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Un auto-entrepreneur a obtenu la requalification en un contrat à durée indéterminée de sa relation contractuelle avec la société VEAT.
Il est établi à travers l’ensemble de ces éléments que l’intéressé était parfaitement intégré aux équipes de la société VEAT et assumait aussi à compter de 2016 des fonctions managériales et de gestion sans lien avec les supposées prestations informatiques facturées, sachant que la société VEAT prétend qu’elle l’a simplement autorisé à s’installer dans les locaux pour réaliser ses propres travaux mais ne produit aucune pièce pour étayer ses dires.
Par ailleurs, ainsi qu’il est allégué par l’appelant, il résulte des nombreux messages produits, et plus particulièrement de ceux qui suivent que l’appelant exécutait les tâches confiées par M. [D] suivant les directives parfois strictes et comminatoires de ce dernier qui par ailleurs lui demandait des comptes sur l’organisation de son temps de travail, ce qui relève de l’exercice par M. [D] d’un pouvoir de direction sur l’intéressé.
L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. Il appartient toutefois à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence.
Ainsi, si, selon l’article L. 8221-6-1 du code du travail, la présomption légale de non-salariat vise notamment les personnes sous le statut d’auto-entrepreneur, elle peut cependant être renversée par celui qui entend se prévaloir d’un contrat de travail, s’il établit qu’il fournit directement des prestations au donneur d’ordre dans des conditions qui le placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci, dès lors qu’il exécute cette mission sans aucune indépendance dans l’organisation, obéissant aux ordres et directives du donneur d’ordre.
Le lien de subordination est notamment caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
En vertu de l’article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Aux termes de l’article L. 8221-6 du même code, lorsque l’existence d’un contrat de travail est établi comme au cas d’espèce entre l’auto entrepreneur et le donneur d’ordre, la dissimulation d’emploi salarié est établie si le donneur d’ordre s’est soustrait intentionnellement par ce moyen à l’accomplissement des obligations incombant à l’employeur mentionnées dispositions susvisées.
En application de l’article L. 8223-1 dudit code, l’employeur ayant recours à toutes formes de travail dissimulé devra verser au salarié une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, en cas de rupture de la relation de travail.
Il résulte de ce qui a été précédemment statué que sous couvert de son statut d’auto entrepreneur, la société VEAT a employé l’appelant entre janvier 2015 et novembre 2017 en tant que salarié sans jamais procéder à l’accomplissement des formalités d’embauche et déclarations visées à l’article L. 8221-5 susvisé alors que son dirigeant s’est comporté à son égard comme un véritable employeur.
S’il résulte de certains messages que l’emploi de M. [J] par un détournement du statut d’auto entrepreneur résulte d’une concertation entre les associés de la société VEAT et l’appelant qui avait aussi exprimé le souhait dès 2014 de limiter l’incidence fiscale de son activité au profit de l’intimée, cela n’exonère en rien cette dernière en sa qualité d’employeur de sa responsabilité pour avoir volontairement omis de se soumettre à l’obligation légale qui était la sienne d’accomplir une déclaration d’embauche et les déclarations de salaire de M. [J], et ce d’autant plus qu’elle n’a pas jugé utile de régulariser la situation avant novembre 2017 et ce de manière partielle, alors que la relation contractuelle initiale a rapidement évolué, au vu des éléments relevés plus haut qu’elle ne pouvait ignorer, vers une relation salariée sous la subordination permanente de son dirigeant.
Au regard des salaires perçus par l’appelant, en ce compris les primes inclues dans le salaire brut et les sommes reçues au cours de cette période sous couvert des facturations mensuelles résiduelles qui ne constituaient en réalité qu’un versement déguisé de complément de salaire, il convient de condamner la société VEAT à verser à l’appelant une indemnité de 22 746,36 euros.
ARRÊT DU
30 Juin 2023
N° 1040/23
N° RG 21/01951 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T6LV
MLBR/AL
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lille
en date du
20 Octobre 2021
(RG F19/00081 -section )
GROSSE :
Aux avocats
le 30 Juin 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [F] [J]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Virgile AMAUDRIC DU CHAFFAUT, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A.S. VOUS ETES AU TOP
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Jonathan BELLAICHE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Séverine STIEVENARD
DÉBATS : à l’audience publique du 11 Avril 2023
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21 Mars 2023
EXPOSÉ DU LITIGE’:
La SAS Vous êtes au Top (ci-après dénommée la société VEAT) est spécialisée dans la création de site internet, applications extranet, intranet et internet ainsi que dans le référencement de sites existants.
Elle a notamment crée le site internet «’www.jerecuperemonex.com’» (JRME).
Dans le but de continuer à se développer et à attirer des clients potentiels, la société VEAT a décidé d’avoir recours au système dit «’d’affiliation’» lequel permet selon diverses méthodes de rediriger le visiteur depuis un site ou un blog vers son propre site internet afin de favoriser l’achat des produits vendus sur celui-ci.
En juin 2014, M. [F] [J] a commencé à travailler avec la société VEAT sous le statut d’auto entrepreneur, étant éditeur avec M. [N] de blogs permettant la mise en oeuvre du système d’affiliations au profit du site JMRE, moyennant rémunération versée sur factures.
Le 13 octobre 2017, M. [N] et M. [J] ont créé un nouveau site internet «’rupture-positive.fr’» (site RP).
A compter du 1er novembre 2017, M. [J] a été embauché en qualité de directeur général de la société VEAT tout en conservant son statut d’auto entrepreneur et après être devenu associé de la société en octobre 2017. Aucun contrat de travail n’a cependant été signé.
Le 4 mai 2018, lui et M. [N] ont créé un nouveau site internet, «’seduction-positive.fr’» (site SP), celui-ci n’étant pas lié au système d’affiliation vers JMRE.
Après une mise à pied à titre conservatoire à compter du 13 septembre 2018 et un entretien préalable qui s’est tenu le 1er octobre 2018, la société VEAT a notifié à
M. [J] par courrier recommandé du 4 octobre 2018 son licenciement pour faute grave lui reprochant en substance des actes de concurrence déloyale et parasitaires, à travers les sites ‘séduction-positive’ et ‘rupture-positive’, ainsi que l’emploi d’un de ses salariés pour la réalisation de tâches intéressant le site ‘séduction-positive’.
Par requête du 24 janvier 2019, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille afin notamment de voir reconnaître son statut de salarié dès juillet 2014, de contester son licenciement et d’obtenir diverses indemnités au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.
