N° RG 19/02698 – N° Portalis DBV2-V-B7D-IHDI
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 28 AVRIL 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 06 Juin 2019
APPELANTE :
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA ROUEN
73 rue Martainville CS 11716
76108 ROUEN CEDEX
représentée par Me Guillaume DES ACRES DE L’AIGLE de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Karine MAUREY-THOUOT, avocat au barreau de ROUEN
INTIMES :
Madame [V] [I]
20 A rue Lucien Briand
27670 SAINT OUEN DU TILLEUL
représentée par Me Fabien LACAILLE, avocat au barreau de ROUEN
Maître [Y] [H] en qualité de mandataire liquidateur de la SARL CONFORT ET SOINS A DOMICILE
46 Rampe Beauvoisine
76000 ROUEN
n’ayant pas constitué avocat
régulièrement assigné le 29/08/2019
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 03 Mars 2022 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur POUPET, Président
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 03 Mars 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 28 Avril 2022
ARRET :
REPUTE CONTRADICTOIRE
Prononcé le 28 Avril 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ROGER-MINNE, Conseillère, en remplacement du Président empêché et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Du 10 octobre au 10 novembre 2016, Mme [V] [I] (la salariée) a été embauchée en qualité d’aide soignante par la société Confort et soins à domicile (la société) dans le cadre d’un contrat à durée déterminée à temps partiel.
A compter du 11 novembre 2016, la relation de travail s’est poursuivie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel, puis à temps complet à compter du 1er mars 2017, selon avenant du 13 février 2017.
Le contrat de travail est régi par la convention collective nationale des services à la personne.
La salariée a été placée en arrêt pour maladie du 16 mai au 16 juin 2017, puis pour accident du travail du 24 juin au 17 juillet suivant.
Le 1er septembre 2017, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen aux fins, notamment, de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Par jugement du 19 décembre 2017, le tribunal de commerce de Rouen a placé la société en redressement judiciaire.
Par courrier daté du 26 décembre 2017, envoyé le 3 janvier 2018, Mme [I] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 24 juillet 2018, le même tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société et désigné M. [H] en qualité de liquidateur.
Par jugement du 6 juin 2019, le conseil a :
-requalifié le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,
-requalifié le contrat à temps partiel en contrat à temps complet,
-requalifié la prise d’acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-fixé la créance de Mme [I] au passif de la liquidation de la société aux sommes suivantes :
1 562 euros à titre d’indemnité de requalification,
1 777 euros à titre de rappel de salaire suite à la requalification du contrat à temps complet,
1 562 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 156 euros au titre des congés payés y afférents,
1 874 euros à titre de congés payés,
1 500 euros à titre de dommages et intérêts « pour pression morale »,
2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour « manquement à l’obligation de résultat »,
864 euros à titre de rappel de salaire sur classification,
210 euros à titre de rappel de salaire pour « heures de déplacement »,
1 500 euros pour non-respect des dispositions conventionnelles,
1 500 euros à titre de dommages et intérêts « pour retard dans la transmission des documents de fin de contrat »,
500 euros à titre de dommages et intérêts « pour retard dans la délivrance du paiement »,
500 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale,
500 euros à titre de dommages et intérêts « pour discrimination et rupture d’égalité »,
3 110,93 euros à titre de rappel de salaire lié au non paiement du maintien de salaire,
1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné la remise des documents de fin de contrat et de l’ensemble des bulletins de salaire rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 30 ème jour après la mise à disposition du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l’astreinte,
-débouté Mme [I] de ses autres demandes,
-donné acte à l’Ags-Cgea de Rouen de son intervention et dit que le jugement lui est opposable dans les limites et les plafonds prévus par les articles L. 3253-6, L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,
-ordonné l’exécution provisoire,
– fixé les dépens au passif de la liquidation.
Le 1er juillet 2019, le Cgea a relevé appel du jugement.
