Signature électronique : 29 juin 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/06893

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Signature électronique : 29 juin 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/06893
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5

ARRÊT AU FOND

DU 29 JUIN 2023

N°2023/

MS/KV

Rôle N° RG 22/06893 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJMNG

[J] [U]

C/

S.A. ESPACE GROUP

S.A.S. [Localité 4] MUSIC

Copie exécutoire délivrée

le : 29/06/23

à :

– Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

– Me Yves LE MAUT, avocat au barreau de NICE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NICE en date du 05 Avril 2022 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 21/00054.

APPELANTE

Madame [J] [U], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Lionel BUDIEU, avocat au barreau de NICE,

et Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEES

S.A. ESPACE GROUP, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Yves LE MAUT, avocat au barreau de NICE

S.A.S. [Localité 4] MUSIC, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Yves LE MAUT, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

Les avocats ayant été invités à l’appel des causes à demander à ce que l’affaire soit renvoyée à une audience collégiale s’ils n’acceptaient pas de plaider devant les magistrats rapporteurs et ayant renoncé à cette collégialité, l’affaire a été débattue le 4 avril 2023 devant Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre, et Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller.

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Karen VANNUCCI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023.

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [U] a été engagée par la SAS [Localité 4] Music en qualité d’animatrice, à compter du 17 septembre 2012 par contrat à durée indéterminée.

A compter du 8 octobre 2015, par la signature d’un nouveau contrat de travail à durée indéterminée, la salariée a été promue aux fonctions de technicien, animateur, programmateur au coefficient 145, 2ème échelon de la convention collective de la radiodiffusion, moyennant un salaire brut moyen mensuel qui s’élevait en dernier lieu à 1 824, 55 euros.

Au mois de juillet 2020, la SA Espace Group est devenue l’associée majoritaire de la SAS [Localité 4] Music par opération de rachat.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la radiodiffusion du 11 avril 1996.

Après avoir été convoquée le 5 octobre 2020 à un entretien préable fixé le 27 octobre 2020, auquel elle s’est présentée, Mme [U] a réceptionné le 28 octobre 2020 une ‘note d’information sur les motifs économiques venant à l’appui du projet de licenciement envisagé’.

Le 3 novembre 2020, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la salariée a été licenciée pour motif économique, à titre conservatoire, sous réserve de la rupture d’un commun accord de son contrat, par adhésion au contrat de sécurisation professionnelle (CSP).

Le 20 novembre 2020, la relation contractuelle a été réputée rompue d’un commun accord par adhésion au CSP.

Le 29 janvier 2021, Mme [U], a saisi le conseil de prud’hommes de Nice aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement pour motif économique, d’obtenir une requalification de sa classification professionnelle, ainsi que diverses sommes tant en exécution qu’au titre de la rupture de son contrat de travail.

Par jugement rendu le 5 avril 2022, le conseil de prud’hommes a :

– débouté Mme [U] de sa demande de requalification,

– dit que le licenciement économique n’a pas été assorti d’une recherche effective de reclassement

– requalifié en conséquence le licenciement de Mme [U] en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamné la société [Localité 4] Music à payer à Mme [U] les sommes suivantes :

* 8 652 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties des autres demandes tant principales que reconventionnelles,

– mis les dépens à la charge du défendeur.

Mme [U] a interjeté appel de cette décision dans des formes et des délais qui ne sont pas critiqués.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 22 décembre 2022.

A l’audience de plaidoiries du 3 janvier 2023, à laquelle l’affaire a reçu fixation, les sociétés [Localité 4] Music et Espace Group ont demandé le report de l’ordonnance de clôture aux fins de répondre aux conclusions tardives de l’appelante, ainsi que le rejet de la pièce n°28 tardivement communiquée.

Par arrêt rendu le 16 février 2023, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture, en a reporté le prononcé à la date du 2 mars 2022 et a renvoyé la cause et les parties à l’audience du 4 avril 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 janvier 2023, Mme [U], appelante, demande à la cour de réformer le jugement, de débouter les sociétés [Localité 4] Music et Espace Group de leurs demandes et de condamner les intimées au paiement d’une somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, ceux d’appel distraits au profit de la SELARL Lexavoué Aix-en-Provence, avocats aux offres de droit.

