Sécurité informatique : 5 juin 2018 Cour d’appel de Besançon RG n° 17/00136

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Sécurité informatique : 5 juin 2018 Cour d’appel de Besançon RG n° 17/00136

ARRÊT N°

JFL/CM

COUR D’APPEL DE BESANÇON

– 172 501 116 00013 –

ARRÊT DU 05 JUIN 2018

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 27 mars 2018

N° de rôle : 17/00136

S/appel d’une décision

du TRIBUNAL DE COMMERCE DE LONS LE SAUNIER

en date du 22 janvier 2016 [RG N° 2014J00034]

Code affaire : 59B

Demande en paiement relative à un autre contrat

Société WOLTERS KLUMER FRANCE C/ SCP X… & ASSOCIES

PARTIES EN CAUSE :

Société WOLTERS KLUMER FRANCE

dont le siège est […]

APPELANTE

Représentée par Me Bruno Y…, avocat au barreau de BESANCON

et Me Anne-Marie Z…, avocat au barreau de PARIS

ET :

SCP X… & ASSOCIES

dont le siège est […]

INTIMÉE

Représentée par Me Ludovic A… de la B…, avocat au barreau de BESANCON

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre.

ASSESSEURS : Madame A. CHIARADIA et Monsieur Jean-François LEVEQUE (magistrat rapporteur), Conseillers.

GREFFIER : Madame D. BOROWSKI, Greffier.

lors du délibéré :

PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre

ASSESSEURS : Madame A. CHIARADIA et Monsieur Jean-François LEVEQUE, Conseillers.

L’affaire, plaidée à l’audience du 27 mars 2018 a été mise en délibéré au 09 mai 2018 et prorogée au 05 JUIN 2018 pour un plus ample délibéré . Les parties ont été avisées qu’à cette date l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

**************

Exposé du litige

Par contrat en date du 22 septembre 2010, la société civile professionnelle d’avocats X… et associés (la société X…), implantée à Chalon-sur-Saône, Mâcon, Charolle et Dijon, a confié à la société Wolters Kluwer France (la société WKF) le renouvellement de son système informatique, comportant la fourniture et l’installation du matériel et du logiciel Clior. Estimant que l’installation connaissait des dysfonctionnements graves, la société X… a refusé de payer le matériel et les logiciels. Elle a fait réaliser un audit par M. Philippe C…, qui a rédigé son rapport en date du 13 février 2013, puis a obtenu la désignation d’un expert judiciaire par ordonnance de référé du 26 juillet 2013, l’expert Dominique D… ayant déposé son rapport le 12 novembre 2013. La société X… a également fait réaliser une évaluation financière de son préjudice par la société Chalonnaise d’expertise comptable (SCEC), dont le rapport, daté du 5 novembre 2013, évalue le temps perdu par la société X… en raison des dysfonctionnements à 278.793€.

Sur la base des conclusions expertales, la société X…, le 14 avril 2014, a fait assigner la société WKF aux fins d’obtenir la remise en état du système informatique et l’indemnisation de son préjudice à hauteur de 278.793€.

Par jugement rendu le 22 janvier 2016 le tribunal de commerce de Lons-le-Saunier a:

– condamné la société WKF à mettre en état de fonctionnement le système informatique installé par elle au cabinet de la société X…, sous astreinte de 500 € par jour de retard,

– condamné la société X… à payer à la société WKF les factures de matériel, d’un montant de 17.724,72 € ttc, et de logiciels, d’un montant de 10.780,74 € ttc,

– condamné la société WKF à payer à la société X… la somme de 150.000 € à titre de dommages et intérêts,

– débouté la société WKF du surplus de ses demandes,

– ordonné l’exécution provisoire,

– condamné la société WKF à payer à la société X… la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens comprenant, les frais d’expertises, de rapport et de constat.

Par déclaration parvenue au greffe de la cour le 19 février 2016, la société WKF a relevé appel total de cette décision.

La société WKF n’ayant initialement pas exécuté le jugement, l’affaire a été radiée par ordonnance du 2 novembre 2016, puis ultérieurement rétablie sur justificatif de l’exécution des condamnations financières.

Une nouvelle demande de radiation, présentée par la société X… au motif que la condamnation à remettre en état le système informatique n’avait pas été exécutée, a été rejetée par ordonnance du 10 août 2017.

