Skipper : 4 avril 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/00286

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Skipper : 4 avril 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/00286

4 avril 2023
Cour d’appel de Rennes
RG
21/00286

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N°178

N° RG 21/00286 – N° Portalis DBVL-V-B7F-RIEF

S.A. GENERALI IARD

Société QUORNING BOAT APS

S.A.R.L. BLEU MARINE LOC

C/

S.A. GAN ASSURANCES

S.A.R.L. MULTISAILING MS2

S.A.R.L. MS2

Société QUORNING BOAT APS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me RENAUDIN

Me VERRANDO

Me TATTEVIN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 04 AVRIL 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,rapporteur,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Julie ROUET, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 13 Décembre 2022

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 04 Avril 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTES :

S.A. GENERALI IARD, immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 552 062 663, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

S.A.R.L. BLEU MARINE LOC, immatriculée au RCS de TOURS sous le numéro 445 353 089, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 7]

[Adresse 7]

Représentées par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentées par Me Alain VOISARD, Plaidant, avocat au barreau de NANTES

Société QUORNING BOAT APS société de droit étranger, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 6]

[Adresse 3]

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Olivier D’ABO de la SELAS LEXINGTON AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES :

S.A. GAN ASSURANCES, immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 542 063 797, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Christophe TATTEVIN de la SCP TATTEVIN-DERVEAUX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

S.A.R.L. MULTISAILING MS2, inscrite au RCS de Lorient sous le N° 498 569 599 et radiée du RCS le 18.02.2020, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N’ayant pas constitué avocat bien que régulièrement assignée par acte d’huissier de Justice en date du 16 avril 2021

FAITS ET PROCEDURE :

Le 3 mars 2015, la société de droit danois Quorning Boat (la société Quorning), constructeur, a vendu un voilier de type trimaran modèle Dragonfly 32 à la société Multisailing MS2 (la société Multisailing), assurée auprès de la société GAN Assurances.

Le 3 juin 2015, la société Multisailing a vendu ce navire à la société Bleu Marine Loc (la société Bleu Marine), assurée auprès de la société Generali France (la société Generali), pour la somme de 326.380 euros HT, soit 391.656 euros TTC.

Le samedi 5 décembre 2015, M. [O], gérant de la société Bleu Marine et skipper du bateau, a fait seul une sortie en mer dans la baie de [Localité 8]. A la suite de man’uvre, à l’entrée du port du [5], le bateau s’est échoué. Une fois le bateau sorti de l’eau, il a été constaté que l’hélice était manquante. Elle n’a pas été retrouvée. Le bateau a subi d’importants dégâts.

Par ordonnance du 22 juin 2016, le juge des référés du tribunal de commerce de Lorient a ordonné une expertise judiciaire du bateau et confié la mission à M. [P] afin de déterminer les causes de l’accident et les responsabilités et chiffrer les dommages.

L’expert a déposé son rapport le 20 avril 2018.

Les sociétés Generali et Bleu Marine ont assigné les sociétés Multisailing, Gan et Quorning en paiement de certaines sommes au titre de la garantie des vices cachés et de dommages-intérêts.

Par jugement du 21 décembre 2020, le tribunal de commerce de Lorient a :

– Rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société Quorning,

– S’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes formées par les sociétés Multisailing et Bleu Marine à l’encontre de la société Quorning,

– Dit que la société Quorning est responsable à 100% du sinistre subi par le trimaran de la société Bleu Marine le 5 décembre 2015,

– Débouté la société Bleu Marine et son assureur la société Generali France de leurs demandes dirigées contre la société Multisailing et son assureur la société Gan,

– Condamné la société Quorning à payer à la société Generali France la somme de 242.979,47 euros HT correspondant aux frais exposés au titre du sinistre, outre les intérêts au taux légal,

– Débouté la société Bleu Marine de sa demande d’indemnisation de son préjudice résultant de la perte des loyers provenant de la location du trimaran sur les exercices 2016 et 2017 d’un montant total de 37.333,33 euros, outre 420 euros de franchise contractuelle,

– Ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,

– Condamné la société Quorning à payer à la société Generali France et la société Bleu Marine la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné la société Quorning à payer à la société GAN et la société Multisailing la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Débouté la société Quorning de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Ordonné l’exécution provisoire du jugement,

– Dit que les dépens de l’instance comprenant notamment les frais d’expertise seront pris en charge par la société Quorning,

– Dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tout cas mal fondées, les en a déboutées.

