N° de minute : 46/2023
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 24 Juillet 2023
Chambre sociale
Numéro R.G. : N° RG 22/00040 – N° Portalis DBWF-V-B7G-TCY
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Mai 2022 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :20/176)
Saisine de la cour : 13 Juin 2022
APPELANT
Mme [Y] [R] [I] épouse [A]
née le 12 Septembre 1978 à [Localité 3]
demeurant [Adresse 1]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de NOUMEA)
Représentée par Me Valérie LUCAS membre de la SELARL D’AVOCATS LUCAS MARCHAIS, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
S.A.R.L. [G] [U]
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Annie DI MAIO membre de la SELARL D’AVOCATS CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 1er Juin 2023, en audience publique, devant la cour composée de M. Philippe DORCET, Président de chambre, président, M.Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller, Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : Mme [M] [H]
ARRÊT contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, signé par M. Thibaud SOUBEYRAN, conseiller en remplacement de Monsieur Philippe DORCET, président empêché, et par Mme [M] [H] adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l’article R 123-14 du code de l’organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Selon contrat de travail à durée indéterminée daté du 18 mars 2018, Mme [Y] [R] [I] épouse [A] était engagée le même jour, à temps partiel, par la SARL [G] [U] qui exerce une activité de services à la personne en qualité d’aide a domicile, moyennant un salaire mensuel brut de 79’475 XPF pour 85 heures mensuelles (AIT).
Par courrier daté du 25 mai 2020, Mme [A] faisait l’objet d’un rappel à l’ordre concernant les absences et horaires à respecter.
Le 18 juin 2020, Mme [A] était convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé le 22 juin 2020 et mise à pied à titre conservatoire, le jour même. Elle était licenciée pour fautes graves par courrier AR en date du 24 juin 2020.
ll lui était reproché les agissements suivants contraires à la déontologie en violation de son contrat :
– avoir demandé une compensation à Mme [D] de la main a la main de 2’000 XPF par semaine pour évacuer ses sacs de déchets, alors que cette charge faisait partie des prestations à fournir par une auxiliaire de vie
– avoir nettoyé l’appartement de la s’ur de Mme [D] contre 5’000 XPF
– avoir emporté une chaise de bureau qui se trouvait au domicile de Mme [D],
– s’être approprié des dons alimentaires dont avait bénéficié Mme [D], âgée de 82 ans, étrangère et qui vit avec une retraite de 80’000’XPF / mois.
De même, étaient visés dans le courrier des comportements inappropriés chez les clients et notamment un manque de réserve auprès de [C] [T], la mère de celui-ci, Mme [N], exigeant qu’elle n’intervienne plus auprès de son fils en raison de son savoir être négatif.
Enfin, lui étaient également reprochés des retards réguliers chez les bénéficiaires.
Par requête du 21 septembre 2020, complétée et modifiée, Mme [A] a cité la SARL [G] [U], devant le tribunal du travail pour faire juger que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et qu’elle avait été victime de procédés vexatoires. Elle demandait la fixation de son salaire mensuel moyen à la somme de 120’033 XPF et le règlement de 725’598 XPF au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 241’866 XPF au titre du caractère vexatoire, 241’866 XPF (indemnité compensatrice de préavis) et 24,187 XPF (congés payés sur préavis) outre 250’000 XPF sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle contestait l’intégralité des faits qui lui étaient reprochés expliquant que l’employeur avait pris sa décision au vu des seuls propos confus de Mme [D], âgée de 82 ans et affirmait que son licenciement était intervenu en représailles suite à une remarque sur l’organisation d’élections des IRR (institutions représentatives du personnel) au sein de l’entreprise.
Elle indiquait avoir toujours entretenu d’excellentes relations avec les bénéficiaires et les familles tels qu’en témoignent le docteur [V], Mme [P] ou M. [K], son licenciement parfaitement vexatoire étant engagé sur les seuls propos d’une cliente alors qu’elle avait toujours fait preuve de professionnalisme dans ses missions.
[G] [U] confirmait que les griefs étaient caractérisés et avaient été découverts après que Mme [A] avait, à deux reprises, omis d’informer son employeur de l’annulation de deux prestations (l’une par M. [W], celle-ci n’étant pas arrivée à l’heure et l’autre par la mère de M. [T]) et n’avait pas rempli son engagement d’assurer une prestation le 22 mai (Ie lendemain d’un jour férié) chez un nouveau client après avoir attendu le 19 mai pour prévenir son employeur qu’elle ne pouvait pas assurer cette prestation.
Elle indiquait que Mme [D] avait confirmé les remises d’argent (16’x 2000 XPF) et de la chaise et que celle-ci était loin d’être sénile, une de ses employées, Mme [J] attestant que Mme [D] lui avait donné aussi 3’000 XPF pour la remercier qu’elle avait remis à son employeur. S’agissant de la chaise, elle niait avoir prise alors qu’elle reconnaissait dans la requête l’avoir amenée à la déchetterie.
