 6 avril 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Hanse Yachts (AG) expose que:

-le tribunal de commerce de Cannes est incompétent pour connaître de l’action engagée par la société [V] [U] à son encontre dès lors que cette action est de nature délictuelle’; en vertu du règlement européen (article 7.3) le fait dommageable est la fabrication du voilier, laquelle a été effectuée en Allemagne’; la solution est la même s’agissant de la responsabilité des produits défectueux’; l’article 8 du règlement Bruxelles bis n’est pas applicable’; à supposer l’existence d’un lien contractuel, le lieu de livraison est situé en Allemagne et son siège social également, donnant compétence aux juridictions allemandes en vertu de l’article 46 du code de procédure civile,

-la loi applicable est la loi allemande, tant à l’action diligentée par la société [V] [U] à son égard qu’à l’action de la société Firros Yachts,

-la société [V] [U] ne justifie pas de l’exécution des travaux avant la revente du navire,

-les demandes formées par la société [V] [U] et par la société Firros Yachts sont irrecevables pour défaut du droit d’agir en droit allemand,

-subsidiairement, la société [V] [U] et la société Firros Yachts sont irrecevables à agir pour défaut d’intérêt, faute d’établir avoir supporté un préjudice,

-le tribunal de Straslund a constaté qu’elle n’était pas à l’origine des dommages et ce jugement a autorité de la chose jugée,

-les demandes de la société Firros Yachts et de la société [V] [U] sont irrecevables comme prescrites en vertu du droit allemand,

-le rapport judiciaire lui est inopposable dès lors qu’il n’a pas été soumis à la discussion des parties et n’est corroboré par aucun autre élément de preuve,

-les demandes de la société [V] [U] et de la société Firros Yachts sont mal-fondées’: aucun des désordres ne relève des vices cachés, des travaux avaient déjà été engagés au moment de l’intervention de l’expert, le navire n’a jamais été impropre à son usage, les travaux à prévoir ne sont pas justifiés

Ainsi, la société Hanse Yachts demande à la cour de:

«’-recevoir, comme bien-fonde, l’appel de la societe HANSEYACHTS AG dans la présente procédure ;

-et d’infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Cannes du 21 janvier 2019

Et statuant de nouveau :

-recevoir l’intégralité des moyens et prétentions de l’Appelante ;

Sur la compétence

-Prononcer l’incompétence du Tribunal de Commerce de Cannes au titre de la demande directe formée par la SAS [V] [U] a l’encontre de Hanse et ce, au visa de l’article 5.3 du Règlement n° 44/2001 « Bruxelles I », applicable au present litige et renvoyer la SAS [V] [U] a se mieux pouvoir, notamment par-devant le Landgericht (Tribunal de Grande instance) de STRALSUND, Allemagne ;

-Subsidiairement, prononcer l’incompétence du Tribunal de Commerce de Cannes au titre de la demande directe formée par la SAS [V] [U] à l’encontre de Hanse et ce, au visa de l’article 7.1 -b) du Règlement n° 44/2001 « Bruxelles I » et renvoyer la SAS [V] [U] a mieux se pourvoir,

notamment par-devant le Landgericht (Tribunal de Grande instance) de STRALSUND, Allemagne ;

Sur la loi applicable et l’irrecevabilité des demandes de la SAS [V] HUGHES

-Ordonner que tant l’action en garantie de FIRROS YACHTS, que l’action directe de la SAS [V] [U] envers HANSEYACHTS AG soient toutes deux soumises a la Loi Allemande et ce, au visa :

I de l’article 4.1-a) du Reglement (CE) n° 593/2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dit «ROME] », pour la première, et I de l’article 5.1-b) du Règlement n° 864/2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit « ROMEII », pour la seconde ;

-Débouter la SAS [V] [U] de ses demandes, formées directement à l’encontre de HANSEYACHTS AG, comme irrecevables pour défaut du droit a agir en application de la Loi Allemande ;

-Débouter la SAS [V] [U] de ses demandes comme irrecevables, se heurtant à l’autorité de chose jugée afférente au jugement prononcé par le Tribunal de Stralsund le 7 avril 2015 déclarant la SAS [V] [U] non fondée à réclamer a HANSEYACHTS l’indemnisation de son préjudice ;

