Skipper : 28 mai 2020 Cour d’appel de Paris RG n° 19/03466

·

·

Skipper : 28 mai 2020 Cour d’appel de Paris RG n° 19/03466

28 mai 2020
Cour d’appel de Paris
RG
19/03466

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 2

ARRÊT DU 28 MAI 2020

(n° 2020 -120 , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/03466 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7J3S

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Novembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 17/01718

APPELANTS

Monsieur [F] [R]

Né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 8]

[Adresse 4]

[Localité 6]

ET

Madame [C] [R]

Née le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 9]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentés et assistés à l’audience de Me Alice ANTOINE, avocat au barreau de PARIS, toque : C0441

INTIMÉE

La SAS TERRES D’AVENTURE, prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 305 691 149 00143

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée et assistée à l’audience de Me Sonia ANGLIVIEL DE LA BEAUMELLE, avocat au barreau de PARIS, toque : B1046

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 06 Février 2020, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Cathy CESARO-PAUTROT, présidente de chambre

Madame Patricia LEFEVRE, conseillère

Madame Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Patricia LEFEVRE, conseillère

Greffière, lors des débats : Madame Fatima-Zohra AMARA

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Cathy CESARO-PAUTROT, présidente de chambre et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.

**************

Selon facture en date du 11 février 2015, M. [F] [R] et Mme [C] [R] ont acquis auprès de la société Terres d’aventure, sous la marque Grand Nord Grand Large, un forfait touristique intitulé Aux confins de l’Antarctique : la terre de Graham qui devait se dérouler du 5 janvier au 18 janvier 2016. Le prix de la prestation pour deux personnes, d’un montant de 17 102 euros comprenait le prix de la croisière en cabine double hublot à bord du Plancius ainsi que les conférences à bord du bateau, les excursions, l’assurance et les frais d’inscription.

Le 20 février 2015, l’agence de voyages a informé M. et Mme [R] que de façon à optimiser leur séjour en Argentine, elle avait ajouté une journée à la croisière (offerte) et qu’ils bénéficieraient d’une nuit d’hôtel à [Localité 11] à l’aller le 6 janvier et d’une nuit d’hôtel à [Localité 7] au retour, le 16 janvier et qu’ils reviendraient à [Localité 10], le 18 janvier.

La fiche technique de la croisière, mise à jour le 24 février 2015, leur a été adressée par un courriel du 2 mars 2015.

Selon facture en date du 3 mars 2015, le prix a été porté à 18 130 euros à la suite d’un ajout des taxes d’aéroport et des surcharges aériennes et à la majoration du coût de l’assurance.

Cent quatorze personnes se sont inscrites sur cette croisière, dont cinquante clients de la société Terres d’aventure et quatre de Voyageurs du monde.

L’embarquement à [Localité 11] programmé le 7 janvier en milieu d’après-midi a été reporté au lendemain matin, compte tenu des contraintes météorologiques défavorables. Les passagers ont embarqué le 8 janvier au matin. Le même jour, à la fin de la première conférence organisée sur le bateau, deux personnes dont une passagère d’un âge très avancé, Madame [X], et un membre de l’équipage ont fait une chute. Compte tenu de leurs blessures, le capitaine du Plancius a décidé de faire demi-tour et de ramener les deux blessés à [Localité 11] afin qu’ils soient hospitalisés.

Une fois de retour au port, les conditions météorologiques se sont considérablement dégradées et le passage du Drake était devenu dangereux rendant la navigation vers l’Antarctique difficilement réalisable.

Le 9 janvier 2016, la société Terres d’aventure a annulé le voyage et a proposé à l’ensemble des voyageurs présents sur le bateau un voyage alternatif aux îles Malouines et une remise de 50% sur le montant du voyage aux confins de l’Antarctique pour un départ prévu en 2017 ou 2018. Neuf passagers du bateau n’ont pas accepté cette proposition et ont débarqué pour rentrer chez eux ou faire une autre croisière.

