Signature électronique : 14 septembre 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02673

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Signature électronique : 14 septembre 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02673
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N° RG 21/02673 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I2D7

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE BERNAY du 14 Juin 2021

APPELANTE :

S.A.R.L. CIMATREC

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 1]

représentée par Me Anne-Laure COCONNIER de la SELARL VERDIER MOUCHABAC, avocat au barreau de l’EURE

INTIME :

Monsieur [L] [W]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me David ALVES DA COSTA de la SELARL DAVID ALVES DA COSTA AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 28 Juin 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 28 Juin 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 Septembre 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 14 Septembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [L] [W] a été engagé par la Société Géodem par contrat de travail à durée indéterminée du 6 décembre 2010 en qualité de chargé d’affaires en expertise immobilière.

Le 1er novembre 2011, M. [W] a été promu responsable d’agence, puis le 1er mars 2013, directeur opérationnel statut cadre.

Par avenant du 14 octobre 2016, le contrat de travail de M. [W] a été transféré au sein de la SARL Cimatrec, ce dernier étant promu, à compter du 1er novembre 2016, au poste de directeur opérationnel, étant précisé que la société Cimatrec est une société holding regroupant diverses sociétés civiles et commerciales et notamment les sociétés Géodem (Bureau d’études et d’ingénierie, spécialisé dans le diagnostic immobilier amiante /plomb et l’audit de démolition), Aréia Laboratoires Environnement (Laboratoire d’analyses environnementales), Aréia Formations (formation interne des salariés du groupe notamment en matière d’amiante), toutes ces sociétés étant gérées par M. [N] [Y].

Suivant avenant signé le 31 janvier 2017, M. [W] a été promu directeur général adjoint du groupe Cimatrec à compter du 1er février 2017.

Le 20 avril 2018, M. [W] a été placé en arrêt de travail.

Suivant avis du 15 novembre 2018, le médecin du travail a déclaré M. [W] inapte à la reprise de son poste.

Le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié au salarié le 19 décembre 2018.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale dite ‘SYNTEC’.

Par requête du 10 octobre 2019, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Bernay en contestation de son licenciement et paiement de rappels de salaires et indemnités.

Par jugement du 14 juin 2021, le conseil de prud’hommes a jugé que le licenciement de M. [W] était nul et en conséquence, condamné la société Cimatrec à lui payer les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 15 000 euros,

congés payés afférents : 1 500 euros,

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 40 000 euros,

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 5 000 euros,

rappels de commissions : 6 029,03 euros,

congés payés afférents : 602,90 euros,

exécution déloyale de la convention de forfait : 5 000 euros,

article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,

ordonné la remise d’une attestation Pôle emploi rectifiée suivant les dispositions du présent jugement, dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire de l’intégralité des causes du jugement à intervenir au visa des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile, condamné la société Cimatrec aux entiers dépens.

La société Cimatrec a interjeté appel de cette décision le 30 juin 2021.

Par conclusions remises le 28 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, la société Cimatrec demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, à titre principal, débouter M. [W] de toutes ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 4 200 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, à titre subsidiaire, condamner la société Cimatrec au paiement des sommes suivantes :

rappel de commissions : 5 950 euros (700 x 8,5 mois),

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10 000 euros,

exécution déloyale de la convention de forfait en jour : 1 euro symbolique,

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 1 euro symbolique.

Par conclusions remises le 23 décembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, M. [W] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf à modifier le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle, en réparation du préjudice moral spécifique résultant du harcèlement moral et pour exécution déloyale de la convention de forfait, statuant à nouveau, condamner la société Cimatrec à lui payer les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement nul : 50 000 euros,

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 15 000 euros,

dommages et intérêts pour exécution déloyale de la convention de forfait : 10 000 euros,

article 700 du code de procédure civile : 4 200 euros, outre les entiers dépens,

ordonner la remise d’une attestation Pôle emploi conforme à la décision à intervenir, débouter la société Cimatrec de toutes ses demandes.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 8 juin 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur les demandes au titre de l’exécution du contrat de travail

I-a) Sur le rappel de prime

M. [W] soutient que son employeur a, unilatéralement et de manière injustifiée, supprimé à compter d’avril 2018, la prime de 700 euros intitulée ‘commissions’ qui lui était versée chaque mois depuis avril 2013. Il réclame donc son versement complet d’avril à novembre 2018, outre un prorata pour décembre 2018.