Par dernières conclusions transmises le 8 mars 2018, la société WKF demande à la cour, à titre principal, de :

– infirmer le jugement critiqué en ce qu’il l’a condamnée à remettre en état le système informatique et à payer 150.000 € de dommages et intérêts, 4.000 € au titre des frais irrépétibles et les dépens ;

– condamner la société X… à lui payer 4.780 €, avec intérêts de droits à compter du 28 janvier 2011, au titre des sommes lui restant dues en sus des factures retenues par le tribunal;

– condamner la société X… à lui restituer la somme de 150.000 € payée en exécution du jugement critiqué ;

– condamner la société X… à lui payer 50.000 € de dommages et intérêts.

A titre subsidiaire, si sa responsabilité devait être retenue, elle demande à la cour de:

– dire que le montant des dommages et intérêts sera égal à 4.780 €, montant des frais de réinstallation facturés le 28 janvier 2011 ;

– infirmer sa condamnation au titre des frais irrépétibles et des dépens ;

– condamner la société X… à lui payer 15.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que diverses sommes engagées pour la défense de ces intérêts: 15.000€ pour l’intervention de M. E…, 3.672 € pour l’intervention de la société d’huissiers Benichou, 1.800 € pour celle de la société d’huissiers Astruc Rivat Huichard et 3.772 € pour la société Matra Consulting ;

– la condamner aux dépens.

A cet effet, l’appelante soutient principalement les moyens suivants :

– le tribunal a été induit en erreur par un rapport d’expertise flou se bornant dans ses conclusions à des considérations générales et se fondant sur certains points sur des opérations non contradictoires ;

– l’expert ne retient pas de défaut du logiciel Clior, hormis les bugs inévitables d’une nouvelle version ;

– la société X… ne démontre pas de manquement de la société WKF à ses obligations contractuelles de réinstallation et de télémaintenance sur le logiciel ;

– la société X… n’a pas coopéré loyalement avec elle depuis 2013, commettant une faute engageant sa responsabilité et modifiant la nature des obligations de la société WKF;

– l’expert relève des carences fautives de la société X… dans l’entretien de ses installations informatiques, malgré les mises en garde de la société WKF ;

– les fautes commises par la société X… ont porté atteinte à son image et lui ont causé un préjudice de 50.000 € ;

– la société X… n’établit pas subir un préjudice ;

– pour la période postérieure au 13 octobre 2013, la société X… a directement contribué à la réalisation du préjudice qu’elle invoque.

La société X…, par conclusions portant appel incident enregistrées le 26 mars 2018, demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société WKF à procéder à la remise en état de son système informatique sous astreinte de 500 € par jour de retard;

– condamner la société WKF à lui payer 278.793,00 € à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice arrêté au 31 octobre 2013 ;

– lui donner acte de ce qu’il sera procédé au règlement des factures de la société WKF de 17.724,72€ ttc et de 10.780,74 € ttc dès qu’elle aura mis à disposition un système informatique fonctionnant correctement;

– débouter la société WKF de ses demandes reconventionnelles ;

– la condamner à lui payer 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens tant de première instance et d’appel, qui comprendront notamment les frais de référé, d’expertise judiciaire, le coût du rapport C…, ainsi que le coût des constats d’huissier dressés les 6 février 2014 et le 2 mai 2016.

A cet effet, l’intimée soutient principalement les moyens suivants :

– de nombreux, graves et incessants dysfonctionnements informatiques perturbent le fonctionnement du cabinet depuis l’intervention de WKF en octobre 2010 ;

– elle-même n’a pas refusé de coopérer loyalement ;

– le préjudice, qui consiste, pour les secrétaires, les collaborateurs et les associés, dans la perte d’un temps de production qui aurait été mieux employé à développer le cabinet, a été exactement évalué par la SCEC.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

L’affaire a été clôturée le 26 mars 2018, fixée à l’audience du 27 mars 2018 et la décision a été mise en délibéré au 9 mai 2018, avec prorogation au 5 juin 2018.