-Débouter par conséquent la société FIRROS YACHTS de ses demandes à l’encontre de la société HANSEYACHTS AG comme irrecevables pour défaut d’intérêt à agir ;

-Débouter la société FlRROS YACHTS et de la SAS [V] [U] de leurs demandes irrecevables comme prescrites au visa des articles 437 et 438 du Burgerliches Gesetzbuch (BGB) Code Civil Allemand et en débouter tant la société FIRROS YACHTS que la SAS [V] [U] ;

Sur la nature des désordres

-Déclarer que les désordres allégués ne constituent pas des vices caches, mais des vices apparents ;

-Débouter la SAS [V] [U] et la Sarl FIRROS YACHTS de l’ensemble de leurs demandes portant sur des non-conformités ou des vices apparents révélés antérieurement au 7 juin 2013, en ce qu’ils sont irrecevables comme prescrits au visa de l’article L. 5113-5 du Code des Transports.

-Débouter la SAS [V] [U] de ses demandes en ce qu’elles sont irrecevables pour défaut d’intérêt à agir, cette dernière ne justifiant pas de ce qu’elle a personnellement subit de préjudice issu des travaux entrepris sur le navire, dont ll n’est par ailleurs pas justifie ;

ATITRE SUBSIDIAIRE : sur l’opposabilité du rapport d’expertise

-Débouter tant la SAS [V] [U] que la Sarl FIRROS YACHTS de l’ensemble de leurs demandes fins et réclamations telles que dirigées contre la société HANSEYACHTS des lors que celles-ci se fondent exclusivement sur les conclusions du rapport d’expertise dépose par M. [E] le 18 mars 2015, lequel doit être déclaré inopposable a HANSEYACHTS, les deux conditions requises pour permettre a la Cour de se fonder sur ledit rapport n’étant en l’occurrence pas remplies.

PLUS SUBSIDIAIREMENT ENCORE : sur le mal fonde des demandes

-Prononcer le mal fondé des réclamations telles que formulées soit à titre principal, soit par vole d’appel en garantie, par la SAS [V] [U] et la Sarl FIRROS YACHTS et, en conséquence, de les en débouter ;

-Prononcer le mal fondé de, la demande de condamnation in solidum formées par la SAS [V] [U] à l’égard de HANSEYACHTS et de la Sarl FIRROS YACHTS; et l’en débouter ;

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIREMENT : sur le quantum des demandes

-Débouter la SAS [V] [U] de l’ensemble de ses demandes en ce qu’elles portent :

– sur les travaux engagés a hauteur de 11.581,66 € H.T. (13.898 € TTC)

– sur les travaux à prévoir a hauteur de 91 .285,00 € H.T. (113.832 € TTC)

dès lors que la SAS [V] [U] n’est pas en mesure de justifier avoir exécute lesdits travaux et avoir effectivement supporte leur 0001, cette preuve ne pouvant plus être fournie aujourd’hui, le navire se trouvant entre mains tierces pour avoir vendu le 3 janvier 2020 ;

-Débouter la SAS [V] [U] de sa demande au titre du préjudice pour perte de location qu’elle allègue avoir subi, faute de justification de celui-ci ;

-Après avoir relevé que la SAS [V] [U] n’est pas en mesure, en ce qui concerne les travaux pour compensation du gite, de démontrer que ce dysfonctionnement, survenu un an après la livraison du voilier n’est pas attribuable à une répartition modifiée des charges, débouter la SAS [V] [U] de sa réclamation a ce titre, constater en outre l’abandon de cette demande par la SAS [V] [U] et l’en débouter a fortiori ;

-Déclarer la SAS [V] [U] mal fondée en sa demande afférente aux travaux prétendument réalisés suite au dépôt du rapport d’expertise des lors qu’il n’est pas démontré que ce poste est imputable à un quelconque défaut de fabrication du navire et que ce prétendu préjudice est déjà compris dans la demande au titre des «’ travaux à prévoir » ; en conséquence l’en débouter ;

-Constater en outre l’abandon de cette réclamation par la SAS [V] [U] ; l’en débouter ;

-D’une manière générale, écarter comme mal fondées les demandes d’indemnisation, de dommages-intérêts, frais, frais d’expertise, frais irrépétibles et dépens et condamnations sous astreinte de la SAS [V] [U] ;