Par jugement contradictoire du 20 octobre 2021, le conseil de prud’hommes de Lille a’notamment :
– dit que la faute grave est fondée,
– débouté M. [J] de sa demande de requalification de son statut d’autoentrepreneur en contrat à durée indéterminée,
– débouté le demandeur de l’intégralité de ses demandes liées à la non-requalification de son statut d’autoentrepreneur, de sa demande de remboursement de frais, et de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,
– débouté la société VEAT de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de loyauté et de confidentialité et de sa demande à titre de remboursement de sommes indûment perçues,
– dit que la destruction des fichiers de la société en possession du demandeur n’est pas de son ressort,
– débouté le demandeur de sa demande reconventionnelle,
– condamné l’employeur aux éventuels dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 12 novembre 2021, M. [J] a interjeté appel du jugement rendu sauf en ce qu’il a débouté la société VEAT de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de loyauté et de confidentialité et de sa demande à titre de remboursement de sommes indûment perçues, en ce qu’il a dit que la destruction des fichiers de la société en possession du demandeur n’est pas de son ressort, débouté le demandeur de sa demande reconventionnelle, et en ce qu’il a condamné la société VEAT aux dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées le 8 février 2023 auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [J] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société VEAT de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de loyauté et de confidentialité et de sa demande à titre de remboursement de sommes indûment perçues, de l’infirmer pour le surplus et statuant à nouveau, de’:
Sur ses demandes,
– juger que la société VEAT l’a employé dans des conditions de travail dissimulé dès juillet 2014, et en tout état de cause pour le moins à compter de novembre 2017,
– juger qu’il devait bénéficier de la qualification de cadre et de la position 3.1 coefficient 170 et conséquemment du salaire minimum conventionnel associé à cette qualification,
– fixer son salaire de référence à la somme de 4 226,08 euros et son ancienneté à 6 ans,
– juger prescrits au sens de l’article L. 1332-4 du code du travail, les fais invoqués par la société VEAT à l’appui du licenciement pour faute grave,
En tout état de cause,
– constater que les faits invoqués à l’appui du licenciement pour faute grave ont déjà été tolérés par le passé par la société VEAT,
– juger que les faits invoqués à l’appui du licenciement pour faute grave ne sont intrinsèquement pas fautifs,
– juger qu’en licenciant pour faute grave, la société VEAT s’est prévalue de sa propre turpitude,
– juger que son licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamner la société VEAT à lui payer les sommes suivantes’:
*25 356,48 euros net au titre du travail dissimulé,
*12 678,24 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 267,82 euros au titre des congés payés y afférents,
*8 452,16 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
*29 582,56 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*4 226,08 euros à titre d’indemnité de requalification,
*4 074,56 euros bruts à titre de rappel de salaire de janvier 2016 à octobre 2017,
*2 931,56 euros bruts à titre de rappel de salaire du 13 septembre 2018 au 4 octobre 2018,
*3 881 euros net à titre de rappel de salaire d’août et septembre 2018,
*4 106,52 euros à titre de rappel de congés payés du 1er juin 2015 au 31 mai 2016,
*4 106,52 euros à titre de rappel de congés payés du 1er juin 2016 au 31 mai 2017,
*5913 euros à titre de rappel de congés payés du 1er juin 2017 au 30 septembre 2018,
*6 869 euros net à titre de remboursement de frais,
*5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
– ordonner à la société VEAT de lui remettre, sous astreinte de 50 euros par jour et par document de retard, dans un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, les documents suivants, rectifiés conformément au jugement à intervenir’:
*l’intégralité de ses bulletins de paie de janvier 2016 à septembre 2018 inclus, incluant notamment la rémunération non déclarée aux organismes sociaux de la société VEAT qui lui a été versée sous couvert de son statut d’autoentrepreneur,
*les trois documents de fin de contrat à savoir son certificat de travail, son solde de tout compte, et son attestation pôle emploi rectifiés conformément à la décision à intervenir,
– juger que la cour de céans se réservera la liquidation de l’astreinte,
sur les demandes reconventionnelles de la société VEAT,
– constater que les prétendus faits motivant la demande reconventionnelle de la défenderesse sont postérieurs à la rupture du contrat de travail,
– constater qu’aucun contrat de travail écrit ne lui a été soumis et qu’il n’était donc pas soumis à une clause d’exclusivité ou de non-concurrence,
– juger que la cour de céans est incompétente pour juger, en l’état, de la demande reconventionnelle soulevée par la société VEAT,
A titre subsidiaire,
– constater qu’aucun contrat de travail écrit ne lui a été soumis et qu’il n’était donc pas soumis à une clause d’exclusivité ou de non-concurrence,
– constater que le site «’seductionpositive.fr n’était pas en concurrence avec le site «’jerecuperemonex.com’»,
– constater que la défenderesse ne motive ni ne justifie le quantum de ses demandes reconventionnelles,
– juger que les prétendus faits motivant la demande reconventionnelle de la défenderesse auraient été commis antérieurement à la rupture du contrat de travail, ne sont pas fautifs mais relèvent de l’exécution normale de ses fonctions,
– débouter la société VEAT de l’intégralité de ses demandes à titre reconventionnelle,
En tout état de cause,
– condamner la société VEAT à lui payer la somme de 12 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens ainsi qu’à l’intégralité des frais et émoluments liés à une éventuelle exécution par voie d’huissier de justice de la décision à intervenir et en particulier tout droit au recouvrement ou d’encaissement.
Dans ses dernières conclusions déposées le 14 octobre 2022 auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société VEAT demande à la cour de’la recevoir en son appel incident et de :
A titre principal,
– déclarer irrecevables les demandes de M. [J] relatives à une requalification de son statut d’autoentrepreneur en contrat de travail à durée indéterminée et celles subséquentes notamment rappel de salaire, de congés payés, d’ancienneté, de coefficient, d’indemnité de requalification,
– confirmer le jugement rendu pour le surplus,
A titre subsidiaire,
– confirmer le jugement en ce qu’il a dit la faute grave fondée, débouté M. [J] de sa demande de requalification de son statut d’autoentrepreneur en contrat à durée indéterminée et de l’intégralité de ses demandes liées à la non-requalification de son statut d’autoentrepreneur, débouté M. [J] de sa demande de remboursement de frais et de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,
A titre infiniment subsidiaire,
– fixer le salaire de référence à la somme de 2 567,55 euros ou à titre infiniment subsidiaire à la somme de 3 320,53 euros,
Sur les demandes subséquentes à la demande de requalification,
– fixé l’ancienneté de M. [J] à 4 ans,
– limiter le montant des condamnations aux sommes suivantes’:
*2 567,55 euros à titre d’indemnité de requalification, et à titre subsidiaire 3 320,53 euros,
*808,77 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés allant de janvier à mai 2016,
*1 941,06 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés pour la période allant du 1er juin 2016 au 31 mai 2017,
*817,07 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés pour la période allant du 1er juin 2017 au 1er novembre 2017,
– débouté M. [J] du surplus de ses demandes,
Sur la rupture en cas de non-requalification,
– limiter le montant des condamnations aux sommes suivantes’:
*1 760,56 euros à titre de rappel de salaire de la période de mise à pied conservatoire,
*7 702,65 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 770,26 euros de congés payés y afférents, et à titre infiniment subsidiaire, 9 961,59 euros outre 996,16 euros de congés,
*784,53 euros à titre d’indemnité de licenciement et à titre infiniment subsidiaire,
1 014,60 euros,
*1 euro à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– débouter M. [J] du surplus de ses demandes,
Sur la rupture en cas de requalification,
– limiter le montant des condamnations aux sommes suivantes’:
*1 760,56 euros à titre de rappel de salaire de la période de mise à pied conservatoire,
*7 702,65 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 770,26 euros de congés payés y afférents, et à titre infiniment subsidiaire, 9 961,59 euros outre 996,16 euros de congés,
*3 423,40 euros à titre d’indemnité de licenciement et à titre infiniment subsidiaire,
4 427,37 euros,
*7 702′,65 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– débouter M. [J] du surplus de ses demandes,
En tout état de cause,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de loyauté et de confidentialité et de sa demande à titre de remboursement de sommes indûment perçues, en ce qu’il a dit que la destruction des fichiers de la société en possession du demander n’est pas de son ressort, l’a déboutée de sa demandeur reconventionnelle et l’a condamnée aux dépens,
Statuant à nouveau,
– déclarer irrecevable la demande de M. [J] tendant à juger que la cour de céans est incompétente pour juger de la demande reconventionnelle qu’elle soulève,
– déclarer sa demande reconventionnelle recevable,
– condamner M. [J] à lui payer la somme de 525 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de loyauté et de confidentialité,
-condamner M. [J] à lui payer la somme de 37 988,12 euros à titre de remboursement des sommes indûment perçues,
– condamner M. [J] à détruire tous les fichiers de la société encore en sa possession sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir,
– condamner M. [J] à lui payer la somme de 12 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et le condamner aux dépens,
-débouter M. [J] de l’ensemble de ses demandes.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION’:
– sur la requalification de la relation contractuelle :
M. [J] sollicite la requalification en un contrat à durée indéterminée de sa relation contractuelle avec la société VEAT pour la période comprise entre juin 2014 et octobre 2017, période pendant laquelle il soutient qu’elle l’aurait employé sous couvert de son statut d’auto entrepreneur.
