Sécurité informatique : 6 mai 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 18/17234

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Sécurité informatique : 6 mai 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 18/17234

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 06 MAI 2022

N° 2022/184

Rôle N° RG 18/17234

N° Portalis DBVB-V-B7C-BDISD

[L] [J]

C/

SA SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE – SFR

Copie exécutoire délivrée le :

06 MAI 2022

à :

Me Vincent BURLES de la SELARL BURLES VINCENT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Me Arielle LACONI, avocat au barreau de MARSEILLE

+ 1 copie Pôle-Emploi

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 08 Octobre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/01276.

APPELANT

Monsieur [L] [J], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Vincent BURLES de la SELARL BURLES VINCENT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

SA SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE – SFR prise en la personne de son représentant légal en exercice demeurant et domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 2]

représentée par la SCP FROMONT BRIENS, avocats au barreau de LYON, Me Arielle LACONI, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Mai 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Mai 2022

Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

M. [L] [J] a été engagé par la Société EFIXO en qualité d’ingénieur développeur informatique à compter du 17 janvier 2011.

Par avenant du 27 mai 2014, le contrat de travail de M. [J] a été transféré à la Société SFR.

Il exerçait ses missions pour les infrastructures des Terminaux Fixes de [Localité 3] dits TFM.

Le 30 décembre 2016, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement.

Le 30 janvier 2017, M. [J] a été licencié pour cause réelle et sérieuse, pour avoir tenu des propos inappropriés et dénigrants vis à vis de ses collègues de travail et de sa hierarchie.

Suivant requête en date du 29 mai 2017, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille des demandes suivantes :

– Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 50 000 euros nets

– article 700 du CPC 3.000 euros.

Par jugement du 8 octobre 2018, le conseil de prud’hommes de Marseille a débouté M. [J] de l’intégralité de ses demandes et rejeté la demande reconventionnelle formée par la société SFR au titre des frais irrépétibles.

Monsieur [J] a interjeté appel du jugement prud’homal.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 juin 2018, il demande à la Cour :

-D’infirmer le jugement et de condamner la société SFR à 50.000 euros nets de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la Société SFR à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’intégralité de la procédure ;

-De condamner SFR aux frais de recouvrement et d’encaissement d’huissier en cas de recouvrement forcé des sommes dues ;

-De la condamner aux dépens et aux intérêts de droit depuis la demande en justice.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 mars 2019, la société SFR demande à la cour de :

-Dire que le licenciement de Monsieur [J] repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence de :

– Confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Marseille du 8 octobre 2018 en toutes ses dispositions,

-Débouter Monsieur [J] de l’ensemble de ses demandes,

-Le condamner à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

-Le condamner aux entiers dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée suivant ordonnance du 20 janvier 2022.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la validité du licenciement

Monsieur [J] soutient que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse; qu’il a simplement usé de sa liberté d’expression et de son droit d’alerte pour attirer l’attention de la société SFR sur une importante faille de sécurité (piratage de mots de passe notamment), liée au fait que les salariés intervenants sur les systèmes informatiques n’avaient pas les compétences et la formation nécessaire et qu’en alertant par écrit sa hierarchie ou encore la personne chargé de l’audit, il n’a pas employé de termes injurieux ou excessifs, ni dénigrés les autres salariés mais a tenté de remplir loyalement son devoir d’alerte.

La société SFR sollicite la confirmation du jugement du conseil de prud’hommes qui a jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et serieuse. Elle fait valoir que, malgré un courrier de mise en garde de son supérieur hierarchique, Monsieur [J] a persisté dans son comportement, prétendant que les collaborateurs embauchés en matière de sécurité informatique étaient totalement incompétents; qu’en agissant ainsi, alors que ses accusations étaient infondées, il a manqué de respect et de correction vis à vis de ses collaborateurs en violation de l’article 8.3 du réglement intérieur et abusé de sa liberté d’expression en dénigrant ses collègues de travail en violation de l’article L 1121-1 du code du travail.

***

L’article L 1121-1 du code du travail, garantissant la liberté d’expression du salarié dispose que ‘nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché’.

Seul l’abus peut constituer une restriction dans l’usage de la liberté d’expression et le salarié ne doit être sanctionné que s’il est établi qu’il a injurié, diffamé, ou tenus des propos excessifs sur l’entreprise ou la personne de son employeur.

