N° RG 20/01124 – N° Portalis DBV2-V-B7E-IOAC
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 28 AVRIL 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE DIEPPE du 21 Février 2020
APPELANTE :
S.A.S. BIEN A LA MAISON
35 Ter Avenue André Morizet
92100 BOULOGNE BILLANCOURT
représentée par Me Fabien LACAILLE, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Juliette FERRE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
Madame [U] [B]
16 rue de Mesnil Sterling
76260 ETALONDES
représentée par Me François GARRAUD de la SCP GARRAUD-OGEL-LARIBI, avocat au barreau de DIEPPE substituée par Me Elisa HAUSSETETE, avocat au barreau du HAVRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 15 Mars 2022 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère, rédactrice
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 15 Mars 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 28 Avril 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 28 Avril 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [U] [B] a été engagée en qualité d’aide à domicile par la société Bien à la maison par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 2 juin 2017.
Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale des services à la personne.
Elle a été licenciée pour faute grave le 29 juin 2018 au motifs d’absences injustifiées les 30 avril et 9 mai 2018.
Par requête du 5 octobre 2018, Mme [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Dieppe en contestation du licenciement, ainsi qu’en paiement de rappels de salaire et indemnités.
Par jugement du 21 février 2020, le conseil de prud’hommes a dit que le licenciement de Mme [B] était sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Bien à la maison à lui verser 2 020 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1 015 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 323,01 euros à titre d’indemnité de licenciement, 9 042,18 euros à titre de rappel de salaire sur la base de 24 heures mensuelles, outre 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
La société Bien à la maison a interjeté appel de cette décision le 8 mars 2020.
Par conclusions remises le 14 octobre 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société Bien à la maison demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de dire que le licenciement de Mme [B] est fondé sur une faute grave, par conséquent, la débouter de l’ensemble de ses demandes et la condamner à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 27 juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [B] demande à la cour de confirmer le jugement, y ajoutant, de condamner la société Bien à la maison au paiement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la débouter de l’ensemble de ses demandes.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 mars 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rappel de salaires
Ayant été engagée pour une durée hebdomadaire inférieure à 24 heures, à savoir 40 heures mensuelles au lieu de 104 heures, Mme [B] demande un rappel de salaire sur une base de 64 heures mensuelles.
En réponse, la société Bien à la maison fait valoir qu’elle ne pourrait prétendre qu’à des dommages et intérêts en cas de non-respect des dispositions relatives à la durée légale du travail et que pour obtenir une requalification d’un contrat à temps partiel en contrat à temps plein, encore est-il nécessaire que le salarié soit resté à la disposition de son employeur, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque Mme [B] travaillait pour l’ADMR.
Il résulte de l’article L. 3123-7 du code du travail que le salarié à temps partiel bénéficie d’une durée minimale de travail hebdomadaire déterminée selon les modalités fixées aux articles L. 3123-19 et L. 3123-27, sauf dans certains cas listés dans cet article, non applicables au cas d’espèce.
Par ailleurs, si ce même article prévoit qu’une durée de travail inférieure à celle prévue au premier alinéa du présent article peut être fixée à la demande du salarié soit pour lui permettre de faire face à des contraintes personnelles, soit pour lui permettre de cumuler plusieurs activités afin d’atteindre une durée globale d’activité correspondant à un temps plein ou au moins égale à la durée mentionnée au même premier alinéa, il est néanmoins expressément précisé que cette demande est écrite et motivée.
Selon l’article L. 3123-27 du code du travail, à défaut d’accord prévu à l’article L. 3123-19, la durée minimale de travail du salarié à temps partiel est fixée à vingt-quatre heures par semaine ou, le cas échéant, à l’équivalent mensuel de cette durée ou à l’équivalent calculé sur la période prévue par un accord collectif conclu en application de l’article L. 3121-44.
En l’espèce, la société Bien à la maison ne produit aucune demande écrite et motivée de Mme [B] tendant à solliciter un contrat à temps partiel de moins de 24 heures hebdomadaires et se contente d’invoquer un mail qu’elle a envoyé en avril 2018 pour faire part de sa difficulté à honorer certaines plages horaires au regard du planning de l’association ADMR.
Outre qu’elle produit de nombreuses pièces pour démontrer qu’elle n’effectuait que très ponctuellement quelques heures pour l’association ADMR, en tout état de cause, le seul fait qu’elle ait pu travailler pour une autre association ne déchargeait pas la société Bien à la maison de son obligation de lui proposer un contrat de travail de 24 heures, étant au surplus rappelé qu’en cas de dérogation à cet horaire par convention ou accord de branche, il doit alors être déterminé des garanties quant à la mise en oeuvre d’horaires réguliers ou permettant au salarié de cumuler plusieurs activités afin d’atteindre une durée globale d’activité correspondant à un temps plein ou au moins égale à la durée mentionnée à l’article L. 3123-27.
Il en résulte que la société Bien à la maison aurait dû signer un contrat de travail à temps partiel de 24 heures hebdomadaires avec Mme [B] et qu’à défaut de l’avoir fait, elle est tenue à un rappel de salaire à hauteur de 64 heures mensuelles, peu important que Mme [B] ne se soit pas tenue à la disposition permanente de la société Bien à la maison dès lors qu’elle ne sollicite pas la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein.