Les sociétés Generali et Bleu Marine ont interjeté appel le 14 janvier 2021.

La société Quorning a interjeté appel le 9 mars 2021.

Les procédures ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 16 septembre 2021.

Les dernières conclusions des sociétés Generali et Bleu Marine sont en date du 25 février 2022. Les dernières conclusions de la société Quorning sont en date du 21 septembre 2021. Les dernières conclusions de la société GAN sont en date du 6 octobre 2021. La société Multisailing n’a pas conclu devant la cour.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er décembre 2022.

Le 29 décembre 2022, il a été demandé à la société Bleu Marine Loc, au plus tard le 10 janvier 2023, de produire un extrait K Bis récent la concernant.

Il a été demandé aux parties, pour le 17 janvier 2023 au plus tard, de faire valoir toutes observations utiles sur le contenu de cet extrait K Bis.

Les parties ont fait valoir leurs observations par notes respectives de 9, 10 et 17 janvier 2023. Un extrait K Bis de la société Bleu Marine Loc a été produit.

PRETENTIONS ET MOYENS :

Les sociétés Generali et Bleu Marine demandent à la cour de :

In limine litis :

– Confirmer la décision dont appel en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence opposée par la société Quorning, se déclarer compétente et faire application du droit français,

A titre subsidiaire :

– Confirmer la décision dont appel en ce qu’elle a rejeté l’exception d’incompétence opposée par la société Quorning, se déclarer compétente et faire application du droit français,

A titre infiniment subsidiaire :

– Relever d’office le caractère nouveau de toute demande fondée en droit ayant pour objet une exception d’incompétence dont aurait à connaître la cour, sachant la nullité de l’exception d’incompétence opposée en première instance par la société Quorning, puisque non fondée en droit au dispositif de ses écritures devant le tribunal de commerce de Lorient,

– Considérer le caractère nouveau de la demande de GAN visant à opposer pour la première fois en cause d’appe1, la franchise et le plafond de garantie du contrat couvrant la responsabilité professionnelle de son assuré Multisailing et en conséquence les déclarer inopposables à Bleu Marine et à Generali,

Sur le fond :

(A)

– Considérer l’absence d’une quelconque faute dans l’utilisation du navire,

– Confirmer la décision dont appel en ce qu’elle a reçu les concluantes dans leurs demandes au titre de la garantie des vices cachés qui ne pouvaient être ignorés par le vendeur professionnel Multisailing et par le constructeur Quorning,

(B)

– Réformer la décision dont appel et condamner solidairement Multisailing, son assureur GAN et le constructeur Quorning à payer à la société Generali la somme de 242.979,47 euros HT correspondant aux frais exposés au titre du sinistre,

– Confirmer la décision dont appel en ce qu’elle a jugé que lesdites sommes porteront intérêt au taux légal et ordonner la capitalisation des intérêts à compter du jour de la demande, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ancien1154 du code civil,

(C)

– Réformer la décision dont appel et condamner solidairement Multisailing, son assureur GAN et le constructeur Quorning à payer à la société Bleu Marine la somme de 7.000 euros par trimestre pour tout l’exercice 2016 soit la somme de 28.000 euros au titre de ce premier exercice d’arrêt du navire et la somme de 7.000 + 2.333,33 euros, soit 9.333, 22 euros, correspondant à la période d’arrêt du navire au titre de l’exercice 2017, outre 420 euros de franchise contractuelle,

