Signature électronique : 7 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/13000

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Signature électronique : 7 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/13000
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRET DU 07 JUIN 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/13000 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEA6I

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mai 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2018063725

APPELANTE

S.A. BNP PARIBAS

inscrite au RCS de PARIS sous le n° 662.042.449. Représentée par son Président en exercice et tous représentants légaux, domiciliés audit siège en cette qualité

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241

ayant pour avocat plaidant : Maîtres Dominique PENIN et Virginia BARAT KRAMER LEVIN LLP, avocats au Barreau de Paris

INTIMEE

S.A.S. AUTONEUM

immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Versailles sous le n°596 820 332

sis [Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphane BONIFASSI, avocat au barreau de PARIS, toque : A619

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M.Marc BAILLY, Président de chambre et M.Vincent BRAUD, Président.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M.Marc BAILLY, Président de chambre,

M.Vincent BRAUD, Président,chargé du rapport

MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par M.Vincent BRAUD, Président et par Mme Anaïs DECEBAL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*

* *

La société Autoneum France a pour activité la distribution de produits de protection acoustique et thermique pour véhicules automobiles. Elle est titulaire d’un compte courant ouvert dans les livres de la société BNP Paribas.

Entre le 4 et le 10 avril 2018, la société Autoneum France fut victime d’une escroquerie dite fraude au président : quatre ordres de virement portant apparemment les signatures du président et du directeur financier de la société étaient transmis à la banque par [V] [R], du service de la trésorerie de la société, pour un montant global de 2 270 777 euros au profit d’une société Fantrade S.RO, de droit slovaque.

La banque a procédé aux virements après avoir obtenu une confirmation téléphonique d'[V] [R].

Les dirigeants de la société Autoneum France n’ont découvert l’existence de ces quatre virements que le 11 avril 2018 et ont déposé le même jour une « main courante » auprès du poste de police d'[Localité 3], avant de porter plainte le 13 avril suivant.

La société Autoneum France s’est également rapprochée de la banque, qui a procédé le 11 avril 2018 à des demandes de retour des fonds pour chacun des virements litigieux auprès de la banque slovaque du destinataire des virements, la CSOB.

Le 13 avril 2018, le procureur slovaque a ordonné le séquestre des fonds présents sur le compte ouvert dans les livres de la CSOB, qui a permis le retour d’une partie des fonds à concurrence de 525 263 euros.

Le 2 mai 2018, la société a demandé à la banque le remboursement de la somme globale de 2 270 777 euros, considérant que les virements litigieux étaient des opérations non autorisées qui n’auraient pas dû être effectuées.

Le 17 mai 2018, la banque a répondu à la société Autoneum France que les virements litigieux ayant été réalisés sur la base d’ordres de virement revêtus de signatures conformes des deux personnes habilitées désignées par la société, elle considérait que sa responsabilité n’était pas engagée et refusait de recréditer les fonds sur le compte courant de la société Autoneum France.

Par exploit en date du 7 novembre 2018, la société Autoneum France a assigné la banque devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement contradictoire en date du 20 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

‘ Débouté la société Autoneum France de sa demande de voir le tribunal de céans prononcer sa compétence ;

‘ Condamné la société BNP Paribas à payer à la société Autoneum France la somme de 1 745 514 euros en restitution des 4 faux virements, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2018 ;

‘ Condamné la société BNP Paribas aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de taxe sur la valeur ajoutée ;

‘ Condamné la société BNP Paribas à payer à la société Autoneum France la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ Débouté les parties de leurs demandes autres, amples ou contraires ;

‘ Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement, en toutes ses dispositions, sans constitution de garantie.

***

Par déclaration du 9 juillet 2021, la société BNP Paribas a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 25 novembre 2022, la société BNP Paribas demande à la cour de :

Juger BNP Paribas recevable et bien fondée en son appel ;

Infirmer le jugement rendu le 20 mai 2021 par le tribunal de commerce de Paris (RG n°2018063725) en ce qu’il a :

‘ condamné BNP Paribas à payer à la société Autoneum la somme de 1.745.514,00 euros en restitution des quatre faux virements, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 02 mai 2018 ;

‘ condamné BNP Paribas aux dépens de l’instance ;

‘ condamné BNP Paribas à payer à la société Autoneum la somme de 2.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

‘ débouté BNP Paribas de ses demandes tendant à :

– Débouter la société Autoneum de l’intégralité de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent.

