COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 60A
3e chambre
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 08 NOVEMBRE 2018
N° RG 17/02595
N° Portalis DBV3-V-B7B-RNWO
AFFAIRE :
[E] [T] ,
assisté de sa curatrice, Madame [D] [T]
C/
BUREAU CENTRAL FRANCAIS
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Mars 2017 par le Tribunal de Grande Instance de CHARTRES
N° chambre : 1
N° RG : 16/02842
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Guillaume NICOLAS de la SCP PIRIOU METZ NICOLAS
Me Stéphanie ARENA
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [E] [T], né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 1], de nationalité française, demeurant [Adresse 1], assisté de sa curatrice, Madame [D] [T], née le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 2], de nationalité française, demeurant [Adresse 1], sa mère, désignée comme tel par jugement du tribunal d’instance de MORTAGNE AU PERCHE en date du 22 mai 2003 et maintenue, ès qualité, par jugement du tribunal d’instance d’ALENCON en date du 14 mai 2010 et du tribunal d’instance de BORDEAUX du 23 janvier 2015
Représentant : Me Guillaume NICOLAS de la SCP PIRIOU METZ NICOLAS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 255 – N° du dossier 170146
Représentant : Me GUILLAMOT, Plaidant, avocat substituant Me Emeric GUILLERMOU de la SARL PROXIMA, avocat au barreau de TOULON
APPELANTS
****************
1/ BUREAU CENTRAL FRANCAIS, représentant la société d’assurance de droit autrichien HANNOVER INTERNATIONAL ([Adresse 2])
[Adresse 3]
[Adresse 3]
pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Stéphanie ARENA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637 – N° du dossier 217-151
Représentant : Me Odile LARY-BACQUAERT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2025
INTIME
2/ CPAM DE L’ORNE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
INTIMEE – assignée à personne habilitée le 11 mai 2017
3/ CPAM DE LA GIRONDE
[Adresse 5]
[Adresse 5]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
INTIMEE – assignée à personne habilitée le 11 mai 2017
4/ Société d’assurance de droit autrichien HANNOVER INTERNATIONAL, assureur de la société WILLIBETZ GUTERFERNVERKEHR, représentée en France par le BUREAU CENTRAL FRANCAIS DES SOCIETES D’ASSURANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2])
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
INTIMEE – ordonnance de désistement partiel rendue le 7 septembre 2017
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 20 Septembre 2018, Madame Véronique BOISSELET, Président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Françoise BAZET, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON
—————-
Le 05 janvier 2001, M. [E] [T], alors âgé de dix-neuf ans, a été victime d’un très grave accident de la circulation, dans lequel était impliqué un véhicule poids-lourd appartenant à la société de droit autrichien Willibetz Güterfernverkehr et assuré par la compagnie de droit autrichien Hannover International.
M. [E] [T] a conservé des troubles neuro-psychologiques habituels aux traumatisés crâniens, avec trouble de la mémoire, lenteur, apragmatisme, syndrome frontal qui le rendent incapable de s’occuper de la gestion de sa vie et rendent illusoire toute insertion socio-économique. Selon le docteur [Y], expert qui l’a examiné en 2003, M. [E] [T] ne pourra vivre seul et a besoin pour vivre d’une aide type tierce personne ‘active’ trois à quatre heures par jour.
Mme [D] [T] a été chargée de la curatelle de son fils par jugements des juges des tutelles de Mortagne au Perche le 22 mai 2003, d’Alençon le 14 mai 2010 et de Bordeaux le 23 janvier 2015 .
Par arrêt du 26 juin 2007, devenu définitif à la suite du rejet du pourvoi de la curatrice, la cour d’appel de Versailles a liquidé le préjudice corporel de M. [T].
Par jugement du 29 avril 2010, confirmé par la cour de Versailles le 03 décembre 2015, le tribunal correctionnel de Chartres a déclaré irrecevables les nouvelles demandes formées par M. [T] au titre de la tierce personne, comme se heurtant à l’autorité de chose jugée de l’arrêt du 26 juin 2007.
C’est dans ces conditions qu’après avoir été autorisés à procéder par voie d’assignation à jour fixe, M. [T] et sa curatrice, Mme [D] [T] ont assigné les 21, 24 et 25 octobre 2016 le Bureau Central Français (BCF) représentant en France les sociétés Willibetz Güterfernverkehr et Hannover International, la C.P.A.M. de la Gironde et celle de la Côte d’Opale, ainsi que la société Mutuelles du Mans Assurances Iard (MMA) devant le tribunal de grande instance de Chartres en paiement de nouvelles sommes au titre de la tierce personne.