Les époux [R] ont effectué la croisière aux îles Malouines.

Par courrier électronique du 13 janvier 2016, un groupe de voyageurs francophones, parmi lesquels M. et Mme [R], a adressé une réclamation au directeur de Terres d’aventure souhaitant le remboursement de 80% du prix de leur voyage ou une remise d’un même pourcentage, sur l’un des programmes du catalogue et ce sans limite dans le temps.

Selon courrier en date du 2 février 2016, M. et Mme [R] ont manifesté leur mécontentement quant à la modification du programme avant le départ et au changement de destination et ils ont réclamé le remboursement de 80% du total de leur facture.

Selon courrier du 15 février 2016, la société Terres d’aventure a étendu sa proposition de remise de 50% au choix d’un voyage sur une liste de trente croisières, valable cinq ans.

Le 1er avril 2016, la société Terres d’aventure a adressé un courrier recommandé explicatif à l’UFC Que Choisir qui avait formulé pour le compte de ses adhérents des demandes d’indemnisation.

Entre les mois de février 2016 et avril 2016, Grand Nord Grand large a signé avec dix-sept personnes un protocole transactionnel.

Par ailleurs, le médiateur du tourisme a été saisi.

Par acte-extra-judiciaire du 30 septembre 2016, M. et Mme [R] ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris la société Terres d’aventure aux fins de mise en oeuvre de sa responsabilité et d’indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement en date du 27 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Paris a débouté M. et Mme [R] de leurs prétentions, les a condamnés à payer à la société Terres d’aventure la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens et a rejeté toute autre demande.

La juridiction a notamment considéré qu’il n’y a pas lieu de statuer sur l’existence ou non d’une force majeure puisque les voyageurs ont accepté la croisière de remplacement proposée par l’agent de voyage, que les demandeurs n’établissent pas que cette solution leur a été imposée ni qu’ils aient dû se décider sans réflexion et dans l’urgence, et que dès lors, aucun des voyageurs n’a été contraint d’effectuer une croisière qu’il ne souhaitait pas faire. Elle a également indiqué que l’appréciation de l’intérêt des paysages des Iles Malouines est subjective, et que lorsqu’ils ont accepté d’aller aux Iles Malouines, les demandeurs savaient pertinemment que le voyage serait différent quant aux paysages qu’ils allaient rencontrer. Elle a ajouté les deux croisières avaient la même durée, le bateau était le même avec le même coût de fonctionnement en carburant, personnel, prestations de service, conférence, alimentation des passagers. Les frais de fonctionnement étaient donc identiques. La différence de prix entre les deux croisières n’est pas établie, le voyagiste ayant dû faire face à des frais supplémentaires…L’agence de voyage a rempli ses obligations en proposant à l’acheteur des prestations qu’il a acceptées en remplacement de celles qui n’ont pas été fournies et les demandeurs n’indiquent pas quelle autre possibilité était offerte au voyagiste, sauf en cas de refus des passagers, d’assurer le rapatriement des intéressés, ce qui n’a pas été demandé. Les demandeurs, qui n’établissent pas la faute de l’agence de voyages dans le cadre de la solution alternative proposée, ne peuvent qu’être déboutés de leurs prétentions.’

Le 14 février 2019 M. et Mme [R] ont interjeté appel et, aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 10 mai 2019, ils demandent à la cour, au visa des articles 561 et suivants du code de procédure civile, des articles L .211-13, L.211-15, R.211-11 du code du tourisme et 700 et 1153 du code de procédure civile de déclarer leur appel recevable et bien fondé, d’infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau de :

– dire que la société Terres d’aventure a, avant le départ manqué à son obligation d’information et de conseil lors de la modification d’un élément essentiel du contrat : le nombre de jours passés en Antarctique et en conséquence, de la condamner à leur payer la somme de 1 000 euros à chacun soit 2 000 euros au total en réparation de leur préjudice ;

– dire que la société Terres d’aventure a manqué à son obligation d’information et de conseil lors de la prétendue impossibilité d’exécution d’un élément essentiel au contrat : la réalisation de la croisière en Antarctique et en conséquence, de la condamner au paiement de la somme de 6 640 euros chacun soit la somme totale de 13 280 euros en réparation de leur préjudice matériel et de celle de 3 000 euros à chacun soit 6 000 euros au total en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de réelle proposition de retour lors de l’annulation du voyage et de la non-équivalence des prestations.

