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ARRET
N°
[G]
C/
Association ASSOCIATION SCOLAIRE [6]
copie exécutoire
le 20/09/2023
à
Me LETICHE
Me BORZAKIAN
EG/IL/
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 20 SEPTEMBRE 2023
*************************************************************
N° RG 22/04829 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IS62
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 28 SEPTEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 21/00006)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [V], [T], [O] [G]
né le 09 Juillet 1961 à [Localité 7] ([Localité 7])
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté, concluant et plaidant par Me Arnaud LETICHE de la SELARL L.E.A.D AVOCATS, avocat au barreau de COMPIEGNE
ET :
INTIMEE
ASSOCIATION SCOLAIRE [6]
[Adresse 4]
[Localité 1]
comparante, non munie de pouvoir
représentée, concluant et plaidant par Me Jérôme BORZAKIAN de la SELARL WEIZMANN BORZAKIAN, avocat au barreau de PARIS
DEBATS :
A l’audience publique du 05 juillet 2023, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
– Mme Eva GIUDICELLI en son rapport,
– les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Mme Eva GIUDICELLI indique que l’arrêt sera prononcé le 20 septembre 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 20 septembre 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
*
* *
DECISION :
M. [G], né le 9 juillet 1961, a été embauché par l’association scolaire [6] (l’association ou l’employeur) par contrat à durée indéterminée du 15 août 1994 avec reprise d’ancienneté au 6 août 1990, en qualité de chef d’équipe.
Au dernier état de la relation contractuelle, il exerçait les fonctions d’adjoint au chef d’établissement, responsable de la gestion matérielle des bâtiments et de l’encadrement des personnels affectés à son service.
Son contrat est régi par la convention collective nationale de l’enseignement privé non lucratif.
L’association emploie plus de 10 salariés.
M. [G] a été placé en arrêt de travail à compter du 7 mars 2020.
Par courrier du 26 mai 2020, il a été convoqué à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire fixé au 9 juin 2020.
Par courrier du 17 juin 2020, il a été licencié pour faute grave.
S’estimant victime de harcèlement moral et contestant le bien fondé de son licenciement, il a saisi le conseil de prud’hommes de Soissons le 8 février 2021.
Par jugement du 28 septembre 2022, le conseil de prud’hommes a :
– fixé le salaire de référence à la somme de 4 579,64 euros,
– dit et jugé que le licenciement pour faute grave était justifié,
– dit et jugé l’absence de harcèlement moral subi par M. [G],
– débouté M. [G] de ses demandes,
– débouté l’association scolaire [6] de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Par conclusions remises le 3 avril 2023, M. [G], régulièrement appelant de ce jugement, demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu le 28 septembre 2022 en ce qu’il :
– a dit et jugé que le licenciement pour faute grave était justifié,
– a dit et jugé l’absence de harcèlement moral
– l’a débouté de ses demandes pécuniaires,
Statuant à nouveau,
A titre principal
– le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,
– fixer le salaire de référence à 4 579,64 euros,
– juger qu’il n’a commis aucune faute grave dans l’exercice de ses fonctions,
– juger qu’il a été victime de harcèlement moral,
En conséquence,
– juger que le licenciement est abusif,
– condamner l’association scolaire [6] à lui payer les sommes suivantes :
‘ 13 738,92 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ainsi que 1 373,89 euros au titre des congés payés y afférents,
‘ 91 592,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ 42 107,24 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
‘ 27 477,84 euros à titre de dommages et intérêts pour le harcèlement moral subi,
A titre subsidiaire
– prononcer la nullité du jugement rendu le 28 septembre 2022,
En tout état de cause,
– condamner l’association scolaire [6] à lui payer 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et d’appel,
– juger que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête le 8 février 2021, avec capitalisation,
– condamner l’association scolaire [6] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Par conclusions remises le 14 mars 2023, l’association scolaire [6] demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu le 28 septembre 2022 ;
– débouter en conséquence M. [G] de l’intégralité de ses demandes ;
– condamner M. [G] au paiement d’une indemnité à hauteur de 4 278 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [G] en tous les dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS
1/ Sur la nullité du jugement
M. [G] soulève, subsidiairement, la nullité du jugement au motif que Mme [W], présidente employeur de la formation de jugement ayant rendu la décision déférée, a occupé les fonctions de trésorière (2016-2018) puis de présidente (2019-2020) de l’association de parents d’élèves intervenant auprès des établissements de l’association scolaire [6], donc notamment auprès de Mme [Y], ce qu’il n’a découvert qu’après le prononcé du jugement.
