ARRET N° 22/123
R.G : N° RG 21/00089 – N° Portalis DBWA-V-B7F-CHCQ
Du 20/05/2022
[O]
C/
[B] [H] [L]
COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 20 MAI 2022
Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORT-DE-FRANCE, du 10 Mars 2021, enregistrée sous le n° 19/00400
APPELANTE :
Madame [G] [O]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Alizé APIOU-QUENEHERVE, avocat au barreau de MARTINIQUE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/001735 du 20/05/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de FORT DE FRANCE)
INTIMEE :
Madame [P] [B] [H] [L]
[Adresse 2]
[Localité 4] / FRANCE
Représentée par Me Catherine RODAP, avocat au barreau de MARTINIQUE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 18 mars 2022, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle TRIOL, Conseillère présidant la chambre sociale, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
– Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente
– Madame Anne FOUSSE, Conseillère
– Monsieur Thierry PLUMENAIL, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Rose-Colette GERMANY,
DEBATS : A l’audience publique du 18 mars 2022,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l’arrêt fixée au 20 mai 2022 par mise à disposition au greffe de la cour.
ARRET : Contradictoire
***************
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [G] [O] a été embauchée par Mme [P] [B] [H] [L] en qualité de cavalière dans le cadre d’un contrat Chèque Emploi Service Universel (CESU), à compter du 1er juillet 2018 pour une rémunération brute horaire de 8,51 euros.
Mme [O] a été victime d’un accident du travail, le 25 septembre 2018, ayant fait une chute de cheval.
Le 4 octobre 2019, Mme [G] [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Fort de France pour obtenir la requalification de son contrat de travail en contrat à durée indéterminée, des dommages et intérêts et un rappel de salaire.
Par jugement contradictoire du 10 mars 2021, le conseil de prud’hommes a :
dit que la demande de requalification doit être présentée directement devant le bureau de jugement,
dit que la demande de requalification du CDD et CDI n’est pas fondée,
dit que le licenciement discriminatoire n’est pas avéré,
dit que le travail dissimulé n’est pas reconnu,
dit que le licenciement sans cause réelle et sérieuse n’est pas identifié,
en conséquence, débouté Mme [O] de ses demandes,
débouté les parties de leurs demandes relatives aux frais irrépétibles,
condamné chaque partie pour moitié aux dépens.
Par déclaration électronique du 16 avril 2021, Mme [G] [O] a relevé appel du jugement.
Par conclusions du 6 juillet 2021, transmises par la voie électronique, l’appelante demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
requalifier son contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée et à temps complet,
dire son licenciement nul,
dire que Mme [B] [H] [L] est coupable de travail dissimulé,
en conséquence, condamner Mme [B] [H] [L] à lui verser les sommes suivantes :
1 483,33 euros, à titre d’indemnité de requalification,
4 276,07 euros, à titre de rappel de salaire sur temps complet outre 427,60 euros au titre des congés payés y afférents,
17 799,96 euros, à titre d’indemnité pour licenciement nul,
8 899,98 euros, à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
condamner Mme [B] [H] [L] aux dépens.
Au soutien de ses demandes, elle expose qu’elle était employée comme cavalière et non comme employée familiale et que de ce fait le recours au CESU était impossible. Elle rappelle que Mme [B] [H] [L] exploite une écurie à titre professionnelle et qu’elle-même était chargée d’entraîner les chevaux et leur prodiguer des soins. Elle fait valoir que son employeur a fait une utilisation détournée du CESU. Elle indique ensuite que son employeur devait établir un contrat de travail écrit et qu’à défaut ce contrat est réputé conclu à durée indéterminée et à temps complet. Elle prétend encore avoir effectué de nombreuses heures de travail non-déclarées.
Elle affirme également que Mme [B] [H] [L] a rompu le contrat de travail, le 30 septembre 2019 sans respecter la procédure de licenciement en cas d’accident du travail. Elle rappelle qu’aucun terme n’était fixé au contrat de travail.
Par conclusions remises au greffe le 6 octobre 2021, Mme [B] [H] [L] demande à la cour la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu’il a condamné les parties par moitié aux dépens et sollicite la condamnation de Mme [O] aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, elle réclame le débouté de la demande adverse au titre de l’indemnité de requalification du CESU en CDI à temps complet, non justifiée dans son quantum.
A l’appui de ses prétentions, elle expose que la demande d’indemnité pour licenciement nul est prescrite.
Elle indique encore qu’elle exerce une activité professionnelle de sécurité privée et que les activités réalisées à l’écurie relèvent du cadre personnel. Elle rappelle que le contrat CESU se substitue à la rédaction d’un contrat de travail à durée déterminée pour les emplois dont la durée de travail n’excède pas huit heures par semaine ou quatre semaines consécutives dans l’année. Elle affirme que l’emploi de Mme [O] entre dans ces conditions.