La société Cimatrec s’oppose à cette demande, rappelant qu’aux termes du contrat de travail, cette somme correspond à une commission sur chiffre d’affaire et que par suite de son arrêt maladie, M.[W] ne concluait plus de contrats, de sorte qu’il n’avait plus à percevoir cette commission.

En application du droit commun de la preuve, il appartient à l’employeur de justifier des faits générateurs de commissions et du calcul de la part variable de la rémunération convenue. Lorsque le calcul de la rémunération dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire. Il incombe également à l’employeur de rapporter la preuve du paiement du salaire.

Par ailleurs, les gratifications sont dites bénévoles si l’employeur peut décider en toute liberté de l’opportunité de leur versement et de leur montant. Elles constituent alors une libéralité et n’ont pas le caractère juridique d’un salaire. Les gratifications sont obligatoires et présentent donc le caractère juridique d’un salaire si elles sont prévues par le contrat de travail ou les conventions et accords collectifs de travail, si elles ont été instaurées par un engagement unilatéral de l’employeur ou si leur versement résulte d’un usage d’entreprise.

La charge de la preuve du caractère obligatoire d’une gratification appartient, en sa qualité de demandeur, au salarié.

En l’espèce, il est exact que l’avenant au contrat de travail conclu le 14 octobre 2016 prévoit au titre de la rémunération du salarié que le salarié ‘perçoit une rémunération brute mensuelle de 4 300 euros, pour un temps de travail hebdomadaire égale à 38,50 heures ainsi qu’une commission sur le chiffre d’affaires plafonnée à 700 euros brut par mois.’ Les parties ne contestent pas que, malgré l’application de la convention de forfait en jours, ces éléments de rémunération n’ont pas été remis en question, de sorte que M. [W], outre un salaire de base de 4 300 euros brut, avait droit à une ‘commission’ sur chiffre d’affaire d’un montant maximum de 700 euros brut par mois.

Cependant, c’est à juste titre que M. [W] soutient qu’en réalité cette somme n’était pas une commission sur chiffre d’affaires, mais une prime mensuelle versée unilatéralement par l’employeur et qui n’a pas été régulièrement dénoncée. En effet, l’examen des bulletins de salaire émis sur l’intégralité de l’année 2016 (donc même avant la conclusion de l’avenant sus-visé), de l’année 2017 et de janvier à mars 2018 montre que M. [W] percevait mensuellement, et de manière invariable, une somme de 700 euros en sus de son salaire de base, outre d’éventuelles autres primes ou paiement d’heures supplémentaires pour la période pendant laquelle il ne relevait pas de l’application de la convention de forfait en jours.

En outre, la société Cimatrec ne fournit aucun élément pour expliquer le calcul du montant de cette commission, tel que le seuil de chiffre d’affaires à partir duquel M. [W] pouvait prétendre automatiquement au plafond de ladite commission, ni a fortiori, les éléments comptables justifiant qu’il ait, tous les mois, rempli l’objectif lui permettant de percevoir cette somme.

Dans ces conditions et faute pour la société Cimatrec d’avoir régulièrement dénoncé le versement de cette prime qu’elle a cessé de payer à compter d’avril 2018, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fait droit à la demande du salarié, le montant retenu proratisé n’étant pas sérieusement contestable.

I-b) Sur la convention annuelle de forfait jours

M. [W] soutient que sa convention de forfait jours lui est inopposable, puisque son employeur n’a jamais surveillé sa charge de travail et l’équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie privée. En conséquence, il sollicite une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, arguant de ce qu’il n’est pas sérieusement contestable qu’il effectuait bien plus de 35 heures par semaine au vu de ses responsabilités.

La société Cimatrec conclut au rejet de cette demande au motif qu’au cours de tous les entretiens informels tenus par M. [Y] avec son salarié, ce dernier ne s’est jamais plaint de sa charge de travail, relevant de surcroît, qu’il ne sollicite pas le paiement d’heures supplémentaires, mais seulement la réparation d’un préjudice qui n’est, par ailleurs, pas défini.