Pour le reste, elle renvoyait aux attestations des clients caractérisant l’instauration d’un climat négatif, le refus d’exécuter des taches de ménages et des attitudes indélicates à l’égard des affaires personnelles (Mme [L]), l’évocation de ses problèmes financiers en s’abstenant de réaliser ses tâches (M. [F]) et de multiples retards (attestations [S] et [F]) alors même que compte tenu de ses fonctions, Mme [A] intervenait chez des personnes en état de dépendance.
Par jugement du 31 mai 2022, le tribunal du travail jugeait le licenciement de Mme [A] pour faute grave justifié et non vexatoire et la déboutait de l’ensemble de ses demandes. Il fixait à quatre (4) unités de valeur la rémunération de Maître MARCHAIS, avocat désigné au titre de l’aide judiciaire.
Par requête en date du 10 juin 2022, Mme [A] relevait appel du jugement.
Dans des conclusions récapitulatives n° 1 et n° 2 des du 16 décembre 2022 et 09 mai 2023, Mme [A] fait ainsi valoir que l’employeur n’avait pas pris la peine de vérifier les accusations portées par Mme [D] et indique, constat d’huissier à l’appui, qu’il n’existe aucun appartement au-dessus de chez Mme [D] où celle-ci aurait pu faire le ménage chez sa s’ur. Elle indique que les attestations don’t il est fait état en appel ne sont pas citées dans la lettre de licenciement. Elle nie également avoir reçu 2000 XPF, maintient avoir pris une chaise pour la porter à la déchetterie et avoir accepté deux avocats provenant du jardin de Mme [D] pour ne pas vexer cette dernière. Quant au «’savoir être négatif’» évoqué par Mme [N], elle affirme qu’il s’agit d’une appréciation matériellement invérifiable. S’agissant du retard concernant M. [W], elle fournit pour le jour dit un extrait du planning attestant de ce qu’il était parti à la messe à 08.45 et serait revenu à 11.25.
Elle produit en revanche trois attestations établissant la qualité de son travail ([V], [X], [K]) et demande la fixation de son salaire mensuel à 120’933 XPF et réitère les demandes effectuées devant le premier juge.
Par écritures en date du 25 mai 2023, la société [G] [U] a demandé la confirmation du jugement entrepris.
SUR QUOI,
Sur le bien fondé du licenciement
Le licenciement n’est légitime que s’il est fondé sur une cause réelle et sérieuse, ce qui nécessite la preuve de griefs matériellement vérifiables et objectifs qui sont suffisamment pertinents et rendent inéluctables la rupture du contrat de travail.
Le licenciement pour faute grave a nécessairement un caractère disciplinaire mais le licenciement peut être légitime même si la faute n’est pas qualifiée de grave. ll faut et il suffit qu’elle ne permette plus la poursuite de la relation de travail.
Le juge doit apprécier l’existence et la gravité de la faute et ce, même en cas d’aveu de la part du salarié.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations, résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige et doit énoncer de manière suffisamment précise les motifs invoqués par l’employeur. Il appartient à ce dernier s’il entend se prévaloir d’une faute grave d’en rapporter la preuve. À défaut, le doute profite au salarié.
Il convient en conséquence d’examiner les griefs mentionnés dans la lettre d’apprécier s’ils sont établis et s’ils caractérisent une faute grave ou toute autre faute légitimant le licenciement.
Sur l’acceptation de dons en argent ou nature
L’article 9 du contrat de travail dispose que la salariée’« »s’engage particulièrement à être ponctuelle »» et à respecter l’interdiction « »d’accepter de la part du bénéficiaire tout type de don’en argent (espèces ou chèques) ou en nature (meuble, denrée alimentaire, vêtements)’», clause tout à fait claire don’t la présence dans un contrat de travail d’aide à domicile ne saurait surprendre pusqiu’elle a vocation à protéger les bénéficiaires de l’aide à domicile et vise d’évidence à prévenir tout abus de faiblesse auprès de personnes dépendantes. Elle ne souffre d’ailleurs aucune exception et sa violation constitue une insubordination caractérisée
En l’espèce, il résulte du témoignage très clair de Mme [D] qu’elle ne voulait plus de Mme [A] comme auxiliaire de vie, celle-ci étant décrite autoritaire et directive à son égard. Elle confirmait avoir accepté de lui donner une somme de 2’000 XPF par semaine pour qu’elle vide ses poubelles à l’extérieur depuis février 2020.