Elle fait valoir également qu’elle apporte la preuve de ce que Mme [O] travaillait à temps partiel. Elle rappelle cependant que l’indemnité de requalification du CDD en CDI ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Elle insiste enfin sur le fait que l’emploi de Mme [O] a été déclaré et les heures de travail effectuées mentionnées de manière conforme sur les bulletins de salaire.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 22 novembre 2021 pour une clôture effective au 19 novembre 2021.
Par conclusions transmises par la voie électronique le 24 novembre 2021, Mme [O] demande la révocation de l’ordonnance de clôture en précisant que des difficultés de RPVA l’ont empêchée de répondre aux conclusions adverses et de communiquer des pièces essentielles pour le dossier.
MOTIFS DE L’ARRET :
Sur la révocation de l’ordonnance de clôture :
Aux termes de l’article 803 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.
Mme [O] fait état de difficultés techniques l’ayant empêchée de remettre à la cour de nouvelles écritures et pièces. Cependant, outre qu’elle ne justifie pas des problèmes évoqués, elle ne précise pas en quoi des pièces non-communiquées en première instance ou devant la cour seraient essentielles à la résolution du litige. Elle n’explique pas davantage les raisons pour lesquelles ces pièces n’ont pas été produites à l’appui des conclusions transmises en juillet 2021.
La demande de révocation de l’ordonnance de clôture n’est donc pas justifiée par une cause grave. Elle est ainsi rejetée.
Sur le contrat de travail de Mme [O] :
Aux termes de l’article L 1271-1 du code du travail dans sa rédaction applicable à l’espèce, le titre emploi permet de déclarer pour les particuliers mentionnés au 3° de l’article L. 133-5-6 du code de la sécurité sociale, des salariés occupant des emplois entrant dans le champ des services à la personne mentionnés à l’article L. 7231-1 du présent code.
Les dispositions de l’article L 133-5-6 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable à l’espèce, visent les particuliers qui emploient des salariés relevant du champ des services à la personne mentionnés à l’article L. 7231-1 du code du travail.
Aux termes de ce dernier article, les services à la personne portent sur les activités de garde d’enfants, d’assistance aux personnes âgées ou aux personnes handicapées et les services aux personnes à leur domicile et relatifs aux tâches familiales et ménagères.
En l’espèce, il est admis des deux parties que Mme [O] a été employée par Mme [B] [H] [L] en qualité de cavalière et non à un «emploi familial» comme indiqué sur les bulletins de salaire. L’emploi du CESU a donc été effectué hors des cas prévus par les textes. Pour autant, de ce point de vue, Mme [O] ne formule aucune demande particulière et ne justifie, en particulier, d’aucun préjudice.
Ensuite, en application des dispositions de l’article L 1271-4 alinéa 2 du code du travail, le CESU ne peut être utilisé pour la rémunération directe ou le paiement des prestations réalisées par des salariés qui consacrent tout ou partie de leur temps de travail à une activité contribuant à l’exercice de la profession de leur employeur.
Mme [B] [H] [L] justifie de l’inscription d’une entreprise ayant une activité de sécurité privée. Il est admis des deux parties que Mme [O] avait une activité de cavalière pour le compte de Mme [B] [H] [L]. L’appelante ne produit aucun élément pour démontrer que l’activité liée à l’écurie dans laquelle elle était employée contribuait à l’exercice de la profession de son employeur.
Il est encore prévu par les dispositions de l’article L 1271-5 du code du travail que pour les emplois dont la durée du travail n’excède pas huit heures par semaine ou ne dépasse pas quatre semaines consécutives dans l’année, l’employeur et le salarié qui utilisent le CESU sont réputés satisfaire aux obligations mises à la charge de l’un ou de l’autre par les articles L 1242-12 et L 1242-13 pour un contrat à durée déterminée, l’article L 3123-6 pour un contrat à temps partiel. Pour les emplois de durée supérieure, un contrat de travail est établi par écrit.
Suivant les termes de l’article L 3171-4 du même code, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il ressort des bulletins de salaire de Mme [O] les éléments suivants :
au titre de la paie du 1er juillet au 31 juillet 2018, il est indiqué 3 heures travaillées
au titre de la paie du 1er août au 31 août 2018, il est indiqué 3 heures travaillées
au titre de la paie du 1er septembre au 30 septembre 2018, il est indiqué 10 heures travaillées.
Ces seules indications sont insuffisantes à démontrer que les dispositions de l’article L 1271-5 ont été respectées. En effet, s’agissant du mois de septembre, il n’est pas justifié que les 10 heures travaillées n’ont pas été effectuées au cours d’une même semaine.