Par acte d’huissier du 29 août 2019, la déclaration d’appel du Cgea a été signifiée à M. [H], ès qualités.
Par conclusions du 24 octobre 2019,l’Unedic délégation AGS CGEA de Rouen à la cour de :
-infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
-la mettre hors de cause en ce qui concerne les demandes liées à la requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en tout état de cause,
-dire et juger que les griefs invoqués par la salariée ne peuvent justifier une telle requalification et la débouter de ses demandes,
-dire et juger que les demandes formulées au titre des frais irrépétibles et de l’astreinte n’entrent pas dans le champ d’application de sa garantie,
-lui donner acte de ses réserves et statuer ce que de droit quant à ses garanties,
– lui déclarer la décision à intervenir opposable dans les limites de la garantie légale,
– dire que sa garantie n’a qu’un caractère subsidiaire et lui déclarer la décision à intervenir opposable dans la seule mesure d’insuffisance de disponibilités entre les mains du mandataire judiciaire,
-dire qu’ elle ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L 3253-6 et L 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15, L 3253-18, L 3253-19, L 3253-20, L 3253-21, L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail,
-dire et juger qu’en tout état de cause la garantie de l’AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l’article D.3253-5 du code du travail,
-statuer ce que de droit quant aux dépens et frais d’instance sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’association concluante.
Par conclusions du 9 décembre 2019, Mme [I] demande à la cour de :
-confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé les requalifications ci-dessus rappelées,
-infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa prétention au titre du harcèlement moral,
-en tout état de cause, condamner la société au paiement des sommes suivantes :
1 562 euros à titre d’indemnité de requalification,
1 777 euros à titre de rappel de salaire suite à la requalification du contrat à temps complet,
1 562 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 156 euros au titre des congés payés y afférents,
1 874 euros au titre « du préavis non payé »,
2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour « manquement à l’obligation de sécurité de résultat »,
864 euros à titre de rappel de salaire « sur classification »,
210 euros (à parfaire) à titre de rappel de salaire sur heures,
500 euros à titre de dommages et intérêts « pour retard dans la délivrance du paiement »,
500 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale,
1 500 euros à titre de dommages et intérêts « pour retard dans la transmission des documents de sortie» et une même somme « pour non communication des documents de sortie»,
8 946 euros à titre de dommages et intérêts « au titre de la nullité du licenciement suite à la résiliation judiciaire » (6 mois de salaire),
1 562 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,
10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions conventionnelles « liées au temps de travail à temps partiel »,
1 500 euros à titre de dommages et intérêts « pour discrimination et rupture d’égalité »,
2 000 euros au titre de la violation des durées maximales de travail,
3 110,93 euros à titre de rappel de salaire lié au non paiement du maintien de salaire,
2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– inscrire la créance au passif de la société,
– déclarer commun et opposable la décision à intervenir au Cgea,
– condamner la société aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour le détail de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la requalification du contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée
L’article L. 1242-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les différents cas qu’il énumère, parmi lesquels figure l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
Le motif du recours à un contrat de travail à durée déterminée s’apprécie au jour de sa conclusion.
En l’espèce, la salariée a été engagée dans le cadre d’un contrat à durée déterminée motivé par un accroissement temporaire d’activité. Toutefois, alors que cette dernière conteste la réalité de ce motif, aucun élément n’est produit de nature à en rapporter la réalité.
Par conséquent, la décision déférée est confirmée en ce qu’elle a requalifié ledit contrat en un contrat à durée indéterminée à compter du 10 octobre 2016.
Sur la demande de requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein
Il résulte de l’article L. 3123-16 du code du travail, dans sa version applicable au litige, que le contrat de travail qui ne comporte aucune précision quant à la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine et les semaines du mois fait présumer que l’emploi est à temps complet et il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d’une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur.
