Sécurité informatique : 30 septembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 19/02409

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Sécurité informatique : 30 septembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 19/02409

ARRÊT DU

30 Septembre 2022

N° 1611/22

N° RG 19/02409 – N° Portalis DBVT-V-B7D-SYAC

MLB/NB

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LANNOY

en date du

26 Novembre 2019

(RG 19/00110)

GROSSE :

aux avocats

le 30 Septembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

Mme [E] [S]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Aurélie BERTIN, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

S.A.R.L. ALLO FACADES [M]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Hélène POPU, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l’audience publique du 01 Juin 2022

Tenue par Muriel LE BELLEC

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Angelique AZZOLINI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Septembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 11 mai 2022

EXPOSE DES FAITS

Après avoir travaillé en qualité de secrétaire polyvalente au sein de la société Allo Façades [M] dans le cadre de contrats de mission temporaire du 31 août 2015 au 30 novembre 2015, Mme [E] [S], née le 12 février 1976, a été embauchée par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2015 en qualité d’assistante de direction par la société Allo Façades [M], qui applique la convention collective des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment et emploie de façon habituelle au moins onze salariés.

Mme [S] a été convoquée par lettre remise en main propre le 29 janvier 2018 à un entretien le 8 février 2018 en vue de son licenciement et mise à pied à titre conservatoire. A l’issue de cet entretien, son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 février 2018.

Les motifs du licenciement tels qu’énoncés dans la lettre sont les suivants :

« Vous avez été engagée à compter du 1er décembre 2015 en qualité d’assistante de direction travaillant ainsi en liaison directe avec le gérant de l’entreprise et ayant accès à toutes les informations de l’entreprise gérées et stockées par et sur notre système informatique auquel vous avez accès, sauf accès aux sauvegardes des postes de travail sur le serveur.

Vous avez pourtant gravement manqué à vos obligations contractuelles et à vos obligations de loyauté et de fidélité.

En effet :

Suite à une opération de mise à jour et de maintenance de nos outils informatiques nous avons été alertés par l’informaticien – extérieur à l’entreprise – qui a constaté de graves anomalies et dérives concernant la sécurité et la sauvegarde de notre réseau, l’informaticien relevant que le mot de passe de l’administrateur réseau et qui protège le c’ur de l’entreprise, ses secrets, ses tableaux de bord, ses process et les informations personnelles concernant le dirigeant avait été « craqué » pour permettre ainsi le stockage sur le disque dur du serveur, par suite des manipulations que vous avez alors effectuées, de fichiers et d’éléments qui n’ont rien à voir avec l’activité de notre entreprise.

J’ai été alors stupéfait de relever sur votre poste de travail dont l’usage est réservé à votre activité professionnelle que vous utilisez celui-ci à des fins strictement personnelles durant votre temps de travail qu’il vous appartient pourtant de réserver à l’entreprise qui vous emploie et vous rémunère.

Ainsi il n’est pas acceptable que, pendant vos heures de travail et à notre insu vous occupiez votre temps pour la gestion de vos affaires personnelles et notamment de la société J2L dont vous êtes gérante et également celles de la société Metropolitandjshow – société extérieure à l’entreprise – pour la fabrication de devis, établissement de factures et courriers, stockant ainsi pour le suivi et la gestion des ces affaires la documentation de ces entreprises sur le serveur de l’entreprise ce qui me fait comprendre désormais les raisons pour lesquelles vous utilisiez, avec excès, votre smartphone personnel durant les heures effectives du travail et que vous ne soyez pas à jour du suivi des affaires de notre entreprise.

Vous n’avez pas contesté la réalité de votre activité personnelle pendant votre temps de travail.

Vous avez ainsi non seulement utilisé votre temps de travail à l’exécution d’activités personnelles mais de surcroît mis en péril la sécurité informatique de l’entreprise et la protection de nos données vous plaçant ainsi délibérément en violation flagrante de vos obligations contractuelles de loyauté et de fidélité.

Ces manquements professionnels délibérés, graves et réitérés – dans leurs réalisations et leurs conséquences – m’amènent ainsi à vous notifier par la présente votre licenciement pour fautes graves qui prend effet dès ce jour dès lors qu’il n’est pas concevable que votre contrat puisse se poursuivre sans risque pour l’entreprise même durant la période limitée du préavis. »

Par requête reçue le 4 mai 2018, Mme [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Lannoy pour obtenir un rappel de salaire, une indemnité pour classification incorrecte, faire constater la nullité ou le caractère sans cause réelle et sérieuse de son licenciement et obtenir la rémunération de la période de mise à pied conservatoire, les indemnités de rupture, une indemnité pour licenciement illicite ou illégitime et une indemnité pour licenciement brutal et vexatoire.