– Condamner la société Autoneum à payer à BNP Paribas une indemnité de 20.000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

– Condamner la société Autoneum aux entiers dépens,

et plus généralement en toutes ses dispositions non visées au dispositif, faisant grief à BNP Paribas.

Et statuant à nouveau :

‘ A titre principal :

Dire et juger que BNP Paribas n’a commis aucune faute ou négligence lors de la réalisation des virements litigieux ;

Dire et juger que les négligences graves et fautives de la société Autoneum et sa préposée sont la cause exclusive du préjudice de l’intimée ;

Dire et juger que la société Autoneum ne justifie pas du caractère actuel et certain du préjudice qu’elle invoque, tant dans son existence que dans son quantum ;

Débouter en conséquence la société Autoneum de toutes ses demandes, fins et conclusions;

‘ A titre subsidiaire :

Dire et juger que les négligences graves et fautives de la société Autoneum et sa préposée ont une part prépondérante dans la réalisation du préjudice de l’intimée ;

Condamner en conséquence BNP Paribas à hauteur de sa part de responsabilité extrêmement limitée, l’essentiel du préjudice d’Autoneum restant à sa charge ;

‘ En tout état de cause :

Condamner la société Autoneum à payer à BNP Paribas une indemnité de 20.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

La condamner aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 5 octobre 2022, la société par actions simplifiée à associé unique Autoneum France demande à la cour de :

A titre principal de :

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 mai 2021 par le Tribunal de commerce de Paris (RG n 2018063725) ;

– débouter BNP Paribas de l’ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire de :

– juger que Autoneum France ou sa préposée n’ont commis aucune négligence ou faute lors de l’envoi des ordres de virements litigieux ;

– débouter BNP Paribas de l’ensemble de ses demandes ;

Par conséquent,

-condamner BNP Paribas à payer à Autoneum France la somme de 1.745.514 EUR (un million sept cent quarante-cinq mille cinq cent quatorze euros) avec intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2018 ;

A titre infiniment subsidiaire de :

– juger que les négligences et fautes commises par Autoneum France et sa préposée ne sont pas la cause exclusive du préjudice causé à Autoneum France ;

– débouter BNP Paribas de l’ensemble de ses demandes ;

Par conséquent,

– condamner BNP Paribas à payer à Autoneum France la somme de 1.745.514 EUR (un million sept cent quarante-cinq mille cinq cent quatorze euros) avec intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2018 ;

En tout état de cause de :

– condamner BNP Paribas à payer à Autoneum France la somme de 20.000 EUR (vingt mille euros) au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2023 et l’audience fixée au 11 avril 2023.

CELA EXPOSÉ,

La société Autoneum France poursuit la restitution des fonds sur le fondement des articles 1231-1 et 1937 du code civil, L. 133-6, I, et L. 133-18 du code monétaire et financier.

En l’absence de faute de la part du déposant, ou d’un préposé de celui-ci, et même s’il n’a lui-même commis aucune faute, le banquier n’est pas libéré envers le client qui lui a confié des fonds quand il se défait de ces derniers sur présentation d’un faux ordre de paiement revêtu dès l’origine d’une fausse signature. En revanche, si l’établissement de ce faux ordre de paiement a été rendu possible à la suite d’une faute du titulaire du compte, ou de l’un de ses préposés, le banquier n’est tenu envers lui que s’il a lui-même commis une négligence, en ne décelant pas une signature apparemment différente de celle du titulaire du compte, et ce, seulement pour la part de responsabilité en découlant (Com., 8 nov. 2005, no 03-20.402).

Il est établi en l’espèce que les ordres de virement litigieux étaient faux dès l’origine. Ils étaient en effet revêtus des signatures imitées du président de la société Autoneum France, [K] [G], et de son directeur administratif et financier, [D] [U] (pièce no 9 a de l’intimée).

L’appelante critique le jugement pour en avoir déduit qu’elle n’était pas libérée envers la société Autoneum France, alors qu’il résultait de la convention des parties une présomption irréfragable d’autorisation des opérations de payement litigieuses.