Statutant à nouveau, Mme [U] demande à la cour de ‘dire et juger’ que :

– elle a exécuté les fonctions de directrice d’antenne en toute autonomie,

– la mesure de licenciement économique est dépourvue de toute cause réelle et sérieuse,

– en s’abstenant de lui remettre, malgré ses demandes, ses bulletins de salaire pendant cinq mois, la société [Localité 4] Music a commis des faits de travail dissimulé.

En conséquence, elle demande à la cour de condamner la société [Localité 4] Music à lui verser les sommes suivantes :

– 10 801,15 euros à titre de rappel de salaire,

– 1 080, 11 euros au titre des congés payés y afférents,

– 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 12 981, 60 euros au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

L’appelante fait valoir que:

– depuis 2015 elle exerçait des fonctions réelles de directrice d’antenne, notamment car elle encadrait et dirigeait seule les programmes et les antennes avec une autonomie totale dans l’organisation de son travail et elle était identifiée en cette qualité par les divers interlocuteurs de la société [Localité 4] Music. Par conséquent, elle doit être classée au coefficient 180 de la convention collective applicable et se trouve bien-fondée à réclamer un rappel de salaire depuis 2018 ;

-son licenciement doit être reconnu comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, aucun motif économique n’étant caractérisé. La société [Localité 4] Music ne justifie pas de la réalité des difficultés économiques rencontrées au niveau de l’entreprise, ni au niveau du secteur d’activité de la radiodiffusion commun au groupe Espace group ;

– en outre, son employeur ne justifie d’aucune recherche de reclassement sérieuse au niveau du groupe ;

– le montant de l’indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse réclamée se justifie en raison de son préjudice, constitué par le fait qu’elle n’a pas retrouvé d’emploi dans le secteur de la radiodiffusion et n’a pu trouver un poste dans le domaine de la restauration qu’à compter du mois d’avril 2022 ;

– par ailleurs, son employeur ne lui a plus délivré ses bulletins de salaires à compter du mois de mai 2020 jusqu’au mois de septembre 2020 malgré ses demandes réitérées, ceux-ci lui ayant été remis seulement au cours de la procédure de première instance, de sorte qu’elle est fondée à solliciter l’indemnité forfaitaire au titre du travail dissimulé.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 février 2023, les sociétés [Localité 4] Music et Espace Group, intimées, demandent à la cour de débouter l’appelante de ses demandes et de condamner Mme [U] au paiement d’une somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Les sociétés intimées demandent à la cour de :

– prononcer le licenciement pour motif économique causé,

– ‘dire et juger’ que Mme [U] ne rapporte pas la preuve qu’elle réalise des fonctions de directrice d’antenne et, en conséquence, de la débouter de sa demande de requalification de sa fonction,

– ‘dire et juger’ que les bulletins de salaire revendiqués lui ont été remis,

– ‘dire et juger’ que Mme [U] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice au titre du travail dissimulé,

– en conséquence, la débouter de sa demande de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé,

– la débouter de sa demande d’astreinte.

Les intimées répliquent que :

– Mme [U] ne rapporte pas la preuve qu’elle exerçait effectivement des fonctions de directrice d’antenne et n’a d’ailleurs jamais formulé de réclamation à ce titre, ni sollicité le salaire correspondant à la classification qu’elle revendique durant l’exécution des relations contractuelles ;

– elle ne justifie d’aucun pouvoir de direction sur du personnel, ni d’une autonomie réelle dans l’organisation de son travail, telle que celle requise par la classification conventionnelle de directrice d’antenne ;

– les activités exercées à titre principal correspondent à sa classification contractuelle de technicien, animateur, programmateur et si elle a pu réaliser certaines tâches pouvant relever de la fonction de directrice d’antenne, celles-ci n’étaient que purement accessoires et effectuées sur instructions de la direction ;