En tout état de cause, ils réclament la condamnation de la société Terres d’aventure à leur payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens et que l’intimée soit déboutée de ses demandes.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 31 juillet 2019 la société Terres d’aventure soutient, au visa des articles 16 et 444 du code de procédure civile, 1134 ancien du code civil et des articles R 211-13, R 211-6, L 211-15 et R 211-11 du code du tourisme et de l’article 202 du code de procédure civile, la confirmation du jugement entrepris et y ajoutant, la condamnation de M. et Mme [R] au paiement de la somme de 1 500 euros en application, à hauteur d’appel, de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

En premier lieu, les époux [R] prétendent qu’après la conclusion du contrat, la société Terres d’aventure a ramené à quatre jours, la durée du cabotage le long de la terre de Graham prévu du jour 6 au jour 10 soit 5 jours, ainsi qu’il ressort du programme détaillé qui leur avait été remis le 11 février 2015. Ils font valoir que par lettre du 20 février suivant, il leur a été annoncé qu’il était rajouté une journée à la croisière mais qu’à la lecture du programme envoyé le 2 mars 2015, ils ont constaté que la durée de l’expédition était inchangée et que le nombre de jours en antarctique était ramené à quatre jours. Ils estiment qu’il s’agit d’une modification d’un élément substantiel et ils reprochent à l’intimée une absence d’information quant à la possibilité qu’ils avaient alors, en application de l’article L. 211-13 du code du tourisme, de résilier sans frais le contrat. Ils contestent que les incertitudes évoquées dans la brochure qui visent l’itinéraire puissent être étendues à la durée du cabotage. Ils prétendent que le tribunal ne pouvait pas leur opposer les dispositions de l’article R 211-13 du code du tourisme qui se rapportent exclusivement aux prestations de transport aérien.

La société Terres d’aventure conteste toute modification du contrat préjudiciable à ses clients, elle précise que par le courrier litigieux, elle a effectivement et sans modification du prix allongé le séjour prévu du 5 au 17 janvier, selon la brochure 2014 remise aux époux [R] lors de leur souscription, en y ajoutant une journée supplémentaire à [Localité 7], après la croisière. Elle explique que M. et Mme [R] se sont inscrits en février 2015, pour un voyage de treize jours et sur la base de la brochure de l’année précédente, comprenant une fiche technique qui leur avait été adressée à leur demande et qu’ils ne produisent que partiellement. Elle fait valoir que, pour prétendre à une réduction de la durée le long de côte de l’antarctique, les appelants se réfèrent à la description de la croisière de l’année précédente (février 2015), ce qu’elle leur a d’ailleurs expliqué lorsqu’ils se sont présentés dans ses locaux. Elle ajoute qu’ainsi que le stipule la brochure il subsiste de nombreuses incertitudes concernant l’itinéraire et en déduit que le programme jour par jour ne peut pas constituer un élément essentiel du contrat à partir du moment où il n’est donné qu’à titre indicatif. Elle écarte tout préjudice, compte tenu de leur acceptation d’un changement de programme.

Ainsi que le soutiennent M. et Mme [R], les dispositions de l’article R.211-13 ancien du code du tourisme qui énonce que l’acheteur ne peut plus invoquer le bénéfice de la clause prévue au 20° de l’article R. 211-6 après que la prestation a été fournie sont inapplicables au présent litige puisque le texte visé se rapporte à la clause conventionnelle de résiliation et de remboursement sans pénalités des sommes versées par l’acheteur en cas de non-respect de l’obligation d’information prévue au 13° de l’article R. 211-4, soit l’information due pour chaque portion d’un transport aérien.