Aux termes de l’article L. 3121-40 du code du travail issu de la loi du n°2008-789 du 20 août 2008 devenu L. 3121-55 du même code depuis la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, la forfaitisation de la durée du travail doit faire l’objet de l’accord du salarié et d’une convention individuelle de forfait établie par écrit.

En outre, l’article L. 3121-39 du code du travail dans sa version issue de la loi du n°2008-789 du 20 août 2008 prévoit que la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l’année est prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, les articles L.3121-63 et L. 3121-64 du même code prévoient des dispositions similaires, intégrant la jurisprudence issue de l’application de l’article L.3121-39 sus-visé pour notamment préciser le contenu de l’accord collectif autorisant le recours au forfait annuel en jours.

Enfin, alors que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

En l’espèce, la convention individuelle de forfait jours régularisée le 1er novembre 2016, conforme aux dispositions de la convention collective SYNTEC dans sa version postérieure au 1er avril 2014, définit de manière précise en son article 1 la nature des missions justifiant le recours à la convention de forfait, en son article 2 la durée maximale du travail sur l’année de 218 jours, en son article 3, la rémunération, en son article 4 les modalités de décompte des journées travaillées, en son article 5 les conditions de dépassement du forfait, en son article 6 le principe de limitation des jours travaillés aux jours ouvrés et les conditions de suivi régulier de la charge de travail du salarié, notamment par l’organisation de deux entretiens annuels destinés à évoquer la charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale et la rémunération.

Au vu de l’ensemble de ces éléments qui sont de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, la convention de forfait jours à laquelle M. [W] était soumis est parfaitement régulière, ce qu’au demeurant il ne conteste pas.

Néanmoins, il convient de s’assurer que la société Cimatrec a mis en oeuvre le suivi prévu par ces dispositions, M. [W] reprochant à son employeur de ne pas avoir vérifié qu’il avait une charge de travail raisonnable, compatible avec la mise en oeuvre de ce dispositif, relevant que la société Cimatrec est dans l’impossibilité de rapporter la preuve de ce suivi.

Il est constant qu’alors que la convention de forfait jours s’est appliquée à compter de novembre 2016 et que le contrat de travail a été exécuté par M. [W] jusqu’au 20 avril 2018, soit pendant 18 mois, il n’est aucunement justifié de la tenue d’entretiens destinés à vérifier la charge de travail du salarié.

Il convient, en conséquence, de dire la convention de forfait jours inopposable à M. [W].

S’agissant du préjudice en résultant, il est exact que M. [W], que ce soit en qualité de directeur opérationnel en charge de la direction de la société Géodem ou, à compter du 1er février 2017, en qualité de directeur général adjoint du groupe Cimatrec, avait des fonctions très diverses et nombreuses, avec des responsabilités importantes sur le plan de la gestion commerciale, de la gestion de la production des sociétés du groupe et de la gestion des ressources humaines.

Toutefois, malgré la charge de travail importante que peuvent représenter ces tâches, M. [W] ne peut valablement, sans étayer ses propos, soutenir qu’il est ainsi évident qu’il travaillait plus de 35 heures par semaine.

Au demeurant, les pièces qu’il verse lui-même aux débats ne corroborent aucunement cette affirmation. Ainsi, il résulte de son planning des mois de janvier à mars 2018 que très régulièrement, il n’avait aucune activité sur un ou plusieurs jours de la même semaine, qu’il n’avait jamais aucun rendez-vous ni aucune activité de notés, à l’exception d’engagements personnels, après 18 heures, que si certaines plages horaires de ce planning peuvent apparaître comme étant longues (environ 9 heures), il s’agit en réalité de tâches incluant ses trajets entre [Localité 4] (son domicile) et [Localité 6] (siège de la société), qui ne sont pas du temps de travail effectif. En outre, à l’exception d’un samedi, où il est mentionné qu’il a dressé son état de frais (tâche fixée sur une heure de temps), il ne travaillait jamais le week-end.

Enfin, s’il est exact, au vu de la lecture des bulletins de salaire que M. [W] ne prenait pas toutes ses RTT, il a toujours néanmoins bénéficié régulièrement de temps de repos. À titre d’exemple sur la dernière année avant son arrêt maladie, il a pris 2 jours ouvrés en février 2018, 9 jours ouvrés sur la période de vacances de Noël, 13 jours ouvrés sur juillet-août 2017 et 9 jours en avril 2017.