Par jugement en date du 26 novembre 2019 le conseil de prud’hommes a dit que Mme [S] relève du niveau E de la grille ETAM de la convention collective du bâtiment, qu’elle n’a pas subi de perte de salaire à ce titre, l’a déboutée de ses demandes de rappel de salaire et de dommages et intérêts pour classification incorrecte, a ordonné à la société Allo Façades [M] de rectifier les documents de fin de contrat de Mme [S] en indiquant le coefficient E, a débouté Mme [S] de sa demande de licenciement nul et a dit que le licenciement pour faute grave est justifié, a débouté Mme [S] de l’ensemble de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, a débouté la société Allo Façades [M] de ses demandes reconventionnelles et a laissé les éventuels dépens à la charge de la société Allo Façades [M].

Le 17 décembre 2019, Mme [S] a interjeté appel de ce jugement.

La clôture de la procédure a été ordonnée le 11 mai 2022.

Selon ses conclusions reçues le 8 avril 2022, Mme [S] sollicite de la cour qu’elle infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau :

– A titre principal, dise que son licenciement est nul et condamne la société Allo Façades [M] à lui verser la somme de 20 205 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement illicite,

– A titre subsidiaire, dise que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, que l’application du barème résultant des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail doit être écartée comme non conforme aux engagements internationaux de la France, notamment de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail, en son article 10, et à la Charte sociale européenne du 3 mai 1996, en son article 24, et condamne la société Allo Façades [M] à lui verser la somme de 20 205 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement illégitime ou à titre infiniment subsidiaire la somme de 7 576,77 euros en application de l’article L.1235-3 du code du travail,

– En tout état de cause, condamne la société Allo Façades [M] à lui payer :

1 428 euros de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire du 29 janvier au 15 février 2018

1 631,12 euros à titre d’indemnité légale de licenciement (salaire de référence : 2 525,99 euros)

5 051,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

505,12 euros au titre des congés payés y afférents,

dise qu’elle relève du niveau E de la grille ETAM de la convention collective du bâtiment et condamne la société Allo Façades [M] à lui payer :

6 418,24 euros à titre de rappel de salaire et 641,82 euros au titre des congés payés afférents

subsidiairement sur ce point la somme de 474,04 euros à titre de rappel de salaire sur minima conventionnel et 47,4 euros au titre des congés payés afférents

2 500 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour classification incorrecte

5 000 euros pour licenciement brutal et vexatoire

3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle demande également la remise des bulletins de salaire et documents de fin de contrat rectifiés et que la société Allo Façades [M] soit déboutée de l’ensemble de ses demandes.

Selon ses conclusions reçues le 20 septembre 2021, la société Allo Façades [M] sollicite de la cour qu’elle confirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [S] de sa demande de licenciement nul, dit que le licenciement pour faute grave est justifié et débouté Mme [S] de l’ensemble de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, qu’elle l’infirme pour le surplus, déboute Mme [S] de ses demandes de rappels de salaire au titre du niveau conventionnel ou à tout le moins réduise sensiblement les montants à 474,04 euros outre 47,4 euros de congés payés afférents et qu’elle condamne Mme [S] à lui payer les sommes de :

2 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive

12 475 euros en remboursement des heures indûment payées et subsidiairement 885 euros en remboursement des heures supplémentaires payées indûment et 620 euros de charges sociales

3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est référé aux conclusions des parties pour l’exposé de leurs moyens, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la classification et ses conséquences

Ni le contrat de travail ni les bulletins de salaire ne mentionnent le coefficient conventionnel attribué à la salariée, si ce n’est les bulletins de salaire de janvier et février 2018 qui mentionnent que Mme [S] est employée niveau C.

Mme [S] estime que son emploi entre dans la catégorie E de la grille ETAM de la convention collective du bâtiment.

La société Allo Façades [M] soutient de façon inopérante que Mme [S] se base sur la classification des techniciens et agents de maîtrise alors qu’il convient d’appliquer les critères classants de la convention collective relative aux employés. En effet, l’avenant n°1 du 26 septembre 2007 est relatif à la classification des emplois des ETAM du bâtiment et non pas seulement des techniciens et agents de maîtrise.