Le contrat de voyage à forfait a été conclu le 11 février 2015 au vu de la date de la facture produite aux débats par M. et Mme [R] qui porte mention d’un règlement le même jour d’un acompte de 5 985 euros. Il est précisé que les dates de départ (5 janvier) et de retour (18 janvier) de la croisière ANT502 intitulée Aux confins de l’antarctique et il ressort des explications de l’agence de voyages qu’elle avait remis à ses clients, le descriptif de cette croisière mis à jour, le 23 octobre 2014 dont l’exemplaire produit est d’ailleurs accompagné de la carte de visite de la responsable de l’agence. Selon ce descriptif, cette croisière de 14 jours comprend du JOUR 6 à JOUR 10 – Cabotage le long de la terre de Graham.

Pour avancer que l’achat d’une croisière du 5 au 17 janvier 2016, soit de treize jours et donc d’un cabotage de quatre jours, la société Terres d’aventure se prévaut des indications en page 9 (sur 12) du descriptif qui, sous le titre votre budget, précise les prix de la croisière du 1er au 14 février 2015 et de celle de la croisière du 5 au 17 janvier 2016.

Nonobstant le fait que rien ne vient attirer l’attention du client sur le fait que le descriptif du voyage ne serait que celui de la croisière de l’année 2015, l’accord des parties concrétisé, le 11 février 2015, par l’émission d’une facture et le paiement d’un acompte a porté, selon cette facture, sur une croisière du 5 au 18 janvier soit de 14 jours et selon le descriptif remis aux clients, un voyage de cette durée comprenant un cabotage de cinq jours en antarctique.

La réduction de cinq à quatre jours de la durée du séjour sur le site de destination qui ressort du programme adressé à M. et Mme [R] en mars 2015 constitue la modification d’un élément essentiel du contrat qui, en application de l’article L. 211-13 (dans sa version issue de la loi 2009-888 du 22 juillet 2009) du code du tourisme, oblige le voyagiste à en avertir l’acheteur et informer ce dernier de la faculté dont il dispose soit de résilier le contrat, soit d’accepter la modification proposée. Ce texte précise que cet avertissement et cette information doivent être confirmés par écrit à l’acheteur qui doit faire connaître son choix dans les meilleurs délais.

Or, ainsi qu’elle l’explique dans ses écritures (page 8 et 9), la société Terres d’aventure a tout au contraire, lorsqu’elle a été contactée par M. et Mme [R] à réception du nouveau programme, nié tout changement et affirmé à ses clients qu’ils avaient acheté une croisière de 13 jours et que le programme était donné à titre indicatif. Elle invoque, pour ce faire, l’article figurant en page 2 du descriptif ainsi rédigé :

IMPORTANT ITINÉRAIRE :

Ce programme permet de découvrir la péninsule antarctique (…) pour retourner sur les traces de [J] [T] (…) Les débarquements ont lieu sur les sites visités par Chariot (…) Cependant pour ce séjour, il subsiste de nombreuses incertitudes concernant l’itinéraire. Celui que nous vous communiquons doit servir à donner une idée du voyage et des escales. Nous ne proposons pas de descriptif précis car l’itinéraire est complètement dépendant des conditions météorologiques. D’autre part, les Tours Opérateurs membres de l’association IAATO, harmonisent les lieux d’escale en début de saison de façon à ne pas trouver 2 bateaux sur le même site, au même moment.

La société Terres d’aventure dénature ainsi la convention : les stipulations dont elle se prévaut se rapportent non au programme ou à la durée du cabotage le long de la terre de Graham, mais à son itinéraire (c’est à dire le chemin pour se rendre d’un lieu à un autre).

