7 avril 2004
Cour de cassation
Pourvoi n°
03-84.889
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept avril deux mille quatre, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de Me CHOUCROY, de la société civile professionnelle VINCENT et OHL, de la société civile professionnelle BORE, XAVIER, et BORE, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général COMMARET ;
Statuant sur les pourvois formés par :
– X…
Y… Jaime,
– Z…
A… Walter,
– LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE PARIS,
contre l’arrêt de ladite cour d’appel, 12ème chambre, en date du 24 juin 2003, qui, pour délits de blanchiment, a condamné le premier à 10 ans d’emprisonnement avec mandat d’arrêt, 300 000 euros d’amende et à une pénalité douanière et a dit s’opposer à la mainlevée de la mesure de saisie opérée sur le compte bancaire de Walter Z…
A… ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires et observations complémentaires produits en demande et en défense ;
I – Sur le pourvoi de Jaime X…
Y… :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 222-38 du Code pénal et 415 du Code des douanes, 459, 520, 552 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jaime X…
Y… coupable de blanchiment par concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d’un délit en matière de stupéfiants et de réalisation d’opération financière entre la France et l’étranger sur des fonds provenant d’infraction à la législation sur les stupéfiants ;
« aux motifs que courant 1993, l’antenne de l’OCTRIS de Bogota signalait à l’OCRGDF l’arrivée en France de ressortissants colombiens liés au trafic international de stupéfiants ; que ces ressortissants colombiens étaient rejoints à Paris le 1er octobre 1993 par Jaime X… qui était parfois en compagnie du nommé B…, lequel utilisait plusieurs alias ;
que l’antenne de la DEA à Paris adressait un document faisant état du fait que C…
B… était un importateur de cocaïne du Cartel de « Cali » par l’intermédiaire d’entreprises de pêche, qu’une information était ouverte ; que les investigations menées principalement sur commissions rogatoires internationales permettaient d’établir que Jaime X…
Y… avait participé à l’achat de 3 catamarans entre 1993 et 1995 auprès des chantiers Fountaine Pajot :
– Maria Del Mar acquis par M. D… qui était saisi le 8 mai 1996 à Acapulco avec à l’intérieur des traces de cocaïne,
– Mickael E… acquis par Pasco Corporate INVTS et arraisonné le 24 octobre 1995 par le Panama où il était découvert dans des caches aménagées 2,3 tonnes de cocaïne,
– un catamaran type Tobago 25 acquis par F… Livingstone ;
que l’enquête établissait par ailleurs que Jaime X…
Y… avait acquis aux chantiers Jeantot Marine trois autres catamarans :
– un catamaran de type Privilège 43 par Manuel G… dont l’utilisateur était identifié comme étant Jaime X…
Y… sous le nom de Jorge H… ;
– le Survivor de type Privilège 48 acquis par Jorge H…,
– le Sagittario acquis par divers virements par Jorge H… ;
Sur la culpabilité de Jaime X…
Y…
Sur le blanchiment
que l’infraction reprochée au prévenu doit entraîner de la part de la juridiction de jugement la constatation de l’origine criminelle ou délictuelle des fonds et sur le plan intentionnel, d’avoir la certitude que le prévenu ait eu une connaissance de l’origine frauduleuse de ces fonds ; qu’il en va de même de l’infraction douanière de l’article 415 du Code des Douanes ; qu’après la mort en 1993 de Pablo I… qui dirigeait le Cartel de Medelin les frères J… – K… ont dirigé le Cartel de Cali qui a pris la relève du Cartel de Medelin ; qu’en 1996 C…
B… sera arrêté et son réseau de transport maritime qui utilisait des bateaux de pêche et des vedettes sera démantelé ; que le Cartel de Cali a mis en place 4 techniques financières visant à recycler l’argent du trafic de stupéfiants :
– le « smurfing » qui consiste à multiplier les ouvertures des comptes bancaires en fractionnant le montant des dépôts d’un montant inférieur au seuil de déclaration,
– la société écran dans des paradis fiscaux où elle sert de relais pour l’achat de biens immobiliers,
– le prêt garanti par dépôt sur un compte « offshore » ou investissement dans un contrat d’assurance-vie,