Par jugement du 22 mars 2017, le tribunal de grande instance de Chartres a :
– déclaré les demandes irrecevables eu égard à l’autorité de chose jugée de l’arrêt du 26 juin 2007,
– condamné M. [E] [T] et Mme [D] [T] à payer au BCF la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [E] [T] et Mme [D] [T] aux dépens.
Par acte du 30 mars 2017, M. [T], et Mme [T], ès qualité de curatrice ont interjeté appel et prient la cour, par dernières écritures du 9 avril 2018, de :
– réformer le jugement,
– condamner le BCF ès qualités de représentant de la société Hannover Internationale à verser à M. [E] [T] la somme de 7 361 273 euros au titre de son besoin en tierce personne,
– déduire de ces demandes toutes provisions déjà versées,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
– dire que, dans l’hypothèse d’un défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le ‘jugement’ à intervenir, l’exécution forcée devra être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier de justice, et le montant des sommes retenues par l’huissier par application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret n° 96-1080 du 12.12.1996 devra être supporté par le débiteur, en sus de l’application de l’article 700 du code de procédure civile, et le condamner au paiement de ces sommes telles qu’elles auront été établies par l’huissier dans le cadre de l’exécution forcée,
– condamner le BCF ès qualités à verser à M. [E] [T] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens avec recouvrement direct.
Par dernières écritures du 31 mai 2017, le BCF prie la cour de :
– confirmer le jugement,
– dire M. [E] [T] et sa curatrice Mme [D] [T] irrecevables en leur appel sur le fondement de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 26 juin 2007,
très subsidiairement,
– débouter M. [E] [T] et sa curatrice Mme [D] [T] de leur demande au titre de la tierce personne,
– débouter M. [E] [T] et sa curatrice Mme [D] [T] de leur demande au titre des frais irrépétibles et des dépens,
– débouter la CPAM de l’Orne (de Normandie) de toute prétention, sur le fondement de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 26 juin 2007,
– condamner M. [E] [T] et sa curatrice Mme [D] [T] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en sus des 2000 euros alloués en première instance à ce titre,
– les condamner aux dépens.
Par ordonnance du 7 septembre 2017, le magistrat chargé de la mise en état a constaté le désistement des consorts [T] de leurs demandes contre la société Hannover International.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 septembre 2018.
SUR QUOI, LA COUR :
Le tribunal a retenu qu’il y avait bien, par rapport à l’arrêt du 26 juin 2007, identité de chose demandée, soit la réparation du préjudice relatif à la tierce personne à la suite des séquelles constatées dans le rapport d’expertise du docteur [Y] du 22 décembre 2003, identité de parties, et identité de fondement juridique, soit la loi du 5 juillet 1985. Le tribunal a en outre relevé qu’il n’était fait état d’aucune aggravation de l’état de santé de M. [T], au sens de l’article 22 de cette loi, et que l’aggravation sociologique du dommage n’était pas prévue par ce texte.
M. [T] et sa curatrice exposent que le premier vit désormais dans un appartement aménagé par ses parents à [Localité 3], et ne se rend au domicile de ses parents que ponctuellement. Il considère que, son besoin au titre de la tierce personne étant toujours le même, soit 24 heures sur 24, alors que ses conditions de vie ont changé, puisqu’il ne bénéficie plus de l’aide de ses parents, il existe une aggravation sociologique de sa situation, ou aggravation situationnelle, justifiant que soit revu le financement de ce besoin, qui n’avait été réparé en 2007 que par la somme de 650 000 euros, et en fonction d’une situation familiale qui n’existe plus.
Il fait valoir qu’exerçant sa liberté de choix de son domicile et de sa vie, dont il n’a pas à rendre compte, mais son besoin d’assistance étant demeuré constant, il est en droit d’obtenir une indemnisation lui permettant de rémunérer un prestataire de services à la personne.