Motifs de la décision

– Sur la responsabilité du locateur d’ouvrage,

La convention passée par les parties portait d’une part sur le renouvellement de la quasi-totalité du matériel informatique des quatre sites du cabinet d’avocats X…, et d’autre part sur l’installation de divers logiciels de sécurité informatique, de bureautique, et plus particulièrement le logiciel Clior Open. Ce logiciel est l’outil central de gestion du cabinet, a l’aide duquel les avocats associés, avocats collaborateurs, juristes et secrétaires effectuent leurs tâches quotidiennes telles qu’agenda, gestion de dossiers, production d’actes, gestion des temps, gestion des mails, facturation, utilisation du réseau privé virtuel des avocats (RPVA).

Cette convention, pour ce qui concerne l’installation et le paramétrage du logiciel Clior, est un contrat de louage d’ouvrage au sens de l’article 1787 ancien du code civil. Portant sur l’installation d’un système informatique essentiel au bon fonctionnement de la société X…, il obligeait la société WKF à atteindre le résultat convenu, c’est à dire le fonctionnement sans incident du logiciel.

Ce résultat n’a pas été atteint par la société WKF, les éléments produits de part et d’autre montrant au contraire que le logiciel Clior installé au cabinet X… a connu divers dysfonctionnements depuis son installation au mois d’octobre 2010 et jusqu’à l’année 2017:

– au cours d’une première période courant du mois d’octobre 2010 au mois de janvier 2012, il résulte de la correspondance entre les parties que les utilisateurs du logiciel ont été quotidiennement confrontés à des blocages intempestifs de leur poste de travail, nécessitant de procéder à la réindexation des fichiers Suicour et Email, opération qui nécessitait l’arrêt du système informatique sur les quatre sites du cabinet ; les utilisateurs se plaignaient en outre de difficultés à faire fonctionner l’agenda, d’impossibilités d’imprimer les mails ou de les transférer, ou encore de difficultés à faire fonctionner le RPVA ;

– le problème des réindexations et des blocages complets a été résolu par la société WKF au mois de janvier 2012, mais a laissé subsister d’autres difficultés, principalement l’éjection inopinée des utilisateurs, nécessitant de relancer plusieurs fois le logiciel, voire de redémarrer le poste de travail, ainsi qu’il résulte des courriers adressés par la société X… ; ces difficultés sont confirmées d’abord par l’audit C…, réalisé en 2013, selon lequel, en particulier, le réseau n’a pas été paramétré de façon cohérente et souffre des dysfonctionnements importants et récurrents de la brique logicielle Hyperfile, relative à la gestion et aux courriels ; ces dysfonctionnements ont encore été confirmés par l’expert judiciaire D… intervenu en 2013, qui, loin de se cantonner à des généralités floues comme le lui reproche la société WKF, a constaté, en présence des parties, divers dysfonctionnement se produisant à l’ouverture du logiciel ou lors de la fusion de documents avec le logiciel de traitement de texte Word, les intervenants de la société WKF ayant relevé les messages d’erreurs correspondants ; le même expert judiciaire a relevé une configuration de l’adressage réseau réalisée ‘en dépit du bon sens’; si les causes techniques n’ont pas été précisément identifiées par lui, il a relevé à juste titre que la société WKF, en charge à la fois de l’installation des machines, de leur configuration et de la mise en place comme du développement du logiciel Clior, devait fournir un système informatique fonctionnel et exempt de dysfonctionnements se répétant quotidiennement et nuisant à l’activité de son client ;

– la persistance de ces dysfonctionnements au cours des années suivantes est établie par plusieurs constats d’huissier réalisés à la demande de la société X… :

* le 6 février 2014 (impossibilité d’envoyer des mails, blocage de postes de travail malgré plusieurs redémarrages),

* le 2 mai 2016 (nombreux ralentissements et messages d’erreur lors de l’utilisation de Clior sur plusieurs postes, nécessitant de lancer plusieurs fois le logiciel pour obtenir qu’il fonctionne),

* le 19 octobre 2016 (nombreux messages d’erreur aux tentatives d’ouverture du logiciel sur plusieurs postes, qui n’est obtenue qu’après plusieurs minutes, et même de 22 minutes sur l’un des postes. Plusieurs dizaines de secondes pour intégrer un mail dans la boîte mail),

* le 8 mars 2017 (erreurs au démarrage sur le poste d’un associé, nécessitant jusqu’à une vingtaine de redémarrage pour accéder au fonctionnement).