En l’espèce, aux termes du contrat initial et de l’avenant n°1 du 10 novembre 2016 portant sur la période du 10 octobre au 28 février 2017, Mme [I] devait travailler 113,75 heures par mois du 10 octobre au 10 novembre 2016, puis 121,33 heures jusqu’au 1er mars 2017, date à laquelle elle a été rémunérée sur la base d’un temps complet, et ce, sans autre précision sur la répartition du temps de travail sur la semaine ou sur le mois.
L’appelant se réfère aux plannings produits par la salariée pour soutenir qu’elle « avait reçu les informations nécessaires pour exécuter sa prestation de travail ». Or, dans la mesure où il ne justifie pas que ces plannings étaient communiqués en amont ni même de la moindre information donnée à Mme [I] sur l’organisation de son temps de travail, ces seuls documents sont parfaitement insuffisants pour rapporter la preuve de ce que cette dernière n’était pas placée dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu’elle n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de la société.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce chef.
Sur les conséquences financières des requalifications
En vertu de l’article L. 1245-2 du code du travail, lorsqu’il est fait droit à une demande de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, il est accordé au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
Le jugement entrepris a alloué à ce titre la somme de 1 562 euros bruts, ce que la cour confirme.
Par ailleurs, la salariée sollicite la somme de 1 777 euros à titre de rappel de salaire en indiquant que cette somme correspond au différentiel entre le salaire brut à temps complet et celui qui lui a été versé, sans autre détail, comme le relève justement l’appelant.
Or, pour la période du 10 octobre 2016 au 28 février 2017 concernée par la requalification du contrat de travail à temps complet, il résulte des bulletins de salaire que l’intimée a perçu la somme brute totale de 5 341,91 euros de salaires, alors que sur la base d’un temps complet en tenant compte de l’évolution du taux horaire au 1er janvier 2017, elle aurait dû percevoir la somme de 6 840,13 euros (946,23 + 1466,65×2 + 1480,30×2), si bien qu’elle est fondée à obtenir le différentiel, soit la somme de 1 498,22 euros.
La décision déférée est infirmée sur ce chef.
Sur la classification conventionnelle et le principe d’égalité de traitement
La qualification professionnelle dépend des fonctions réellement exercées et il incombe à la partie qui invoque une qualification autre que celle appliquée d’apporter la preuve qu’elle exerce les fonctions relevant de la classification revendiquée.
Mme [I] soutient qu’elle exerçait les fonctions d’aide soignante et non celles d’assistante de vie.
Toutefois, il convient de relever que tant son contrat de travail que ses bulletins de salaire mentionnent qu’elle travaillait en qualité d’aide soignante, aucun de ces documents ne faisant état du poste d’assistante de vie qu’elle évoque.
Par ailleurs, si la différence de traitement entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale doit être justifiée par l’employeur par des raisons objectives et matériellement vérifiables dont le juge contrôle la réalité et la pertinence, il appartient néanmoins à celui qui invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement de démontrer qu’il exerce au même niveau des fonctions identiques ou similaires aux salariés auxquels il se compare.
Pour fonder sa revendication d’un taux horaire de 10,30 euros (contre 9,67 euros puis 9,76 euros) sur 9 mois, Mme [I] produit deux fiches de paie d’une autre salariée, Mme [T], également aide-soignante, rémunérée sur cette base horaire et en conclut, qu’elle a été victime d’une inégalité de traitement.
La salariée à laquelle Mme [I] se compare, dispose d’une ancienneté quasi équivalente à la sienne (1 mois de différence) et exerce le même emploi, sans que ni l’employeur en première instance, ni l’appelant, n’apportent la moindre explication, et encore moins justification, à cette inégalité de rémunération.
Par conséquent, il convient de faire droit à la demande de rappel de salaire formée à ce titre et accorder à la salariée la somme de 630,55 euros (61,65 + 95,55×2+ 81,90×4+ 50,20), la décision déférée est infirmée sur ce point.
En dehors du préjudice financier ci-dessus réparé, Mme [I] ne justifie pas de l’existence d’un préjudice distinct résultant de l’inégalité salariale.