En vertu de l’article L. 133-2 du code monétaire et financier, sauf dans les cas où l’utilisateur est une personne physique agissant pour des besoins non professionnels, il peut être dérogé par contrat aux dispositions de l’article L. 133-23 du même code, lequel dispose:

« Lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, ou affirme que l’opération de paiement n’a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l’opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre.

« L’utilisation de l’instrument de paiement telle qu’enregistrée par le prestataire de services de paiement ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que l’opération a été autorisée par le payeur ou que celui-ci n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations lui incombant en la matière. Le prestataire de services de paiement, y compris, le cas échéant, le prestataire de services de paiement fournissant un service d’initiation de paiement, fournit des éléments afin de prouver la fraude ou la négligence grave commise par l’utilisateur de services de paiement. »

La société BNP Paribas se prévaut sur ce fondement de la lettre de dispense de confirmation signée le 21 janvier 2015 par la société Autoneum France stipulant :

« Dans le cadre des opérations que nous confions à votre établissement et afin d’en permettre un traitement rapide, nous vous remercions de bien vouloir prendre en considération les instructions qui vous parviendront : […]

« Par télécopie

« Nous vous garantissons la valeur des ordres que nous vous transmettons par télécopie et nous nous interdisons de contester les opérations passées aux comptes concernés dès lors que le document télécopié est émis sur papier à en-tête et qu’il est revêtu d’une (ou des) signature(s) accréditée(s) déposée(s) sur les livres de la banque. La comptabilisation de l’opération à notre compte vaudra confirmation de notre part de la validité de l’ordre ainsi donné.

« Dans l’hypothèse où la banque relèverait une anomalie sur la télécopie reçue, elle surseoirait à l’exécution de nos instructions. » (pièce no 1 de l’appelante)

Cette lettre, qui prévoit une confirmation de la validité de l’ordre donné et qui réserve l’hypothèse d’une anomalie, ne crée pas une présomption irréfragable d’authenticité de l’ordre de payement. Les ordres de virement litigieux ont été transmis par télécopie sur papier à en-tête de la société Autoneum France. Les documents ainsi télécopiés n’étaient toutefois pas revêtus de signatures authentiques, de sorte que les opérations ne peuvent être tenues pour autorisées.

À titre subsidiaire, la société BNP Paribas oppose à la société Autoneum les fautes commises par elle et par sa préposée, ayant eu pour effet de permettre ou de faciliter l’émission des faux ordres de virements, à savoir :

‘ le défaut de vigilance d'[V] [R], qui n’a procédé à aucune vérification auprès de [K] [G], de [D] [U], ou de son prédécesseur à la trésorerie de l’entreprise, [W] [P], tous présents au moment des faits ;

‘ le manque de formation et de contrôle interne au sein de la société Autoneum France, où personne n’a consulté le compte pendant les cinq jours ouvrés écoulés entre le premier et le dernier virement, et qui n’avait pas mis en place la signature électronique pour valider ses ordres de payement.

L’intimée réplique que les deux premiers virements ont été débités du compte le 6 avril 2018, les troisième et quatrième le 10 avril 2018 ; que la fraude a été découverte le 11 avril 2018 par la société Autoneum France ; qu’elle n’était pas tenue de passer à la signature électronique qui n’était pas adaptée à ses exigences internes de double signature.

Si la société BNP Paribas a, le 17 octobre 2017, présenté à la société Autoneum France la signature électronique comme plus sûre et moins coûteuse que le traitement des télécopies (pièce no 10 de l’appelante), n’est pas fautif en soi le choix fait par sa cliente entre les modes de passation des ordres offerts par la banque.

Au regard des dates rappelées ci-dessus, aucune négligence non plus n’est caractérisée de la part de la société Autoneum France dans la surveillance de son compte.

Un défaut de vigilance peut toutefois être reproché à [V] [R], embauchée en intérim le 26 février 2018 et qui, le 4 avril 2018, a reçu un appel téléphonique d’une personne se faisant passer pour [K] [G], président de la société Autoneum France (pièce no 9 b de l’intimée). Cette personne lui a indiqué qu’elle souhaitait acheter des actions d’une société dénommée Fantrade, tout en lui précisant que cette transaction devait rester confidentielle en raison d’un prétendu risque de délit d’initié. À la suite de cet appel, [V] [R] a reçu plusieurs courriers électroniques, entre le 4 et le 10 avril 2018, provenant d’une personne se présentant comme « consultant A. M. F. » et lui demandant de transmettre les ordres de virement en cause : 689 743,26 euros le mercredi 4 avril 2018 ; 592 999,74 euros le jeudi 5 avril 2018 ; 499 839,66 euros le lundi 9 avril 2018, 488 194,65 euros le mardi 10 avril 2018. Le 11 avril 2018, [V] [R] interrogeait son prédécesseur, devenu contrôleur de gestion au sein de la société Autoneum France, lequel découvrait l’escroquerie (pièces nos 9 b et 13 de l’intimée).