Dès lors, la cour doit considérer que le contrat de travail de Mme [O] aurait dû faire l’objet d’un écrit.
Suivant les termes de l’article L 1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
Il découle en outre des dispositions de l’article L 3123-6 du même code, qu’en l’absence de contrat à temps partiel écrit, le contrat de travail est présumé avoir été conclu pour un horaire normal.
Il incombe à Mme [B] [H] [L], qui conteste cette présomption et affirme que Mme [O] n’a travaillé que les heures indiquées ci-dessus, d’apporter la preuve, d’une part, qu’il s’agit d’un emploi à temps partiel, d’autre part que la salariée n’a pas été placée dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler. Or, au regard des seuls bulletins de paie produits aux débats à l’exception de toute autre pièce, Mme [B] [H] [L] échoue à démontrer ces éléments.
Le contrat de travail de Mme [O] est donc requalifié en contrat à durée indéterminée et à temps plein.
Le jugement du conseil de prud’homme est donc infirmé, les premiers juges ayant à tort considéré l’utilisation du CESU par l’employeur valable sans application des textes adéquats au jour du contrat.
Sur la rupture du contrat de travail :
Il est constant que Mme [B] [H] [L] a rompu unilatéralement le contrat de travail de Mme [O] au 30 septembre 2018 alors que la salariée était en arrêt maladie suite à l’accident du travail survenu le 25 septembre 2018 et régulièrement déclarée à la CGSSM par l’employeur. Or, la procédure de licenciement n’a pas été respectée.
Aux termes des articles L 1226-9 et L 1226-13 du code du travail, ce licenciement est nul.
Cependant, suivant les dispositions de l’article L 1471-1 du code du travail, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
En l’espèce, au regard des documents produits par les parties, il convient de considérer que cette notification est intervenue le jour où Mme [O] a signé le solde de tout compte, soit le 30 septembre 2018. La salariée a saisi le conseil de prud’homme d’une requête déposée au SAUJ du tribunal, le 4 octobre 2019. Son action relative à la rupture de son contrat de travail est prescrite entraînant l’irrecevabilité de la demande d’indemnité pour licenciement nul.
Le jugement est donc confirmé sur cette demande mais par une substitution de motifs.
Sur les autres demandes en paiement :
Sur le rappel de salaire :
Mme [O] justifie qu’elle aurait dû percevoir un salaire mensuel brut de 1 483,33 euros. Son contrat de travail a duré trois mois. Elle a donc droit au paiement par Mme [B] [H] [L] de la somme de 4 276,07 euros outre la somme de 427,60 euros, au titre des congés payés afférents.
Le jugement est infirmé de ce chef.
Sur l’indemnité de requalification :
Aux termes de l’article L 1245-2 dernier alinéa du code du travail, la requalification du contrat par le conseil de prud’homme ouvre droit pour le salarié à une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
A ce titre, la demande en paiement de Mme [O] d’un montant de 1 483,33 euros est justifiée.
Le jugement est infirmé de ce chef.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé :
Vu les dispositions des articles L 8221-5 et L 8223-1 du code du travail,
En l’espèce, Mme [O] n’apporte pas à la juridiction la démonstration de la dissimulation intentionnelle d’emploi salarié par son employeur puisque son contrat de travail a été requalifié en contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein qu’en raison de l’emploi irrégulier du CESU par Mme [B] [H] [L] et du jeu de la présomption précédemment exposée au regard de son échec à démontrer que pour le mois de septembre 2018, la salariée n’a pas effectuée les 10 heures déclarées travaillées sur la même semaine.
La demande d’indemnité est donc rejetée.
Le jugement est confirmé par substitution de motifs.
Sur les dépens :
Mme [B] [H] [L] est condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Rejette la demande de révocation de l’ordonnance de clôture formée par Mme [G] [O],
Infirme le jugement en ce qu’il a dit la demande de requalification du contrat de travail de Mme [G] [O] infondée et débouter Mme [G] [O] de ses demandes en paiement d’un rappel de salaire et d’une indemnité de requalification,
Et, statuant à nouveau de ce chef,
Ordonne la requalification du contrat de travail de Mme [G] [O] en contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein,
Condamne Mme [P] [B] [H] [L] à verser à Mme [G] [O] la somme de 4 276,07 euros, au titre du rappel de salaire, outre la somme de 427,60 euros, au titre des congés payés afférents,
Condamne Mme [P] [B] [H] [L] à verser à Mme [G] [O] la somme de 1 483,33 euros, au titre de l’indemnité de requalification,
Confirme le jugement, par substitution de motifs, en ce qu’il a rejeté les demandes de Mme [G] [O] au titre de l’indemnité pour licenciement nul et l’indemnité pour travail dissimulé,
Condamne Mme [P] [B] [H] [L] aux entiers dépens.
Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,