En réponse aux moyens adverses, il conteste d’abord que sa demande soit prescrite, rappelant qu’en ce domaine, la prescription quinquennale ne commence à courir qu’au jour où la relation contractuelle dont il est demandé la requalification a pris fin, soit au jour de son licenciement ou au plus tôt en octobre 2017, lorsqu’il a exigé la régularisation de la situation par la conclusion d’un contrat de travail.
Faisant valoir qu’il a travaillé sans discontinuer et uniquement au profit de la société VEAT d’abord sous le statut de stagiaire puis entre juin 2014 et octobre 2017 sous couvert d’auto entreprenariat, et enfin sous la double casquette d’auto entrepreneur et de salarié à partir de novembre 2017, l’appelant prétend en s’appuyant sur de nombreux courriels et des attestations d’autres employés ou stagiaires, que :
– il n’a cessé en réalité d’être sous la subordination juridique de la société VEAT dont le dirigeant, M. [D], lui donnait des instructions, contrôlait voir critiquait son travail, et lui fixait son temps de travail et ses jours de repos,
– il a pleinement été intégré à l’équipe de travail de la société VEAT au sein des locaux, apparaissant dès le départ dans l’organigramme hierarchique comme ‘Chief Executif Order’ et utilisant une adresse de messagerie appartenant à la société VEAT,
– M. [D] le menaçait parfois de sanction.
Il estime rapporter ainsi les preuves suffisantes à renverser la présomption de non-salariat de l’article L. 8221-6 du code du travail et à obtenir la requalification de la relation contractuelle ainsi que le versement d’une indemnité de requalification de
4 226,08 euros.
En réponse, la société VEAT qui affirme que jusqu’à son embauche, l’appelant avait fait le choix du statut d’auto entrepreneur pour réaliser des prestations de service, prétend que la demande de requalification de la relation contractuelle est prescrite, le délai de prescription de 2 ans de l’article L. 1471-1 du code du travail ayant commencé à courir dès octobre 2014 puisqu’à l’époque, ce dernier connaissait déjà les conditions d’exercice de son activité.
Sur le fond, elle soutient que l’appelant échoue par les courriels et messages qu’il produit à renverser la présomption de non-salariat, mettant en avant le fait qu’il sont épars et tous datés de l’année 2017, ce qui selon elle confirme que l’intéressé n’était pas en permanence à sa disposition.
Elle rappelle également qu’il était un ami de longue date de M. [D], ce qui explique le nombre important de messages échangés entre eux avant l’embauche de l’appelant, sans qu’ils ne portent nécessairement sur leur travail.
La société VEAT analyse les prétendues directives figurant sur certains messages comme de simples souhaits exprimés en sa qualité de cliente, et réfute l’exercice par M. [D] d’un quelconque pouvoir de direction et de sanction, expliquant que ce dernier, en tant qu’ami, a pu donner de nombreux conseils à l’appelant au moment de son installation comme auto entrepreneur puis à l’occasion de la réalisation des prestations informatiques commandées.
Elle remet par ailleurs en cause la crédibilité de certaines attestations adverses et de certains messages selon elle sortis de leur contexte, explique que ses dirigeants avaient simplement accepté de prêter leurs locaux à M. [J] pour mener à bien ses projets personnels et que la création de l’adresse de messagerie avait simplement pour but de faciliter la réalisation de prestations informatiques et de contacter sa propre clientèle.
En s’appuyant sur une analyse des déclarations de chiffre d’affaires de M. [J], elle affirme enfin que celui-ci avait nécessairement d’autres client qu’elle.
Sur ce,
Il convient d’abord de rappeler que l’action personnelle tendant à qualifier en contrat de travail une relation contractuelle dont la nature est indécise ou contestée, comme c’est le cas en l’espèce, est soumise à la prescription quinquennale de droit commun prévue à l’article 2224 du code civil puisqu’elle ne peut pas se rattacher avec certitude à l’article L. 1471-1 du code du travail qui ne s’applique qu’en présence d’une relation de travail salariée acquise aux débats.
La qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l’activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé dans la mesure où ce n’est qu’à cette date que le titulaire connaît l’ensemble des faits lui permettant d’exercer son droit. En l’espèce, le point de départ de la prescription doit donc être fixée au 1er novembre 2017, date d’embauche acquise aux débats de M. [J] en tant que directeur général et ce faisant, fin de la période contractuelle contestée, de sorte que l’action de l’appelant n’est pas prescrite au jour de sa requête déposée le 24 janvier 2019.
Il en serait de même si comme prétendu par la société VEAT, ce délai avait commencé à courir dès juillet ou octobre 2014, soit à l’époque où l’appelant a commencé à réaliser des prestations au profit de la société VEAT sous couvert de son statut d’auto entrepreneur.
Le moyen d’irrecevabilité tiré de la prescription sera en conséquence rejeté.
Sur le fond, il sera rappelé que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. Il appartient toutefois à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence.
Ainsi, si, selon l’article L. 8221-6-1 du code du travail, la présomption légale de non-salariat vise notamment les personnes sous le statut d’auto-entrepreneur, elle peut cependant être renversée par celui qui entend se prévaloir d’un contrat de travail, s’il établit qu’il fournit directement des prestations au donneur d’ordre dans des conditions qui le placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci, dès lors qu’il exécute cette mission sans aucune indépendance dans l’organisation, obéissant aux ordres et directives du donneur d’ordre.
Le lien de subordination est notamment caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Il est constant que M. [J] est immatriculé au répertoire SIRENE en tant qu’auto entrepreneur depuis le 18 janvier 2014, sous l’activité ‘programmation informatique’.
Il est également acquis aux débats que l’intéressé a réalisé des prestations informatiques, référencement et affiliations, au profit de la société VEAT qui ont donné lieu au versement de rémunérations sur la base de factures versées aux débats.
Présumé non salarié, il lui incombe donc de rapporter la preuve qu’il exécutait les prestations informatiques sous la subordination juridique permanente de la société VEAT.
