7 juillet 1992
Cour de cassation
Pourvoi n°
90-19.689
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°) la société anonyme Jet service, dont le siège social est … à Vaulx-en-Velin (Rhône),
2°) Mme Marie, Béatrice Y…, veuve X…, agissant tant en son nom personnel qu’en qualité d’administratice des biens et de la personne de son fils mineur Donatien, né le 20 avril 1984, ès qualités d’héritier de M. X…, décédé, demeurant … (Loire-Atlantique),
en cassation d’un arrêt rendu le 13 juin 1990 par la cour d’appel de Poitiers (Chambre civile, 2e Section), au profit de la société anonyme Francespar Sparcraft, dont le siège social est … (Charente-Maritime),
défenderesse à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 26 mai 1992, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Apollis, conseiller rapporteur, M. Hatoux, conseiller, M. Curti, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Apollis, les observations de la SCP Tiffreau et Thouin-Palat, avocat de la société Jet service et de Mme X…, de Me Parmentier, avocat de la société Francespar Sparcraft, les conclusions de M. Curti, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
! Sur le premier et le second moyens, pris en leurs diverses branches et réunis :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers 13 juin 1990), que le bateau de la société Jet service ayant subi des avaries consécutives à son dématage, cette société et Mme Y…, tant en son nom propre qu’en qualité d’administrateur des biens de son fils mineur, ont assigné en responsabilité le fabricant du mât et de ses accessoires, la société Francespar Sparcraft (société Francespar) ;
Attendu que la société Jet service et Mme Y… font grief à l’arrêt de les avoir déboutés de leur action, alors, selon le pourvoi, que, de première part, il résultait des constatations de fait opérées par les juges du fond que l’expert judiciaire il avait imputé le dématage à une rupture de la pièce de capelage des galhaubans livrée par le fabricant et due au « sous-dimensionnement par rapport aux hypothèses d’efforts fournis par l’architecte » ; qu’il incombait à la cour d’appel de rechercher en fait si ce « sous-dimensionnement » était ou non conforme aux calculs effectués par l’architecte naval ou aux plans du fabricant prétendument agréés par lui, dès lors que, dans la négative, la preuve aurait été rapportée d’un défaut de conformité de la pièce livrée, mettant à la charge du fabricant la preuve d’une faute causale de l’architecte ; que ce défaut de conformité aurait nécessairement exclu l’existence d’une telle faute causale résultant de la seule erreur de calcul antérieure à la fabrication ; que la preuve d’une faute causale lors du montage, auquel avait d’ailleurs assisté un représentant du fabricant, n’aurait pu
résulter que de la connaissance par l’architecte d’un sous-dimensionnement apparent ou caché, ce que n’a pas davantage recherché la cour d’appel ; que, dès lors, en écartant la responsabilité contractuelle du fabricant, sans avoir constaté en fait que la pièce livrée aurait été conforme aux calculs de l’architecte ou aux plans établis par le fabricant et prétendument agrées par l’architecte, ni qu’à la supposer non conforme, ce dernier aurait fait procéder au montage en connaissance de cause, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ; alors que, de deuxième part, dans leurs conclusions d’appel, la société Jet tour et Mme Y… faisaient valoir qu’il résultait des constatations expertales que « la conception même du capelage a été viciée dans la mesure où le fourreau qui a été déformé était considéré (par le fabricant) comme indéformable et que la tige n’était pas prévue pour recevoir une traction » ; qu’elles ajoutaient que, selon l’expert judiciaire, « le calcul du jeu admissible ne tient pas compte de la flexion du fourreau et du matage de l’alliage léger relativement mou (…) remettant en cause tout le fondement du calcul » ; qu’il s’agissait là d’un moyen de nature à influer sur la solution du litige, dès lors qu’il imputait la responsabilité au fabricant d’une pièce vendue comme indéformable et dont la déformation effective n’avait pu être intégrée dans les calculs de l’architecte ou les plans prétendument agréés par lui ; que, dès lors, en omettant de répondre à ce moyen, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, de troisième part, au surplus, les mêmes conclusions d’appel faisaient valoir qu’il résultait des constatations expertales que « l’examen au microscope par la CETIM a mis en évidence que l’usinage de la pièce et en particulier du filetage, ont été réalisés de manière peu conforme aux règles de l’art » ; qu’il s’agissait encore là d’un moyen de nature à influer sur la solution du litige, dès lors qu’il imputait la responsabilité du fabricant d’une pièce affecté d’un « défaut de fabrication » ; que, dès lors, en omettant de répondre à ce moyen, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de quatrième part, au reste, il incombait au fabricant de rapporter la preuve de l’exécution de son devoir d’information et de conseil, qui lui imposait de donner à l’architecte son avis éclairé de vendeur professionnel sur la conception, la fabrication et le montage d’une pièce de haute technicité montée sur un
catamaran de course devant affronter une traversée transatlantique, voire de notifier par écrit les plus expresses réserves de sa responsabilité, et ce sans qu’il importât que ses interlocuteurs fussent eux-mêmes des professionnels de la construction maritime ; que dès lors, en écartant la responsabilité contractuelle du fabricant, sans avoir recherché si ce vendeur professionnel avait satisfait à son devoir d’information et de conseil, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ; alors que, de cinquième part, en imputant à l’architecte une faute causale exonératoire de la responsabilité du fabricant, sans avoir constaté en fait que la pièce livrée « sous-dimensionnée » aurait été fabriquée en parfaite conformité des calculs établis par l’architecte et des plans prétendument approuvés par lui, ni davantage que ce dernier aurait fait procéder au montage en parfaite
connaissance du sous-dimensionnement, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ; alors que, de sixième part, dans leurs conclusions d’appel susvisées la société Jet service et Mme Y… faisaient valoir que « la pièce de rechange a pu être analysée au même titre que la pièce d’origine, ce qui a confirmé qu’elle avait été fabriquée de façon identique (…) qu’elle était également mal conçue, sous-dimensionnée et insusceptible de répondre à la traction qui allait être demandée » ; qu’il s’agissait là d’un moyen de nature à influer sur la solution du litige, dès lors qu’il tendait à exclure toute faute causale de la société Jet service et du skipper X… dans le fait d’avoir décider du départ en course du catamaran sans remplacement préalable de la pièce défectueuse au moyen de celle de rechange livrée par le fabricant le jour du départ et qui, fabriquée de façon identique, aurait nécessairement été déformée puis rompue au cours de la traversée transatlantique ; que, dès lors, en omettant de répondre à ce moyen pertinent, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, enfin, à supposer que la cour d’appel eût pu interpréter l’observation de l’expert, visant « le doute sur l’origine de la pièce et ses antécédents », comme excluant toute connaissance certaine de l’étiologie du dommage, elle devait déduire de cette ignorance la responsabilité du fabricant ayant la charge de prouver la conformité à la commande de la pièce litigieuse incluse dans un ensemble ayant causé le dommage ; qu’en écartant toute responsabilité du fabricant, la cour d’appel a en toute hypothèse violé les articles 1315, 1147 et 1604 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’ayant relevé par motifs propres et adoptés que l’architecte naval, auquel la société Jet service avait confié la conception des équipements et leur vérification, avait agréé les calculs de la société Francespar puis réceptionné sans réserve le matériel fabriqué par cette dernière, que la société Jet service qui s’était réservée le montage du mât et le réglage du bateau avec le nouveau gréement n’avait pas plus que M. X…, le skipper, après une période d’essais en haute mer, estimé opportun le remplacement de la pièce litigieuse dont ils avaient constaté la déformation, l’arrêt, qui a ainsi fait ressortir l’acceptation sans réserve et en connaissance de ses défauts par ces derniers du matériel fabriqué par la société Francespar, n’avait, ni à effectuer d’autres recherches, ni à répondre à des conclusions que sa décision rendaient inopérantes ;
Attendu, en second lieu, qu’il ne résulte, ni de ses conclusions, ni de l’arrêt que la société Jet service et Mme Y… aient soutenu que la société Francespar avait manqué à son obligation de conseil et d’information ; qu’il ne peut dès lors être fait grief à la cour d’appel d’avoir omis d’effectuer une recherche qui ne lui avait été demandée ;
D’où il suit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;