L’employeur répond que cette situation ne correspond à aucune des causes de récusation prévues par l’article L.1457-1 du code du travail et qu’en tout état de cause, la demande de récusation aurait dû être faite avant la clôture des débats devant le conseil de prud’hommes, et ce d’autant que M. [G] avait parfaitement connaissance du problème.
S’agissant d’une cause de nullité d’ordre public qui doit être relevée d’office, il convient de l’examiner en premier lieu, nonobstant le caractère subsidiaire que le salarié a souhaité lui conférer.
L’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose notamment que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.
En l’espèce, il n’est pas contesté que Mme [W], mentionnée en qualité de présidente de la formation de jugement ayant rendue la décision déférée à la cour, a occupé des fonctions de trésorière puis de présidente au sein d’une association de parents d’élèves intervenant auprès de l’association scolaire [6] de 2016 à 2020.
Aucun élément ne permettant d’établir que M. [G] a eu connaissance de son identité avant la notification du jugement, le moyen tiré du défaut d’impartialité du président de la composition de jugement du conseil de prud’hommes est recevable.
Du fait de ses fonctions au sein de l’association de parents d’élèves, Mme [W] était en contact avec les chefs d’établissement successifs de l’association scolaire [6] à l’occasion de réunions, mais également avec M. [G], comme le confirme les feuilles d’émargement produites, notamment dans un temps contemporain des faits dénoncés par ce dernier aux termes de la présente procédure.
Néanmoins, il convient de relever que la nature même de ces fonctions, qui ne lui conféraient aucune vocation à être informée de la gestion du personnel de l’association scolaire [6], ne crée aucun conflit d’intérêts ni situation de pré-jugement.
Dès lors, l’impartialité de Mme [W] ne saurait être valablement remise en cause et la demande de nullité du jugement doit être rejetée.
2/ Sur l’exécution du contrat de travail
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [G] expose qu’il a été victime d’un harcèlement moral de la part de Mme [Y], cheffe d’établissement à compter de septembre 2018, caractérisé par «une mise au placard», des brimades et mises en cause injustifiées, y compris pendant son arrêt de travail, ayant conduit à la dégradation de son état de santé.
L’employeur conteste toute mise à l’écart affirmant que le salarié participait effectivement aux différentes réunions de fonctionnement à l’exception du conseil de direction pédagogique qui ne relevait pas de ses attributions, que les statuts de l’association et le respect des procédures internes impliquaient qu’il exerce ses fonctions sous le contrôle du chef d’établissement, nonobstant les pratiques antérieures.
Il conteste, également, tout comportement vexatoire mettant en cause l’impartialité et la pertinence des attestations produites et rappelant que le remplacement du salarié n’avait été envisagé qu’en CDD du fait de son arrêt de travail.
Enfin, il souligne l’absence de plainte du salarié en cours d’exécution de son contrat de travail et considère que les pièces médicales produites ne font pas preuve de l’existence d’une souffrance psychologique imputable à la dégradation des conditions de travail de ce dernier.
Si aucune des pièces produites ne permet d’établir une mise à l’écart de M. [G] qui a plutôt fait l’objet d’un recadrage dans ses relations avec le chef d’établissement et ses pratiques «d’électron libre», il est constant qu’il a fait l’objet d’un avertissement notifié le 13 février 2020.