L’appelant verse aux débats de très nombreuses pièces dont :
– l’avenant au contrat bancaire de la société VEAT signé le 4 mai 2017 afin que M. [J] soit détenteur d’une carte professionnelle Visa Business sur le compte de la société (pièce 3-37) dont le contenu n’est pas contredit par l’intimée, celle-ci ne produisant aucun élément sous-tendant le fait que cette carte de paiement n’aurait été délivrée comme elle le prétend qu’en 2018,
– les attestations de plusieurs anciens stagiaires ou employés, notamment celles M. [Z] et M. [T] dont la société VEAT ne critique pas la crédibilité, certifiant que M. [J] leur a été présenté par M. [D] comme responsable du pôle administratif et manager de la société VEAT alors qu’à l’époque, M. [Z] étant arrivé en novembre 2016, l’appelant n’avait toujours pas été officiellement engagé comme directeur général. M. [Z] précise d’ailleurs que M. [J], comme les autres employés, avaient des horaires fixes et des réunions obligatoires ainsi qu’une obligation de résultat, la hierarchie étant clairement établie ‘M. [D] dirigeait l’entreprise, [F] [J] était le manager de l’équipe, …’
Outre ces premiers éléments qui confirment les responsabilités assumées par M. [J] au sein même de la société VEAT et qui ne portent pas sur de simples prestations informatiques, l’appelant produit également de nombreux échanges de messages et courriels en ses pièces 3 et 12.
Il ressort notamment de ces courriels que dès janvier 2015, M. [D] mettait M. [J] en lien avec une cliente de la société VEAT pour la mise en place de sa stratégie de référencement, l’appelant se présentant comme appartenant à la société intimée et s’adressant à elle pendant toute l’année 2015 et 2016 avec une adresse de messagerie de l’intimée.
Sur les réseaux sociaux, M. [D] évoquait le 14 juillet 2015 la présence de M. [J] dans ‘l’équipe’. De même, dans un courriel du 14 février 2017, M. [K], autre salarié de la société VEAT, présentait ‘[F]’ comme étant un collaborateur de la société, ‘responsable pédagogue’.
Il résulte aussi des courriels et messages produits qu’au delà de cette apparente intégration à l’équipe de la société VEAT, M. [J] travaillait de manière effective avec les autres employés au sein des locaux de la société VEAT, celle-ci admettant qu’il en avait les clés.
Ainsi, M. [D] lui a demandé :
– le 20 avril 2017, de payer ‘[W] aujourd’hui’, tâche étrangère à une quelconque prestation informatique,
– le 5 mai 2017 de ‘féliciter chaque personne en sortant du bureau’ en lui suggérant les compliments à exprimer,
– le 16 juin 2017 ‘de demander au bureau de se taire’,
– le 11 juillet 2017, M. [J] étant confronté à un agent susceptible de s’énerver, de le faire sortir du bureau s’il s’énerve
– le même jour, il lui demande de faire un virement.
Dans un message du 25 avril 2017, M. [D] critiquait aussi la décision prise par M. [J] d’autoriser un autre employé de quitter plus tôt le bureau pour travailler chez lui, en indiquant qu’il ne voulait pas lui en parler devant les bureaux pour ne pas remettre en cause son autorité, ‘tu restes décisionnaire là dessus’.
Ainsi, il est établi à travers l’ensemble de ces éléments que l’intéressé était parfaitement intégré aux équipes de la société VEAT et assumait aussi à compter de 2016 des fonctions managériales et de gestion sans lien avec les supposées prestations informatiques facturées, sachant que la société VEAT prétend qu’elle l’a simplement autorisé à s’installer dans les locaux pour réaliser ses propres travaux mais ne produit aucune pièce pour étayer ses dires.
Par ailleurs, ainsi qu’il est allégué par l’appelant, il résulte des nombreux messages produits, et plus particulièrement de ceux qui suivent que l’appelant exécutait les tâches confiées par M. [D] suivant les directives parfois strictes et comminatoires de ce dernier qui par ailleurs lui demandait des comptes sur l’organisation de son temps de travail, ce qui relève de l’exercice par M. [D] d’un pouvoir de direction sur l’intéressé.
En effet,
– le 10 mars 2017 : il lui dit ‘si tu te contente de tes horaires de bureau, t’irais pas loin’, lui reprochant de faire des formations pendant les horaires de bureau, ‘tu n’es pas un fonctionnaire, t’es un bon employé de bureau disponible en cas de problème’, réagissant quand M. [J] lui indique qu’il se lance dans des projets personnels en parallèle, en ces termes ‘oui t’as raison mais c’est incompatible avec la vision que j’ai de toi dans cette boîte…tu seras associé mais dans cette optique là, jamais un associé avec un poid’,
– le 24 mars 2017 : il lui dit ‘avant de leaver (partir), dans la note objectif, il y a pas mal de chose à terminer auj, avant de quitter le bureau’,
– le 21 avril 2017 : il lui dit ‘il faut que l’on change progressivement ton image, que tu ne sois pas uniquement ‘seb le manager’ mais transformer en ‘seb l’associé avec le pouvoir de décision’,
– le 5 mai 2017, il lui demande de vérifier ce que chaque salarié a accompli comme tâches et de l’en tenir informer, et de les féliciter, tout en lui reprochant le 18 mai de devoir faire ce travail de contrôle à sa place,
– le 17 mai 2017, suite à la demande de M. [J] de faire le pont la semaine suivante, il lui répond ‘assurez vous d’être à jour sur ce que vous avez à faire, ça serait cool avant de faire le point’
– le 18 mai, à la suite d’une erreur, il lui dit de prendre sa journée pour se reposer au motif qu’il ne l’a pas habitué à ce genre d’erreur, cette journée de repos apparaissant à l’évidence imposée de manière autoritaire,
– le 19 mai 2017, il insiste pour que M. [J] s’occupe des prélèvements ‘je veux encaisser’, en l’enjoignant de ‘les appeler chaque jour, chaque minute, chaque heure..’,
– le même jour, il lui dit ‘une semaine c’est 35 heures en tant que salarié’, ‘au final malheureusement, je considère que tu es improductif, ça veut pas dire pas de travail, ça veut dire pas productif et bah très bien par conséquent prenez une semaine’
– le 11 août 2017 : il lui dit ‘[W] t’a envoyé un livre il y a 3 mois, ce serait bien que tu avances dessus et que par conséquent tu es vraiment un rôle d’un manager et pas le rôle d’un mec qui sait pas où se placer…on en reparlera plus, c’était la dernière fois’.
L’ensemble de ces éléments sont ainsi suffisants à caractériser le lien de subordination juridique permanent allégué par l’appelant, ces messages au regard de leur teneur ne pouvant sérieusement être assimilés à de simples conseils délivrés à un ami comme soutenu par l’intimée.
Le fait que l’appelant ait ponctuellement réalisé des prestations informatiques pour d’autres personnes, la société VEAT se limitant à produire 4 factures de très faible montant sur une période de 3 ans, ne suffit pas à contredire ces différents éléments et à établir que M. [J] n’était pas en permanence à sa disposition, sachant qu’à travers les pièces financières et fiscales produites, l’intéressé justifie que ses revenus provenaient quasi exclusivement de la société VEAT dont il était à l’évidence dépendant au plan économique, en plus de sa subordination juridique permanente dans le cadre de l’exécution de ses missions.
En outre, alors qu’il était officiellement salarié de la société VEAT depuis novembre 2017, l’appelant a continué à lui facturer des prestations, sans pourtant que cela ne se justifie par une évolution de ses missions. Il s’agit en réalité d’un même emploi au profit de l’intimée.
Il convient en conséquence, au regard de l’ensemble de ces éléments, de requalifier l’ensemble de la relation contractuelle existant entre l’appelant et la société VEAT en un contrat de travail à durée indéterminée et ce avec effet rétroactif au mois de mois de janvier 2015, l’appelant ne produisant aucune pièce tangible pour la période antérieure. Le jugement sera infirmé en ce sens.