– les difficultés économiques sont démontrées par la persistance d’un niveau de chiffre d’affaires trop bas sur les exercices 2018, 2019 et 2020 par rapport aux charges de la société [Localité 4] Music, qui ont appelé une réorganisation de la société indispensable à sa survie ;

– ces difficultés économiques existaient au niveau du secteur d’activité de la radiodiffusion commun au groupe, la société Espace Group justifie d’une chute de son résultat d’exploitation en 2020 sur ce secteur ;

– au demeurant des recherches de reclassement ont été entreprises mais il n’existait aucun poste d’animatrice ou équivalent disponible sur le groupe, auquel Mme [U] aurait pu prétendre ;

– les bulletins de salaires de Mme [U] lui ont été transmis en temps utile et au demeurant elle ne justifie d’aucun préjudice résultant de leur transmission tardive et doit en conséquence être déboutée de sa demande d’indemnité au titre du travail dissimulé.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

1- Sur la demande de reclassification

La catégorie professionnelle dont relève un salarié se détermine relativement aux fonctions réellement exercées (Soc. 30juin 1988, Bull. V n°398) et l’appréciation des fonctions exercées s’effectue par rapport à la grille de classification fixée par la convention collective (Soc. 26 octobre 1999, Bull. V n°412).

Il incombe au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail de démontrer qu’il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique.

Déterminer la classification dont relève un salarié suppose l’analyse de la réalité des fonctions par lui exercées, au vu des éléments produits par les parties, et leur comparaison avec la classification de la convention collective nationale applicable.

Les mentions portées sur le bulletin de paie ou l’attribution d’un salaire nettement supérieur au salaire minimum correspondant à l’emploi exercé ou même les mentions du contrat de travail ne sont que des indices, non déterminants à eux seuls.

En l’espèce, Mme [U], a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 17 décembre 2012.

Par la signature d’un nouveau contrat à durée indéterminée en date du 8 octobre 2015, elle a été promue aux fonctions de technicien, animateur, programmateur et a été classée au coefficient 145, 2ème échelon de la convention collective de la radiodiffusion. Elle percevait en dernier lieu une rémunération brute moyenne mensuelle de 1 824, 55 €.

Aux termes de l’article relatif aux coefficients de la convention collective nationale de la radiodiffusion, l’emploi repère d’animateur, technico-réalisateur (2e échelon) est ‘chargé de l’animation d’une ou plusieurs tranches horaires. Il est chargé également de coordonner l’ensemble des constituantes d’une émission (éléments sonores, technique, publicité)’.

S’agissant du coefficient 145, la grille conventionnelle de classification des emplois précise que l’emploi implique des responsabilités et une autonomie dans l’organisation des tâches liées à la fonction.

La classification de directrice d’antenne revendiquée par Mme [U] correspond à l’indice 180 de la convention collective précitée qui dispose que le directeur des programmes a pour ‘mission de créer une stratégie de programme et de veiller à l’application de cette stratégie’.

La grille conventionnelle de classification des emplois indique que l’emploi recquiert ‘une autonomie totale dans l’organisation du travail ».

Pour réclamer la classification de directrice d’antenne, Mme [U] verse aux débats :

– sa carte de visite qui mentionne le titre de ‘directrice d’antenne / programmatrice’;

– des échanges de courriels avec divers partenaires externes de [Localité 4] radio, ainsi qu’avec la direction de la société [Localité 4] Music ;

– un courrier de M. [G], de la société Audio Research, qui indique que la salariée, qu’il identifie comme directrice d’antenne, était sa référente quant à son programme de diffusion, Open Radio et qu’il s’adressait à elle lorsqu’il ‘fallait planifier des séances de formation pour tes équipes, ce qui est arrivé deux fois quand tu étais en poste’;

– un courrier signé par Mme [N], attachée de presse et par M. [S], directeur du label AldaMédia, par lequel ils attestent avoir ‘été en contact à maintes reprises avec Mme [U] [J], directrice d’antenne de [Localité 4] radio’ et expliquent ‘il nous est arrivé de venir au 1 place Massena, les locaux de [Localité 4] radio afin de faire des interviews, des liners et autres propositions commerciales pour l’artiste’;

– une attestation de Mme [R], attachée commerciale au sein de [Localité 4] radio, qui décrit des tâches de gestion du personnel exercées par Mme [U], telles que la gestion des plannings, de certains recrutements de journalistes ;

– un courriel de M. [I], ancien directeur d’antenne de [Localité 4] radio, qui indique qu’à compter du mois de mars 2015 ‘c’est la salariée, Mme [J] [U] qui a pris la totalité des fonctions que j’occupais et à fortiori le titre’.