En l’espèce, la lettre de licenciement notifiée par la société SFR à Monsieur [L] [J] le 30 janvier 2017 et fixant les limites du litige, est ansi libellée :

« Les faits se rapportent notamment aux propos tenus à l’égard de vos collègues et de votre hiérarchie dans le courrier électronique que vous avez adressé le 12 décembre 2016 à Monsieur [R] [S], intervenant en qualité de Responsable de Service ‘ Ingénierie de réseaux PFS et outils, et mandaté pour réaliser un audit de sécurité du réseau, en tant que destinataire principal et en mettant à cette occasion votre ligne managériale en copie. Ainsi, dans votre mail du 12 décembre 2016, vous avez notamment tenu les propos suivants : « [‘] Cela fait des mois (quasiment deux ans, en fait) que j’alerte toute ma hiérarchie sur le manque de compétence et d’expérience d’un certain nombre de personnes sans être écouté. Je souhaite te signaler une faille énorme que j’ai repéré il y a qq semaines. Ce n’est pas la seule faille que j’ai repéré mais c’est la plus grave. C’est une faille qui relève du B-A-BA de la sécurité et qui est révélatrice du manque de compétence. [‘] tous les routeurs et serveurs sont administrés par des débutants ou des personnes qui n’ont pas eu la formation nécessaire.

Malheureusement ma chaine hiérarchique n’a pas elle non plus, la formation nécessaire pour comprendre les enjeux de la sécurité. J’ai pu m’en rendre compte par rapport aux réponses qui m’ont été faites. [‘] ma hiérarchie m’a fortement conseillé d’arrêter de dénoncer ces failles de sécurité sauf à être en mesure de pouvoir porter plainte légalement. »

De tels propos et de tels comportements ne sont pas acceptables au sein de l’entreprise et nous ne pouvons que déplorer votre attitude de dénigrement à l’égard de vos collègues et de votre hiérarchie, en remettant ouvertement en cause leurs compétences et leur niveau de formation.

Vos agissements sont en outre contraires aux dispositions du règlement intérieur applicable au sein de l’UES SFR et notamment de son article 8.3 qui dispose que : « Tout collaborateur doit faire preuve de respect et de correction dans son comportement vis-à-vis de l’ensemble du personnel. ». A cet égard, votre communication se doit d’être appropriée en toute circonstance dans le cadre de l’exercice de votre activité professionnelle et ne doit pas générer des tensions au sein de l’équipe.

Vos propos, au-delà d’être inappropriés, témoignent une fois encore du dénigrement dont vous faites part à l’égard de vos collègues et de votre management, et de votre volonté de les mettre en cause.

En effet, force est de constater que ces faits ne sont pas isolés et que vous n’avez pas cru bon de tenir compte des observations et des alertes de votre hiérarchie, qui vous a rappelé plusieurs fois la nécessité de respecter le travail de chacun au sein de l’entreprise.

A ce titre, Monsieur [U] [V] vous a ainsi demandé à plusieurs reprises de veiller à votre attitude à l’égard de vos collègues et notamment :

– le 21 octobre 2015 par mail vous invitant « à adopter une posture et un discours bienveillant à l’égard de tes collègues TFM, sans remettre en cause leurs compétences et la qualité de leur travail ».

La cour constate que, si les termes de ce courriel en date du 12 décembre 2016 relatifs au ‘manque de compétence et d’expérience’ de certains collaborateurs ou à ‘l’absence de formation nécessaire’ de certains collègues et de ses supérieurs hierarchiques, sont très maladroits, ils n’ont été adressés à titre principal, qu’à la personne chargé de l’audit interne de la sécurité réseau, Monsieur [S], ainsi qu’en copie à son équipe de management, à l’exclusion de tout autre personne, dans le but de les alerter sur les failles du système informatique de la société SFR.

En effet, Monsieur [J] avait déjà alerté son supérieur hiérarchique Monsieur [V] [U] par courriel du 3 octobre 2016 sur une difficulté relative à la redirection malveillante d’un site internet venant de l’intérieur de la société SFR et manifesté ses inquiétudes quant à de possibles cyber attaques. Cette alerte avait donné lieu à un audit des serveurs de la société par la cellule cyber défense (cf courriel du 17 novembre 2016), au demeurant non produit par l’employeur.