M. [J] sollicite au visa de l’article L. 1245-2 du code du travail une indemnité de requalification. Toutefois, cette disposition ne prévoit l’octroi d’une telle indemnité que dans l’hypothèse d’une requalification de contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, et non lorsque comme en l’espèce la requalification porte sur une relation contractuelle en apparence non salariée. L’intéressé sera débouté de sa demande de ce chef.
– sur la demande indemnitaire au titre du travail dissimulé :
Au visa des articles L. 8221-5, L. 8221-6 et L. 8223-1 du code du travail, l’appelant sollicite le versement d’une indemnité de 25 356,48 euros en raison de la situation de travail dissimulé qu’a constitué son emploi pour la société VEAT sous couvert d’un statut d’auto entrepreneur, en faisant valoir que l’intimée, qui avait parfaitement conscience d’être en infraction avec les textes, a persisté à le faire travailler sous ce statut jusqu’en novembre 2017 et même après son embauche en qualité de directeur général.
La société VEAT s’en défend en soutenant que le cumul entre le statut de salarié et d’auto-entrepreneur est parfaitement légal et que l’appelant était dès le départ favorable à l’adoption d’un statut ou d’un montage juridique lui permettant de ne pas payer d’impôt.
Sur ce,
En vertu de l’article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Aux termes de l’article L. 8221-6 du même code, lorsque l’existence d’un contrat de travail est établi comme au cas d’espèce entre l’auto entrepreneur et le donneur d’ordre, la dissimulation d’emploi salarié est établie si le donneur d’ordre s’est soustrait intentionnellement par ce moyen à l’accomplissement des obligations incombant à l’employeur mentionnées dispositions susvisées.
En application de l’article L. 8223-1 dudit code, l’employeur ayant recours à toutes formes de travail dissimulé devra verser au salarié une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, en cas de rupture de la relation de travail.
Il résulte de ce qui a été précédemment statué que sous couvert de son statut d’auto entrepreneur, la société VEAT a employé l’appelant entre janvier 2015 et novembre 2017 en tant que salarié sans jamais procéder à l’accomplissement des formalités d’embauche et déclarations visées à l’article L. 8221-5 susvisé alors que son dirigeant s’est comporté à son égard comme un véritable employeur.
S’il résulte de certains messages que l’emploi de M. [J] par un détournement du statut d’auto entrepreneur résulte d’une concertation entre les associés de la société VEAT et l’appelant qui avait aussi exprimé le souhait dès 2014 de limiter l’incidence fiscale de son activité au profit de l’intimée, cela n’exonère en rien cette dernière en sa qualité d’employeur de sa responsabilité pour avoir volontairement omis de se soumettre à l’obligation légale qui était la sienne d’accomplir une déclaration d’embauche et les déclarations de salaire de M. [J], et ce d’autant plus qu’elle n’a pas jugé utile de régulariser la situation avant novembre 2017 et ce de manière partielle, alors que la relation contractuelle initiale a rapidement évolué, au vu des éléments relevés plus haut qu’elle ne pouvait ignorer, vers une relation salariée sous la subordination permanente de son dirigeant.
Au regard des salaires perçus par l’appelant, en ce compris les primes inclues dans le salaire brut et les sommes reçues au cours de cette période sous couvert des facturations mensuelles résiduelles qui ne constituaient en réalité qu’un versement déguisé de complément de salaire, il convient de condamner la société VEAT à verser à l’appelant une indemnité de 22 746,36 euros.
– sur les demandes de classification de l’emploi occupé et de rappel de salaire avant novembre 2017 :
L’appelant revendique le bénéficie du statut de cadre dans la position 3.1 coefficient 170 de la classification des ingénieurs et cadres issue de la convention collective dite SYNTEC, faisant valoir qu’il a toujours exercé des responsabilités d’encadrement au sein de la société VEAT et qu’il répond aux critères fixés par la convention collective.
Se prévalant des stages accomplis en continu au sein de l’entreprise depuis octobre 2012 jusqu’à son embauche en juillet 2014, il sollicite également la reconnaissance d’une ancienneté de 6 années dans la société au jour de son licenciement.
En réponse, la société VEAT lui oppose dans un subsidiaire que son emploi ne saurait bénéficier d’une classification supérieure à celle d’agent de maîtrise, position 2.1 coefficient 275, soutenant qu’il n’exerçait pas de fonctions d’encadrement et ne répond pas à certains critères tels que ‘des connaissances pratiques étendues’.
Elle fait en outre observer que l’embauche de l’appelant n’a pas fait immédiatement suite à ses stages de sorte qu’il ne peut revendiquer une ancienneté de 6 années.
Sur ce dernier point, il est exact qu’à défaut pour M. [J] d’avoir rapporté la preuve de la relation de travail entre juillet 2014 et janvier 2015, celui-ci ne peut revendiquer la prise en compte de ses stages antérieurs pour la détermination de son ancienneté au sein de la société VEAT. Celle-ci sera donc limitée à 3 ans et 9 mois au jour de son licenciement.
S’agissant de la classification de l’emploi de M. [J], il ressort des précédents développements qu’il ne démontre pas avoir été présenté comme manager et avoir assumé des responsabilité d’encadrement avant 2016, les pièces portant sur la période antérieure n’évoquant que la réalisation de tâches techniques.
Il peut en revanche revendiquer à compter de cette date, au vu des responsabilités décrites plus haut qui étaient les siennes, le statut de cadre et non d’agent de maîtrise, sachant qu’il a été désigné comme directeur général en novembre 2017 sans que ses missions s’en trouvent changées.
Toutefois, sa pratique professionnelle en tant que cadre s’étant limitée à celle exercée au sein de la société VEAT depuis 2016, et sachant que les échanges ont montré que M. [D] l’accompagnait très fréquemment au plan technique et managérial, elle n’apparaît pas suffisamment étendue pour répondre à la définition de la position 3.1 de la classification des ingénieurs et cadres issue de la convention collective SYNTEC, peu important le titre de directeur général qui lui a été donné, de sorte qu’il convient, comme suggéré par la société VEAT de classer son emploi en statut cadre position 2.1 coefficient 115 correspondant à ‘ingénieurs ou cadres ayant au moins 2 ans de pratique de la profession,….Coordonnent éventuellement les travaux de techniciens, agents de maîtrise, dessinateurs ou employés, travaillant aux mêmes tâches qu’eux….’.
Pour la position 2.1 au coefficient 115, le salaire minimum conventionnel était de
2 324,15 euros jusqu’en juin 2017 et de 2 358,65 euros après cette date.
M. [J] qui réclame sur la base de la position 3.1 un rappel de salaire de 4 074,56 euros pour la période janvier 2016 à octobre 2017, reconnaît avoir déjà reçu sur cette même période une rémunération brute de 71 415,64 euros, soit l’équivalent de
3 246, 16 par mois. Ce montant mensuel étant supérieur aux minima conventionnels susvisés, il n’est donc dû aucun rappel de salaire pour cette période.
– sur la demande de rappel de congés payés :
M. [J] sollicite un rappel d’indemnité de congés payés sur différentes périodes comprises entre juin 2015 et le 30 septembre 2018, ces congés ne lui ayant notamment pas été octroyés pendant la période de travail dissimulé, en se basant sur le salaire minimum conventionnel qu’il revendiquait, supérieur aux sommes réellement perçues.