L’intitulé de directrice d’antenne mentionné sur la carte de visite, ainsi que sur la signature électronique des courriels est insuffisant à la démonstration qu’elle occupait réellement ces fonctions, alors que le contrat de travail du 8 octobre 2015 indiquait par ailleurs des fonctions de technicien, animateur et programmateur.

Les attestations de M. [G] et de Mme [N], ainsi que les multiples courriels produits montrent que Mme [U] était perçue en qualité de directrice d’antenne par les interlocuteurs extérieurs à la société. En revanche, aucune pièce ne prouve qu’elle était considérée comme tel par la direction de [Localité 4] radio.

Il ressort de ces éléments que la salariée avait des contacts réguliers avec les partenaires de [Localité 4] radio pour organiser les émissions tant du point de vue de leur contenu, que du point de vue technique. Toutefois, ces tâches correspondent à la mission de coordination l’ensemble des constituantes d’une émission (éléments sonores, technique, publicité) prévue par le coefficient 145 de la convention collective, sans que les pièces produites permettent de constater que Mme [U] exédait les responsabilités et l’autonomie attachées à ce coefficient en encadrant et dirigeant les programmes en totale autonomie.

Il résulte notamment du courriel du 24 avril 2017, que Mme [C] [H] lui communique des instructions du dirigeant, M. [D], en vue d’un rendez-vous avec le CTA (comité territorial de l’audiovisuel).

Il apparait en outre, que Mme [U] admet elle-même qu’elle n’occupe pas le poste de directrice d’antenne dans son courriel du 5 avril 2016, adressé à Mme [C], par lequel elle sollicite un retour quant à des difficultés rencontrées dans l’exécution de son travail. En sus, la cour observe que Mme [U] a signé ce courriel, adressé à sa direction, en qualité de ‘coordinatrice d’Antenne/Programmatrice’.

L’attestation de Mme [R], salariée de [Localité 4] radio, décrit des tâches relatives à la gestion du personnel, sans qu’il soit pour autant établi que Mme [U] assurait des fonctions spécifiques de direction et d’encadrement du personnel de manière autonome au sens de la convention collective, dans la mesure où il ressort des propos de Mme [R] qu’elle identifiait Mme [U] comme une interlocutrice de proximité, en interface avec la direction : ‘était la seule à nous diriger sur place’, ‘toutes les questions étaient soumises et traitées par la directrice bien sûre en corrélation avec notre patron Monsieur [D] [X]’. L’attestation de Mme [R] est ainsi insuffisante pour prouver que Mme [U] prenait seule les décisions concernant le personnel et n’agissait pas sur instructions de la direction.

Concernant le courriel de M. [I], ancien directeur d’antenne de la société, dans lequel il explique que Mme [U] lui aurait succédé dans ses fonctions à compter de mars 2015, ne saurait prouver qu’elle a réellement exercé des fonctions de directrice d’antenne, dans la mesure où M. [I] a cessé sa collaboration avec [Localité 4] radio et n’a donc pas été personnellement témoin des tâches exécutées par Mme [U].

En l’état des éléments soumis à l’appréciation de la cour, il est insuffisamment démontré que Mme [U] assurait, à titre principal, des fonctions effectives de directrice d’antenne.

La décision des premiers juges doit être en conséquence confirmée, en ce qu’elle a débouté Mme [U] de sa demande de reclassification en qualité de directrice d’antenne, au coefficient 180 de la convention collective nationale de la radiodiffusion, ainsi que du rappel de salaire subséquent.