La société Terres d’aventure ne justifie pas, en contravention aux dispositions légales susmentionnées, avoir informé ses clients de leur faculté de résilier le contrat, sans frais ni indemnité, alors qu’elle leur devait cette information ainsi que sa confirmation écrite avant de recueillir leur accord sur la modification proposée. Du fait de ce manquement contractuel, M. et Mme [R] ont été privés, dix mois avant la date prévue du départ, d’une chance de résilier le contrat et d’acquérir, auprès d’un autre voyagiste, une croisière conforme à leur choix ; cette perte est à l’origine d’un préjudice moral qui sera réparé par l’allocation de dommages et intérêts à hauteur de 500 euros à chacun.

En second lieu, après avoir rappelé les dispositions des articles L. 211-15 et R. 211-15 du code du tourisme, les époux [R] prétendent qu’ils ont été contraints d’accepter, dans l’urgence, la croisière alternative proposée par la société Terres d’aventure sans que celle-ci ne les informent qu’ils avaient la possibilité de refuser la prestation proposée et de rentrer chez eux, sans frais. Ils réclament aux termes du dispositif de leurs écritures, chacun, la somme de 6 640 euros correspondant à 80% du coût de leur voyage hors vol ainsi que la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de réelle proposition de retour lors de l’annulation du voyage et de la non-équivalence des prestations fournies.

La société Terres d’aventure relève que les appelants ne lui imputent plus à faute, l’annulation de la croisière vers l’antarctique. Elle fait valoir qu’elle a respecté les dispositions de l’article L. 211-15 du code du tourisme en proposant un voyage de substitution, qui a d’ailleurs été accepté en connaissance de cause, ainsi qu’en atteste un autre client, M. [D] et que Mme [H] avait d’ailleurs été dépêchée, en Argentine, pour gérer les éventuels retours. Elle soutient que ses clients avaient, par avance, accepté l’aléa lié aux conditions météorologiques susceptibles d’entraîner des modifications du voyage. Elle reprend à ce titre les stipulations du programme relatives à l’itinéraire. Enfin, elle dit avoir respecté à la lettre ses obligations et ajoute, que bien qu’elle ait bien proposé le rapatriement ainsi qu’en atteste M. [D], elle n’y était pas obligée avant d’avoir un refus des voyageurs sur le voyage de substitution, dès lors qu’à la lecture attentive de l’article L. 211-15 du code du tourisme, lorsqu’après le départ, l’un des éléments essentiels du contrat ne peut être exécuté, il est imposé aux agents de voyage de proposer aux voyageurs des prestations en remplacement. Et ce n’est qu’en cas de refus (… qu’elle) a l’obligation de lui procurer des titres de transport nécessaires à son retour.

L’article L. 211-15 (dans sa version applicable jusqu’aux contrats conclus avant le 1er juillet 2018) énonce :

Lorsque, après le départ, un des éléments essentiels du contrat ne peut être exécuté, le vendeur doit, sauf impossibilité dûment justifiée, proposer à l’acheteur des prestations en remplacement de celles qui ne sont pas fournies. Le vendeur prend à sa charge les suppléments de prix qui en résultent ou rembourse la différence de prix entre les prestations prévues et fournies. Si l’acheteur n’accepte pas la modification proposée, le vendeur doit lui procurer les titres de transport nécessaires à son retour, sans préjudice des dommages et intérêts auxquels l’acheteur pourrait prétendre.

L’article R. 211-11 dispose : Lorsque, après le départ de l’acheteur, le vendeur se trouve dans l’impossibilité de fournir une part prépondérante des services prévus au contrat représentant un pourcentage non négligeable du prix honoré par l’acheteur, le vendeur doit immédiatement prendre les dispositions suivantes sans préjuger des recours en réparation pour dommages éventuellement subis :

-soit proposer des prestations en remplacement des prestations prévues en supportant éventuellement tout supplément de prix et, si les prestations acceptées par l’acheteur sont de qualité inférieure, le vendeur doit lui rembourser, dès son retour, la différence de prix

-soit, s’il ne peut proposer aucune prestation de remplacement ou si celles-ci sont refusées par l’acheteur pour des motifs valables, fournir à l’acheteur, sans supplément de prix, des titres de transport pour assurer son retour dans des conditions pouvant être jugées équivalentes vers le lieu de départ ou vers un autre lieu accepté par les deux parties.