Le BCF expose que, survenu en 2001, l’accident ne relève ni de la nomenclature Dintilhac, ni des jurisprudences récentes relatives à la tierce personne. Il rappelle les conclusions du rapport d’expertise du docteur [Y], aux termes duquel M. [T] ‘pourra vivre dans sa famille et dans un Centre, mais ne pourra vivre seul. Il a besoin pour vivre d’une aide type tierce personne ‘active’ 3 à 4 heures par jour et a besoin d’une surveillance constante le reste du temps’. Il souligne que l’appelant conteste l’appréciation d’un préjudice qui a été fixé sur la base de ce rapport, et se heurte à l’autorité de chose jugée de l’arrêt du 26 juin 2007, laquelle est générale et absolue, à supposer même que sa solution fût erronée. Il ajoute qu’ont été allouées par cette décision, outre l’indemnité au titre de la tierce personne, la somme de 94 565,64 euros au titre de l’aménagement spécifique d’une pièce de la maison familiale, et celle de 84 766,77 euros au titre de l’aménagement d’un véhicule. Il observe que la CPAM de l’Orne, devenue la CPAM du Calvados est tout aussi irrecevable en ses demandes, qui ne tiennent pas compte des paiements intervenus en exécution de l’arrêt de 2007.
***
La CPAM de l’Orne, assignée à personne, n’a pas constitué avocat. Elle n’était pas non plus représentée devant le tribunal de grande instance de Chartres. La cour n’est donc saisie d’aucune prétention de sa part, et les défenses du BCF contre elle sont sans objet.
Il résulte d’un rapport amiable d’ergothérapie du 20 mai 2016 que M. [T] vit depuis 2010 au centre de [Localité 3], dans un appartement proche d’un centre spécialisé dans l’accueil de personnes présentant le même type de handicap que lui, et qu’il bénéficie de l’assistance, éventuellement mutualisée, d’un personnel formé, selon une formule tendant à lui permettre une autonomie maximale compte tenu des contraintes liées à ses séquelles (assistance pour la toilette, l’habillage, la préparation des repas, les soins ménagers, les courses, accompagnement pour les sorties à l’extérieur, etc).
La cour adopte sans aucune réserve les motifs pertinents par lesquels le tribunal a déclaré la demande irrecevable comme se heurtant à l’autorité de chose jugée de l’arrêt du 26 juin 2007.
Elle ajoutera, sur l’objet de la demande, qu’il n’est pas soutenu que le besoin en tierce personne se serait aggravé, puisqu’il est au contraire indiqué qu’il est resté constant. Sans qu’il soit question de contester le droit de M. [T] à organiser sa vie comme il l’entend, notamment en décidant de vivre dans un appartement indépendant et non plus chez ses parents, cette circonstance, qui résulte d’un choix de vie qui n’a pas à être apprécié, ne saurait constituer une aggravation ‘situationnelle’ ou ‘sociologique’ du dommage, puisqu’elle dépend de la seule volonté de la victime, laquelle n’a pas, non plus, à rendre compte de l’emploi des indemnités qui lui sont allouées, et qui ont été appréciées sur la base d’un besoin d’assistance dont il est expressément indiqué qu’il n’a pas varié.
S’il est vrai que la cour a évoqué dans sa motivation de 2007, une situation familiale qui a depuis lors évolué, il doit être souligné que l’indemnisation définitive d’un préjudice constitué par une perte d’autonomie, et le besoin d’assistance qui lui est corrélatif, supposent nécessairement une projection dans le temps, en sorte que les conditions de vie prises en compte au moment de la décision sont nécessairement contingentes. En tout état de cause, leur évolution, qui montre une amélioration de l’état de M. [T] dont on ne peut que se réjouir, ne peut constituer une aggravation du préjudice, lequel est constitué par le besoin d’assistance et n’a pas varié, seules les modalités de sa prise en charge s’étant modifiées, ce qui est différent.
Par ailleurs, le BCF souligne à juste titre qu’une partie à une décision de justice passée en force de chose jugée ne peut être admise à la remettre en cause au seul motif qu’une jurisprudence ou un mode de calcul de la réparation d’un préjudice plus favorables seraient nés depuis lors, sous peine de porter gravement atteinte à la sécurité juridique qui doit être attendue d’une décision devenue définitive.
M. [T], qui succombe, supportera les dépens d’appel, et contribuera aux frais de procédure exposés devant la cour par le BCF à hauteur de 3 000 euros, les dispositions du jugement du chef des dépens et indemnité de procédure de première instance étant par ailleurs confirmées.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [E] [T], assisté de sa curatrice, Mme [D] [T], à payer au Bureau Central Français la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Les condamne également aux dépens d’appel, avec recouvrement direct.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,