Au vu de ces éléments, force est de constater qu’il n’est pas établi que M. [W] devait supporter une charge de travail telle que cela impactait nécessairement son état de santé, ainsi qu’en attestent de surcroît les éléments médicaux produits aux débats. En effet, lors de sa visite médicale périodique d’octobre 2017, M. [W] ne s’est aucunement plaint d’une quelconque surcharge de travail. De même, l’arrêt de travail initial du 20 avril 2018, s’il mentionne un surmenage et un état anxieux réactionnel, il ne précise aucunement l’existence d’un lien avec les conditions de travail du salarié. Ce n’est qu’à partir des arrêts de prolongation d’octobre 2018 que la référence au travail va apparaître à la fois dans l’arrêt en lui-même mais également dans le certificat médical établi par son médecin traitant et par son psychiatre, ces deux documents étant néanmoins très peu circonstanciés, se contentant, sur la base, de surcroît, des seules déclarations du patient, d’évoquer un contexte ‘d’anxiété généralisée suite à une situation professionnelle conflictuelle’ ou ‘le fait que l’hypothèse d’une reprise d’activité au poste actuel induit une forte angoisse’.

En conséquence, la réalité du préjudice résultant de l’inopposabilité de sa convention de forfait en jours n’étant pas avérée, il convient d’infirmer la décision entreprise et de débouter M. [W] de sa demande indemnitaire à ce titre.

I-c) Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, M. [W] expose qu’il a été victime du comportement de M. [Y], le dirigeant de la société Cimatrec et de toutes les sociétés du groupe, ce dernier ayant développé à l’encontre de beaucoup de ses salariés et, plus particulièrement à l’encontre des membres de la direction, un véritable harcèlement moral consistant en un dénigrement permanent des compétences professionnelles auprès du personnel, en tenant des propos humiliants et vexatoires sur leurs vies personnelles, en leur tenant des propos déplacés sur d’autres collègues et en les sollicitant à toute heure du jour et de la nuit via la messagerie Whatsapp. Plus précisément, le concernant, il affirme que M. [Y] n’hésitait pas à dire à des membres du personnel qu’il était incompétent, voire malhonnête. Il s’exprimait en des termes injurieux à son encontre, ce qui mettait le personnel dans une situation très inconfortable.

Par ailleurs, il reproche à son employeur la suppression unilatérale de sa prime mensuelle à compter de son arrêt maladie, le piratage et la suppression de son adresse mail professionnelle, l’utilisation illégale de sa signature informatique, le déménagement de ses meubles sans autorisation, la suppression de son véhicule de société.

Sur le dénigrement reproché à l’employeur, à titre liminaire, il convient de relever que M. [W] ne produit aucun mail, ni courrier ou autre forme de communication directe entre lui et M. [Y]. Les courriels et échanges Whatsapp qu’il évoque sont uniquement ceux que M. [Y] a eu avec M. [T], directeur de l’innovation de la société Cimatrec, mais également cousin de M. [Y]. De même, si M. [W] fait allusion à un comportement généralisé de son supérieur hiérarchique à l’égard d’un grand nombre de salariés de la société, force est néanmoins de constater qu’il ne verse aux débats que trois attestations : celle de M. [T], celle de son épouse et celle de M. [X].

Plus précisément, sur les échanges entre M. [Y] et M. [T], il convient de rappeler qu’il est constant que ces deux hommes sont cousins et qu’ils avaient des relations familiales et amicales en dehors de leurs relations professionnelles. Or, les deux échanges produits aux débats par M. [W] des 17 avril 2018 et 9 août 2018 émanent d’adresses mail personnelles ou de l’application Whapsapp dans le cadre d’un échange dual, sans qu’aucune autre personne ne participe à la conversation, de sorte qu’il s’agit incontestablement de paroles tenues dans un cadre strictement privé. De plus, s’ils contiennent effectivement quelques propos véhéments, critiques voire injurieux à l’égard de M. [W] de la part de M. [Y], le contenu entier de ces conversations montre qu’il s’agit de considérations émises par celui-ci dans un cadre beaucoup plus large et général d’une discussion portant sur l’avenir de M. [T] eu égard à l’éventuel rachat du groupe, les deux hommes échangeant à cette occasion sur leur ami commun de l’époque, M. [W]. En outre, il n’est pas soutenu que ces propos ont été divulgués à d’autres personnes de la société Cimatrec, et il n’est même pas établi que M. [W] en a été informé immédiatement, aucun élément ne laissant penser que celui-ci en a eu connaissance avant que M. [T], licencié économique en octobre 2018, n’engage une procédure judiciaire en contestation de cette rupture avec l’assistance du même conseil que celui de M. [W].