Il s’ensuit que le contrat de vente est, selon que l’acquéreur accepte ou non les prestations de remplacement, modifié et se poursuit selon la nouvelle convention des parties ou résilié et le voyagiste a alors l’obligation de rapatrier son cocontractant, à ses frais.

Dans la mesure où ainsi que le prévoit la loi, la modification des prestations doit être acceptée par l’acquéreur, le vendeur professionnel est tenu à son égard à une obligation d’information sur les conséquences de son éventuel refus tant sur les conditions de son rapatriement que sur les conséquences de la résiliation du contrat alors qu’en vertu de l’article R 211-11, les recours en responsabilité du client sont préservés.

En l’espèce, la société Terres d’aventure a été confrontée à des événements extérieurs qui se sont imposés à elle, en l’occurrence la nécessité d’un retour au port de départ pour débarquer une passagère et un membre de l’équipage blessés afin qu’ils soient hospitalisés et des conditions météorologiques rendant périlleuse voire impossible la traversée du passage du Drake qui sépare l’Argentine de l’antarctique.

La société Terres d’aventure a alors proposé de remplacer par une croisière aux Malouines le cabotage le long de la Terre de Graham ‘sur les traces du commandant [T]’, destination de la croisière et qui à ce titre, constituait la part prépondérante des prestations, ainsi qu’il ressort de l’intitulé de la croisière ‘Aux confins de l’Antarctique’, de la reproduction de la seule péninsule antarctique sur le programme de présentation, et des termes laudatifs de ce programme lorsqu’il vante les paysages, le relief digne des montagnes européennes avec des sommets de plus de 3 000 mètres, la dérive des icebergs, le spectacle son et lumière des pans de glace qui se détachent, et la faune ( observation des pétrels géants, des manchots papou, à jugulaire et Adélie, des baleines et orques).

La société Terres d’aventure ne peut pas comme, elle le fait désormais, prétendre qu’il s’agirait d’une modification d’itinéraire acceptée par avance par les passagers eu égard aux stipulations du programme sous le titre IMPORTANT ITINÉRAIRE (rappelées ci-dessous) alors qu’elle modifie la destination de la croisière et non l’itinéraire de celle-ci.

Cette proposition s’est matérialisée par un courriel adressé par GNGV aux participants, le 9 janvier à 15 heures. Il est écrit : ces deux cas de force majeure (l’accident d’une passagère et les conditions climatiques) nous poussent donc à vous proposer une alternative au voyage initialement prévu. En voici le détail (suit la description de la nouvelle croisière). En complément de ce voyage alternatif, nous nous engageons à vous faire bénéficier d’une réduction de 50% sur le montant du voyage, Aux confins de l’antarctique si vous décidez de vous inscrire sur nos départs de 2017 ou 2018. Nous vous remercions de votre compréhension face à ce cas de force majeure et nous vous souhaitons une bonne fin de voyages en Amérique du sud.

Il n’est pas fait allusion dans ce courriel à un rapatriement en cas de refus et à ses conditions et la société Terres d’aventure insiste à deux reprises sur le fait qu’elle est confrontée à un cas de force majeure, qualification dont elle ne pouvait pas ignorer qu’elle était inadéquate s’agissant de la chute d’une passagère, âgée, déséquilibrée par la houle lors de la traversée d’un passage réputé pour ses vents violents ou de conditions météorologiques dégradées, qui sont d’ailleurs décrites en page 4 du programme de présentation de la croisière.