– Dire que lesdites sommes porteront intérêt au taux légal et ordonner la capitalisation des intérêts à compter du jour de la demande, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ancien1154 du code civil,

(D)

– Réformer la décision dont appel et condamner solidairement Multisailing, son assureur GAN et le constructeur Quorning au paiement de la somme de 5.000 euros aux requérantes sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont les frais d’expertise judiciaire,

(E)

– Subsidiairement, si la juridiction saisie devait considérer que les concluantes ne se trouvaient pas fondées à agir en garantie des vices cachés à l’encontre de Quorning sur un fondement contractuel, considérer la faute dans le montage de l’hélice par ce dernier et le déclarer tenu,

(F)

– Réformer la décision dont appel et condamner solidairement Multisailing, son assureur GAN et le constructeur Quorning à payer à Generali la somme de 242.979,47 euros HT correspondant aux frais exposés au titre du sinistre,

– Confirmer la décision dont appel en ce qu’elle a jugé que lesdites sommes porteront intérêt au taux légal et ordonner la capitalisation des intérêts à compter du jour de la demande, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ancien1154 du code civil,

(G)

– Réformer la décision dont appel et condamner solidairement Multisailing, son assureur GAN et le constructeur Quorning à payer à la société Bleu Marine la somme de 7.000 euros par trimestre pour tout l’exercice 2016 soit la somme de 28.000 euros au titre de ce premier exercice d’arrêt du navire et la somme de 7.000 + 2.333,33 euros, soit 9.333, 22 euros, correspondant à la période d’arrêt du navire au titre de l’exercice 2017, outre 420 euros de franchise contractuelle.

– Dire que lesdites sommes porteront intérêt au taux légal et ordonner la capitalisation des intérêts à compter du jour de la demande, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ancien1154 du code civil,

(H)

– Réformer la décision dont appel et condamner solidairement Multisailing, son assureur GAN et le constructeur Quorning au paiement de la somme de 5.000 euros aux requérantes sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont les frais d’expertise judiciaire.

La société GAN demande à la cour de :

– Dire et juger la société GAN recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,

Sur l’exception d’incompétence :

– Confirmer la décision,

– Recevoir la société GAN en son appel incident, dire et juger que la clause attributive de compétence est nulle et de nul effet, et à titre subsidiaire inopposable aux parties,

A titre très subsidiaire sur ce point :

– Dire et juger irrecevable l’exception d’incompétence, faute pour la clause litigieuse et l’exception de procédure de désigner la juridiction territorialement compétente,

Sur le fond :

– Confirmer la décision en ce qu’elle a mis hors de cause la société GAN et son assurée la société Multisailing,

A titre subsidiaire :

– Débouter les sociétés Generali et Bleu Marine de leur appel, et de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire, déboutant la société Quorning de son appel et de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions :

– La condamner à relever et garantir la société GAN de l’intégralité des condamnations prononcées à son encontre en principal, intérêts, frais et accessoires,

– Faire application des conditions particulières du contrat unissant la société GAN et la société Multisailing et dire et juger que le plafond de garantie de la société GAN pour les dommages matériels est limité à 160.000 euros outre une franchise 10 % de dommages pour un maximum de 8.000 euros et débouter les sociétés Generali et Bleu Marine de toutes demandes plus amples ou contraires et de leur exception fondée sur les dispositions de l’article 564 du code de procédure civile et ce par application des dispositions de l’article 565 du même code,

– Dire et juger qu’en tout état de cause, le préjudice éprouvé par la société Bleu Marine ne saurait excéder la somme de 183.840 euros HT et débouter en conséquence les appelantes de leurs demandes plus amples ou contraires,

– Confirmer la décision en ce qu’elle a condamné la société Quorning à verser à la société GAN la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

– Condamner les sociétés Generali, Bleu Marine et Quorning, in solidum, à verser à la société GAN la somme de 4.000 euros en réparation des frais irrépétibles, devant la cour,

– Condamner les mêmes et sous la même solidarité aux entiers dépens.