– les marchés dérivés ;
que Jorge B…
C… a été poursuivi à Tampa (USA) ainsi que 15 autres personnes pour participation à une contrebande de stupéfiants portant sur 31 tonnes de cocaïne ; que le trafic de stupéfiants est ainsi largement établi entre la Colombie, le Panama, le Mexique et les Etats-Unis et l’Europe par les éléments de la procédure ; qu’il n’existe aucun doute sur l’origine des fonds provenant du trafic de stupéfiants ; que le fait que le bateau Nathaly I qui a été arraisonné le 25 juillet 1995 avec 12 tonnes de cocaïne à bord, permet d’établir la participation de C…
B… et par voie de conséquence de tous ceux qui ont été à son contact dans le bateau qui était arrêté au Panama pour réparation auprès de l’entreprise Master Agencies dont le propriétaire Enrique L… était lié à C…
B… ; que la provenance des fonds émanant du trafic de stupéfiants étant établie, il convient de déterminer si Jaime X…
Y… avait une connaissance de leur origine délictueuse ;
que les relations financières s’établissaient sur trois niveaux :
1 ) – par de multiples dépôts de petits montants inférieurs au seuil de déclaration effectués sous forme de « money orders » empilés sur les comptes bancaires des trois sociétés M… Limited, N… Trading Corporation, Lakeshore Overseas Corporation immatriculées au Panama et aux Iles Vierges Britanniques qui avaient toutes trois pour président Diogenes O… ;
que ces trois sociétés ont encaissé 7 371 262 dollars et ont décaissé 6 889 191 dollars ; que l’analyse de l’expert permet à la Cour de constater que ces trois sociétés avaient pour partenaires pour M… Limited, notamment Carrabbean Fisheries suspectée par la DEA de trafic de cocaïne ; que M. O… détiendrait des comptes bancaires pour le compte des trafiquants de stupéfiants ; que selon la DEA, l’activité de ces trois sociétés n’est connue ni aux USA ni dans leur pays d’immatriculation, qu’ainsi ces sociétés n’étaient uniquement destinées qu’à l’empilage de placements d’espèces ;
2 ) – le second niveau
que l’expert procédera à l’analyse notamment du compte Cartonera Del Caribe sur lequel il convient de constater des versements significatifs de Jaime X…
Y… de même qu’un virement de 140 040 dollars au profit de Inversions Etomeres qui est intervenu dans le paiement du « Maria Del Mar », de même qu’un chèque de 20 500 dollars au profit de Walter Z…
A… qui serait en relation avec P… distributeur de cocaïne à Miami et à Philadelphie ; que d’autres mouvements proviennent du compte de Vera B…, du compte N… Trading Corporation, du compte B…, du compte Camp-Q… Peralta, du compte Z…
A…, que ce compte est alimenté par la Lakeshore Overseas Corporation et N… Trading Corporation et verse des fonds à Campos Q… Peralta ;
3 ) – le financement des bateaux
que l’ordonnateur du virement pour le Tobago sera Katherin X…, pour le Privilège 43 et le Sagittario Jaime X…
Y… pour 100 000 et 5 000 dollars ; que parmi les bénéficiaires du 2ème niveau apparaissent les consorts B…, que José B… utilisait 60 sociétés de façade au Panama, qu’il était également concerné par 44 sociétés en Colombie et 30 sociétés en Equateur ; qu’au 3ème niveau N… et M… ont versé 48 790 dollars et 52 780 dollars à la Deutschamerican Bank de Olga Alparo et Hans R… pour le financement du Survivor et que Marketing Entreprises (alimenté par Lakeshore) a versé 34 020 dollars à Inversions Etomeres qui a financé le Maria Del Mar et que Maria S… et C…
B…
C… ont financé le Sagittario ; que ces mouvements bancaires établissent de manière formelle que Jaime X…
Y…, en qualité d’intermédiaire, a participé à l’achat des catamarans directement pour le Privilege 43 et le Sagittario et indirectement en faisant intervenir sa mère pour l’achat du Tobago ; que de plus il a reçu des commissions sur les ventes de ces catamarans, certaines étant payées directement par les sociétés Jeantot Marine et Fountaine Pajot ; que de plus le tribunal a considéré qu’il avait perçu diverses commissions pour la vente de quatre catamarans ; que les dirigeants des chantiers navals l’ont reconnu sur photographie ; que Jaime X…