Par ailleurs, compte tenu de ce second litige prud’homal également pendant devant la présente cour, il ne peut être accordé aucune valeur probante au témoignage de M. [T], étant en tout état de cause relevé que le contenu de son attestation consiste essentiellement à évoquer et rappeler le contenu des échanges de mails des 17 avril 2018 et 9 août 2018, sans rapporter d’autres évènements précis et circonstanciés pour caractériser le dénigrement dont aurait été victime M. [W].

Le témoignage de Mme [Z], certes ancienne salariée des sociétés du groupe Cimatrec, mais également épouse de M. [W], n’est pas plus précis et probant.

D’une part, le contenu de son témoignage montre intrinsèquement son absence d’impartialité et la subjectivité des éléments relatés, puisqu’elle fait notamment allusion à des situations purement privées ayant trait au prétendu libertinage de M. [Y], qui n’ont aucun lien avec le harcèlement moral dont se plaint son mari. Ce constat de subjectivité est confirmé par les pièces communiquées par la société Cimatrec, qui établissent la fausseté de certaines affirmations. Ainsi, par exemple, alors que Mme [Z] soutient que le couple s’est installé dans le Vaucluse sur demande de M. [Y] qui voulait, officiellement, ouvrir un établissement à [Localité 4] et officieusement, éloigner Mme [Z] de son mari…, les échanges de mails et la justification des démarches entreprises pour la création de ce site d’activités qui finalement n’a pas vu le jour, établissent que ce projet est né à la fin mai- début juin 2015 . Or, l’acte authentique de vente de l’acquisition de la maison d’habitation des époux [W] a été signé le 24 avril 2015, ce qui signifie que leur projet immobilier était déjà concrétisé lorsque la recherche d’un éventuel lieu susceptible d’accueillir une branche d’activité du groupe Cimatrec a débuté. La version de l’employeur qui explique que c’est la situation inverse et que c’est en raison du déménagement du couple [W] qu’il a été envisagé de créer un établissement dans la région d'[Localité 4] apparaît donc beaucoup plus probable.

D’autre part, sur les propos dénigrants que M. [Y] aurait tenus sur ou à son mari, non seulement, elle ne cite aucun terme précis, mais de plus, et en tout état de cause, elle ne fait que rapporter le discours de son mari, n’ayant pas été témoin direct de tels faits.

Enfin, s’agissant de l’attestation de M. [X], ce dernier, salarié du groupe Cimatrec, se contente d’évoquer de manière très imprécise et non circonstanciée le dénigrement dont M. [W] aurait fait l’objet pendant son arrêt maladie, sans au demeurant précisé s’il s’agit de propos qui lui ont été rapportés ou de paroles qu’il aurait entendues lui-même, de sorte qu’aucune force probante ne peut être accordée à ce témoignage.

Au vu de ces éléments, aucun dénigrement commis par M. [Y] dans un cadre professionnel et dans le cadre de l’exécution du contrat de travail de M. [W] ne peut être retenu, la société Cimatrec démontrant, au demeurant, qu’au cours des mois précédant l’arrêt de travail du salarié, les relations étaient, au contraire, bienveillantes et cordiales et ce malgré le fait que M. [Y], après audit comptable de son groupe par un candidat à l’acquisition, ait découvert que M. [W] n’était pas ‘à la hauteur’ du poste qu’il lui avait confié et qu’il lui reprochait beaucoup d’erreurs de gestion, ce que reconnaissait tout à fait M. [W].