L’article 1 de cet avenant classe les emplois des ETAM du bâtiment selon 8 niveaux (A à H) définis par 4 critères d’égale importance qui s’ajoutent les uns aux autres et qui sont :

– le contenu de l’activité, la responsabilité dans l’organisation du travail,

– l’autonomie, l’initiative, l’adaptation, la capacité à recevoir délégation,

– la technicité, l’expertise,

– l’expérience, la formation.

Toutefois, l’article 2 de l’avenant prévoit que pour leur permettre d’acquérir une première expérience professionnelle, les salariés débutants, titulaires d’un diplôme de l’enseignement technologique ou professionnel sont classés à leur entrée dans l’entreprise dans l’emploi correspondant à la spécialité du diplôme qu’ils détiennent et qu’ils mettent en oeuvre effectivement.

Le niveau de classement est le niveau E pour les salariés titulaires d’un BTS.

Mme [S] justifie qu’elle est titulaire du BTS assistant de gestion de PME-PMI obtenu en juin 1999. Contrairement à ce que soutient la société Allo Façades [M], ce diplôme imposait, selon la convention collective applicable, son classement minimal à l’embauche au niveau E.

La société Allo Façades [M] ne peut opposer à la salariée sa prétendue découverte de ce diplôme dans le cadre de la procédure alors que le curriculum vitae de Mme [S] avant son embauche par la société Allo Façades [M], comme faisant état de son âge d’alors et de sa dernière expérience professionnelle comme étant chez Sineo Groupe, mentionne bien ce diplôme. Il ne peut non plus lui opposer la signature sans réserve de son contrat de travail, celui-ci étant précisément muet sur le coefficient appliqué.

Mme [S] devait donc être classée au niveau E de la convention collective, ainsi que l’a justement retenu le conseil de prud’hommes.

La société Allo Façades [M] s’oppose aux calculs des rappels de salaire opérés par Mme [S] au titre des minima conventionnels en faisant valoir qu’elle a perçu des primes amenant son salaire annuel au delà des minima conventionnels.

La convention collective ne prévoit pas les éléments de salaire à prendre en compte pour vérifier que le salaire minimum conventionnel est respecté. En conséquence, les seuls éléments à retenir sont ceux qui sont versés en contrepartie, ou à l’occasion du travail, et sont directement liés à l’exécution par le salarié de sa prestation de travail.

Les bulletins de salaire et l’avenant au contrat en date du 24 février 2016 montrent que les primes versées à Mme [S] sont assises sur les encaissements et les commandes. Il s’agit de primes en lien avec l’activité effective de la salariée. Elles constituent donc un élément de rémunération devant être pris en compte dans le calcul du minimum conventionnel.

Le respect des minima conventionnels s’imposant à l’employeur, ce dernier n’invoque pas utilement le caractère prétendument malvenu de la demande de la salariée au regard des faits qui lui sont reprochés dans le cadre du licenciement.

Le respect des minima conventionnels s’appréciant au mois le mois et non en moyenne sur l’année, il s’ensuit que le rappel de salaire dû à Mme [S] s’élève à la somme de 474,04 euros, à laquelle s’ajoutent les congés payés afférents pour 47,40 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef.

L’absence de mention du coefficient appliqué dans le contrat de travail et les bulletins de salaire, en violation de l’article R.3243-1 du code du travail, a privé la salariée d’un élément d’information important pour lui permettre d’apprécier sa situation. Le préjudice occasionné par ce manquement sera indemnisé par l’octroi d’une somme de 500 euros.

Sur le licenciement

En application des articles L.1232-6 et L.1234-1 du code du travail, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est motivée par le fait pour Mme [S] d’avoir cracké le mot de passe de l’administrateur réseau pour stocker sur le disque dur du serveur des fichiers et éléments étrangers à l’activité de l’entreprise au mépris de la sécurité informatique de l’entreprise, de la sauvegarde du réseau et de la protection des données, d’avoir utilisé son poste de travail à des fins personnelles durant son temps de travail, d’avoir occupé son temps de travail à la gestion de ses affaires personnelles et d’avoir utilisé avec excès son smartphone personnel durant les heures de travail.

Pour caractériser ces manquements, la société Allo Façades [M] produit le procès-verbal de constat de Maître [W], huissier de justice, une photographie du poste de travail de Mme [S], l’attestation de M. [P], informaticien, divers fichiers documents, un historique de recherches internet, des listes de documents.

