Réputation d’une entreprise : pas de retrait d’un avis négatif
Réputation d’une entreprise : pas de retrait d’un avis négatif
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Dès lors qu’une société reconnait le manquement à son obligation de résultat quant à la livraison et la pose de la cuisine auxquelles elle s’était engagée, elle ne pouvait conditionner son intervention de reprise à la suppression du commentaire posté par son client sur internet qui pour très négatif qu’il était, n’avait rien d’injurieux ou insultant mais n’était que le reflet exact et non exagéré des multiples manquements contractuels du prestataire.

Dès lors la décision qui a condamné  le prestataire à réaliser les travaux de reprise sous astreinte et l’a déboutée de sa demande en réparation d’un préjudice moral du fait de la publication sur internet, a été confirmée.


 

ARRÊT N°339/2023

N° RG 22/02095 – N° Portalis DBVI-V-B7G-O2IV

CBB/IA

Décision déférée du 13 Mai 2022 – Président du TJ de TOULOUSE ( 22/00249)

C.LOUIS

S.A.R.L. JAMAZ

C/

[S] [G] [I]

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

3ème chambre

***

ARRÊT DU VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

S.A.R.L. JAMAZ

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Julien DEVIERS, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE

Madame [S] [G] [I]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Anaïs CHERY, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. BENEIX-BACHER, Présidente, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BENEIX-BACHER, président

E.VET, conseiller

O. STIENNE, conseiller

Greffier, lors des débats : I. ANGER

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par C. BENEIX-BACHER, président, et par I. ANGER, greffier de chambre

FAITS

Mme [I] a confié à la SARL Jamaz la fourniture et la pose d’une cuisine suivant bon de commande signé le 27 août 2021 pour un montant de 7200€.

Elle a versé un acompte de 1500€.

De nombreux défauts ont été constatés lors de la pose en septembre 2021. Le chèque relatif à la pose d’un montant de 989,90€ a été encaissé mais a été rejeté pour perte.

PROCEDURE

Par acte en date du 8 février 2022, Mme [I] a fait assigner la SARL Jamaz devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse pour obtenir, sur le fondement des articles 809 du code de procédure civile, 1103 et 1217 du code civil, L217-4 et L217-5 du code de la consommation, la condamnation de la SARL Jamaz à remettre en état les désordres constatés et à achever les travaux conformément au contrat conclu, sous astreinte définitive et non comminatoire de 200 € par jour de retard à compter d’un délai de huit jours suivant le prononcé de la décision à intervenir.

Par ordonnance en date du 13 mai 2022, le juge a’:

– condamné la SARL Jamaz à réaliser les travaux suivants dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente :

* réglage des façades des meubles hauts;

* caisson du meuble d’angle bas à changer;

* changement des fileurs haut et bas ;

* découpage du dos du meuble où se trouve le compteur ;

* mise en place des joints de crédence et derrière l’évier;

* redécoupage de la plinthe du lave-vaisselle;

* changement de la plinthe du côté des meubles de faible profondeur;

* pose pour changement du caisson (W60-1 Ferrage gauche) et échange avec le meuble hotte

* mise en place d’un bouton poussoir du meuble hotte afin d’en faciliter l’ouverture ;

* mise en place de cache fixation pour les meubles hauts;

* changement plan de travail de l’évier

* installation et raccordement de la hotte;

– dit qu’à défaut, la SARL Jamaz sera condamnée à payer une astreinte de 150 euros par jour de retard,

– dit que cette astreinte courra sur un délai de 3 mois à compter de sa mise en oeuvre,

– dit que le juge de l’exécution reste compétent pour liquider cette astreinte et/ou en prononcer une nouvelle,

– condamné Mme [I] à verser à la SARL Jamaz la somme provisionnelle de 989,90 euros au titre du solde des travaux,

– débouté la SARL Jamaz de sa demande provisionnelle au titre du préjudice moral,

– rejeté les autres demandes des parties pour le surplus,

– condamné SARL Jamaz à verser à Mme [I] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la SARL Jamaz aux dépens,

– rappelé que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit en application de l’article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 2 juin 2022, la SARL Jamaz a interjeté appel de la décision. L’ensemble des chefs du dispositif de la décision sont critiqués.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La SARL Jamaz, dans ses dernières écritures en date du 16 septembre 2022, demande à la cour de’:

– réformer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu’elle a condamné Mme [S] [I] à payer une provision de 989,90 euros au titre du solde des travaux,

– débouter Mme [S] [I] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

– condamner Mme [I] à payer à la SARL Jamaz la somme de 2000€ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle soutient que’:

– l’astreinte est inopportune dès lors qu’elle n’a jamais refusé d’intervenir, mais seulement exigé au préalable le retrait du commentaire injurieux posté sur internet,

– aujourd’hui l’intégralité des travaux a été réalisée,

– l’appel incident relatif à la réparation de nouveaux désordres est sans objet’: la preuve de nouveaux désordres n’est pas rapportée au vu du constat d’huissier établi,

– le préjudice de jouissance est inexistant s’agissant de la reprise de simples finitions.

Mme [I], dans ses dernières écritures en date du 3 octobre 2022, demande à la cour au visa des articles 1103 et 1217 du code civil, L2I7-4 et L217-5 du code de la consommation, de’:

à titre liminaire,

– dire que Mme [I] a exécuté l’ensemble de ses obligations ;

par conséquent,

– dire que l’appel de la SARL Jamaz du 3 juin 2022 est sans objet ;

par conséquent,

– débouter la SARL Jamaz de l’ensemble de ses demandes ;

– confirmer l’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Toulouse le 13 mai 2022 en toutes ses dispositions;

reconventionnellement,

– condamner la SARL Jamaz au paiement de la somme de 954,48€ au titre de la réparation des dommages occasionnés par son intervention au domicile de Mme [I] ;

– condamner la SARL Jamaz et ce sous astreinte définitive et non comminatoire de 200€ par jour à compter d’un délai de huit jours suivant le prononcé de la décision à venir à remettre en ordre les désordres suivants faisant suite à la mauvaise exécution:

* remplacer le côté droit du meuble haut proche de la fenêtre qui a été posé en blanc mat en blanc brillant conformément au contrat et au reste de la cuisine ;

* remise du cache d’angle au-dessus du meuble haut;

– condamner la SARL Jamaz au paiement de la somme de 3.500€ au titre de la réparation du préjudice de jouissance de Mme [I] du fait de l’impossibilité d’utiliser sa cuisine ;

– condamner la SARL Jamaz à régler à Mme [S] [I] la somme de 3.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la SARL Jamaz aux entiers dépens de l’instance.

Elle soutient que’:

– les défauts dans la pose constituaient de réelles malfaçons interdisant l’usage normal de la cuisine,

– les désordres ont été reconnus dans des échanges de mails,

– le 9 octobre 2021 lors de la reprise du plan de travail elle a versé 4260,10€ pour le solde de la marchandise et 989,90€ pour la pose, mais elle a dû faire opposition sur ce dernier chèque en raison de la découverte de nouvelles non conformités (tous les meubles n’étaient pas livrés) ; mais la société a refusé d’intervenir à nouveau, alors qu’elle reconnaissait ses défaillances et son obligation de reprise,

– l’appel est sans objet et donc abusif puisque toutes les condamnations ont été exécutées,

– elle rappelle les difficultés d’exécution de la prestation, les défaillances de la SARL Jamaz dans la délivrance conforme, le blocage de la situation dont elle était l’auteur,

– quant au commentaire sur Google il n’était pas diffamatoire mais ne constituait qu’un avis qui n’était pas insultant mais certes négatif et parfaitement juste de la prestation de cette entreprise’; toutefois il est à noter qu’il n’a pas été publié la SARL Jamaz l’ayant interdit,

– la preuve d’un préjudice résultant de ce message est donc inexistant d’autant qu’elle fait état de nombreux autres messages négatifs d’autres clients publiés sur internet,

– reconventionnellement, elle sollicite une provision à valoir sur l’indemnisation du nouveau préjudice né de défauts de conformités et dégradation de deux meubles lors de la dernière intervention et pour le préjudice de jouissance de septembre 2021 à juin 2022.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 mars 2023.

MOTIVATION

Suivant l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

En l’espèce, le bon de commande pour la livraison et la pose de la cuisine a été signé le 27 août 2021. La livraison est intervenue avec de nombreuses réserves quant à des défauts de pose le 24 septembre 2021.

Par courrier du 27 septembre 2021 Mme [I] recensait l’ensemble des malfaçons et erreurs de pose auquel elle joignait des photographies.