La société Quorning demande à la cour de :

– Déclarer recevable et bien fondée la société Quorning Boat en son appel tant principal qu’incident,

Y faisant droit :

– Infirmer en toutes ses dispositions le jugement sur tous les chefs ci-après critiqués ainsi que ceux qui en dépendent en ce qu’elle :

– Rejette l’exception d’incompétence soulevée par la société Quorning,

– Se déclare compétent pour statuer sur les demandes formées par les sociétés Multisailing et Bleu Marine à l’encontre de la société Quorning,

– Dit que la société Quorning est responsable à 100% du sinistre subi par le trimaran de la société Bleu Marine le 5 décembre 2015,

– Déboute la société Bleu Marine et son assureur la société Generali France [en réalité Generali IARD] de leurs demandes dirigées contre la société Multisailing et son assureur la société GAN,

– Condamne la société Quorning Boat à payer à la compagnie Generali France [en réalité Generali Iard] la somme de 242.979,47 euros HT correspondant aux frais exposés au titre du sinistre, outre les intérêts au taux légal,

– Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,

– Condamne la société Quorning Boat à payer à la compagnie Generali France [en réalité Generali Iard] et la société Bleu Marine la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamne la société Quorning Boat à payer à la société GAN et la société Multisailing la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Déboute la société Quorning Boat de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement,

– Dit que les dépens de l’instance comprenant notamment les frais d’expertise seront pris en charge par la société Quorning, dont frais de greffe liquidés à la somme de 136,58 euros TTC,

– Dit toutes autres demandes, fins et conclusions de la société Quorning Boat injustifiées et en tout cas mal fondées, l’en déboute,

Et, statuant à nouveau :

In limine litis, sur l’incompétence soulevée :

– Débouter les sociétés Gan, Bleu Marine et Generali de leur appel incident tendant à voir déclarer la clause attributive de compétence nulle et de nul effet et, en tout état de cause, inopposable aux parties,

– Déclarer les juridictions danoises seules compétentes pour statuer sur le présent litige et renvoyer la société Generali et la société Bleu Marine à mieux se pourvoir devant ces juridictions,

Et si, par extraordinaire, la cour devait déclarer les juridictions françaises compétentes :

– Déclarer les sociétés Generali et Bleu Marine ainsi que la société GAN non recevables, et en tout cas non fondées en l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions dirigées contre la société Quorning, les en débouter,

En toute hypothèse :

– Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Bleu Marine de sa demande d’indemnisation résultant de la perte des loyers provenant de la location du trimaran sur les exercices 2016 et 2017 d’un montant de 37.333,33 euros, outre 420 euros de franchise contractuelle,

– Débouter les sociétés Generali et Bleu Marine de leur appel incident tendant à voir la société Quorning Boat condamnée à l’indemnisation de leur préjudice immatériel à hauteur de 28.000 euros ainsi qu’à la somme de 9.333,22 euros au titre de la période d’arrêt du navire sur les exercices 2016 et 2017,

– Condamner in solidum la société Generali et la société Bleu Marine, à verser à la société Quorning Boat la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec distraction pour ceux le concernant au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

Sur la recevabilité de l’appel interjeté par la société Bleu Marine :

Il résulte de l’extrait K Bis de la société Bleu Marine qu’elle a été dissoute à compter du 31 mars 2020, l’information en étant publiée le 10 juillet 2020, que la clôture des opérations de liquidation amiable est intervenue le 2 novembre 2020 et qu’elle a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 26 février 2021.

Il apparaît ainsi qu’à la date à laquelle la société a interjeté appel, le 14 janvier 2021, elle avait été dissoute et ne pouvait plus être représentée par son représentant légal dont les fonctions avaient cessé.

Cet appel est irrecevable tout comme les demandes formées en appel au profit de la société Bleu Marine.

Sur la compétence :

La société Quorning Boat fait valoir que les juridictions danoises seraient compétentes pour connaître des demandes formées contre elle. Elle se prévaut en ce sens d’une clause d’attribution de compétence au profit des juridictions danoises figurant dans le contrat la liant à la société Multisailing.