Si à titre principal, la société VEAT s’oppose à cette demande en l’absence de requalification, elle formule des demandes subsidiaires visant à limiter le montant des sommes réclamées, en soulevant d’une part le caractère prescrit de certaines demandes et en se prévalant du salaire minimum conventionnel d’agent de maîtrise de 1 617,55 euros.
Il convient de relever qu’il n’est pas prétendu par la société VEAT, ni justifié que M. [J] a bénéficié de congés payés avant juin 2017.
* sur la période du 1er juin 2015 au 31 mai 2016 :
Contrairement à ce que soutient la société VEAT, la demande pour cette période n’est pas prescrite, dès lors que la prescription triennale, applicable pour les créances salariales, a commencé à courir le 1er juin 2016, soit à l’issue de la période annuelle de référence comprise entre le 1er juin 2015 au 31 mai 2016 au cours de laquelle les congés pouvaient être pris, et s’est trouvée interrompue par la requête du 24 janvier 2019.
En revanche, la relation de travail ayant été rompue le 4 octobre 2018, l’appelant ne peut faire porter sa demande au delà du 4 octobre 2015 conformément à l’article
L. 3245-1 du code du travail, soit sur les sommes dues au titres des 3 années précédant la rupture du contrat.
Si l’appelant ne peut bénéficier du salaire mininum conventionnel correspondant à la classification qu’il revendiquait, celle-ci n’ayant pas été retenue, il n’y a pas lieu non plus de prendre celui avancé par la société VEAT comme base de calcul, celui-ci étant moindre que la moyenne mensuelle des sommes réellement perçues par M. [J] au cours de la période.
En effet, au vu des factures produites, l’intéressé ayant reçu entre octobre 2015 et mai 2016 une somme globale nette de 20590 euros, il convient de condamner la société VEAT à lui verser sur la base du salaire brut reconstitué, une somme de 2 674,43 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés.
* sur la période du 1er juin 2016 au 31 mai 2017 :
Selon la même méthode de calcul, au vu des factures produites, l’intéressé ayant reçu au titre des factures du 1er juin 2016 au 31 mai 2017 une somme globale nette de
30 907,50 euros, il convient de condamner la société VEAT à lui verser sur la base du salaire brut reconstitué une somme de 4 014,57 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés.
* sur la période du 1er juin 2017 au 30 septembre 2018 :
L’appelant relève à raison que sur l’ensemble de la période, il n’est justifié par les bulletins de salaire que de la prise de 3 jours de congés payés, de sorte qu’il demeurait au jour de son départ 30,32 jours de congés payés à solder, non indemnisés au moment de la rupture du contrat lors du solde de tout compte.
La somme retenue par la société VEAT est par ailleurs inopérante dès lors qu’elle base ses calculs sur 6 mois, et sur un salaire minimum conventionnel non retenu.
Selon la même méthode de calcul que précédemment, au vu des sommes versées pendant cette période à titre de salaire brut et en paiement de factures, il convient de condamner la société VEAT à lui verser, sur la base du salaire brut reconstitué, une somme de 5 272,37 euros à titre d’indemnité compensatrice des congés payés non pris au jour de la rupture du contrat.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
– sur le rappel de frais :
L’appelant réclame le remboursement d’une somme de 6 869 euros qu’il dit avoir déduit de ses factures pour compenser l’achat par la société VEAT de liens sur de grands médias vers certains sites dans le cadre de l’affiliation.
Toutefois, sachant que M. [J] admet qu’aucune de ses factures ne porte trace de ses déductions de frais, les premiers juges ont à raison retenu qu’il ne rapportait aucune pièce justificative du principe de sa créance et de son montant, les quelques échanges de messages à ce sujet ne suffisant pas à démontrer que cela s’apparente à des frais professionnels, les liens achetés par la société VEAT étant de surcroît dirigés vers les sites internet et blog appartenant à l’appelant et ce faisant, lui bénéficiant au moins en partie.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
– sur le rappel de salaire au titre des factures d’août et septembre 2018 :
M. [J] prétend que la société VEAT ne lui a pas réglé les factures d’août et septembre 2018 respectivement d’un montant de 1 683 euros et 2 198 euros, alors qu’il en a fait expressément la demande le 8 octobre 2018.
Toutefois, la société VEAT lui oppose à raison que le réglement de ces 2 factures apparaît au crédit du compte bancaire de l’appelant sur les extraits de compte produits en sa pièce 5-2.
A défaut d’élément avancé par l’appelant pour démontrer que ces versements sont étrangers auxdites factures, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de cette demande en paiement.
– sur le licenciement pour faute grave de M. [J] et les demandes subséquentes:
M. [J] conteste le bien fondé de son licenciement pour faute grave, en faisant valoir que :
– certains griefs développés par l’intimée ne figurent pas dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige,
– les associés de la société VEAT connaissaient parfaitement le contenu des sites SP et RP depuis au moins les mois de mai juin 2018 pour le site SP, voir février mars 2018 pour le site RP de sorte que les griefs liés au contenu de ces sites sont prescrits,
– ils en avaient toléré les contenus qui n’étaient au demeurant nullement identiques à celui de JRME,
– les 2 sites n’étaient nullement concurrentiels à JRME car ils étaient soit en affiliation avec JRME (site RP), soit sur le marché de la ‘séduction’ et non de la ‘rupture’ (site SP),
– M. [R], autre salarié de la société VEAT, a réalisé une tâche concernant les sites en affiliation avec JRME, ce travail profitant donc à l’intimée.
En réponse, la société VEAT qui dénonce la violation manifeste de la legislation en matière de protection de données personnelles et le vol de données aux fins de plagiat, soutient que :
– les griefs faits à l’appelant tiennent non pas à l’existence des sites adverses dont elle reconnaît connaître l’existence mais à la découverte le 9 septembre 2018 de la copie et réutilisation de contenus et données lui appartenant auxquels l’intéressé avec M. [N] a eu accès en raison de ses fonctions au sein de la société,
– les fautes ne sont pas prescrites compte tenu de la date de leur révélation,
– la saisie par huissier de justice a démontré que l’appelant avec M. [N] avait récupéré des données confidentielles telles que le code source d’un quizz de JRME et a plagié le savoir faire de la société pour leurs propres sites, dérobant le schéma synthétisant la méthodologie de JRME, ce qu’il aurait en partie reconnu avec son complice le 14 septembre 2018,
– l’appelant a sollicité plusieurs salariés, dont M. [R], pour qu’ils travaillent sur son site pendant ses heures de travail,
– il y a également eu des transferts vers l’adresse personnelle de l’appelant et de son complice des fichiers contenant les adresses de messagerie de clients.
Sur ce,
La faute grave privative du préavis prévu à l’article L1234-1 du même code est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend immédiatement impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis.
II appartient à l’employeur de rapporter la preuve de l’existence d’une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d’une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse, le doute subsistant alors devant profiter au salarié.
Il sera également rappelé qu’en vertu de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, sauf si le même comportement fautif du salarié s’est poursuivi dans ce délai.