Sur les demandes de condamnation sous astreinte

-Ecarter la demande de la SAS [V] [U] de condamnation de HanseYachts sous astreinte a effectuer les travaux dont il n’est pas prouve qu’ils aient un quelconque caractère d’urgence, l’en débouter ; Constater l’abandon de cette demande par la SAS [V] Hughes; l’en débouter ;

-Déclarer mal fondée la demande de la SAS [V] [U] de communication de la documentation du navire qui est déjà en sa possession ;

-Constater l’abandon de cette demande par la SAS [V] [U] ; l’en débouter ;

-A titre subsidiaire, ordonner que cette demande concerne exclusivement la SARL Firros conformément aux termes de l’article 23.2 du Contrat de distribution ;

-A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE : mettre à la charge de la seule société FlRROS YACHTS,

– les dépenses de réparation facturées par la SAS [V] [U] et les pertes d’exploitation alléguées et/ou la perte éventuelle de jouissance dont la SAS [V] [U] réclame par ailleurs l’indemnisation ;

des lors que celle-ci en est seule a l’origine, faute d’avoir :

rempli son obligation de garantie en qualité de vendeur, envers la SAS [V] [U], dans le cadre du service après-vente (S.A.V.) qui lui incombait, et rendu compte a HANSEYACHTS AG des désordres allégués par la SAS [V] [U], empêchant ce faisant HANSEYACHTS AG de procéder à toutes interventions et/ou remises en état, le cas échéant, requises ;

-Débouter en conséquence, comme mal fondée, la société FIRROS YACHTS en son action en intervention et en garantie telle que formée par cette dernière a l’encontre de HANSEYACHTS AG ;

-Condamner en conséquence, la société FIRROS YACHTS, à raison de ses propres fautes, à prendre en charge la totalité des montants, indemnisations, dommage-intérêts, frais, frais irrépétibles, astreintes et dépens qui pourraient, par extraordinaire, être alloués par le Tribunal a la SAS [V] [U] au titre des chefs de réclamation formulées par cette dernière.

-Condamner FIRROS YACHTS ou, alternativement, la SAS [V] [U] a payer a HANSEYACHTS AG la somme de 20.000 € au titre de l’article 700 du CPC’»

————–

Par conclusions enregistrées le 30 juillet 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société [V] [U] (SAS) fait valoir que:

-le tribunal de commerce de Cannes est compétent pour trancher le litige, ainsi que l’ont déjà jugé la cour d’appel et la Cour de Cassation,

-le jugement rendu par le tribunal de Stralsund (Allemagne) n’a pas autorité de la chose jugée à son égard,

-la loi française est applicable et les clauses incluses dans le contrat conclu entre la société Firros Yachts et la société Hanse Yachts ne lui sont pas opposables,

-l’action en garantie au titre des vices cachés n’est pas prescrite puisque l’action a été intentée dans les deux ans de la découverte du vice,

-le rapport d’expertise judiciaire est opposable à la société Hanse Yachts,

-au visa de l’article 1641 du code civil il est établi, tant par les rapports des skippers que par l’expertise, que depuis sa livraison le 7 juin 2012 le voilier est affecté de désordres qui persistent encore à ce jour’; son action estimatoire est fondée,

-certains de ses préjudices ont été écartés par le tribunal de commerce, notamment le préjudice de jouissance et la perte d’exploitation alors que ces préjudices sont justifiés

Ainsi, la société intimée demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes suivantes:

-4.290 euros au titre des réparations pour compensation de la gîte,

-149.005,93 euros au titre du préjudice subi du fait de la perte d’exploitation et de locations,

-50.000 euros au titre du préjudice de jouissance,

-frais de procédure

Et statuant à nouveau, de condamner solidairement la société Hanse Yachts et la société Firros Yachts à lui payer les sommes de:

-50.000 euros en réparation du préjudice de jouissance tel que chiffré par l’expert judiciaire,

-149.005,93 euros en réparation du préjudice tiré de la perte d’exploitation et de location tels que chiffré par l’expert judiciaire,

Y ajoutant,

-condamner solidairement la société Firros Yachts et la société Hanse Yachts à lui payer la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamner solidairement la société Firros Yachts et la société Hanse Yachts à l’intégralité des dépens en ce compris les frais de référé et les frais d’expertise judiciaire en confirmant le jugement en ce qu’il a condamné la société Firros Yachts à lui payer le tiers des frais d’expertise et condamné la société Hanse Yachts à lui payer les deux tiers des frais d’expertise

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Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l’instruction par ordonnance du 25 avril 2022 et a fixé l’examen de l’affaire à l’audience du 30 mai 2022.