2- Sur les demandes au titre de l’absence de délivrance des bulletins de salaires

Aux termes de l’article 1353 du code civil : celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Il appartient donc à l’employeur qui prétend avoir délivré les bulletins de salaire d’en rapporter la preuve.

Par ailleurs, la circonstance que le salarié ait tardé pour réclamer ses droits, n’implique pas de sa part renonciation à ses droits.

En l’espèce, l’employeur qui se contente d’affirmer que les bulletins de salaire des mois de mai à septembre 2020 ont été remis à la salariée en temps utile, par lettre simple, ne verse aucun élément objectif de nature à prouver leur délivrance effective aux échéances de paie et justifie uniquement de leur communication pendant la procédure prud’homale.

A défaut de satisfaire à la charge de la preuve qui lui incombe, il s’ensuit que le manquement de l’employeur constitué par la remise tardive des bulletins de salaire est caractérisé.

3- Sur la demande au titre du travail dissimulé

Selon l’article L. 8221-5 du code du travail :

Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur:

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux

cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

En l’espèce, l’intention de se soustraire à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie apparaît caractérisée en ce que la salariée a alerté sa hiérarchie, par courriel, le 2 septembre 2020, de l’absence de réception de son bulletin de paie du mois de septembre 2020, à la suite duquel l’employeur ne justifie d’aucune action pour régulariser la situation.

Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté Mme [U] de sa demande en reconnaissance et indemnisation d’un travail dissimulé.

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

Mme [U] a été licenciée pour motif économique, à titre conservatoire, sous réserve de la rupture d’un commun accord de son contrat par adhésion au CSP par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 3 novembre 2020, ainsi motivée :

« Nous faisons suite à l’entretien préalable qui s’est déroulé le 27 Octobre 2020, et au cours duquel nous vous avons exposé les raisons pour lesquelles nous sommes contraints d’envisager votre licenciement pour motif économique, et que nous vous rappelons ci-après :

La société [Localité 4] MUSIC fait partie du secteur de la radiodiffusion du groupe ESPACE GROUP.

A la date du rachat de cette société et jusqu’à aujourd’hui, la société [Localité 4] MUSIC a rencontré des difficultés économiques, qui se sont particulièrement aggravées ces derniers mois dans le cadre de l’épidémie de COVID-19, et qui persistent à ce jour avec ce deuxième confinement que nous sommes en train de vivre.

Afin de faire face à la chute d’activité résultant de la crise sanitaire, la société [Localité 4] MUSIC est contrainte d’avoir recours au dispositif d’activité partielle.

Ces efforts ne suffisent cependant pas à enrayer la chute du chiffre d’affaires de la société [Localité 4] MUSIC, qui s’avère durable, ainsi que la baisse du résultat d’exploitation.

En effet, les investissements publicitaires, principales sources de revenus du secteur de la radiodiffusion d’ESPACE GROUP, ont considérablement baissé sur tout le territoire national.

Au niveau du secteur de la radiodiffusion d’ESPACE GROUP, cela s’est traduit par une chute catastrophique du résultat d’exploitation.

A fin Juin 2020, le résultat d’exploitation a chuté à -90 K€.

L’analyse des projections commerciales ne permettant pas d’envisager un retour à l’équilibre à court ou moyen terme, les difficultés économiques du secteur d’activité du Groupe nécessitent aujourd’hui obligatoirement une réorganisation de ses ressources internes dans une perspective de rationalisation afin de sauvegarder la pérennité de l’activité.

Cette réorganisation entraîne la suppression de votre poste d’Animatrice Technico Réalisatrice.

Conformément à l’obligation de reclassement qui nous incombe, nous avons recherché des éventuelles solutions de reclassement dans les entreprises du groupe auquel notre société appartient.

Ces recherches n’ont malheureusement pas permis d’identifier un poste susceptible de permettre votre reclassement.

En l’absence de toute solution de reclassement, nous nous voyons en conséquence contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement à titre conservatoire pour motif économique.