Les éléments produits ne permettent pas de retenir une utilisation excessive par la salariée de son smartphone personnel durant les heures de travail.

M. [P] atteste qu’il est intervenu au sein de l’entreprise le 25 janvier 2018 à la demande de M. [M], gérant de la société, pour effectuer une maintenance relative à un problème avec Outlook et qu’à cette occasion il a constaté que la sauvegarde du poste personnel de M. [M] (située sur le serveur NAS) était visible depuis le poste du secrétariat, que le profil utilisateur pour l’accès au NAS depuis le secrétariat avait été remplacé par une connexion administrateur, alors qu’il était le seul à connaître et pouvoir modifier les accès réseaux et que, dans la sauvegarde du secrétariat, il y avait un dossier caché nommé « LF » contenant des fichiers ne concernant pas l’entreprise, qu’il a averti M. [M] de la présence de ces fichiers, qui se sont avérés, après analyse avec le gérant de la société, appartenir à Mme [S]. Il ajoute que les accès au serveur avaient été modifiés par une tierce personne via le poste de Mme [S], laissant porte ouverte aux informations de l’entreprise mais également au contenu du poste personnel de M. [M], que M. [M] lui a demandé de tout laisser en l’état en vue d’un constat d’huissier, qui a été réalisé quelques jours plus tard en sa présence.

L’huissier de justice a constaté le 2 février 2018 que l’ordinateur utilisé par Mme [S] comportait dans la bibliothèque de documents un dossier LF, que le dossier documents contenait plusieurs fichiers non cachés (conventions collectives, avenant LF, cerfa…), ainsi qu’une liste de dossiers cachés nommés « Banque », « Devis », « factures » (nécessitant de cliquer sur outils, options des dossiers, affichage, options afficher les fichiers dossiers et lecteurs cachés) contenant chacun divers fichiers. L’huissier de justice indique que M. [M] lui a déclaré s’être aperçu de la présence de fichiers cachés sur l’ordinateur utilisé par Mme [S] en explorant les sauvegardes réalisées depuis son poste vers le serveur de sauvegarde. L’huissier a constaté sur l’ordinateur utilisé par M. [M] que ce dernier avait accès via le serveur de sauvegarde au dossier [N] dans lequel sont sauvegardés les dossiers et fichiers depuis le poste utilisé par Mme [S] et qu’était consultable dans cette sauvegarde le dossier documents du poste de Mme [S] avec le dossier LF et les dossiers cachés « Banque », « Devis » et « factures ».

Ainsi que le relève justement Mme [S], les faits tels que relatés d’une part par M. [P] dans son attestation établie en cours de procédure, le 28 mai 2019, et d’autre part par M. [M] à l’huissier de justice, au cours de la procédure de licenciement, diffèrent quant au contexte et à l’auteur de la découverte des fichiers cachés.

De plus, l’huissier ne fait pas état des constatations que M. [P] déclare avoir faites le 25 janvier 2018 quant à la visibilité depuis le poste du secrétariat de la sauvegarde du poste personnel de M. [M] et quant à la modification du profil utilisateur pour l’accès au NAS depuis le poste secrétariat. Par ailleurs, il ne résulte pas des pièces produites que le stockage par Mme [S] de fichiers sur le disque dur du serveur impliquait qu’elle modifie le mot de passe administrateur.

Il existe donc à tout le moins un doute qui profite à la salariée sur le fait qu’elle aurait cracké le mot de passe de l’administrateur réseau, ce qu’elle conteste en indiquant ne pas avoir les compétences informatiques requises, et mis en péril la sécurité informatique de l’entreprise. Il n’est pas démontré qu’elle aurait exporté sur un disque dur externe des données sensibles appartenant à l’entreprise, même si elle ne s’explique pas sur la production de fiches de liaison, qui comme l’indique la société Allo Façades [M], sont antérieures à la procédure de licenciement comme datant d’octobre et novembre 2017 et n’avaient pas vocation à sortir de l’entreprise.

Il est en revanche établi par les constatations concordantes de M. [P] et Maître [W] et n’est pas contesté au demeurant par Mme [S] qu’elle a stocké sur son poste de travail « pléthore » de fichiers numériques étrangers à son activité professionnelles, selon le terme utilisé par l’appelante dans ses conclusions. Plusieurs centaines de factures, devis, tableau Excel, documents administratifs et actes notariés relatifs à Metropolitan DJ Show, à la SCI J2L et à Mme [S] sont ainsi versés aux débats par la société Allo Façades [M].