Or, il résulte de leurs déclarations que le président d’Autoneum France, [K] [G], était présent les 5, 6 et 10 avril, et que le directeur administratif et financier, [D] [U], était quant à lui présent pendant toute la durée des faits (pièce no 9 a de l’intimée), si bien qu’il était possible pour [V] [R] de s’assurer avant le 11 avril 2018 de l’authenticité des instructions qu’elle avait reçues par téléphone et par courrier électronique.

Le manque de prudence d'[V] [R] caractérise une faute de la part d’un préposé du titulaire du compte, qui a facilité l’émission des faux ordres de virement.

À titre infiniment subsidiaire, la société Autoneum France conteste que sa faute soit la cause exlusive de son dommage. Elle dénonce un manquement de la société BNP Paribas à son devoir de vigilance, en ce que :

‘la banque était dans l’impossibilité de vérifier la signature de [K] [G] car elle ne disposait pas d’un spécimen de signature unique, mais de quatre ;

‘ plusieurs indices laissent à penser que les fraudeurs ont eu recours à un photomontage : le caractère identique des signatures sur les quatre ordres de virement, la pixellisation, la taille de ces signatures, anormalement petites, et leur emplacement inhabituel ;

‘la société Autoneum France n’avait pas pour habitude de procéder à des virements importants, nombreux, effectués sur une très courte période, au bénéfice d’entreprises privées en Slovaquie ;

‘ la banque n’a pas passé de contre-appel auprès des personnes habilitées à signer les ordres de virement.

En revanche, l’intimée ne conteste plus devant la cour que les ordres de virement aient été établis sur le papier à l’en-tête de la société.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n’a pas à procéder à de quelconques investigations sur l’origine et l’importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l’interroger sur l’existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu’aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d’un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n’a pas, en principe, à s’ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s’assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.

S’il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l’obligation de vigilance de l’établissement de crédit prestataire de services de paiement, c’est à la condition que l’opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l’opération ou encore du fonctionnement du compte.

La comparaison des signatures apposées sur les faux ordres de virement (pièces nos 11 à 14 de l’appelante) avec les spécimens de signature recueillis par la société BNP Paribas le 8 juillet 2015 (pièce no 3 de l’intimée) et le 10 mai 2017 (pièces nos 3 à 5 de l’appelante) ne révèle pas de différence manifeste. La société Autoneum France ne prétend d’ailleurs pas que les fausses signatures ne correspondraient pas à celles de [K] [G] et de [D] [U], étant au contraire évoqué un photomontage (pièce no 9 a de l’intimée). Ni la similarité des signatures,ni leur taille, ni la pixellisation affectant les télécopies, ni l’emplacement de la signature de [K] [G] sous la mention Le Président au lieu d’être tracée par-dessus, ne constituent davantage des anomalies matérielles qu’aurait dû déceler un employé normalement avisé et diligent.

Au soutien du caractère inhabituel des opérations litigieuses, la société Autoneum France fait valoir que :

‘ elle n’avait jamais procédé à des virements au bénéfice de la société Fantrade, ni plus généralement au bénéfice d’entreprises privées en Slovaquie, mais seulement au bénéfice de l’administration fiscale slovaque pour de faibles montants ;

‘ à l’exception des virements des salaires, de charges sociales, et des virements de trésorerie, elle n’a pas pour habitude de procéder à des virements de l’ordre de 500 000 euros ;

‘ depuis 2017, elle faisait seulement deux virements par mois d’un montant supérieur à 350 000 euros au titre des charges sociales relatives à ses salariés ;

‘ d’une manière générale, les virements de ce compte vers des fournisseurs étaient limités car ce compte était réservé aux transferts de taxe sur la valeur ajoutée (pièces nos 5 à 7, 24 de l’intimée).