Dès lors la demande de dommages et intérêts formée à ce titre doit être rejetée, le jugement est infirmé sur ce chef.
Sur le rappel de salaire sur temps de travail effectif
La convention collective applicable prévoit notamment que :
-le temps de déplacement professionnel pour se rendre d’un lieu d’intervention à un autre lieu d’intervention constitue du temps de travail effectif lorsque le salarié ne peut retrouver son autonomie,
-en cas d’interruption d’une durée inférieure à 15 minutes, le temps d’attente est payé comme du temps de travail effectif.
La salariée forme une demande en paiement de 20,45 heures correspondant aux temps d’interruption inférieurs à 15 minutes sur les mois d’octobre 2016, janvier et février 2017.
Si l’appelant conteste le bien fondé de cette prétention, il ne discute toutefois pas la pièce n° 8 qu’elle fournit, lequel document se fonde sur ses plannings et décompte son temps de travail effectif par semaine. Or, le Cgea, pas plus que l’employeur en première instance d’ailleurs, ne justifient de ce que les temps d’interruption inférieurs à 15 minutes qui apparaissent sur les plannings ont bien été rémunérés comme du temps de travail effectif, de sorte que la décision déférée doit être confirmée en ce qu’elle a accordé la somme de 210 euros à titre de rappel de salaire, sauf à préciser qu’il ne s’agit pas du temps de déplacement, mais du temps de travail effectif.
En revanche, la demande de dommages et intérêts formée pour non- respect des dispositions conventionnelles considérées doit être rejetée, faute pour l’intimée de justifier d’un préjudice distinct non réparé par le rappel de salaire alloué.
Sur la violation de la durée maximale de travail
La convention collective applicable dispose que l’amplitude quotidienne de travail est au plus de 12 heures. L’amplitude quotidienne de travail peut être portée à 13 heures pour les activités auprès de publics fragiles et/ou dépendants.
Par ailleurs, la durée quotidienne du travail effectif est en principe de 10 heures, toutefois dans la limite de 70 jours par an elle pourra être portée à un maximum de 12 heures. La durée hebdomadaire de travail effectif ne peut dépasser 48 heures ou 44 heures sur une période quelconque de 12 semaines consécutives.
Si la salariée allègue que les dispositions ci-dessus n’ont pas été respectées par l’employeur, son décompte des heures de travail effectif ne fait état que de deux journées de travail de plus de 10 heures, ce que la convention considérée autorise.
Au surplus, la comparaison de ce document avec les plannings produits permet de relever, que dans un cas, l’amplitude et la durée quotidiennes de travail n’ont pas été calculées sur la base d’une journée de 0 heure à 24 heures comme le prévoit la convention collective (17-18 mars) et dans l’autre cas, que la salariée a comptabilisé comme du temps de travail effectif une interruption de travail supérieure à 15 minutes entre deux interventions, alors que le texte conventionnel prévoit, dans cette hypothèse, que « le temps entre deux interventions n’est alors ni décompté comme du temps de travail effectif, ni rémunéré ».
Aussi, c’est à bon droit que les premiers juges ont rejeté cette demande.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la date des premiers faits invoqués, en cas de litige le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. S’agissant des faits postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, qui a modifié cet article, la salariée doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il convient de préciser que les faits présentés par la salariée doivent être établis puisqu’il n’est pas offert à l’employeur de les contester mais seulement de démontrer qu’ils étaient justifiés.
En l’espèce, Mme [I] expose qu’elle évoluait dans un climat et un environnement très perturbants avec une surcharge de travail, un manque d’effectif et d’organisation, des remarques humiliantes et des modifications unilatérales et répétées de ses horaires de travail.