Que ce soit les SMS échangés entre fin novembre et décembre 2017 ou les mails des mois de février-mars 2018, ils sont tous écrits en des termes très courtois, avec un contenu particulièrement bienveillant. M. [Y] rappelle à plusieurs reprises à M. [W] qu’il conserve malgré tout, toute sa confiance, et qu’il reconnaît ses compétences. Il évoque sa volonté, dans le cadre d’une future reprise du groupe par un tiers, de réfléchir au poste qui pourrait lui être confié pour lui garantir la pérennité de son emploi, précisant qu’il existe un risque important que son poste soit supprimé en cas de reprise, notamment parce qu’il n’a pas les diplômes correspondant à ses fonctions, étant titulaire uniquement d’un baccalauréat professionnel, là où le repreneur exige un niveau d’ingénieur pour occuper un poste de direction comme le sien. Les réponses de M. [W] montre qu’il était parfaitement conscient de la situation, indiquant même qu’il trouvait cette perspective de changement ‘motivante’.

Quant aux diverses mesures de rétorsion prises par M. [Y] au cours de l’arrêt maladie de M. [W], il résulte des motifs adoptés précédemment que la privation injustifiée de la prime mensuelle de 700 euros est avérée. Toutefois, cette situation est le seul élément qui soit valablement reproché à l’employeur par M. [W], les autres critiques étant vaines et infondées.

Ainsi, sur le piratage et la suppression de son adresse mail professionnelle, M. [W] ne conteste pas que par courrier du 25 avril 2018 qu’il a reçu le 3 mai 2018, son employeur, prenant acte de son arrêt de travail jusqu’au 18 mai 2018 inclus, lui a demandé, afin de pallier son absence, de lui communiquer les informations suivantes : le mot de passe de son adresse mail, le code pin de son téléphone portable professionnel, le mot de passe de sa session serveur, le mot de passe de sa session sur l’ordinateur portable ainsi que tous les codes utiles au bon fonctionnement du service. Or, il soutient que malgré cette demande, son employeur n’a pas attendu sa réponse et a modifié le mot de passe de son adresse mail professionnelle, produisant à cet effet une capture d’écran d’ordinateur indiquant que le mot de passe a été modifié le 3 mai 2018. Cette pièce n’a aucune valeur probante, puisqu’elle ne permet pas d’établir l’auteur de la modification intervenue le jour où M. [W] a reçu le courrier de son employeur.

S’agissant de la suppression injustifiée de son véhicule de société dont il bénéficiait néanmoins constamment, M. [W] soutient que M. [Y] n’en avait aucunement besoin à des fins professionnelles, ayant lui-même la jouissance d’un véhicule de société, de sorte que la demande de restitution n’était, en réalité, qu’une mesure de rétorsion.

Sur ce point, il est constant que le 24 mai 2018, la société Cimatrec a fait parvenir à M. [W] le courrier suivant : ‘Pour les besoins du service et en raison du faible nombre de véhicules de sociétés disponibles au sein de l’entreprise, il nous serait nécessaire de pouvoir récupérer votre véhicule de société, durant votre arrêt de travail. Dans un souci de simplicité, nous vous informons que nous viendrons récupérer ledit véhicule le 30 mai 2019. Celui ci ou tout autre véhicule de service disponible vous sera bien entendu restitué à votre retour pour l’accomplissement de vos attributions.’

D’une part, il convient de relever que le contrat de travail de M. [W] stipulait expressément que le véhicule mis à sa disposition était un véhicule de société, propriété de l’entreprise et qu’il était destiné à un usage exclusivement professionnel. Aussi, le fait que l’employeur ait pu tolérer un usage plus large, étant de surcroît rappelé qu’eu égard aux fonctions de dirigeant occupées par M. [W] et à l’éloignement de M. [Y] qui vivait au Brésil, un contrôle de cet usage était difficile, ne permet pas pour autant au salarié de revendiquer son maintien à disposition pendant son arrêt maladie.

D’autre part, contrairement à ce que soutient le salarié, le tableau des véhicules de l’entreprise produit aux débats n’établit aucunement que M. [Y] disposait de son propre véhicule de société, puisque si un véhicule attribué à [N] [Y] apparaît effectivement sur ce listing, c’est uniquement au titre des ‘véhicules cédés’, qui ne font donc plus partie du patrimoine de l’entreprise. Sur les véhicules détenus par la société en 2018, il n’y en a aucun attribué à M. [Y]. La motivation de ce dernier de récupérer le véhicule à des fins professionnelles n’est donc pas feinte.