En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la société VEAT a reproché à l’appelant des faits qu’elle indique avoir découvert le 9 septembre 2018 et détaille comme suit :
– ‘vous avez repris pour votre activité personnelle extérieure à la société VEAT des contenus du site JRME dont cette dernière est l’éditrice’
– ‘ vous avez copié et réutilisé sans l’accord de la société VEAT des pages entières de son site, des processus de création de compte, de commande service, des questionnaires, CGV de vente d’e-book notamment pour les sites SP et RP dont vous êtes l’éditeur avec M.[N]… le plagiat est tel que certaines pages des sites font apparaître la référence au site JRME’,
– ‘vous avez demandé à un salarié de la société VEAT d’effectuer des tâches sur ses heures de travail qui sont sans aucune relation avec la société VEAT pour vos activités personnelles telles que montages de vidéos, création d’un logo et d’illustration produit pour le site SP’.
En conclusion, la société VEAT qualifie les agissements dénoncés d’actes de concurrence déloyale et parasitaire, constitutifs d’une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
La société VEAT ne prétendant pas, à défaut de produire la convocation à l’entretien préalable, que celle-ci a été portée à la connaissance de l’appelant avant le jour de sa mise à pied à titre conservatoire, soit le 13 septembre 2018, il convient d’abord d’examiner si les faits visés dans la lettre de licenciement étaient prescrits à cette date qui sera retenue comme celle de l’engagement de la procédure disciplinaire.
Pour justifier qu’elle n’en a eu la révélation que le 9 septembre 2018, la société VEAT produit uniquement un échange à cette date de messages entre ses 2 associés (sa pièce 30) aux termes desquels l’un des deux envoie à l’autre des liens vers des extraits du site SP, avec ce commentaire ‘3 ans de recherche volé par nos employés en CDI en 3 clics’ tandis que l’autre lui répond avoir découvert que ‘Issam’ a travaillé pour ‘eux’ pendant ses heures de bureau.
Toutefois, ce message entre les seuls associés de la société VEAT, parties prenantes à la procédure de licenciement, quelques jours seulement avant de notifier à l’appelant sa mise à pied à titre conservatoire, ne constitue pas un élément suffisamment précis et objectif quant aux circonstances et la date réelle de la révélation d’une part du contenu des sites, sachant qu’il n’est question dans le message que du site SP, et d’autre part, du fait que M. [R] aurait travaillé pendant ses heures de travail pour l’appelant et son collègue, sachant que ni l’intimée, ni M. [R] dans son attestation ne précisent quand et comment cette dernière information est remontée aux associés.
La pièce n°30 de l’intimée est d’autant plus insuffisante à établir qu’elle n’a eu connaissance des agissements fautifs que le 9 septembre 2018 que l’appelant produit divers éléments qui tendent à démontrer que les 2 associés et M. [D] en particulier, avaient quelques mois plus tôt déjà consulté les 2 sites RP et SP et fait des commentaires sur certains contenus dans le cadre d’échanges avec l’appelant et son collègue.
Ainsi, le 16 février 2018, M. [D] faisait à M. [J] une remarque sur le contenu du site RP dont il sera par ailleurs rappelé qu’il a intégré le système d’affiliation vers JRME, en ces termes ‘C’est sympa de faire de l’affiliation avec rupture.positive, par contre, soyez mignon, dupliquez pas nos headline et title…Site n°1 sur la rupture amoureuse, bon c’est limite vous trouvez pas’….y’a un sacré quiproquo, même moi je m’y perds’, M. [J] lui répondant ‘on va changer ça si c’est juste ça le problème, mais c’est pas voulu du tout’ et M. [D] concluant ‘oui c’est juste ça’.
Il ressort de cet échange que M. [D] avait déjà à l’époque pris le temps d’aller sur le site RP à propos duquel d’autres échanges de messages montrent qu’il avait quelques jours plus tôt échangé sur la tarification de l’affiliation avec JRME.
En outre, dans un échange du 19 mars 2018, sur interrogation de M. [J], ce qui tend à exclure toute volonté de dissimulation, il donnait l’autorisation à l’intéressé de mettre le Quizz sur le site RP.
Le 17 mai 2018, M. [N] demandait à M. [D] de lui montrer certains process informatiques en indiquant ‘je le ferais peut être pour RP’, sans que son interlocuteur exprime une quelconque opposition sur ce point, la discussion se poursuivant sur l’importance du trafic du site et de 2 autres blogs pilotés par M. [N] et l’appelant.
S’agissant du site SP qui n’a été créé qu’en mai 2018, il ressort des messages échangés les 21 et 22 juin 2018 que l’appelant a partagé avec M. [D] une information sur la vente d’un produit spécifique sur le site SP, sans réaction de celui-ci, qui le lendemain, à l’évidence après avoir consulté lui-même le site, a fait des commentaires à M. [N] sur un produit vendu à 2 euros et sur l’outil informatique utilisé pour procéder à des ventes ‘vous avez pris un compte click tunnel’, ce qui confirme que M. [D] ne s’est pas contenté de parcourir la page d’accueil de ce nouveau site.
Etant rappelé que la preuve de la date à laquelle les faits fautifs ont été portés à la connaissance de l’employeur incombe à celui-ci, il résulte de l’ensemble des éléments susvisés non contredits utilement par la seule pièce n°30 de la société VEAT qu’il existe à tout le moins un doute sur le fait que les associés de celle-ci n’auraient découvert le contenu des sites RP et SP que le 9 septembre 2018 alors que M. [D] échangeait librement avec M. [J] et M. [N] à ce sujet depuis au moins février 2018 pour le site RP et juin 2018 pour le site SP.
Il ressort par ailleurs des attestations de M. [K] et de Mme [O] que l’appelant et M. [N] leur auraient, comme à M. [R], proposé de réaliser des tâches pour leurs propres sites et qu’ils bossaient eux-même sur ceux-ci pendant leurs heures de travail, ce qui au demeurant tend à démontrer l’absence de volonté de dissimulation. Or, M. [K] étant un proche de M. [D], ainsi que cela ressort des pièces du dossier, il n’apparaît pas crédible que ni lui, ni d’autres membres de la petite équipe de la société VEAT, n’aient alerté avant le 9 septembre 2018 les dirigeants de la société VEAT de ces faits supposés pourtant déloyaux.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de retenir que l’ensemble des faits visés dans la lettre de licenciement apparaissent prescrits au jour de l’engagement de la procédure disciplinaire et qu’au surplus, au regard de la connaissance qu’avaient depuis plusieurs mois les dirigeants de la société VEAT ainsi que certains membres proches de l’équipe, du travail réalisé par M. [J] et M. [N] sur leur deux sites SP et RP sans manifestation d’opposition de leur part, le caractère déloyal et fautif des agissements de l’appelant n’apparaît pas établi avec certitude, le doute devant lui bénéficier.
Il convient en conséquence de considérer le licenciement de M. [J] dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé en ce sens.
La faute grave n’étant pas retenue, la société VEAT est condamnée à verser à M. [J] le montant des sommes retenus au titre de la mise à pied à titre conservatoire qui a duré du 13 septembre au 4 octobre 2018, soit la somme de 1 895,98 euros au regard des mentions figurant sur les bulletins de salaire, sachant que M. [J] précise expressément ne pas réclamer les congés payés dus au titre de cette période.
L’appelant est également en droit de percevoir l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de licenciement telles que définies par la convention collective dite SYNTEC, plus favorables que les dispositions légales.
Il sera rappelé que la cour n’a pas fait droit à la demande de l’appelant aux fins de reclassification de son emploi à la position et coefficient qu’il réclamait, et a par ailleurs relevé que les revenus perçus étaient supérieurs au minimum conventionnel correspondant à sa catégorie d’emploi, de sorte que les indemnités seront calculées au vu de la rémunération réellement perçues par l’intéressé, en ce compris les primes et versements sur facture.