A ces constats d’huissier demandés par la société X… s’ajoute celui qui a été établi le 31 janvier 2018 par la société WKF elle-même, qui révèle l’existence de plusieurs tickets d’incident émis par la société X… au cours de l’année 2017 pour divers problèmes dont plusieurs éjections d’utilisateurs.

La persistance des dysfonctionnements résulte également des correspondances échangées et des réunions de travail organisées par les parties, notamment le courriel Michel F… du 1er juillet 2016 annonçant avoir identifié une cause des dysfonctionnements, ou encore la réunion qui s’est tenue sur site le 30 septembre 2016.

Contrairement aux critiques faites à l’expert par la société WKF, sur la base du rapport d’expertise privée E… qu’elle a fait réaliser, l’expert judiciaire a suffisamment décrit l’environnement informatique du cabinet X… et n’avait pas à s’attarder sur le rôle du prestataire informatique Adwin, dès lors que ces éléments n’étaient pas de nature à contredire la réalité de dysfonctionnements répétés et durables incompatibles avec l’obligation de résultat qui pesait sur la société WKF.

De même, il est indifférent que l’expert n’ait pas isolé un défaut propre au logiciel Clior, ni un manquement de la société WKF à ses obligations contractuelles de réinstallation et de télémaintenance sur le logiciel, dès lors que la réalité des dysfonctionnements invoqués suffit à établir que le résultat promis n’a pas été atteint, et à engager sa responsabilité.

La cour confirmera donc le jugement critiqué en ce qu’il a retenu la responsabilité de las société WKF.

– Sur la responsabilité du maître de l’ouvrage,

Si la société X… a longuement réclamé la mise en état de son système informatique depuis son premier courrier du 19 mai 2011, elle a par la suite opposé des refus à certaines interventions de la société WKF, pour ensuite renoncer ouvertement à ses services.

C’est toutefois sans manquer à la loyauté contractuelle que la société X… a pu refuser un audit programmé par la société WKF pour traiter les problèmes soulevés dans l’assignation, au légitime motif qu’elle ne souhaitait pas d’intervention sur le système avant que l’expert judiciaire vaque à sa mission. Toujours sans manquer à la loyauté, la société X… a légitimement pu s’opposer à une intervention sur site programmée en plein congés estivaux alors qu’elle nécessitait la présence des utilisateurs absents à cette période de l’année. De même, elle n’était pas tenue, en 2016, alors que l’expertise judiciaire avait été réalisée, de permettre à l’expert amiable E… d’accéder à son système informatique. De même encore, elle a pu, sans faute, en 2017, s’opposer à l’intervention d’un huissier mandaté par la société WKF sur les postes de travail pour faire constater qu’elle utilisait toujours le logiciel Clior, dès lors que cette utilisation n’était pas contestée et qu’elle a été clairement reconnue devant le même huissier.

De façon générale, le manque de coopération reproché à la société X… à compter de l’année 2013 ne peut lui être imputé à faute dès lors d’une part que les échanges et réunions se sont poursuivis jusqu’en 2016, et d’autre part qu’à compter de l’année 2017, la société X… a pu, sans engager sa responsabilité compte-tenu de la persistance des difficultés pendant les 6 années précédentes, désespérer d’obtenir satisfaction et attendre, comme elle l’indique dans son courrier du 15 février 2018, que le procès se termine pour pouvoir changer de système informatique et retrouver un fonctionnement normal.

Sont indifférentes au litige les défaillances de la société X… dans l’installation de son matériel, l’utilisation d’un onduleur, la gestion de ses sauvegardes, celle de sa sécurité informatique, ou encore la qualité de sa maintenance, dès lors que, contrairement aux affirmations de l’expert E…, il n’est pas établi qu’elle aient eu un rôle causal sur les dysfonctionnements de l’installation ou du logiciel Clior invoqués par la société X….

Ainsi, aucune faute n’étant établie à l’encontre de la société X…, le jugement critiqué sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes formées par la société WKF tant aux fins de réduction de l’indemnisation de son client qu’aux fins d’être elle-même indemnisée.

– Sur la condamnation à mettre en état de fonctionnement du système informatique,

La persistance des dysfonctionnements ayant été établie, la société WKF reste débitrice d’une part de la prestation promise. La cour ne peut donc que confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société WKF à mettre en état le système informatique litigieux.