Dans son courriel du 10 février 2016 (la pièce 9-4 des appelants), lorsqu’elle a répondu de manière circonstanciée au courrier de l’association UFC Que choisir, la société Terres d’aventure reprend la proposition susmentionnée, sans faire allusion à la moindre information quant à la possibilité et aux conditions d’un rapatriement. Dans le courriel, il est fait état de la nécessité d’agir vite, nous ne disposions que de deux heures car les autorités portuaires menaçaient à nouveau de fermer le port pour des raisons de sécurité.

Le membre du personnel de bord, M. [Y], qui témoigne en faveur de la société Terres d’aventure, fait état uniquement de la proposition d’une alternative à la croisière initialement prévue et à des échanges téléphoniques de certains clients avec un dirigeant de Terres d’aventure. Comme M. [S], il n’évoque pas une information sur les conditions d’un rapatriement, et encore moins le rapatriement avec remboursement intégral de la croisière dont atteste M. [L] [D], proposition que l’intimée ne reprend pas, du reste, dans ses écritures. De surcroît, il ne résulte pas de l’attestation de ce témoin une proposition à l’ensemble des passagers au regard du paragraphe qui commence par Mon épouse et moi. En d’autres termes, M. [D] n’atteste que des propositions qui lui ont été faites, ainsi qu’à son épouse, sans qu’il puisse en être déduit qu’elles ont été faites à d’autres passagers et notamment aux appelants.

Enfin, l’analyse que la société Terres d’aventure fait des obligations de l’agent de voyage prévues à l’article L. 211-15 du code du tourisme vient conforter le constat d’une absence de preuve d’une information sur les conditions d’un éventuel rapatriement puisqu’elle estime que le code du tourisme ne dit pas que l’agent de voyages doit proposer un voyage de substitution ou un retour sans frais mais l’un soit l’autre s’il n’est pas possible de proposer une alternative.

Il convient d’ajouter que le contexte de précipitation, dont fait état la société Terres d’aventure dans son courriel du 10 février 2016, lui imposait de fournir à ses cocontractants l’intégralité des éléments leur permettant d’accepter en parfaite connaissance de cause et dans un laps de temps restreint le voyage proposé d’autant que ceux-ci se trouvaient dans une région éloignée du monde, à bord d’un bateau dans un port qui menaçait de fermer et sans réelle possibilité de s’informer ou de prendre conseil auprès de personne tierce.

Ainsi, l’intimée ne démontre qu’elle a loyalement exécuté ses obligations notamment en ce qui concerne la délivrance d’une information exhaustive sur les obligations qui étaient les siennes en raison de l’annulation de la croisière en antarctique, puisqu’elle ne justifie pas d’avoir informé ses cocontractants des conséquences de leur refus des prestations de remplacement, et ce, dans le contexte ci-dessus exposé.

Ce faisant, elle est directement à l’origine d’un préjudice subi par les époux [R], lesquels font valoir, que s’ils avaient disposé d’un délai raisonnable et avaient été avertis qu’ils pouvaient rentrer chez eux sans frais, ils n’auraient jamais accepté d’aller aux Malouines.

En troisième lieu, M. et Mme [R] soutiennent qu’il n’y a pas d’équivalence entre les prestations fournies en remplacement du voyage contractuellement prévu. Ils mettent en avant l’intérêt de la croisière achetée, vers un site unique au monde, sauvage et inhabité et en reprennent la description dans le dépliant de la société Terres d’aventure, la moindre durée de la croisière réduite à quatre jours et son moindre coût. A ce titre, ils réclament l’indemnisation d’un préjudice, qu’ils qualifient dans le corps de leurs écritures de moral.

La société Terres d’aventure rétorque que la destination proposée était de qualité et que l’archipel des Malouines comporte près de sept cents îles et îlots peuplés d’une faune abondante et variée. Elle en veut pour preuve le contenu du questionnaire de qualité remis en fin de séjour par M. et Mme [D] et les attestations d’autres voyageurs. Elle qualifie d’extravagantes les réclamations pécuniaires des appelants.