Toutefois, ni le montant des virements ‘ qui s’inscrivaient dans le flux économique habituel du compte ‘, ni leur destination vers un compte détenu dans les livres d’une banque dûment agréée au sein d’un pays membre de l’Union européenne, qui n’attirait pas spécialement l’attention en terme de sécurité, ne constituaient des anomalies devant alerter la vigilance de la société BNP Paribas.

Il a néanmoins paru nécessaire à cette dernière de vérifier les ordres reçus, alors qu’en l’absence d’anomalie matérielle apparente, la société BNP Paribas était dispensée de demander une confirmation des opérations, aux termes de la lettre précitée du 21 janvier 2015. La banque a ainsi obtenu une confirmation téléphonique d'[V] [R] (pièce no 23 de l’intimée) qui était l’interlocuteur désigné à la banque, au sein du service de la trésorerie de la société Autoneum France, par un courriel du 16 mars 2018 (pièce no 4 de l’intimée).

La société BNP Paribas avait en effet conscience des risques liés à la passation d’ordres par télécopie pour en avoir alerté la société Autoneum France à plusieurs reprises au cours des mois précédents. La banque explique ainsi que compte tenu du risque important de fraude lié à l’utilisation de la télécopie plutôt que de la signature électronique, elle avait pris l’habitude, à réception des ordres de virement par télécopie, de procéder à un contre-appel auprès du trésorier de la société Autoneum France.

Si la vérification telle qu’elle a été réalisée est aussi louable que pertinente dans son principe, il est regrettable que la banque ne soit pas allée au bout de sa démarche, restée superficielle en ce que la société BNP Paribas n’a pas pris de précaution particulière pour vérifier l’authenticité des ordres de virement. Le contrôle réalisé auprès d'[V] [R] était dépourvu de toute efficacité pour prévenir une fraude au président, voire une simple fraude interne, ce que ne pouvait ignorer la banque, dès lors que le contre-appel n’est pas passé à la personne habilitée à donner l’ordre de payement et à le signer, en l’occurrence [K] [G] ou [D] [U], quand bien même l’interlocuteur habituel de l’établissement bancaire était le trésorier de la société. La vérification auprès des dirigeants de la société Autoneum France aurait conduit à la constatation que les ordres de virements transmis étaient faux.

Dans ces circonstances, l’authentification par la banque des signatures de [K] [G] et de [D] [U] n’a pas été suffisante, ce qui caractérise un manquement de la société BNP Paribas à son devoir de vigilance, qui a concouru à la dissipation des fonds de sa cliente.

Compte tenu de la faute retenue contre l’un des préposés du titulaire du compte et de la négligence imputable au banquier, le jugement entrepris sera infirmé en ce que seule la responsabilité de ce dernier a été retenue comme ayant rendu possible l’établissement des faux ordres de payement, la cour concluant à un partage de responsabilité à raison de 20 % pour la banque et de 80 % pour sa cliente.

La société Autoneum France justifie du montant de son préjudice restant à ce jour, soit 1 745 514 euros, compte tenu, d’une part, des sommes qu’elle a pu récupérer de la CSOB, d’autre part, de l’absence de condamnation pénale faisant suite à sa constitution de partie civile. La société BNP Paribas est, pour sa part de responsabilité, redevable à l’égard de la société Autoneum France de la somme de :

1 745 514 € × 20 % = 349 102,80 euros.

Au vu de ce qui précède, la société Autoneum France échouant en appel pour l’essentiel de ses demandes, il convient de dire que chacune des parties conservera la charge des dépens de première instance et d’appel, et de n’allouer aucune somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA COUR,

PAR CES MOTIFS,

INFIRME PARTIELLEMENT le jugement en ce qu’il :

– Condamne la société BNP Paribas à payer à la société Autoneum France la somme de 1 745 514 euros en restitution des 4 faux virements, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2018 ;

– Condamne la société BNP Paribas aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de taxe sur la valeur ajoutée;

– Condamne la société BNP Paribas à payer à la société Autoneum France la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau dans cette limite, et y ajoutant,

CONDAMNE la société BNP Paribas à payer à la société Autoneum France la somme de 349 102,80 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2018 ;

DIT n’y avoir lieu au prononcé d’une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT que chacune des parties conservera la charge de ses dépens de première instance et d’appel ;

CONFIRME toutes les autres dispositions non contraires ;

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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