Y… a reconnu qu’il était intervenu comme commissionnaire dans 6 opérations et que C…
B… a été reconnu par le gérant de Jeantot Marine comme l’acquéreur des catamarans Privilège 43, 48 et 65, que pour 3 autres catamarans, des rapprochements peuvent être faits ; que T…, acheteur du Mickael E…, est cité dans un rapport de la DEA, que l’acheteur du Tobago 25, Félix F… a été le skipper du Survivor acheté par C…
B…, qu’un simple skipper ne peut acheter un catamaran de 2,4 millions de francs, qu’il avait été cité par la DEA comme skipper du Mickael E…, que le Tobago 25 avait été payé sur ordre de Gabriel U… qui avait été interpellé à bord du Mickael E… avec 2,3 tonnes de cocaïne ; que James V… qui a été skipper du Privilege 43 a été mis en cause dans l’affaire Mickael E… et D… acquéreur du Maria Del Mar, apparaît dans la transaction entre Jaime X…
Y… et la SARL Jeantot, qu’ainsi les 3 achats de catamarans auprès de Fountaine Pajot sont liés à ceux réalisés auprès de Jeantot Marine ;
que le tribunal sur l’origine des fonds, indique que la DEA en collaboration avec le FBI a identifié les comptes ouverts aux noms de M…, N… et Lakeshore Overseas, que l’expert XW… avait conclu que les fonds proviennent très certainement du trafic de stupéfiants et qu’ainsi la volonté de blanchir des fonds douteux était établie ; que pour le tribunal C…
B… est dénoncé dans les rapports de la DEA pour avoir importé en Floride et Californie plusieurs centaines de kilos de cocaïne et que MM. XX… et F… sont décrits par la DEA comme impliqués, que G… serait intervenu pour l’achat du premier catamaran et qu’il est cité par la DEA ; que les bons de commande du Privilège 48 et du Survivor avaient été mis à la demande de B… au nom de XY… qui est cité par la DEA comme étant un de ses associés ; que l’expertise financière a révélé que le compte ouvert au nom d’ S…, compagne de Q…, avait servi à acheter le Sagittario et était alimenté par M…, N… et Lakeshore Overseas ; que les 6 catamarans avaient été acquis au moyen de fonds qui provenaient de circuits de blanchiment ; que les premiers juges ont établi que B… avait été directement impliqué dans l’achat de 3 catamarans et que les fonds proviennent du trafic de stupéfiants ;
qu’ayant été acquéreur pour plus de 22 millions de francs, il a concouru à la dissimulation et à la conversion d’un trafic de stupéfiants ; que sur la responsabilité pénale de Jaime X…
Y… les premiers juges ont estimé que l’origine des fonds provient du trafic de stupéfiants, que le tribunal a estimé que lors du séjour à bord du Sagittario, C…
B… a utilisé une 3ème identité, que les investigations ont permis d’établir que Jaime X…
Y… et C…
B… avaient circulé sous la fausse identité de Ruben XZ…
J… et qu’ils ont été aperçus à Valencia, Madrid et La Corogne lors d’un séjour du 7 au 25 juillet, que Jaime X…
Y… avait participé à la dissimulation de l’identité de C…
B… ayant sollicité des invitations de visite de chantiers aux noms de Q… et XA… ; que Jaime X…
Y… était en contact avec des personnes soupçonnées et a séjourné sur le Sagittario en juillet-août 1995 au moment où J… avait été arrêté dans l’affaire du « Maria Del Mar », que l’expert XW… l’a cité dans son rapport, que la DEA a affirmé qu’il est complice proche de C…
B…, que Jaime X…
Y… avait préféré « coopérer » avec la justice américaine ; que l’appréciation portée par les premiers juges sur la participation du prévenu à la commission des faits est entièrement partagée par la cour d’appel qui constate que :
– Jaime X…
Y… avait été cité dès 1993 par les enquêteurs comme faisant partie d’un groupe de colombiens se livrant au blanchiment d’argent provenant de la drogue,
– Jaime X…
Y… est très proche de C…
B… l’ayant accompagné sur les chantiers et ayant reçu son hospitalité à bord des catamarans,
– Jaime X…
Y… a directement ou indirectement fait procéder à des virements et a perçu des commissions ;
que les affirmations selon lesquelles il n’aurait été qu’un simple intervenant entre C…
B… et les chantiers ne résistent pas à l’examen des pièces du dossier ; que le fait qu’ayant eu connaissance du mandat d’arrêt, il ne se présente pas à ce jour à l’audience est de nature à conforter sa participation aux faits reprochés ; qu’en conséquence Jaime X…