A cette date l’affaire a été retenue. Les parties ont été invitées à s’expliquer sur la recevabilité de l’exception d’incompétence soulevée par la société Hanse Yachts.

L’affaire a été mise en délibéré au 8 septembre 2022.

Le 31 mai 2022 la société Hanse Yachts a transmis une note en délibéré à la cour, enregistrée au réseau privé virtuel des avocats, sur l’exception d’incompétence.

MOTIFS

Sur la révocation de l’ordonnance de clôture :

Au visa des articles 907, 802 et 803 du code de procédure civile, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats postérieurement à l’ordonnance de clôture, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, à l’exception des demandes en intervention volontaire, des conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu’à l’ouverture des débats, et à l’exception également des demandes de révocation de l’ordonnance de clôture et des conclusions qui tendent à la reprise de l’instance en l’état où celle-ci se trouvait au moment de son interruption.

Par ailleurs, l’ordonnance de clôture peut être révoquée s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.

En l’espèce, il apparaît que la société [V] [U] a transmis postérieurement à l’ordonnance de clôture une pièce numérotée 53 correspondant à l’acte de vente du navire litigieux.

Dans la mesure où cette pièce est également reprise par la partie adversaire au titre de son argumentation il convient de ne pas l’écarter des débats.

En conséquence, il y a lieu d’ordonner la révocation de l’ordonnance de clôture rendue le 25 avril 2022 et de reporter la clôture au 30 mai 2022, date des débats.

Sur l’exception d’incompétence’:

Aux termes de l’article 74 du code de procédure civile les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public.

Il en est également ainsi même si la partie à laquelle est opposée l’exception n’invoque pas sa tardiveté (Civ. Cass. 29 octobre 1986).

Il en résulte que l’exception d’incompétence du tribunal de commerce de Cannes soulevée par la société Hanse Yachts pour la première fois dans le cadre des débats au fond intervenus le 18 octobre 2018, s’agissant de la demande directe formée par la société [V] [U] à son encontre, est irrecevable dès lors que par premiers jugements rendus les 22 septembre 2016 et 16 novembre 2017 ce même tribunal avait d’ores et déjà été saisi d’une exception d’incompétence soulevée par la société Hanse Yachts dans le cadre de l’appel en garantie formé à son encontre par la société Firros Yachts.

Il appartenait en conséquence à la société Hanse Yachts de soulever simultanément l’incompétence du tribunal de commerce concernant tant l’appel en garantie de la société Firros Yachts que l’action directe engagée par la société [V] [U] à son encontre dans la cadre des débats intervenus le 16 juin 2016 devant le tribunal de commerce de Cannes, la société [V] [U] ayant d’ores et déjà dirigé ses demandes à l’égard des deux autres parties à l’instance.

Par ailleurs, la société Hanse Yachts était irrecevable à soulever une nouvelle exception d’incompétence lors des débats du 18 octobre 2018 dès lors qu’elle avait d’ores et déjà conclu au fond pour l’audience du 16 juin 2016.

En conséquence, il y a lieu d’infirmer le jugement en ce qu’il s’est déclaré compétent au titre de la demande directe formée par la société [V] [U] à l’encontre de la société Hanse Yachts et de juger que l’exception d’incompétence soulevée par la société Hanse Yachts est irrecevable.

Sur les fins de non-recevoir :

En application des articles 31 et 122 du code de procédure civile l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, et constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En l’espèce, la société Hanse Yachts soulève l’irrecevabilité des demandes de la société [V] [U] et de la société Firros Yachts pour défaut de droit d’agir au regard du droit allemand, lequel réserve l’action de l’acheteur contre son propre vendeur et impose que les défauts soient immédiatement signalés après la livraison. Elle invoque par ailleurs un défaut d’intérêt à agir faute de justifier d’un préjudice. Ce dernier moyen, en ce qu’il suppose un examen au fond, sera traité dans le cadre de l’action en garantie des vices cachés engagée par la société [V] [U].

La société Hanse Yachts soulève également l’irrecevabilité de la demande formée à son encontre par la société [V] [U] au regard de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu par le tribunal régional de Stralsund (Allemagne) le 28 février 2022 ainsi que l’irrecevabilité des demandes de la société [V] [U] et de la société Firros Yachts en l’état de la prescription de leurs actions au regard de la loi allemande.

Il convient donc à titre liminaire de statuer sur la loi applicable au litige.

Loi applicable

En droit français il a été jugé que la garantie, due par le vendeur pour les vices cachés étant inhérente à l’objet même de la vente, appartient à l’acheteur comme détenteur de la chose en vertu d’un droit qui lui est propre et qu’il tient du contrat (Cass.1°civ, 4 février 1963, Cass.Ass.Plén.7 février 1986).

Il en résulte que l’acquéreur peut agir sur un fondement contractuel tant contre son propre cocontractant que contre l’un quelconque des débiteurs précédents à la garantie, ou encore agir simultanément ou solidairement à leur encontre dès lors que la garantie au titre des vices cachés est un accessoire de la chose vendue, attaché à sa propriété.

De même, il a été jugé que la responsabilité du fabricant au titre des dommages causés au produit lui-même peut être engagée sur le fondement de l’action rédhibitoire ou de l’action estimatoire dont dispose l’acquéreur. Seuls les dommages causés par le produit relèvent de la responsabilité exclusive du fait des produits défectueux résultant de la directive européenne du 25 juillet 1985.

En conséquence, tant l’action principale de la société [V] [U] que l’action en garantie de la société Firros Yachts à l’encontre de la société Hanse Yachts relèvent de la responsabilité contractuelle.

S’agissant de l’action en garantie engagée par la société [V] [U], société domiciliée en France, contre la société Firros Yachts, société également domiciliée en France au titre de dommages survenus sur le même territoire, la loi française a vocation à s’appliquer.

S’agissant de l’action engagée tant par la société [V] [U] que par la société Firros Yachts, il ressort du règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 dit «’Rome I’» relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles, qu’à défaut de choix entre les parties «’le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle’» (article 4.1).

Pour autant, le même article (4.3) énonce que «’lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique’».

Au cas particulier, il apparaît que l’acheteur et son cocontractant direct, la société Firros Yachts, sont tous deux domiciliés en France, que le bon de commande a été signé entre les parties le 1° avril 2011 à [Localité 2], que le navire, amarré au port de [4], porte pavillon français et que les dommages ont été subis par la société [V] [U], société française.

Dès lors, il y a lieu de juger que le contrat de vente, à l’origine de l’action principale intentée par la société [V] [U], présente des liens manifestement plus étroits avec la France qu’avec l’Allemagne, de sorte que la loi applicable à l’action diligentée par la société [V] [U], tant à l’égard de la société Firros Yachts que de la société Hanse Yachts, relève du droit français.

En revanche, l’action en garantie intentée par la société Firros Yachts, distributeur de la marque Moody, au titre du contrat de vente conclu avec la société Hanse Yachts, relève de la loi allemande eu égard à la domiciliation de la société Hanse Yachts en Allemagne et de l’absence de liens plus étroits avec la France dans le cadre des liens commerciaux entretenus entre ces deux sociétés.

De fait, le moyen tiré du défaut de droit d’agir et tiré de la prescription de l’action de la société [V] [U] en application de la loi allemande est sans objet.

Autorité de la chose jugée

Aux termes de l’article 480 du code de procédure civile le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche.

Le principal s’entend de l’objet du litige tel qu’il est déterminé par l’article 4.

En outre, en application de l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même’; que la demande soit fondée sur la même cause’; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.

En l’espèce, par jugement en date du 28 février 2022 le tribunal régional de Stralsund a rejeté la requête en annulation déposée par la société [V] [U] contre le jugement rendu par défaut contre cette société le 2 avril 2015.

Ainsi, selon la traduction libre et non contestée des parties, par premier jugement du 2 avril 2015 le tribunal régional a constaté que la société [V] [U] ne pouvait faire valoir de droits contre la société Hanse Yachts aux termes d’une «’action déclaratoire négative’» introduite le 13 octobre 2014.