La requérante répond en substance que Mme [D] serait à peu près sénile ‘sans qu’aucun élément objectif n’établisse que celle-ci, âgée de 82 ans, serait atteinte d’une pathologie susceptible de remettre en cause sa dénonciation. D’autant qu’une autre salariée, Mme [J], qui est intervenue chez Mme [D] atteste que le 8 décembre 2020, cette dernière lui avait remis 3’000 XPF en espèces en contrepartie de la rédaction de cartes postales, somme immédiatement rapportée à son employeur, ce fait étant, ainsi que le relève le tribunal, révélateur de la générosité de Mme [D] et renforce la crédibilité de son témoignage sur une remise de 2’000 XPF pour sortir les poubelles.
Concernant la chaise appartenant à Mme [D] et prise sans en avoir informé son employeur, il importe peu que cette chaise fût destinée à la déchetterie, ce qui n’est d’ailleurs pas établi : il incombait à Mme [A] d’en informer son employeur sur le fondement de l’article 9 de son contrat de travail au titre d’une interdiction d’acceptation de don en nature ou en argent. .
Sur son comportement inapproprié
La lettre de licenciement reproche à la salariée un manque de réserve se fondant en particulier sur l’attestation de Mme [N], mère de [C] [T] laquelle exige le 12 juin 2020 que la requérante n’intervînt plus car elle instaurait un climat négatif entre elle et son fils.
M. [O] [F], bénéficiaire et ancien cadre supérieur en pleine possession de ses moyens intellectuels, indique quant à lui, dans une attestation précise et circonstanciée, non contredite par des éléments objectifs, que la requérante dès le premier jour, s’est épanchée sur ses problèmes personnels au point qu’elle n’a pu accomplir l’ensemble des tâches ménagères prévues et que la semaine suivante, elle s’est servie de son propre chef un café continuant «’ entre deux coups de balais’», à lui parler de sa vie privée, de ses problèmes personnels et financiers ainsi que ceux de son conjoint pour lequel elle lui demandait conseil ajoutant ainsi ses propres soucis à ceux du bénéficiaire, atteint d’une lourde pathologie.
Enfin, Mme [L] témoigne l’avoir surprise plusieurs fois à fouiller dans son armoire et se permettre de lui répondre, lorsqu’elle lui demandait de nettoyer un tapis : ‘ Je suis auxiliaire de vie et non femme de ménage’! ‘ La teneur de ce témoignage n’est pas non plus contestée par des éléments objectifs.
Le manque de réserve de la salariée est avéré démontrant une attitude et un comportement inadaptés aux missions qui lui étaient confiées auprès de personnes fragiles et dépendantes dont le milieu familial et la tranquillité devaient être respectés.
Sur les retards
Si un doute peut persister au vu du planning produit au débat sur le fait que Mme [A] est arrivée en retard le 20 mai chez M. [W] puisqu’elle aurait émargé où il réside à 9h 05 alors que le bénéficiaire était parti à la messe avec son épouse depuis 08.45, [G] [U] persiste en indiquant qu’elle ne pouvait être présente à 09.05 chez les Petites S’urs des Pauvres puisqu’elle se trouvait à 09,00 dans les bureaux de la société.
En toute hypothèse, il résulte des attestations d’une ancienne salariée que Mme [A] arrivait régulièrement en retard par rapport aux plannings et aux heures prévues. Quant au témoignage de M. [F], précité, ce dernier a expliqué que les deux fois où elle s’est rendue à son domicile, elle est arrivée en retard sans que la requérante ne conteste la teneur de cette attestation particulièrement explicite et bien rédigée.
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Il résulte en conséquence de l’ensemble de ces éléments que la requérante a commis des manquements répétés à ses obligations contractuelles et que ces agissements ne peuvent être tolérés au sein d’une société dont la mission est d’aider les personnes en difficultés dans les actes de la vie courante.
Ils ne peuvent que nuire à la réputation de l’établissement et mettent en péril le bon fonctionnement de l’entreprise et constituent des fautes graves rendant impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le licenciement pour faute grave est parfaitement établi.
Sur le préjudice moral
La requérante ne démontre pas en quoi son employeur aurait eu un comportement vexatoire ou déloyal de nature a lui causer un préjudice moral, autre que celui causé par le licenciement. Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
Sur les frais irrépétibles
Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles dont elles ont pu faire l’avance.
Sur les dépens
La requérante qui succombe sera condamnée aux dépens, qui seront recouvrés selon les règles de l’aide judiciaire.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant en dernier ressort publiquement et contradictoirement,
DÉCLARE l’appel recevable
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du 31 mai 2022 du tribunal du travail de Nouméa.
FIXE à QUATRE (4) les unités de valeur revenant à Matre Valérie LUCAS intervenant au titre de l’aide judiciaire (n° 2022/000961 du 07 octobre 2022)
Le greffier, Le président.