Monsieur [J] verse aux débats plusieurs attestations de collaborateurs, ingénieurs informatiques, Messieurs [G], [X], [O] et anciens supérieurs hierarchiques, Messieurs [F] et [Z] qui attestent unanimement de ce que durant toute la durée de leur collaboration, M. [J] n’a jamais dénigré la société SFR, ni attaqué la réputation de ses collègues ni de ses supérieurs hierarchiques.

Il ressort de l’attestation de Monsieur [W], supérieur hierarchique à compter de novembre 2015, produite par la société SFR, que Monsieur [J] lui avait fait part de sa souffrance, de son agacement, voir de sa colère, face à des collaborateurs qui, d’après lui, ne fournissaient pas du travail de qualité.

Ainsi, il convient de constater que les termes du courriel de Monsieur [J] portant sur l’absence de compétence et de formation de ses collègues, certes inappropriés, s’inscrivent dans le contexte particulier de tentatives d’alerte de sa hierarchie, jusqu’alors non prises en considération, sur les dangers de failles informatiques afin de protéger la société à laquelle il appartient et non dans le but de dénigrer ses dirigeants ou ses collaborateurs.

Par ailleurs, il y a lieu de relever que, si l’employeur produit les évaluations des collègues de Monsieur [J] témoignant, pour la plupart, de leurs bonnes notations, ainsi que l’attestation des formations professionnelles qu’ils ont pu suivre, il ne produit pas les résultats de l’audit interne réalisé par Monsieur [S] sur la sécurité informatique de l’entreprise, qui auraient pu permettre de vérifier si les inquiétudes de Monsieur [J] étaient fondées.

Enfin la cour relève, s’agissant du contenu même du courriel du 12 décembre 2016 visé dans la lettre de licenciement, que son examen ne fait pas ressortir de vocabulaire à caractère injurieux, ni de termes excessifs de nature à caractériser un abus dans la liberté d’expression du salarié.

Les termes qui y sont contenus ne présentent pas un caractère irrespectueux, injurieux ou diffamatoire vis à vis du personnel en violation de l’article 8-3 du règlement intérieur qui, en tout état de cause, ne peut limiter la liberté d’expresssion d’un salarié qu’en conformité avec les dispositions de l’article L1121-1 du code du travail.

En conséquence, l’employeur n’établit pas que les faits énoncés dans la lettre de licenciement reposent sur une cause réelle et sérieuse.

Dès lors, le licenciement de Monsieur [J] est sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières

Compte tenu de l’effectif de la société SFR, employant plus de 11 salariés et de l’ancienneté de M [J] dans l’entreprise, supérieure à deux années, il peut prétendre à une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires bruts des 6 derniers mois, conformément à l’article L.1235-3 du Code du travail en sa rédaction applicable à la date du licenciement.

M [J] n’a pas justifié de sa situation auprès de Pôle emploi, ni de ses recherches d’emploi. Au vu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (42 ans), de son ancienneté dans la structure (6 ans) de sa rémunération (4.101 euros) , il convient de lui accorder une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 25.000 euros.

Cette somme de nature indemnitaire produira intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

Il convient également d’ordonner à la société SFR de rembourser aux organismes concernés les allocations de chômage payées, le cas échéant, à Monsieur [L] [J] du jour du licenciement au jour du prononcé du présent arrêt dans la limite de 6 mois.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L’équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles et de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et d’allouer à ce titre la somme de 1.500 euros à Monsieur [L] [J].

L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et en matière prud’homale,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes sauf en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle formée par la société SFR au titre des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau :

Dit que le licenciement de Monsieur [L] [J] est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société SFR à payer à Monsieur [L] [J] une somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que cette somme de nature indemnitaire produira intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,

Y ajoutant :

Ordonne à la société SFR de rembourser au Pôle emploi PACA les allocations de chômage payées, le cas échéant, à Monsieur [L] [J] du jour du licenciement au jour du prononcé du présent arrêt dans la limite de 6 mois,

Condamne la société SFR à payer à Monsieur [L] [J] somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société SFR aux dépens de première instance et d’appel,

Dit que le présent arrêt sera notifié par le greffe de la Cour au Pôle Emploi PACA.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Ghislaine POIRINE faisant fonction

 


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