Cette exception n’est pas nouvelle en appel. Elle était invoquée devant les juges du fond qui ont d’ailleurs statué sur elle pour la rejeter.

La société Bleu Marine, sous acquéreur, et son assureur la société Generali, ont assigné la société Multisailing et son assureur, la société Gan, ainsi que la société Quorning en invoquant la garantie des vices cachés due par le vendeur et par le constructeur.

L’action ainsi engagée par le sous acquéreur, la société Bleu Marine, contre le constructeur, la société Quorning, est de nature délictuelle.

La société Bleu Marine n’a pas été partie, ni n’a été mentionnée, au contrat de vente passé entre les sociétés Quorning et Multisailing. Il n’est pas justifié qu’elle ait acquiescé à la clause attributive de compétence.

La clause contractuelle d’attribution de compétence au profit des juridictions danoises comprise dans le contrat liant la société Quorning Boat à la société Multisailing est donc inopposable à la société Bleu Marine.

La société Bleu Marine a assigné la société Multisailing, société française, en garantie des vices cachés. Cette assignation a été délivrée devant le tribunal dans le ressort duquel se trouve le siège de la société Multisailing.

En application des dispositions de l’article 8 du règlement Bruxelles I Bis la société Quorning pouvait donc également être attraite devant les juridictions françaises.

En effet, les demandes des sociétés Bleu Marine et Generali formées contre la société Multisailing et celles formées contre la société Quorning sont liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps.

En outre, les demandes en garantie formées par la société Multisailing contre la société Quorning pouvaient être formées devant la juridiction française, juridiction saisie de la demande originaire.

Il y a lieu de rejeter l’exception d’incompétence et de confirmer le jugement sur ce point.

Sur l’existence d’un vice caché :

La société Generali fait valoir que le voilier aurait été affecté d’un vice caché. L’hélice ayant été mal fixée, elle se serait décrochée ce qui aurait rendu le navire non man’uvrant. Subrogée dans les droits de la société Bleu Marine, elle agit contre son vendeur et contre le vendeur d’origine. Ces deux vendeurs, professionnels, sont réputés avoir eu connaissance du vice. Ils peuvent donc être tenus, outre la restitution du prix, à tous dommages-intérêts envers l’acheteur :

Article 1643 du Code civil, rédaction applicable à l’espèce :

Il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie.

Article 1644 :

Dans le cas des articles 1641 et 1643, l’acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu’elle sera arbitrée par experts.

Article 1645 :

Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur.

Article 1647 :

Si la chose qui avait des vices a péri par suite de sa mauvaise qualité, la perte est pour le vendeur, qui sera tenu envers l’acheteur à la restitution du prix et aux autres dédommagements expliqués dans les deux articles précédents.

Mais la perte arrivée par cas fortuit sera pour le compte de l’acheteur.

En l’espèce, l’expert a constaté que l’arbre de l’hélice ne présentait pas de trace de chocs ou de déformations pouvant amener à penser que la perte de l’hélice serait le résultat d’un choc. Ces constatations concordent avec les indications du navigateur qui a déclaré qu’il avait perdu toute propulsion alors que le moteur fonctionnait et était enclenché en avant lente.

Il apparaît ainsi que le navire a perdu son hélice alors qu’il se trouvait en mer, sans choc avec un objet flottant. Cette perte de l’hélice n’est pas non plus imputable aux chocs sur les rochers lors de l’échouage.

Le navire était très récent, près de six mois s’étant écoulé entre la vente à l’état neuf et l’accident. Il n’est pas contesté qu’il avait été livré hélice montée, la fixation de l’hélice ayant été réalisée dans le chantier du constructeur. Il n’est pas fait état d’un démontage de l’hélice, ou d’une intervention sur l’hélice, entre la date de la sortie du navire du chantier de la société Quorning et la date de l’accident.