La SARL Jamaz dans son courriel du lendemain 28 septembre reconnaissait le bien fondé des réclamations en ce que la pose n’était pas parfaite et que, ni son travail ni celui du poseur n’avaient été irréprochables, «’Peut-être me direz vous si vous n’avez jamais fait d’erreur …’Je vous demande toute votre indulgence ».

Mme [I] a fait opposition pour perte, au chèque de pose de 989,90€ du 21 septembre 2021. Ce motif n’était pas fondé puisque le chèque a été déposé par la SARL Jamaz le 19 novembre date de son rejet.

Le chèque est un moyen de paiement immédiat’; il ne peut être formé opposition que pour perte, vol ou utilisation frauduleuse. C’est donc à tort que Mme [I] a formé opposition pour perte au chèque de 989,90€ remis le 21 septembre 2021 alors qu’il a été présenté au paiement le 19 novembre 2021 par la SARL Jamaz démontrant ainsi la fausseté du motif d’opposition.

La décision qui a condamné Mme [I] à payer cette somme doit donc être confirmée.

La SARL Jamaz a par courrier du 20 décembre 2021 refusé d’intervenir pour la reprise des malfaçons tant qu’elle n’était pas payée de cette somme et que demeurait publié sur son site internet un commentaire qu’elle jugeait injurieux.

Toutefois, d’une part, dès lors qu’à la date de son courrier du 20 décembre 2021, elle reconnaissait le manquement à son obligation de résultat quant à la livraison et la pose de la cuisine auxquelles elle s’était engagée, elle ne pouvait conditionner son intervention de reprise à la suppression du commentaire posté le 15 décembre 2021 sur internet qui pour très négatif qu’il était, n’avait rien d’injurieux ou insultant mais n’était que le reflet exact et non exagéré des multiples manquements contractuels de la SARL Jamaz.

Dès lors la décision qui a condamné la SARL Jamaz à réaliser les travaux de reprise sous astreinte et l’a déboutée de sa demande en réparation d’un préjudice moral du fait de la publication sur internet, sera confirmée.

Les parties reconnaissent devant la cour que les reprises sont intervenues en cours d’instance ainsi qu’il est avéré par le constat du 28 juin 2022. Mme [I] a pu jouir pleinement de la cuisine livrée le 21 septembre 2021, neuf mois après, de sorte qu’elle justifie d’un préjudice de jouissance dont la demande de réparation est recevable bien que nouvelle en cause d’appel au sens de l’article 566 du code de procédure civile, dès lors qu’elle est la conséquence de la demande initiale.

En conséquence, le retard dans la reprise des malfaçons et désordres étant exclusivement imputables à la SARL Jamaz, en application de l’alinéa 2 de l’article 835 du code de procédure civile, dès lors que l’existence de l’obligation de la SARL Jamaz n’est pas sérieusement contestable, la demande de provision formée par Mme [I] à valoir sur l’indemnisation de ce préjudice doit être accueillie. Et le montant incontestable de la provision doit être fixé eu égard à la durée du retard de livraison, à la somme de 1000€.

Mme [I] fait état de nouveaux désordres et formule des demandes reconventionnelles qui contrairement à ce que la SARL Jamaz soutient, ne s’analysent pas en un appel incident puisqu’elle conclut à la confirmation de la décision.

Toutefois, le constat d’huissier du 22 juin 2022 établi en présence de M. [I] ne fait état d’aucune réserve quant à la dégradation de deux meubles dont Mme [I] demande réparation à hauteur de 954, 48€ ni quant à la façade en mat ou brillant du meuble haut proche de la fenêtre ni quant à l’absence du cache d’angle au-dessus du meuble haut comme elle le soutient, de sorte que cette demande ne peut prospérer.

PAR CES MOTIFS

La cour

– Confirme l’ordonnance du juge des référés du Tribunal Judiciaire de Toulouse en date du 13 mai 2022.

Y ajoutant

– Condamne la SARL Jamaz à verser à Mme [I] la somme de 1000€ à titre provisionnel en réparation de son préjudice de jouissance.

– Déboute Mme [I] de ses demandes reconventionnelles en paiement de la somme de 954,48€ et en exécution en nature de travaux.

– Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SARL Jamaz à verser à Mme [I] la somme de 2500€.

– Condamne la SARL Jamaz aux dépens.

– Autorise, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile, les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

I.ANGER C. BENEIX-BACHER

 


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