Par ailleurs, alors que la société Bien à la maison soutient également que la requalification n’est pas prévue par les textes pour cette durée minimale, il doit être relevé que, de fait, il ne s’agit pas d’une requalification, le contrat étant toujours un contrat à temps partiel, seule la durée de celui-ci étant modifiée pour être conforme à la loi.
Enfin, et alors que la signature d’un tel contrat de 24 heures minimum est obligatoire pour éviter une trop grande précarisation des salariés à temps partiel, à tel point qu’il avait été prévu par la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 que, pour les contrats de travail en cours à cette date, et jusqu’au 1er janvier 2016, la durée minimale prévue audit article L.3123-14-1 était applicable au salarié qui en faisait la demande, sauf refus de l’employeur justifié par l’impossibilité d’y faire droit compte tenu de l’activité économique de l’entreprise, c’est à raison que Mme [B] sollicite, non pas des dommages et intérêts, mais un rappel de salaire à hauteur de 64 heures par mois.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a fait droit à la demande de rappel de salaire de Mme [B] mais de l’infirmer sur le montant alloué dès lors que son taux horaire n’était que de 9,76 euros jusqu’en décembre 2017 inclus.
Aussi, il convient de condamner la société Bien à la maison à payer à Mme [B] la somme de 8 936,43 euros correspondant à un rappel de salaire, augmenté des congés payés afférents, calculé sur une base de 64 heures mensuelles au taux horaire de 9,76 euros jusqu’en décembre 2017 inclus, puis au taux horaire de 9,88 euros jusqu’au 29 juin 2018.
Sur le licenciement
Si Mme [B] ne conteste pas ne pas s’être rendue le 30 avril 2018 chez Mme [P] de 8h à 9h, puis chez M. [N] de 9h15 à 10h et enfin chez M. [E] de 10h15 à 13h15, elle conteste néanmoins toute absence injustifiée dans la mesure où elle n’avait pas connaissance du planning lui imposant ces horaires et, s’agissant de l’absence du 9 mai 2018 de 12h à 13h, elle explique qu’elle avait obtenu l’accord oral de son employeur pour emmener son mari à l’hôpital et ce, bien en amont de la journée litigieuse.
Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et l’employeur qui l’invoque doit en rapporter la preuve.
En l’espèce, alors que Mme [B] produit un planning relatif au mois d’avril 2018 émanant de la société Bien à la maison dont il ressort qu’elle n’était programmée le 30 avril qu’entre 18h et 20h, la société Bien à la maison ne produit aucun planning permettant d’établir qu’elle aurait été avisée d’une quelconque modification.
A supposer même qu’il s’agisse, comme le prétend la société Bien à la maison, d’un récapitulatif des interventions effectivement réalisées, en tout état de cause, alors qu’il lui appartient de justifier de la réalité de l’absence injustifiée reprochée à la salariée, elle ne produit pas le planning qui aurait été envoyé à Mme [B].
A cet égard, la pièce intitulée ‘planning avril 2018″ a en réalité été établie postérieurement aux faits reprochés à Mme [B] puisqu’il est fait mention des soit-disant absences.
Aussi, à défaut de justifier de l’envoi, antérieurement au 30 avril 2018, d’un quelconque planning à Mme [B] comprenant les interventions du matin, aucune des absences du 30 avril ne peut lui être reprochée.
Par ailleurs, et si Mme [B] ne conteste pas son absence le 9 mai 2018, sans apporter la preuve qu’elle aurait obtenu l’accord de son employeur, cette seule absence ne saurait justifier ni un licenciement pour faute grave, ni un licenciement pour cause réelle et sérieuse, d’autant qu’elle n’avait jamais été sanctionnée préalablement pour ce type de fait, qu’elle justifie que son mari a effectivement dû être hospitalisé ce jour-là et que Mme [E] atteste qu’elle l’avait prévenue en amont qu’elle ne pourrait venir à son domicile.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement de Mme [B] ne reposait ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs, alors que le salaire de référence à prendre en compte est celui résultant d’une durée minimale de 24 heures hebdomadaires, soit 104 heures mensuelles, il convient également de le confirmer, dans les limites de la demande, sur le montant alloué à Mme [B] au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.
Au contraire, s’agissant de l’indemnité de licenciement, alors que Mme [B] comptait un an d’ancienneté, sans qu’il puisse être tenu compte des 28 jours complémentaires accomplis à défaut de constituer un mois complet, elle ne peut prétendre qu’à la somme de 256,88 euros à titre d’indemnité de licenciement correspondant à 1 027,52 euros x 25 %, étant précisé que l’indemnité légale est plus favorable que l’indemnité conventionnelle.
Par ailleurs, compte tenu de l’ancienneté de Mme [B], de son salaire sur la base de 104 heures mensuelles et de la précarité de sa situation dont elle justifie postérieurement à son licenciement, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il lui a alloué la somme de 2 020 euros.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Bien à la maison aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [B] la somme de 2 000 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf sur le montant alloué à titre d’indemnité de licenciement et de rappel de salaire ;
L’infirme de ces chefs et statuant à nouveau,
Condamne la SAS Bien à la maison à payer à Mme [U] [B] la somme de 8 936,43 euros à titre de rappel de salaires, comprenant les congés payés afférents ;
Condamne la SAS Bien à la maison à payer à Mme [U] [B] la somme de 256,88 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS Bien à la maison à payer à Mme [U] [B] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SAS Bien à la maison de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Bien à la maison aux entiers dépens.
La greffièreLa présidente