Il en résulte que ce jugement, en ce que l’action était dirigée contre la société [V] [U] et non à son initiative, et en ce qu’elle ne visait pas à voir retenir la responsabilité de la société Hanse Yachts sur le fondement des vices cachés des articles 1641 et suivants du code civil, ne peut revêtir l’autorité de la chose jugée à l’égard du litige opposant les parties devant le tribunal de commerce de Cannes.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement attaqué de ce chef.

Défaut du droit d’agir de la société Firros Yachts

La société Hanse Yachts invoque les dispositions de l’article 377 du code de commerce allemand (traduction libre des parties) aux termes duquel l’acheteur est tenu d’informer «’immédiatement’» le vendeur des défauts constatés après la livraison et soutient que l’assignation délivrée le 3 juin 2015 par la société Firros Yachts est tardive eu égard à la livraison intervenue le 7 juin 2012.

Néanmoins, le même article prévoit que si les défauts se révèlent ultérieurement, la notification doit être faite immédiatement après la découverte.

En l’espèce, la société Hanse Yachts ne peut prétendre avoir été informée des désordres affectant le navire seulement le 3 juin 2015 dès lors qu’il ressort des pièces du dossier qu’une première assignation lui a été délivrée, au même titre que la société Firros Yachts, d’avoir à comparaître devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Grasse par acte du 8 juillet 2013 à l’initiative de la société [V] [U], en vue de la désignation d’un expert, et que cette assignation faisait elle-même suite à la mise en demeure adressée par la société [V] [U] à la société Firros Yachts le 28 mai 2013, date à laquelle la société Firros Yachts a pu connaître elle-même les défauts affectant la bateau.

Dès lors, si la notification des défauts n’a pas été effectuée formellement par la société Firros Yachts à l’encontre de son propre vendeur, la société Hanse Yachts, il n’en demeure pas moins que la société Hanse Yachts était informée dès le 8 juillet 2013 des défauts affectant le navire, soit moins de deux mois après la mise en demeure adressée le 28 mai 2013 à la société Firros Yachts, nonobstant la décision ultérieure d’incompétence rendue par le tribunal de grande instance le 16 octobre 2013 au profit du tribunal de commerce s’agissant d’un litige opposant des sociétés commerciales.

Il y a donc lieu de juger, au vu des circonstances de l’espèce, que le vendeur a été informé dans les conditions de l’article 377 du code de commerce susvisé.

Ce moyen doit dès lors être rejeté.

Sur la prescription

La société Hanse Yachts, après avoir invoqué les articles 377 du code de commerce, fait valoir les dispositions des articles 437 et 438 du code civil allemand, pour soutenir que l’action engagée à son encontre par la société Firros Yachts est prescrite en ce qu’elle a été engagée plus de deux après la livraison du navire.

Pour autant, si l’article 438 du code civil allemand (traduction libre des parties) prévoit que les réclamations visées à l’article 438 («’droits de l’acheteur en cas de défauts’») sont prescrites sous deux ans, aucune disposition ni certificat de coutume attestent que le point de départ de cette prescription serait la livraison du bien, étant relevé qu’en tout état de cause une action en responsabilité ou en garantie ne peut être intentée que pour autant que les défauts sont connus de son auteur.

En l’espèce, la société Hanse Yachts a été assignée par la société Firros Yachts par acte du 3 juin 2015, soit moins de deux ans après le dépôt du rapport de l’expert (18 mars 2015) caractérisant les vices affectant le navire, et moins de deux ans après la connaissance des défauts (assignation en référé du 8 juillet 2013).

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu’il a déclaré les actions de la société [V] [U] et de la société Firros Yachts non prescrites.

Sur l’action en garantie des vices cachés :

En l’espèce, la société Hanse Yachts conteste à titre liminaire l’opposabilité du rapport d’expertise à son égard en faisant valoir qu’elle n’a pas été partie aux opérations d’expertise et n’a pas pu faire valoir ses observations. Elle soutient également que les autres pièces alléguées sont insuffisantes à corroborer le rapport d’expertise.

A cet égard, il résulte de l’article 16 du code de procédure civile que le juge, doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

Il a été jugé que tout rapport, même amiable, peut valoir à titre de preuve dès lors qu’il a été soumis à la libre discussion des parties et est corroboré par d’autres éléments produits aux débats.

Au cas particulier, le rapport d’expertise de M. [E], déposé le 18 mars 2015, a pu valablement être discuté par la société Hanse Yachts dans le cadre des débats tenus devant le tribunal de commerce. Par ailleurs, d’autres éléments au dossier (intervention d’un technicien concernant le pilotage automatique, rapport de M. [G] concernant le gréement, courrier du skipper, protocole transactionnel faisant état de désordres) corroborent l’existence de désordres.

Pour autant, il y a lieu de juger qu’au regard des circonstances de l’espèce, le rapport d’expertise judiciaire ne peut être considéré comme opposable à la société Hanse Yachts considérant que bien que fabricant du navire, ni la société [V] [U] ni la société Firros Yachts n’ont jugé utile d’appeler en la cause la société Hanse Yachts au cours des opérations d’expertise, et ce, alors que toutes deux recherchent sa garantie, la société [V] [U] au titre d’une condamnation in solidum et la société Firros Yachts au titre d’une prise en charge totale des dommages aux motifs que les désordres résulteraient d’un défaut de fabrication.

Si la société Hanse Yachts a pu valablement discuter du rapport d’expertise dans le cadre des échanges entre avocats il apparaît néanmoins qu’elle a été privée d’un débat technique sur les vices allégués en présence de l’expert, ainsi que de la possibilité d’examiner le navire et de présenter le cas échéant des dires à l’expert, observations qui auraient été d’autant plus pertinentes qu’elles émanaient du fabricant.

Par ailleurs, les autres éléments produits corroborent l’existence de défauts ayant affecté le navire. Pour autant, ces éléments, par leur caractère ponctuel et essentiellement déclaratif, n’accréditent pas l’ensemble des désordres relevés par l’expert et n’accréditent pas davantage l’origine des désordres, leur cause et le préjudice qui en a découlé pour la société [V] [U], et ne permettent pas de corroborer le rapport d’expertise, lui-même détaillé et documenté sur 101 pages, outre les dires et annexes.

En conséquence, il y a lieu de juger que la force probante des pièces produites en parallèle de l’expertise judiciaire est insuffisante à retenir la mise en cause de la société Hanse Yachts en l’état de l’absence de caractère contradictoire de la mesure d’expertise judiciaire à son égard.

Dès lors, le jugement est infirmé de ce chef et la société [V] [U] et la société Firros Yachts sont déboutées de leurs demandes formées à l’encontre de la société Hanse Yachts.

Pour le surplus, la société Firros Yachts n’apporte aucun élément de nature à infirmer l’existence de vices cachés affectant le navire au moment de sa vente à la société [V] [U] et reconnaît au contraire que des défauts de construction existent.

Ces défauts n’exonèrent pas la société Firros Yachts de son obligation de garantie à l’égard de son acheteur direct dans le cadre des dispositions des articles 1641 et suivants du code civil tel que rappelé ci-dessus.

En conséquence, le jugement à la motivation duquel il convient de se référer s’agissant des désordres constatés par l’expert, est confirmé en ce qui concerne l’existence de vices cachés.

Sur les dommages subis :

La société [V] [U] conteste par appel incident le rejet de ses demandes indemnitaires concernant l’évaluation de son préjudice de jouissance, de son préjudice d’exploitation et du préjudice lié à la présence de gîte.

Au regard du rapport d’expertise (pages 72 et 79) il y a lieu de retenir le préjudice lié aux pertes d’exploitation du navire considérant que les dysfonctionnements ayant affecté le navire ont impacté les périodes de location et ont généré un manque-à-gagner.

Néanmoins, au regard des seules pièces produites par la société [V] [U] ce préjudice sera évalué à la somme de 60.000 euros correspondant à la perte de chance de louer le bateau.

En revanche, il n’y a pas lieu à indemnité au titre d’un préjudice de jouissance dès lors que ce poste de préjudice ne peut être distingué de celui résultant des pertes d’exploitation s’agissant d’un bateau destiné à la location.

La demande de la société [V] [U] au titre des travaux à prévoir pour compenser la gîte sera retenue à hauteur de la somme de 4.290 euros telle qu’évaluée par l’expert, étant observé que si la société [V] [U] a omis de reprendre ce chef de demande dans la liste des préjudices dont la réparation est sollicitée, elle a néanmoins sollicité l’infirmation du jugement en ce qu’il l’avait déboutée de cette demande de sorte que sa demande doit être considérée comme recevable au visa de l’article 954 du code de procédure civile.

Pour le surplus, il convient de confirmer le jugement, étant observé que l’action estimatoire a été engagée au moyen des informations communiquées par l’expert et qu’elle n’est pas conditionnée par la preuve de la réalisation des travaux préconisés dans leur ensemble, le propriétaire étant libre de revendre le bien en l’état après le déroulement des opérations d’expertise.

En outre les factures de travaux ont été communiquées et annexées au rapport d’expertise.

En conséquence, le jugement sera infirmé partiellement en ce qu’il a débouté la société [V] [U] de ses demandes au titre de la gîte et des pertes d’exploitation et y ajoutant, la société Firros Yachts sera tenue de régler les sommes de 4.290 euros et 60.000 euros à ce titre.

Sur les demandes annexes :

La société Hanse Yachts, fabricant, et la société Firros Yachts, distributeur de la marque en France, seront toutes deux tenues de communiquer à la société [V] [U] le manuel du propriétaire et la documentation technique complète du bateau en langue française, aucun élément ne justifiant que cette obligation incombe au seul fabricant eu égard à la qualité de la société Firros Yachts, intermédiaire en France de la marque.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Par ailleurs, les frais de procédure, en ce qu’ils sont inclus dans les frais et dépens, ne relèvent pas des demandes indemnitaires de la société [V] [U], de sorte que le tribunal de commerce a valablement rejeté cette demande.

Sur les frais et dépens :

La société Firros Yachts conservera la charge des entiers frais de l’expertise judiciaire et sera tenue de payer à la société [V] [U] la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’appel, outre les dépens de la présente procédure.

La société Hanse Yachts conservera la charge de ses frais et dépens au titre de la procédure d’appel.

Pour le surplus, les termes de la décision attaquée sont confirmés s’agissant des frais de première instance, hors expertise.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ordonne la révocation de l’ordonnance de clôture rendue le 25 avril 2022 et reporte la clôture au 30 mai 2022, date des débats,

Confirme le jugement rendu le 17 janvier 2019 par le tribunal de commerce de Cannes sauf en ce qu’il’:

-s’est déclaré compétent au titre de la demande directe formée par la société [V] [U] à l’encontre de la société Hanse Yachts,

-a dit que la société Hanse Yachts devra relever et garantir la SARL Firros Yachts de sa condamnation dans la limite de la somme de 7. 721,10 euros,

-a dit que la société Hanse Yachts devra relever et garantir la SARL Firros Yachts de sa condamnation dans la limite de la somme de 60.856, 66 euros,

-a débouté la SAS [V] [U] de sa demande de réparation, pour un montant de 149.005,93 euros du préjudice subi de la perte d’exploitation et de locations,

-a débouté la SAS [V] [U] de sa demande de paiement de la somme de 4.290 euros au titre des réparations pour compensation de la gîte,

-a condamné la société Hanse Yachts à payer à la société [V] [U] les 2/3 des frais d’expertise judiciaire

Statuant à nouveau,

Dit irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la société Hanse Yachts à l’égard de la société [V] [U],

Déboute la société [V] [U] de ses demandes à l’encontre de la société Hanse Yachts,

Déboute la société Firros Yachts de ses demandes à l’encontre de la société Hanse Yachts,

Et y ajoutant,

Condamne la société Firros Yachts à payer à la société [V] [U] les sommes suivantes’:

-4.290 euros au titre des réparations pour compensation de la gîte,

-60.000 euros au titre du préjudice subi du fait de la perte d’exploitation et de locations

Condamne la société Firros Yachts aux entiers frais de l’expertise judiciaire,

Condamne la société Firros Yachts aux dépens de la procédure d’appel, recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Firros Yachts à payer à la société [V] [U] la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’appel,

Dit que la société Hanse Yachts conservera la charge de ses frais et dépens de la procédure d’appel,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le GREFFIER Le PRÉSIDENT

 


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