Mme [S] explique qu’elle aidait M. [V] [R], qui est un ami, dans la gestion administrative de son activité de DJ. Elle est par ailleurs gérante de la SCI J2L.

La salariée a donc bien utilisé à tout le moins la mémoire de son poste informatique de travail à des fins personnelles. Elle soutient que l’ensemble de ses documents personnels étaient sauvegardés sur un disque externe personnel qu’elle avait l’habitude d’apporter au travail pour opérer régulièrement une seconde sauvegarde sur l’ordinateur professionnel et qu’il s’agissait simplement pour elle de multiplier les sauvegardes et d’éviter la perte de documents et non pas de travailler à d’autres finalités que celles pour lesquelles elle était employée par la société Allo Façades [M].

Toutefois, ainsi que le souligne la société Allo Façades [M], les documents personnels de Mme [S] étaient d’ores et déjà sauvegardés sur un disque personnel externe. Aussi, elle n’avait pas besoin d’opérer une nouvelle sauvegarde sur le disque dur de son poste informatique professionnel et pouvait au demeurant, si elle souhaitait multiplier les sauvegardes, faire usage d’un autre disque personnel externe. De plus, l’employeur démontre que Mme [S] est intervenue sur ses fichiers personnels pendant le temps du travail, ce qu’au demeurant la salariée ne conteste pas, faisant valoir à cet égard que l’utilisation des outils professionnels à des fins personnelles ne peut être sanctionnée que lorsque l’abus est caractérisé.

Les dossiers « Facture » et « Devis » ont fait l’objet de 246 modifications durant les heures de travail au cours de la période de février 2016 à janvier 2018. Les modifications sur le temps de travail sont d’ailleurs plus nombreuses que les modifications hors temps de travail. Près de la moitié des modifications au temps du travail sont concentrées sur les trois derniers mois de la relation de travail et particulièrement sur le mois de janvier 2018.

L’huissier de justice a ainsi constaté que plusieurs fichiers de factures ont été modifiés le 25 janvier 2018 entre 9h00 et 10h30 (une trentaine selon la « bibliothèque documents ») et le 23 janvier 2018 entre 15h00 et 16h00, tandis que le fichier Seb RSI de déclaration mensuelle du chiffre d’affaires a été créé le 25 janvier 2018 à 10h18.

La société Allo Façades [M] produit par ailleurs l’historique des connexions internet de Mme [S] du 19 au 26 janvier 2018 faisant apparaître de multiples connexions sans lien avec son activité professionnelle, à raison d’une quarantaine de minutes le 22 janvier 2018 et de vingt-quatre minutes au cours de la seule matinée du 26 janvier 2018.

Ces éléments traduisent une utilisation fautive du poste de travail à des fins personnelles durant le temps de travail, justifiant le licenciement de Mme [S].

En application de l’article L.1332-4 du code du travail, la salariée ne peut utilement se prévaloir de la prescription alors qu’il résulte de l’attestation de M. [P] et du constat d’huissier de justice que les faits fautifs, qui se sont d’ailleurs poursuivis voire accentués au cours du mois de janvier 2018, ont été découverts par l’employeur fin janvier 2018, quelques jours avant l’engagement le 29 janvier 2018 de la procédure de licenciement. Il ne peut se déduire de la photographie prise le 26 janvier 2018 du disque externe de la salariée branché sur l’unité centrale de son ordinateur située sous son bureau que l’employeur avait connaissance depuis plus de deux mois avant le 29 janvier 2018 de son utilisation par la salariée et de l’usage qu’elle en faisait.

Suite à l’évocation par la salariée, lors d’un entretien avec son employeur le 15 décembre 2017, de l’inexistence de son coefficient sur les documents contractuels et de l’absence de prise en considération pour son ancienneté de la période de travail intérimaire, le bulletin de salaire de janvier 2018 a été corrigé quant à l’ancienneté et a mentionné un coefficient, même erroné. Ces modifications montrent que l’employeur a entendu les remarques de sa salariée et le licenciement, justifié par la faute découverte fin janvier 2018, ne peut être considéré comme une mesure de rétorsion en réaction à l’exercice par Mme [S] de sa liberté d’expression. Le licenciement ne saurait en conséquence être déclaré nul.