À ce titre, nous vous avons proposé de bénéficier du Contrat de Sécurisation Professionnelle (CSP) le 30 octobre 2020.

Tous les documents vous ont été remis à cette occasion, et nous vous avons rappelé que vous disposiez d’un délai de réflexion de 21 jours calendaires courant à compter du lendemain de la date de remise de ce document pour accepter ou refuser cette convention, soit jusqu’au 20 novembre 2020.

Nous vous rappelons que l’absence de réponse dans ce délai sera assimilée à un refus d’adhésion.

Si vous adhérez au CSP, votre contrat de travail sera rompu d’un commun accord à l’expiration du délai de réflexion de 21 jours, soit le 20 novembre 2020.

La présente lettre sera sans objet et le préavis ne sera pas effectué.

A compter de cette date, vous bénéficierez du statut de stagiaire de la formation professionnelle.

A ce titre, nous vous informons que, conformément à l’article L.1233-67 du Code du travail, toute contestation portant sur la rupture de votre contrat de travail ou son motif se prescrit par 12 mois à compter de l’adhésion au CSP.

En l’absence d’adhésion au CSP, ou en l’absence de réponse de votre part dans le délai de 21 jours, le présent courrier constituera donc la notification de votre licenciement pour motif économique.

Dans cette dernière hypothèse, votre préavis d’une durée de deux mois s’engagera, conformément à l’article L.1234-3 du Code du travail, à la date de première présentation du présent courrier recommandé.

Vous êtes dispensée de l’exécution de votre préavis qui vous sera rémunéré à l’échéance habituelle de la paye. Cette dispense commence donc à compter de la première présentation du présent courrier. (…)»

1- Sur le motif économique du licenciement

Selon l’article L 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant d’une suppression ou transformation d’emploi, ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à :

1º A des difficultés économiques (…)

2º A des mutations technologiques ;

3º A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4º A la cessation d’activité de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L.233-16 du code de commerce.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Il appartient à l’employeur de démontrer la réalité des difficultés économiques ou du risque pesant sur la compétitivité et la nécessité de procéder à une réorganisation de l’entreprise au moment où il licencie.

Le juge est tenu de contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique du licenciement, de vérifier l’adéquation entre la situation économique de l’entreprise et les mesures affectant l’emploi ou le contrat de travail envisagées par l’employeur, mais il ne peut se substituer à ce dernier quant aux choix qu’il effectue dans la mise en oeuvre de la réorganisation.

En l’espèce, les parties s’accordent sur le fait que le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique est celui de la radiodiffusion, commun à la société [Localité 4] music et aux entreprises du groupe Espace group.

S’agissant du motif économique, sont invoquées dans la lettre de licenciement à titre conservatoire du 3 novembre 2020, les difficultés économiques rencontrées par la société [Localité 4] Music, notamment la chute durable de son chiffre d’affaires et de son résultat d’exploitation, ainsi que la chute du résultat d’exploitation au niveau du secteur de la radiodiffusion des entreprises du groupe Espace Group, à hauteur 90 000 euros à la fin du mois de juin 2020.

Il est soutenu que, dans ce contexte, il était nécessaire de procéder à une réorganisation des ressources internes, impliquant la suppression du poste d’animatrice technico réalisatrice occupé par Mme [U].

L’employeur ne produit que les pièces comptables de la SAS [Localité 4] Music (bilan, compte de résultat, déclaration d’impôt sur les sociétés) pour les exercices 2018, 2019 et 2020 qui ne permettent pas de constater la baisse du résultat d’exploitation alléguée à l’échelle du secteur de la radiodiffusion commun à l’entreprise [Localité 4] Music et aux autres entreprises du groupe Espace Group.

Les bilans de la société Espace Group, versés aux débats par Mme [U] qui font apparaître un bénéfice sont inopérants dans la mesure où une société qui ne connaît pas de difficulté économique est autorisée à prononcer des licenciements pour motif économique si l’un secteur d’activité commun au groupe auquel elle appartient connaît des difficultés économiques.