Par ailleurs, Mme [Y] use dans plusieurs échanges avec M. [G] de propos suspicieux, culpabilisant et menaçant tels que :
– le 2 mars 2020, jour de reprise de M. [G] après une période de congé, Mme [Y] lui adresse un courriel à 9h35 en ces termes : «Bonjour M. [G], Puis-je enfin avoir des réponses à mes questions et mes mails ‘ A moins évidemment que vous ne soyez pas au travail ce matin ‘»,
– le 16 mars 2020, une semaine après le placement en arrêt-maladie de M. [G], Mme [Y] lui enjoint par courrier de transmettre les codes informatiques permettant d’activer et désactiver les alarmes des établissements précisant «Il s’agit d’une faute de votre part»,
– le 1er avril 2020, toujours pendant l’arrêt-maladie de M. [G], Mme [Y] lui enjoint de remettre son téléphone professionnel précisant «Ce service qu’il m’a été bien compliqué d’assurer à cause de votre fonctionnement exclusif et opaque.»,
– le 14 avril 2020, toujours pendant l’arrêt-maladie de M. [G], Mme [Y] lui adresse un courriel contenant les termes suivants «Je terminerai ce mail en évoquant le fait que si vos intentions étaient si claires que vous chercher à le faire croire, le vendredi 6 mars, quand vous avez pris le temps de venir avec votre véhicule personnel pour récupérer vos effets dans votre bureau, de laisser sur celui-ci les clefs du véhicule de fonction avec lequel habituellement vous partez en week-end, vous n’auriez sans doute pas agi ainsi 3 jours avant de vous faire arrêter…»,
– le 29 avril 2020, toujours pendant l’arrêt-maladie de M. [G], Mme [Y] lui adresse un courriel contenant les termes suivants «2 mois déjà que vous êtes en arrêt et que vous contraigniez chacun à se « débrouiller » sans les outils de travail utiles ; cela n’a que trop duré, d’autant que désormais votre poste est remplacé.»
Ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral.
Or, l’employeur n’apporte aucun élément permettant de prouver que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En effet, aucune pièce ne permet d’établir que M. [G] a effectivement utilisé la signature électronique de M. [A], précédent chef d’établissement, qui ne le confirme pas dans l’attestation pourtant fournie à la demande de l’employeur, fait qui a motivé l’avertissement du 13 février 2020 contesté par courrier du 4 mars 2020.
D’autres part, s’il ressort du témoignage de M. [A], chef d’établissement de 2016 à 2018, que la façon dont M. [G] exerçait ses fonctions pouvait poser problème en ce qu’il choisissait les tâches qui l’intéressaient et se rendait incontournable dans certain domaine, les propos vexatoires sus-visés ne se justifiaient pas après la mise au point sur son cadre d’intervention contenu dans l’avertissement du 13 février 2020, et ce d’autant qu’il avait pu être conforté dans sa pratique pendant de nombreuses années par de précédents chefs d’établissement attestant en sa faveur (M. [S], chef d’établissement pendant 7 ans, M. [Z], chef d’établissement pendant 4 ans).
Au vu des attestations de Mmes [E] et [X], collègues de travail, qui font état d’un mal être croissant de M. [G] après l’arrivée de Mme [Y], des arrêts-maladie à compter du 7 mars 2020 et du certificat médical du Docteur [L] du 2 juillet 2021 mentionnant un traitement médicamenteux pour anxio-dépression débuté le 7 mars 2020, le lien entre ces faits et la dégradation de l’état de santé du salarié est établi.
Ainsi, M. [G] a été victime d’agissements répétés de harcèlement moral ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail ayant engendré une altération de son état de santé.
Au regard de la nature des faits de harcèlement retenus, de la période concernée et du retentissement psychologique, M. [G] sera justement indemnisé à hauteur de 5 000 euros par infirmation du jugement entrepris.
,
3/ Sur la rupture du contrat de travail
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d’autres griefs que ceux qu’elle énonce.
En l’espèce, la lettre de licenciement est motivée comme suit :
«Nous vous avons convoqué pour un entretien préalable à un licenciement éventuel, dans nos locaux,
le 9 juin 2020, afin de vous exposer nos remarques et d’ entendre vos explications. Vous étiez assisté
de Mme [M], représentante du CSE.
Cet entretien avait pour objectif de vous entendre au sujet de la disparition de documents papiers et numériques.
Ces faits ont été constatés par Maître [H], huissier de justice, le 7 mai, dont le procès-verbal de constat nous a été adressé le 13 mai 2020.
Ce constat, lu lors de ce rendez-vous, fait tout d’abord état de la disparition de la quasi-totalité des dossiers papiers, à l’exception des dossiers les plus anciens.