Dans le cadre de l’expertise amiable qui a précédé l’expertise judiciaire, l’arbre d’hélice a été examiné par un laboratoire. Il est apparu que l’arbre en lui- même était conforme aux prescriptions normales de ce type de pièces mécaniques.

Il en résulte que la perte de l’hélice ne peut s’expliquer que par l’existence d’un vice affectant son système de fixation. Il importe peu de savoir comment la société Quorning a procédé, ou aurait dû procéder, pour fixer l’hélice : l’hélice a été perdue alors que cela ne devait pas arriver.

Même s’il s’agit d’un voilier, le système de propulsion par moteur lui est indispensable pour procéder à certaines man’uvres, tout particulièrement aux man’uvres dans les ports dans lesquels la navigation à la voile est le plus souvent interdite.

Le vice n’était pas apparent, était inhérent au navire et l’a rendu impropre à son usage de façon rédhibitoire. La société Quorning est tenue de le garantir.

Sur les conséquences du vice :

S’agissant d’un voilier, la perte de l’hélice est susceptible d’avoir des conséquences très différentes en fonction des circonstances.

En l’espèce, il apparaît que le navire regagnait le port du [5], empruntant pour ce faire un chenal d’accès. Il faisait route sensiblement au Nord Est, suivant le chenal. Le vent était d’une vitesse de 15 à 20 noeuds, soit près de 27 à 37 km/h. Il résulte de la carte annotée annexée à l’expertise judiciaire que le vent provenait sensiblement du Sud Ouest. Le navire sur sa route bénéficiait d’un vent portant mais le vent était orienté plus vers le Nord que cette route. Le vent poussait ainsi vers la côte et les rochers et non pas vers l’entrée du port.

Pour pouvoir enrouler la grand-voile, le navigateur, seul à bord, a démarré le moteur, embrayé en avant lente, a fait demi-tour pour se placer face au vent enclenchant le pilote automatique pour maintenir ce cap. Alors qu’il avait entrepris d’enrouler la grand-voile, il s’est aperçu que le navire ne tenait pas son cap et reculait. Après différents essais sur les commandes du moteur, il a constaté qu’il avait perdu le système de propulsion moteur.

Au vu de la carte présentée par l’expert, il apparaît que le navigateur a entamé sa man’uvre à hauteur de la bouée de chenal latérale bâbord n°4 de l’accès au port du [5]. Au vu du sens du vent, de sa force, et des distances séparant le début de la man’uvre de la zone d’échouage, le temps que le navigateur puisse se rendre compte du problème, le vent l’avait poussé sur la côte. Sa route résultant de la dérive due au vent le conduisait sur des rochers. Or, sans moteur, la voile d’avant étant enroulée et la grand voile étant à moitié enroulée, la configuration des lieux et la situation météorologique ne lui permettaient pas de disposer du temps nécessaire pour faire une route latérale ou de jeter l’ancre pour échapper à l’échouage. L’utilisation du propulseur d’étrave ne lui aurait permis que de faire pivoter le navire sensiblement sur lui-même, par exemple pour le placer perpendiculairement par rapport au sens du vent, mais pas de faire route pour échapper efficacement au danger, la grand-voile étant enroulée pour moitié.

Comme l’a retenu l’expert, au vu de ces circonstances particulières, l’échouage ne peut être imputé au navigateur et résulte uniquement de la perte du système de propulsion au moteur, et donc de la perte de l’hélice.

Sur le préjudice immatériel :

Seule la société Bleu Marine présentait en appel des demandes d’indemnisation au titre du préjudice immatériel. Comme il a été vu supra, ces demandes sont irrecevables.

Sur le préjudice matériel :

La société Generali, subrogée dans les droits de la société Bleu Marine, fonde sa demande sur la garantie des vices cachés. Elle demande le paiement d’une somme d’argent et non pas la résolution de la vente. Il s’agit donc d’une action estimatoire de paiement d’une restitution de prix outre dommages-intérêts.