En revanche, il n’apparaît pas utile d’assortir cette condamnation d’une astreinte, au regard de l’intention exprimée par la société X… de changer prochainement son système informatique. Le jugement sera donc infirmé sur ce point, et la demande en astreinte rejetée.

– Sur le préjudice invoqué par la société X…,

La société X… a été exposée pendant plusieurs années à de nombreux, graves et incessants dysfonctionnements informatiques, précédemment identifiés, qui n’ont pu que perturber avec constance le fonctionnement du cabinet depuis l’intervention de WKF en octobre 2010. L’expert judiciaire D… a caractérisé le fait que ces dysfonctionnements ont entraîné pour les collaborateurs du cabinet une perte de temps et une perte de confiance dans l’outil informatique. Il importe peu que la société X… ne justifie pas, ni même ne soutienne, que cette perte de temps aurait engendré le paiement d’heures de travail supplémentaire, dès lors que la nature des dysfonctionnements établis, obligeant les utilisateurs des postes informatiques à se consacrer à des manoeuvres et à des attentes aussi nombreuses qu’injustifiées, a conduit la société X… à rémunérer un temps de travail alors que les agents étaient distraits de leurs activités normales. La réalité d’un préjudice de perte de temps est ainsi établi.

Pour évaluer la quantité de temps perdu, la société X…, suivant la méthode proposée par la SCEC, divise la période d’indemnisation en deux :

– au cours de la première sous-période, courant de l’installation du système en octobre 2010 à la suppression des blocages en janvier 2012, la société X… affirme que chaque agent perdait en moyenne 90 minutes par jour, sans toutefois étayer cette affirmation ; cette valeur sera pourtant retenue par la cour, au regard de son caractère raisonnable et en l’absence de valorisation concurrente proposée par la société WKF, qui se borne sur ce point à soutenir que les réindexations se produisaient de nuit et ne pouvaient donc perturber la bonne marche du cabinet, alors que le blocage de tout le système pendant les heures de travail est évoqué à plusieurs reprises dans les courriers que lui a adressés la société X… en 2011, sans qu’alors la société WKF lui fasse cette objection ou mette autrement en doute les dysfonctionnements dénoncés ; la cour retiendra donc la valeur de 90 minutes perdue par agent chaque jour ;

– au cours de la seconde sous-période, qui s’étend de février 2012 à octobre 2013, la société X… s’appuie sur les 180 erreurs dénombrées pendant une semaine dans le cadre de l’expertise judiciaire, et évalue à une minute la perte de temps causée par chaque erreur.

S’agissant du nombre de 180 erreurs par semaine, l’expert, admettant qu’il puisse être difficile de quantifier avec précision le volume de temps perdu, a proposé de déterminer un nombre moyen d’erreurs pour une période considérée, puis d’évaluer la durée moyenne consacrée à traiter une erreur. Il a demandé au cabinet X… de relever systématiquement les erreurs survenues du 9 au 25 septembre 2013, ce qui a abouti au dénombrement de 180 erreurs. Si la société WKF objecte exactement que cette mesure n’a pas été faite par l’expert lui-même, cette mesure sera retenue par la cour, dès lors qu’il est constant que les erreurs dénombrées laissaient une trace informatique, qu’elles pouvaient donc être vérifiées en cas de doute sur la bonne foi de la société X… sur ce point, que pour autant cette mesure n’a pas été contestée dans le cadre des opérations d’expertise, et enfin qu’aucun mode d’évaluation meilleur n’est proposé par la société WKF, celle-ci se bornant à se référer au nombre des appels à la hot-line sans établir en quoi celui-ci serait révélateur du nombre total des erreurs. Dès lors, la valeur de 180 erreurs par semaine en 2013, année de réalisation de l’expertise, doit être retenue.

Sur cette base, le volume global de temps perdu sur les trois années concernées est ainsi évalué à 389.707 minutes, soit 6.495 heures, ce qui équivaut à 541 heures par mois, ou encore, pour chacun de 23 agents du cabinet, à près de 24 heures par mois en moyenne.

Le taux d’utilisation de l’informatique variant selon que l’agent est avocat associé, avocat collaborateur, juriste ou secrétaire, la société X… répartit entre eux le volume global de temps perdu en fonction de ce taux.

Enfin, elle estime le coût du temps perdu par chaque agent en tenant compte de sa rémunération individuelle effective au cours des trois années considérées.