Le préavis étant pour les cadres de 3 mois sans condition d’ancienneté, la société VEAT est condamnée à payer à M. [J] à ce titre une somme de 11 373,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 137,32 euros de congés payés y afférents.
L’indemnité conventionnelle de licenciement, sur la base d’une ancienneté de 3 ans et 9 mois, sera fixée à la somme de 6 634,35 euros.
Enfin, au vu de l’âge et de la faible ancienneté de l’appelant, sans autre preuve sur l’étendue du préjudice que la perte injustifiée de son emploi lui a nécessairement causé, il convient de condamner la société VEAT à lui verser une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 11 375 euros.
– sur les demandes reconventionnelles de la société VEAT :
La société VEAT sollicite la condamnation de l’appelant à lui payer les sommes suivantes :
– 525 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de loyauté et de confidentialité, alléguant d’acte de concurrence déloyale commis pendant l’exécution du contrat de travail relevant de l’intention de nuire,
– 37 988,12 euros à titre de remboursement de sommes indûment perçues, au motif que le salarié a utilisé son temps de travail pour une activité personnelle et a ainsi perçu son salaire sans contrepartie.
Si cette demande est en soi recevable devant la juridiction prud’homale, c’est cependant dans la limite des faits susceptibles d’avoir été commis avant le terme de la relation de travail.
Or, il sera d’abord relevé que la société VEAT qui allègue d’une intention de nuire, n’a nullement invoqué l’existence d’une faute lourde dans la lettre de licenciement, qui seule peut permettre d’engager la responsabilité civile du salarié à l’égard de son employeur pour les faits qui y sont visés.
En outre et surtout, il ressort de ce qui précède qu’aucune faute tirée de la déloyauté de M. [J] n’est apparue établie concernant ces faits.
La société VEAT évoque par ailleurs des faits distincts qui auraient été découverts lors de la mesure de saisie exécutée le 14 décembre 2018 et le 3 janvier 2019 par huissier de justice en vertu d’une ordonnance sur requête en date du 28 novembre 2018.
Toutefois, le salarié fait justement valoir que certains faits dénoncés sont liés au fonctionnement des sites SP et RP postérieurement à la rupture de la relation de travail, et donc étrangères à celle-ci de sorte qu’ils ne peuvent fonder la demande indemnitaire devant la juridiction prud’homale.
L’avis posté par message en août 2018 d’un seul supposé client ‘justine’, insuffisamment identifiable pour garantir son existence, ne permet pas de retenir que l’appelant, encore salarié, exerçait à l’époque une concurrence déloyale vis à vis de la société VEAT, sachant par ailleurs qu’en l’absence de contrat de travail écrit, M. [J] n’était pas soumis à une clause de non concurrence et que les 2 sites RP et SP ne portaient pas sur un secteur strictement similaire au site JRME, la société VEAT ne s’étant d’ailleurs jamais opposée à leur création malgré la connaissance qu’elle avait de leur contenu.
Enfin, la seule présence de fichiers, au demeurant non détaillés par l’intimée, sur l’ordinateur de l’intéressé avant son licenciement ne suffit pas à démontrer que celui-ci avait alors pour projet de nuire à la société VEAT dans le cadre de l’activité des 2 sites RP et SP, sachant par ailleurs que les fichiers clients étaient communs aux sites JRME et RP (la pièce 25 de l’intimée). Dans ces circonstances, l’éventuelle déloyauté tirée du fait de les avoir conservés malgré la procédure de licenciement en cours ne suffit pas à caractériser une intention de nuire.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société VEAT de ses demandes financières.
Il en sera de même de celle tendant à condamner l’appelant à détruire les fichiers supposés lui appartenir et qui seraient encore en la possession de ce dernier. En effet, alors que la société VEAT a pu obtenir communication dans le cadre de la procédure de saisie de l’ensemble des fichiers supposés litigieux, elle ne nomme pas ceux dont elle réclame la destruction pour vérifier qu’ils seraient sa propriété exclusive et auraient été obtenus par l’appelant avant le terme de la relation de travail. Ainsi, à défaut de preuve et de précision sur les fichiers lui appartenant qui seraient toujours détenus par M. [J], le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté l’intimée de cette demande.
– sur les demandes accessoires :
Au vu de ce qui précède, il convient de condamner la société VEAT à remettre à M. [J] dans un délai de 2 mois suivant la signification de la présente décision, un bulletin de salaire récapitulatif reprenant l’ensemble des rémunérations versées à l’intéressé depuis janvier 2015, en ce compris les sommes versées sous couvert du statut d’auto entrepreneur, ainsi qu’un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiés conformément au présent arrêt.
Il convient d’assortir cette injonction d’une astreinte de 50 euros par jour de retard pendant une période de 100 jours commençant à courir à compter de l’expiration du délai de 2 mois susvisé.
M. [J] qui est à l’initiative de la procédure prud’homale et de l’appel sera en revanche débouté de sa demande sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile, aucun abus du droit d’agir en justice ne pouvant être reproché à la société VEAT.
Partie perdante, la société VEAT devra cependant supporter les dépens de première instance et d’appel. Le jugement sera confirmé en ce sens.
L’équité commande par ailleurs de condamner la société VEAT à payer à l’appelant une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée de sa demande sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement entrepris en date du 20 octobre 2021 sauf en ce qu’il a débouté M. [J] de sa demande de rappels de salaire hors période de mise à pied, de sa demande d’indemnité de requalification ainsi que de sa demande de remboursement de frais et de sa demande indemnitaire pour procédure abusive et en ce qu’il a débouté la société Vous êtes au Top de ses demandes reconventionnelles ;
statuant à nouveau sur les faits infirmés et y ajoutant,
REQUALIFIE la relation contractuelle entre M. [F] [J] et la société Vous êtes au Top en un contrat de travail à durée indéterminée avec effet rétroactif au 1er janvier 2015 ;
DIT que le licenciement de M. [F] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société Vous êtes au Top à payer à M. [F] [J] les sommes suivantes :
– 22 746,36 euros au titre du travail dissimulé,
– 1 895,98 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied,
– au titre des congés payés non pris :
– 2 674,43 pour la période comprise entre le 1er octobre 2015 et le 31 mai 2016,
– 4 014,57 euros pour la période comprise entre le 1er juin 2016 et le 31 mai 2017,
– 5 272,37 euros pour la période comprise entre le 1er juin 2017 et le 30 septembre 2018,
– 6 634,35 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 11 373,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1137,32 euros de congés payés y afférents,
– 11 375 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société Vous êtes au Top à remettre à M. [F] [J] dans un délai de 2 mois suivant la signification du présent arrêt, un bulletin de salaire récapitulatif reprenant l’ensemble des rémunérations versées depuis janvier 2015, en ce compris les sommes versées sous couvert du statut d’auto entrepreneur, ainsi qu’un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiés conformément au présent arrêt.
DIT que cette injonction est assortie d’une astreinte de 50 euros par jour de retard pendant une période de 100 jours commençant à courir à compter de l’expiration du délai de 2 mois susvisé
CONDAMNE la société Vous êtes au Top à payer à M. [F] [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
DIT que la société Vous êtes au Top supportera les dépens d’appel.
LE GREFFIER
Valérie DOIZE
LE PRESIDENT
Marie LE BRAS