Il a ensuite été constaté la disparition de certaines données informatiques devant être stockées sur votre ordinateur et le réseau de l’établissement. Ces suppressions de fichiers ont eu lieu le 14 février entre 3 h13 et 4h14.
Il a au contraire été découvert sur votre ordinateur des vidéos sans lien avec votre activité professionnelle.
Il est enfin démontré qu’après votre arrêt maladie vous avez pénétré dans le réseau informatique le 17 mars 2020 entre 9h14 et 9h25 ; le 15 avril 2020 entre 17h33 et 17h36 et enfin le 17 avril 2020 entre 19h35 et 19h40.
Enfin, nous avons récemment appris que le 6 mars 2020, vous aviez été vu au Collège [5], en train de charger votre véhicule personnel de divers cartons et documents provenant de votre bureau.
Nous vous avons donc demandé des explications sur ces différents agissements afin d’en comprendre les intentions.
Interrogé sur le fait de savoir pourquoi vous aviez fait disparaître le 14 février les fichiers informatiques appartenant à l’école, vous avez répondu tout d’abord qu’il s’agissait d’une sauvegarde, avant de vous raviser et d’indiquer que vous ne saviez pas pourquoi vous avez agi ainsi.
Lorsque nous vous demandons à quel titre vous vous êtes accaparé ces documents depuis le 14 février et qui vous y avait autorisé, vous répondez que vous avez dû vous tromper.
Vous nous présentez une clé USB sur laquelle vous affirmez nous rendre les documents dérobés. A la question que nous vous posons: «ces documents sont-ils utiles au bon fonctionnement de l’établissement’ », vous répondez: « oui ».
Suite à cet entretien, nous avons estimé que vos explications n’atténuaient en rien notre regard sur la gravité des faits reprochés : ils constituent un manquement inacceptable à vos fonctions et aux obligations de l’entreprise, notamment l’obligation de loyauté; vous mettez également en difficulté l’établissement notamment en ce qui concerne les obligations très strictes relatives à la protection des données, le suivi des chantiers et de façon générale dans le suivi des dossiers qui vous incombaient.
En votre qualité de cadre, vous êtes responsable d’un certain nombre de dossiers que vous confie le Chef d’Etablissement. Votre fiche de poste précise notamment que parmi vos missions principales figure celle d’assurer « la maintenance et I ‘évolution du réseau informatique selon un plan défini avec le Chef d’Etablissement ». Il est également indiqué que vous devez travailler «de façon permanente directement avec le Chef d’Etablissement ». Vous devez enfin assumer « la responsabilité de l’action et des résultats relevant de (votre) champ de compétence ». Vous étiez notamment chargé de la sécurité informatique, ce qui, à l’évidence, a grandement facilité 1es faits qui vous sont reprochés.
Or, le 14 février 2020, il vous a été remis un avertissement vous rappelant certains des objectifs de cette lettre de mission, notamment en matière informatique. Un entretien devait avoir lieu le 24 mars 2020, afin de faire le point des différentes demandes.
Or, vous ne vous êtes pas ensuite présenté à votre travail pendant les vacances scolaires, soit du 17 au 28 février 2020, et avez repris le travaille 2 mars, puis le lundi 9 mars vous avez remis un arrêt maladie initial pour une durée de trois semaines. Il vous a alors été demandé de restituer les éléments matériels en votre possession dans la mesure où ceux-ci étaient nécessaires à la continuité de l’activité de l’entreprise. Ce n’est que le 29 avril que vous avez remis les clefs et un téléphone, lui aussi vidé de tout contenu.
Cependant, dès avant, soit le 14 février 2020, vous aviez déjà vidé votre ordinateur et les serveurs des dossiers informatiques s’y trouvant en écrasant les fichiers. Le vendredi 6 mars, vous avez vidé votre bureau. Vous avez ensuite continué de vous connecter à distance sur le réseau de l’établissement après votre arrêt maladie en mars et en avri1 2020.
C’est donc de façon délibéré et répétée que vous avez décidé, suite à votre avertissement, de faire disparaitre les dossiers physiques et détruire les fichiers numériques appartenant à l’Etablissement.