Elle produit les attestations de trois de ses anciennes collègues de travail, dont l’une d’entre elle évoque des faits à caractère général sans établir de lien avec l’intimée (Mme [L]). Les deux autres témoignages font état de « son stress », de son « mal être », du fait que Mme [D], sa supérieure hiérarchique, « n’écoutait pas ses demandes » ou encore lui aurait répondu : « c’est ça les 100 % [V] ». Quant aux éléments médicaux, ils se rapportent principalement à son accident du travail (chute), seul un certificat médical évoque « une anxiété intense avec somatisation » qui serait « selon les dires de Mme [I] » en lien avec ses conditions de travail.
Ces éléments sont insuffisants pour établir l’existence matérielle de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à l’encontre de la salariée.
Le jugement déféré est confirmé sur ce chef et en ce qu’il a rejeté la demande en découlant.
Il est toutefois infirmé en ce qu’il a accordé des dommages et intérêts « pour pression morale », laquelle prétention n’est ni motivée par les premiers juges, ni soutenue par la salariée, alors qu’il en est sollicité l’infirmation dans la déclaration d’appel.
Sur le retard dans la délivrance des bulletins de salaire et dans le paiement du salaire
Mme [I] se plaint de n’avoir réceptionné ses bulletins de salaire de mai et juin 2017 qu’en juillet 2017, ce qui n’est pas contesté. Toutefois, elle ne justifie d’aucun préjudice résultant de ce léger retard dans la remise de ces documents.
Par ailleurs, si elle fait état de plusieurs retards dans le paiement de son salaire, elle n’invoque qu’un impayé en mai 2017, lié à une « provision insuffisante » du chèque remis par la société, laquelle a été placée, six mois plus tard, en redressement judiciaire.
Elle ne justifie aucunement du préjudice résultant de ce retard, étant observé que le courrier du 29 juin 2017 de son conseil, ne fait pas état de la persistance d’un défaut de règlement du salaire de mai 2017, de sorte que l’incident a bien été régularisé à une date qui n’est pas précisée, empêchant la cour d’apprécier l’importance ou non du retard.
Par conséquent, la décision déférée est infirmée en ce qu’elle fait droit à sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur l’absence de visite médicale de reprise
Il n’est pas discuté que l’employeur n’a pas organisé la visite médicale de reprise de la salariée après son arrêt de travail de plus de 30 jours, alors qu’elle invoque une dégradation de ses conditions de travail. Dans ces conditions, la carence de l’employeur ne lui a pas permis d’évoquer ce point avec le médecin du travail lors de la visite de reprise qui s’imposait, ce qui lui cause un préjudice qui a été justement réparé par les premiers juges.
La décision déférée est confirmée sur ce dernier point.
Sur l’absence de communication des documents liés à l’accident du travail du 24 juin 2017 et sur le maintien de salaire
Mme [I] allègue que l’employeur n’a pas transmis à la Cpam les documents nécessaires à sa prise en charge, de sorte qu’elle a été privée de toute indemnité.
Toutefois, elle ne produit pas le moindre document établissant ce prétendu manquement, contesté par l’appelant.
De même, alors qu’elle sollicite une somme de 3 110,93 euros de rappel de salaire « lié au non paiement du maintien du salaire », elle n’explicite aucunement cette demande tant dans son principe que dans son quantum, laquelle résulte de son seul dispositif.
Dès lors, la décision déférée est infirmée en ce qu’elle y a fait droit.
Sur les autres demandes
Alors que le Cgea sollicite l’infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, la salariée sollicite, notamment, sa confirmation en ses dispositions relatives au manquement à l’obligation de sécurité, au retard dans la transmission des documents de fin de contrat et au « retard dans la délivrance du paiement ».
Cependant, la cour relève que Mme [I] n’explicite aucunement ses prétentions et ne justifie pas de leur bien fondé, pas plus que les premiers juges n’ont motivé leur décision sur ces chefs, auxquels ils ont pourtant fait droit.
La décision déférée est par conséquent infirmée sur ces points.