S’agissant de la qualification de la faute, il est rappelé que le grief tiré de la mise en danger de la sécurité informatique de l’entreprise n’est pas établi. De plus, la société Allo Façades [M] ne démontre pas que, par l’utilisation de son poste de travail à des fins personnelles durant le temps de travail, Mme [S] a accumulé un retard sur ses tâches susceptible d’expliquer la perte de gros chantiers et la baisse de son chiffre d’affaires. Elle ne lui a d’ailleurs fait aucune observation sur l’avancement de son travail au cours de la relation contractuelle. Ainsi, la faute de Mme [S] ne rendait pas impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise.

L’appelante peut donc prétendre au rappel de salaire consécutif à la mise à pied conservatoire devenue sans fondement, dont l’intimée ne conteste pas le montant mais simplement le principe, ainsi qu’au paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité de licenciement.

En considération de la rémunération brute moyenne (2 156,24 euros) tenant compte du rappel de salaire au titre du coefficient E, l’indemnité compensatrice de préavis s’élève à la somme de 4 312,48 euros et les congés payés afférents à la somme de 431,24 euros et l’indemnité légale de licenciement à la somme de 1 414,72 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire

Mme [S] fait valoir qu’elle a été écartée de son poste avec brutalité, que la procédure de licenciement a été expéditive, qu’elle n’a pas été en mesure de saluer ses collègues et de s’expliquer sur les raisons de son départ.

Elle produit l’attestation du conseiller qui l’assistait lors de l’entretien préalable, qui explique que l’entretien a duré cinq minutes, que M. [M] a évoqué la mise en insécurité du réseau informatique et du travail personnel mais s’est catégoriquement refusé à développer ces reproches, bien qu’y étant invité.

La société Allo Façades [M] répond que les autres salariés travaillent sur site, que Mme [S] s’est reconvertie en responsable paie et que son image et sa réputation n’ont pas été affectées. Elle ne répond pas sur l’entretien préalable.

Le caractère expéditif de l’entretien préalable a empêché Mme [S] de s’expliquer sur les griefs de son employeur et lui a causé un préjudice distinct de celui causé par la rupture du contrat de travail, qu’il convient d’indemniser par l’octroi d’une somme de 500 euros.

Sur la demande en remboursement d’heures

A l’appui de sa demande, la société Allo Façades [M] fait valoir que Mme [S], réclamant le paiement d’heures supplémentaires, a utilisé son temps de travail à des fins purement personnelles, afin d’avoir une autre activité parallèle.

Elle estime, sans se livrer à la moindre analyse des documents qu’elle produit, que Mme [S] utilisait quarante-cinq heures par mois pour son activité personnelle depuis 2016. L’affirmation que Mme [S] utilisait dix minutes par mois pour chacun des plus de 800 documents retrouvés sur le serveur ne repose sur aucun élément.

La société Allo Façades [M] ne justifiant pas de la créance qu’elle invoque, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’en a déboutée.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

L’action engagée par Mme [S], partiellement justifiée, ne présente pas de caractère abusif, ce qui justifie la confirmation du jugement ayant débouté la société Allo Façades [M] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Sur la demande de remise de documents 

Il convient d’ordonner à la société Allo Façades [M] de remettre à Mme [S] un bulletin de salaire et un certificat de travail conformes à l’arrêt, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette décision d’une astreinte.

Sur les frais irrépétibles

L’issue du litige justifie de condamner la société Allo Façades [M] à payer à Mme [S] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a dit que Mme [E] [S] relève du niveau E de la grille ETAM de la convention collective des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment, en ce qu’il a débouté Mme [E] [S] de sa demande de nullité du licenciement, en ce qu’il a débouté la société Allo Façades [M] de ses demandes reconventionnelles et sur les dépens.

Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau :

Dit que le licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Condamne la société Allo Façades [M] à verser à Mme [E] [S] :

474,04 euros à titre de rappel de salaire sur les minima conventionnels

47,40 euros au titre des congés payés y afférents

500 euros à titre d’indemnité pour absence de mention du coefficient appliqué

1 428 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire

4 312,48 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

431,24 euros au titre des congés payés y afférents

1 414,72 euros à titre d’indemnité de licenciement

500 euros à titre d’indemnité pour préjudice moral distinct.

Ordonne à la société Allo Façades [M] de remettre à Mme [E] [S] un bulletin de salaire et un certificat de travail conformes à l’arrêt.

Condamne la société Allo Façades [M] à verser à Mme [E] [S] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Allo Façades [M] aux dépens.

LE GREFFIER

Cindy LEPERRE

LE PRESIDENT

Soleine HUNTER-FALCK

 


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