Au cours de cet entretien, vous avez reconnu que les documents disparus étaient essentiels au fonctionnement de l’école et à la continuité de service. Compte tenu de vos fonctions vous aviez nécessairement connaissance des difficultés que cela allait entrainer.
Ces différents actes ressortent d’une volonté délibérée.
Par conséquent, nous avons le regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave. Compte tenu de la gravité des faits reprochés et de ses conséquences, votre maintient dans l’entreprise s’ avère impossible. Le licenciement prend donc effet dès l’envoi de cette lettre et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis, ni de licenciement.
Nous vous confirmons pour les mêmes raisons la mise à pied conservatoire dont vous faites l’objet depuis le 26 mai».
M. [G] conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés rappelant que le doute doit lui profiter, et en tout état de cause, invoque le caractère disproportionnée de la sanction au regard de ses états de service sur 30 ans.
Il précise qu’il ne stockait aucune donnée sur son ordinateur professionnel mais sauvegardait les documents sur une clé USB, qu’il n’a subtilisé aucun document et n’a fait que ranger son bureau le 6 mars 2020 conformément aux consignes reçues, et qu’il a restitué le matériel demandé pendant son arrêt-maladie.
L’employeur se prévaut du compte-rendu d’entretien préalable, du constat d’huissier de justice du 7 mai 2020 et des témoignages produits pour preuve des faits ayant justifié le licenciement pour faute grave du salarié au regard notamment de sa qualité de cadre et d’un précédent avertissement.
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
C’est à l’employeur qui invoque la faute grave et s’est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu’ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.
En l’espèce, à la suite du courrier du 4 mai 2020 de M. [P], prestataire en charge des fonctions de M. [G] pendant son arrêt-maladie, expliquant qu’il ne peut remplir sa mission en l’absence de toute documentation de travail, un constat d’huissier de justice a été dressé le 7 mai 2020 à la demande de l’employeur afin de faire un état des lieux des documents présents dans le bureau et l’ordinateur professionnel du salarié.
Il ressort notamment de ce procès-verbal de constat qu’un certains nombres de dossiers de travail situés dans l’espace de stockage réservé à M. [G] ont été vidés de leur contenu dans la nuit du 14 février 2020.
Or, M. [R], technicien informatique de l’association scolaire [6], atteste qu’en tant que chef de service et responsable informatique, M. [G] avait décidé de stocker ses données sur le serveur en dehors de l’espace de stockage commun, avec un accès sécurisé par des identifiants, et qu’un accès à distance avait été mis en place pour qu’il puisse réaliser des actions de télémaintenance.
M. [G] n’ayant pu fournir aucune explication quant à la disparition de ces fichiers à la suite de la remise d’un avertissement, sauf à fournir le jour de son entretien préalable le 9 juin 2020 une clé USB contenant une sauvegarde, il est démontré que cette suppression délibérée de données informatiques professionnelles lui est imputable.
A ce grief régulièrement établi s’ajoute la remise du téléphone portable professionnel également vide de tout contact professionnel, après plusieurs demandes de l’employeur, sans que l’explication fournie par M. [G] quant à l’existence d’un dysfonctionnement de l’appareil, constatée dès le début de son arrêt-maladie mais non signalée, apparaisse crédible.
Ces deux griefs, qui dénotent une attitude de sabotage chez un cadre de près de 30 ans d’expérience à un poste stratégique pour le bon fonctionnement des établissements scolaires de l’association pour laquelle il travaille, suffisent à caractériser la faute grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail, justement retenue par l’employeur, nonobstant l’absence d’incident disciplinaire antérieur.
Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.
4/ Sur les demandes accessoires
L’employeur succombant partiellement, il convient d’infirmer le jugement entrepris quant aux frais irrépétibles, et de mettre à sa charge les dépens de première instance et d’appel, étant précisé que le conseil de prud’hommes a omis de statuer sur les dépens.
L’équité commande de le condamner à payer à M. [G] 2 500 euros au titre des frais irrépétibles et de rejeter sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’il a débouté M. [V] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande au titre des frais irrépétibles,
statuant à nouveau et y ajoutant,
condamne l’association scolaire [6] à payer à M. [V] [G] les sommes suivantes :
– 5 000 euros de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi,
– 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
rejette le surplus des demandes,
condamne l’association scolaire [6] aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.