La cour relève néanmoins que ces bilans généraux, qui ne distinguent pas selon les différents secteurs d’activité, ne permettent pas davantage d’apprécier la situation économique du secteur de la radiodiffusion.

Il résulte de ce qui précède que l’employeur échoue à rapporter la preuve des difficultés économiques au niveau du secteur d’activité de la radiodiffusion commun à la société [Localité 4] Music et aux entreprises du groupe Espace Group. Le lienciement de Mme [U] se trouve par conséquent dépourvu de cause réelle et sérieuse, sans qu’il y ait lieu d’examiner le respect de l’obligation de reclassement.

Dès lors, par des motifs substitués à ceux des premiers juges, la décision entreprise sera confirmée en ce qu’elle a dit le licenciement de Mme [U] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

2- Sur l’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse

Selon l’Article L1235-3 du code du travail modifié par la loi du 29 mars 2018 : si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant minimal est fixé dans le tableau prévu par le texte.

Mme [U] justifie de 8 ans d’ancienneté dans une entreprise qui emploie habituellement moins de 11 salariés.

En application de l’article susvisé, Mme [U] est fondée à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant minimal est fixé à 3 mois de salaire.

Mme [U], âgée de 40 ans au moment du licenciement, justifie de sa situation de demandeur d’emploi jusqu’au mois d’octobre 2021 et expose n’avoir pu retrouver d’emploi dans le secteur de la radio diffusion mais uniquement un poste dans le secteur de la restauration au mois d’avril 2022.

Eu égard, à son âge, à son ancienneté dans l’entreprise, au montant de sa rémunération, aux circonstances de la rupture et à ce qu’elle justifie de sa situation postérieure à la rupture, la cour lui alloue une somme équivalente à 6 mois de salaires, soit la somme de 10 947, 30 euros.

3- Sur l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

L’article L. 8223-1 du code du travail dispose : En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Cette indemnité forfaitaire n’est exigible qu’en cas de rupture de la relation de travail. Elle est due quelle que soit la qualification de la rupture.

Il résulte des bulletins de salaire versés aux débats qu’au dernier état des relations contractuelles, Mme [U] percevait un salaire brut mensuel moyen de 1 824, 55 euros.

Par infirmation du jugement entrepris, la société [Localité 4] Music sera en conséquence condamnée au paiement d’une somme de 10 947, 30 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé.

Sur les autres demandes

1-Sur la remise de documents

La cour ordonne à la SAS [Localité 4] Music de remettre à Mme [U] les documents de fin de contrat rectifiés: l’attestation destinée au Pôle emploi, le certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision.

Il n’est pas nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte.

Sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la SAS [Localité 4] Music sera condamnée au paiement d’une indemnité de 2.500 euros, ainsi qu’aux dépens, ceux d’appel distraits au profit de la SELARL Lexavoué Aix-en-Provence, avocats aux offres de droit.

La SAS [Localité 4] Music et la SA espace Group seront déboutées de leur demande d’indemnité de procédure en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu’il a :

Débouté Mme [U] de sa demande en reconnaissance et indemnisation d’un travail dissimulé,

Condamné la SAS [Localité 4] Music à payer à Mme [U] [J] la somme de 8 652 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la SAS [Localité 4] Music à payer à Mme [U] [J] une somme forfaitaire de 10 947, 30 au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

Condamne la SAS [Localité 4] Music à payer à Mme [U] [J] une somme de 10 947, 30 à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Y ajoutant,

Ordonne à la SAS [Localité 4] Music de remettre à Mme [U] [J] un bulletin de salaire, le certificat de travail et l’attestation Pôle emploi rectifiés conformes au présent arrêt,

Dit n’y avoir lieu de prononcer une astreinte,

Condamne la SAS [Localité 4] Music aux dépens de première instance et d’appel, avec distraction au profit de SELARL Lexavoué Aix-en-Provence, avocats aux offres de droit,

Condamne la SAS [Localité 4] Music à payer à Mme [U] [J] une somme de 2.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SAS [Localité 4] Music et la SA Espace Group de leur demande d’indemnité de procédure en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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