Au vu de ces éléments, la demande de restitution du véhicule de société par M. [W] ne peut être considérée comme une mesure de rétorsion à l’arrêt maladie du salarié.

De même, s’il est constant que la société Cimatrec, par l’intermédiaire d’une de ses sociétés civiles immobilières, mettait à disposition de M. [W] un bien immobilier situé en Normandie pour lui permettre de se loger lorsqu’il se déplaçait au siège de l’entreprise, il est faux de soutenir que les meubles qu’il avait entreposés dans ce logement ont été déménagés sans son autorisation. En effet, la société Cimatrec justifie avoir adressé à M. [W], le 23 août 2018, le courrier suivant : ‘Bonjour [L], comment vas tu, tes soucis de santé se sont ils améliorés’ Je t’envoie ce courrier pour t’informer que les deux pavillons de Bourgtheroulde sont vendus, du coup, les propriétaires souhaitent emménager rapidement, je dois donc vider le 135, peut tu me dire ce que l’on fait avec tes meubles’ Je te remercie de ta réponse.’ Le fait que M. [W] n’ait pas répondu ou récupéré ses meubles à la suite de ce courrier ne peut être imputé à l’employeur.

Enfin, s’agissant de l’utilisation de sa signature électronique pendant son arrêt maladie et sans son accord, M. [W] verse aux débats deux actes d’engagement pour un marché public concernant le centre hospitalier de [Localité 5] et un autre concernant le centre hospitalier de [Localité 8], qui portent tous les deux l’apposition de sa signature numérique en sa qualité de représentant de la société Géodem, datée respectivement des 7 mai 2018 et 23 juillet 2018, soit pendant son arrêt maladie. Alors que la société Cimatrec soutient que ce procédé a été validé par M. [W], qui a pris soin de donner au service commercial son code permettant l’utilisation de cette signature électronique, ce dernier ne rapporte aucunement la preuve que ledit code a été utilisé frauduleusement par son employeur. Surabondamment, il convient de faire observer qu’il n’est pas soutenu que M. [W] a eu connaissance de ces faits pendant l’exécution du contrat de travail, que cette situation a eu un impact ou des conséquences sur ses conditions de travail ou sur sa relation de travail, de sorte qu’en tout état de cause, même à considérer les faits comme avérés, ils sont nécessairement étrangers à toute situation de harcèlement pendant l’exécution du contrat de travail.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient de constater que M. [W] ne présente pas de faits qui pris dans leur ensemble, laissent présumer une situation de harcèlement moral, puisque le seul fait de priver M. [W] du paiement de sa prime mensuelle de 700 euros à compter de son arrêt maladie, ne constitue pas des agissement répétés ayant dégradé ses conditions de travail, mais une décision unique dont seuls les effets sont répétés dans le temps.

En conséquence, par jugement infirmatif, il convient de débouter M. [W] de sa demande à ce titre.

II – Sur la demande au titre de la rupture du contrat de travail

En l’absence de harcèlement moral retenu, c’est à tort que M. [W] entend se prévaloir de la nullité de son licenciement. En conséquence, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de débouter M. [W] de ses demandes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de sa demande de dommages et intérêts pour nullité de son licenciement.

III – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Cimatrec aux entiers dépens de la présente instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [W] la somme de 2 000 euros sur ce même fondement pour les frais générés tant en première instance qu’en cause d’appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SARL Cimatrec à payer à M. [L] [W] la somme de 6 029,03 euros à titre de rappels de primes outre, la somme de 602,90 euros au titre des congés payés afférents et en ce qu’il a débouté la SARL Cimatrec de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [L] [W] de ses demandes indemnitaires pour exécution déloyale de la convention de forfait en jours, pour harcèlement moral et de ses demandes subséquentes au titre de la nullité de son licenciement ;

Condamne la SARL Cimatrec aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

Déboute la SARL Cimatrec de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Cimatrec à payer à M. [L] [W] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés tant en première instance qu’en appel.

La greffière La présidente

 


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