L’article L. 211-15 du code du tourisme impose, au voyagiste, après le départ, de fournir des prestations de remplacement et non des prestations équivalentes, ce qui ressort d’ailleurs de l’obligation qui lui est faite de supporter d’éventuels suppléments de prix ou de rembourser la différence de prix entre les prestations prévues et fournies. Dès lors, sauf à indemniser plusieurs fois le préjudice subi par M. et Mme [R] du fait d’un défaut d’information qui les a privés de la possibilité de résilier le contrat en refusant la croisière de substitution, il leur appartient de prouver une différence de prix entre la croisière en antarctique et celle à laquelle ils ont participé. Leur demande au titre d’un défaut d’équivalence des prestations (lié à la spécificité des paysages et faunes des deux destinations ou à un nombre moindre de débarquement) ne peut pas prospérer dans la mesure où ils pouvaient apprécier, sans information complémentaire, l’intérêt pour eux de ce voyage de substitution.

Comme le relève la société Terres d’aventure, la croisière s’est poursuivie ainsi qu’il ressort du journal de bord (la pièce 22 des appelants), après une traversée en mer les 9 et 10 janvier, du 11 au 14 janvier 2016 soit durant quatre jours et il n’est pas contesté que les passagers ont bénéficié à bord, des prestations prévues (restauration, conférences etc).

M. et Mme [R] ne produisent aux débats aucun document probant de nature à établir une différence de prix entre les deux destinations. En effet, le programme détaillé de la croisière aux Malouines qu’ils évoquent (la pièce 25 de l’intimée) permet de constater qu’il s’agit d’une croisière sur un voilier de 19 mètres avec un skipper secondé par une personne, sans la moindre prestation hôtelière, les passagers devant participer aux tâches ménagères et aux manoeuvres. A défaut de pertinence, cet élément de comparaison est inopérant.

Il convient de rappeler que M. et Mme [R] réclament, le remboursement de 80% du prix de la croisière (hors vol et suppléments) au motif, que loyalement informés, ils n’auraient pas accepté d’aller aux Malouines ainsi que la somme de 3 000 euros (chacun) au titre d’un préjudice moral, pour réparer l’absence de réelle proposition de retour et la non-équivalence des prestations.

Certes et ainsi qu’en attestent leurs proches, M. et Mme [R] rêvaient de ce voyage en antarctique mais il ne peut pas être retenu comme certain ou quasi-certain, que mieux informés et dans le laps de temps dont ils disposaient pour accepter ou non la proposition de l’agence de voyages, ils auraient interrompu leur voyage et débarqué. Dès lors, il ne peut pas être retenu le taux de 80% proposé et il leur sera alloué à chacun la somme de 2500 euros à titre de dommages et intérêts, qui correspond à un peu plus de 30% du coût de la croisière ;

En revanche, leur demande formulée au titre du préjudice moral ne peut pas prospérer puisqu’elle tend à la réparation indifférenciée de deux chefs de préjudice distincts, dont un est écarté par la cour.

Les condamnations prononcées en première instance au titre des dépens et frais irrépétibles seront infirmées ; la société Terres d’aventure sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer une indemnité au titre des frais exposés par  M. et Mme [R] pour assurer leur défense en première instance et devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe

Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 27 novembre 2018 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Terres d’aventure à payer à M. [F] [R] et Mme [C] [R] :

– la somme de 500 euros à chacun, soit 1 000 euros au total en réparation du préjudice consécutif au défaut d’information à l’occasion de la modification du contrat, avant le départ ;

– la somme de 2 500 euros à chacun, soit 5 000 euros au total en réparation du préjudice consécutif au défaut d’information à l’occasion de la modification du contrat, après le départ ;

Déboute M. et Mme [R] de leurs autres demandes ;

Condamne la société Terres d’aventure à payer à M. [F] [R] et Mme [C] [R] la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Terres d’aventure aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x