Elle évalue ainsi le coût du temps perdu à 275.793 € pour les trois années considérées.

Au regard de ces éléments, la cour considère, à l’inverse de la société WKF, que la méthode invoquée par la société X… est complète et sérieuse, et qu’elle n’apparaît pas excessive dès lors qu’elle se limite aux trois premières années, et qu’elle ne prend en compte que le temps perdu sur les postes informatiques bloqués ou ralentis, et non le temps et les coûts engagés par ailleurs pour tenter remédier à ces difficultés.

Enfin, le premier juge ne pouvait limiter forfaitairement l’indemnisation de la société X… à 150.000 € aux motifs que les bénéfices réalisés en 2011 étaient supérieurs à ceux de 2010, alors qu’il devait s’attacher à réparer le préjudice établi et que celui-ci n’était contredit ni par une évolution favorable des bénéfices, ni par le maintien de la rentabilité du cabinet.

En conséquence, la cour fera droit à la demande indemnitaire présentée par la société X…, et infirmera le jugement critiqué en ce qu’il l’a limitée à 150.000 €.

– Sur le paiement des factures,

Dès lors que l’inexécution des prestations promises par la société WKF se résout en dommages et intérêts, elle ne peut plus justifier le non-paiement des factures litigieuses. Le premier juge doit donc être confirmé en ce qu’il a condamné la société X… à les payer pour un montant de 17.724,72 € ttc au titre du matériel et de 10.780,74 € ttc au titre des logiciels, le total s’élevant à 28.505,46 €.

S’agissant de la facture de 5.716,88 € ttc établie par la société Wolters Kluver au titre de la maintenance, que le premier juge avait écartée au motifs que cette prestation n’avait pas été effectuée correctement, elle est due comme les deux autres, dès lors qu’il n’est pas établi que les défaillances de maintenance invoquées aient causé un préjudice distinct de celui qui a été indemnisé au titre de la perte de temps. Le jugement critiqué sera donc infirmé en ce qu’il a débouté la société Wolters Kluver de sa demande en paiement de cette facture et la société X… y sera condamnée, avec intérêts au taux légal à compter de la date du 28 janvier 2011.

– Sur la condamnation à rembourser les sommes perçues à raison des dispositions infirmées,

La condamnation exécutée par la société WKF étant confirmée et même majorée, la demande en restitution sera rejetée comme sans objet.

– Sur les autres dispositions de la décision attaquée,

L’appel total a saisi la cour de l’ensemble des dispositions de la décision attaquée. Toutefois, aucun moyen n’ayant été développé pour critiquer les dispositions autres que celles précédemment examinées, la décision sera confirmée pour le surplus.

– Sur les frais irrépétibles et les dépens,

L’appelante succombant en appel, sa condamnation aux frais irrépétibles et aux dépens par le premier juge sera confirmée et elle sera condamnée aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la société X… la somme de 4.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, étant déboutée de ses demandes présentées sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement rendu entre les parties le 22 janvier 2016 par le tribunal de commerce de Lons-le-Saunier, sauf en ce qu’il a :

– limité à 150.000 € l’indemnisation du préjudice subi par la société X… et associés,

– débouté la société Wolters Kluver de sa demande en paiement d’une facture de 4.780 € ht,

– et assorti d’une astreinte la condamnation de la société Wolters Kluwer France à mettre le système informatique litigieux en état de fonctionner normalement.

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés:

Condamne la société Wolters Kluwer France à payer à la société X… et associés la somme de deux cent soixante dix huit mille sept cent quatre vingt treize euros (278.793€) à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice arrêté au 31 octobre 2013.

Condamne la société X… et associés à payer à la société Wolters Kluwer France la somme de quatre mille sept cent quatre vingts euros hors taxes (4.780 € ht), avec intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2011.

Déboute la société X… et associés de sa demande d’astreinte.

Y ajoutant,

Déboute la société Wolters Kluwer France de sa demande en restitution des sommes payées en exécution du jugement critiqué.

Condamne la société Wolters Kluwer France à payer à la société X… et associés la somme de quatre mille euros (4.000 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La déboute de sa demande présentée sur le même fondement.

La condamne aux dépens d’appel.

Ledit arrêt a été signé par M. Edouard Mazarin, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Chantal G…, F.F greffier.

Le Greffier,le Président de chambre

 


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