Il en sera de même concernant les dispositions relatives au paiement de la somme de 1874 euros « à titre de congés payés » et à la remise des documents de fin de contrat et de tous les bulletins de salaire sous astreinte, l’appelant en sollicitant l’infirmation sans que la salariée n’en demande la confirmation.
Sur la prise d’acte
L’action en résiliation judiciaire du contrat de travail laisse subsister la relation contractuelle, de sorte que le salarié peut prendre la décision de rompre son contrat de travail postérieurement.
En l’espèce, Mme [I] a, ultérieurement à la saisine du conseil de prud’hommes pour voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail, pris acte de sa rupture par courrier daté du 26 décembre 2017 en raison de faits qu’elle reprochait à son employeur, ce qui a entraîné la cessation immédiate de la relation contractuelle, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant.
Toutefois, s’il appartient au juge de se prononcer sur la seule prise d’acte, il doit fonder sa décision sur les manquements de l’employeur invoqués par la salariée tant à l’appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu’à l’appui de la prise d’acte.
Il convient d’apprécier les griefs reprochés par la salariée et de s’assurer qu’ils sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi, qualifier la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse. A défaut, la prise d’acte s’analyse en une démission.
C’est à la salariée qu’il incombe d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur qu’ils soient mentionnés dans l’écrit ou invoqués au soutien de ses prétentions.
A l’appui de sa demande, Mme [I] invoque les éléments précédemment examinés.
Toutefois, la cour n’a confirmé la décision déférée qu’en ses dispositions relatives à la requalification du contrat à durée déterminée à temps partiel en un contrat à durée indéterminée à temps complet et aux demandes en découlant, ainsi qu’en ce qu’elle a fait droit aux demandes de dommages et intérêts pour absence de visite médicale de reprise et de rappels de salaires fondés sur le non respect du principe d’égalité et sur les temps d’interruption inférieurs à 15 minutes, rejetant par ailleurs toutes les autres demandes dont les plus conséquentes financièrement.
Or, les montants les plus importants alloués concernent la requalification du contrat de travail initial, soit le début de la relation de travail, de sorte que le manquement de l’employeur aux dispositions légales n’a pas empêché la poursuite du contrat de travail. Quant aux autres manquements, ils sont soit trop anciens par rapport à la prise d’acte, voire régularisé pour l’un (retard dans le paiement du salaire, non règlement des interruptions inférieures à 15 minutes), soit portent sur des sommes très peu importantes (210 euros pour non respect du principe d’égalité salariale) pour empêcher la poursuite du contrat de travail et, partant, justifier la prise d’acte de la salariée intervenue le 26 décembre 2017.
Par conséquent, la décision déférée est infirmée sur ce chef, la prise d’acte devant s’analyser en une démission. La salariée doit être déboutée de l’ensemble de ses demandes formées au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie partiellement succombante, M. [H], ès qualités, est condamné aux dépens.
Pour la même raison, il convient d’allouer à Mme [I] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a requalifié le contrat à durée déterminée à temps partiel en contrat à durée indéterminée à temps complet, ainsi qu’en ses dispositions relatives à l’indemnité de requalification, aux dommages et intérêts pour absence de visite médicale de reprise, au rappel de salaire sur temps de travail effectif (et non au titre du temps de déplacement), à la violation de la durée maximale de travail, au harcèlement moral, au Cgea, aux frais irrépétibles et aux dépens,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Fixe la créance de Mme [V] [I] au passif de la liquidation judiciaire de la société Confort et soins à domicile aux sommes suivantes :
1 498,22 euros à titre de rappel de salaire résultant de la requalification du contrat à temps complet,
630,55 euros à titre de rappel de salaire fondé sur une inégalité salariale,
1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit le présent arrêt opposable au Cgea de Rouen ;
Déclare l’Ags-Cgea de Rouen tenue à garantie dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail, seulement en l’absence de fonds disponibles ;
Déboute Mme [I] du surplus de ses demandes ;
Condamne M. [H], ès qualités, aux dépens.
La greffièreLa conseillère