La société Quorning a reçu le prix de vente du navire à la société Multisailing, soit la somme de 280.203 euros HT. La société Multisailing a reçu la somme de 326.380 euros HT. S’agissant de vendeurs professionnels, elles peuvent être condamnées, outre à la restitution du prix perçu, à des dommages-intérêts.

Le navire s’est retrouvé échoué à marée presque haute. Une intervention pour le déséchouer n’a pu être menée que le lendemain, les services de secours trouvant une intervention de nuit trop dangereuse.

Aucune aggravation du préjudice ne peut être imputée à la société Bleu Marine. L’aggravation éventuelle des dégâts au cours du temps passé par le navire sur les rochers forme un tout avec l’échouage lui-même.

Le navire était très récent et aucune vétusté ne doit être retenue dans l’évaluation du préjudice matériel.

L’expert judiciaire a évalué le préjudice matériel, y compris frais de sauvetage, à la somme de 242.199,47 euros HT. Cette évaluation a été établie au vu des factures de remise en état du navire.

Il n’y a pas lieu de distinguer sur quels éléments du navire les réparations ont été effectuées pour déterminer le plafond de garantie des vices cachés. Le navire livré par la société Multisailing, structures et diverses options, formait un tout.

La société Generali justifie avoir payé à la société Bleu Marine la somme de 242.979,47 euros et être subrogée dans les droits de son assurée.

Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Quorning à payer à la société Generali France la somme de 242.979,47 euros HT correspondant aux frais exposés au titre du sinistre, outre les intérêts au taux légal. Il sera ajouté que les intérêts dus pour une année seront capitalisés.

La société Multisailing, vendeur direct de la société Bleu Marine, est également tenue à cette somme.

La société GAN, assureur de la société Multisailing, demande à ce que sa garantie soit limitée en fonction des clauses du contrat la liant à la société Multisailing. Cette demande tend au rejet de la demande formée contre elle et n’est donc pas nouvelle en appel.

Le contrat liant la société GAN à son assuré, la société Multisailing, fait état d’un montant assuré de 160.000 euros par année d’assurance quel que soit le nombre des sinistre et d’une franchise par sinistre sur dommages matériels et immatériel de 10%. La société GAN ne fait pas état d’autre sinistres garantis au titre de l’année 2017. Au vu du montant du sinistre, même après déduction de la franchise, elle reste tenue à garantie pour 160.000 euros.

Il y a donc lieu de condamner solidairement les sociétés Multisailing, GAN et Quorning à payer à la société Generali la somme de 242.979,47 euros, la société GAN étant tenue solidairement à hauteur de seulement 160.000 euros.

La société Quorning, seule à l’origine du vice, sera tenue de garantir les sociétés Multisailing et GAN à hauteur de la totalité de cette somme.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de condamner la société Quorning Boat aux dépens d’appel et de rejeter les demandes formées au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

– Déclare irrecevables l’appel interjeté par la société Bleu Marine Loc ainsi que les demandes formées devant la cour dans son intérêt,

– Infirme le jugement en ce qu’il a :

– Débouté la société Generali France de ses demandes dirigées contre la société Multisailing et son assureur la société Gan,

– Condamné la seule société Quorning à payer à la société Generali France la somme de 242.979,47 euros HT correspondant aux frais exposés au titre du sinistre, outre les intérêts au taux légal,

– Confirme le jugement pour le surplus,

Statuant de nouveau et y ajoutant :

– Condamne solidairement les sociétés Multisailing MS2, Quorning Boat et GAN Assurances à payer à la société Generali la somme de 242.979,47 euros, étant précisé que la condamnation solidaire de la société GAN Assurances est limitée à la somme de 160.000 euros,

– Condamne la société Quorning Boat à garantir les sociétés Multisailing MS2 et GAN Assurances à hauteur de la totalité de la somme de 242.979,47 euros, outre intérêts de retard,

– Dit que les intérêts dus pour une année seront capitalisés,

– Rejette les autres demandes des parties,

– Condamne la société Quorning Boat aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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