Y… sera retenu dans les liens des préventions et le jugement sera confirmé sur le plan de la culpabilité ;
« alors que, d’une part, la Cour qui a annulé le jugement et évoqué, a violé les articles 520 et 593 du Code de procédure pénale, en se référant constamment aux motifs des premiers juges pour entrer en voie de condamnation à l’encontre du prévenu ;
« alors que, d’autre part, le prévenu ayant, dans ses conclusions, expliqué que, bien qu’ayant été mis en cause par la DEA pour sa participation à l’achat des six catamarans, il n’avait été ni incarcéré, ni poursuivi, ni condamné par les autorités judiciaires américaines en raison de ses liens avec ses compatriotes colombiens, la Cour, qui a cru pouvoir se référer aux investigations de la DEA pour en déduire la culpabilité du demandeur sans s’expliquer sur l’absence de toute poursuite exercée à son encontre aux USA, a encore une fois entaché sa décision d’un défaut de réponse à un moyen péremptoire de défense ;
« alors qu’en outre, la Cour qui s’est attachée à essayer de démontrer que les comptes des sociétés N…, M… et Lakeshore avaient été utilisés pour financer l’achat des six catamarans a encore une fois omis de répondre au moyen péremptoire de défense des conclusions d’appel de Jaime X…
Y… tiré de l’antériorité de la plupart de ces achats à l’ouverture des comptes desdites sociétés, ce qui excluait que ceux-ci aient pu servir à financer l’achat des bateaux ;
« et alors qu’enfin, la Cour qui s’est à de multiples reprises référée au travail de l’expert a une nouvelle fois violé l’article 459 du Code de procédure pénale en laissant sans aucune réponse le chef péremptoire des conclusions du prévenu soulignant les nombreuses erreurs, lacunes et incohérences de l’ex- pert ;
« alors que le tribunal ayant précisé que les « money orders » ayant permis d’acquérir les catamarans avaient une origine inconnue, la Cour, qui s’est constamment référée aux motifs des premiers juges dont elle a pourtant annulé la décision, ne pouvait, dans ces conditions, admettre l’origine frauduleuse des fonds comme établie sans violer l’article 593 du Code de procédure pénale » ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article préliminaire et des articles 131, 459 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de réponse aux conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jaime X…
Y… coupable de blanchiment et de réalisation d’opération financière entre la France et l’étranger sur des fonds provenant d’infractions à la législation sur les stupéfiants sans répondre au moyen de ce prévenu tiré de la violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales commise à son encontre par le magistrat instructeur qui avait omis de le convoquer avant de délivrer un mandat d’arrêt à son encontre sans avoir même vérifié les informations fournies par l’Administration américaine le dénonçant comme ayant participé à un trafic de drogue ;
« alors que le principe de la présomption d’innocence posé par l’article préliminaire du Code de procédure pénale ainsi que celui qui résulte de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du droit à un procès équitable, impliquent qu’une personne résidant à l’étranger qui a été dénoncée comme ayant participé à une infraction doit pouvoir s’expliquer sur les faits qu’il est soupçonné d’avoir accomplis et qui doivent être préalablement vérifiés ; qu’en omettant de rechercher si, comme il le soutenait, le prévenu n’avait pas été victime d’une violation de ces textes, la Cour a entaché sa décision d’un défaut de réponse à un moyen péremptoire des conclusions d’appel du prévenu qui doit entraîner la censure » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction et sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits de blanchiment dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D’où il suit que les moyens qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
II – Sur le pourvoi du procureur général :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 410, 411 et 591 du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ;