Sécurité informatique : 29 juin 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/01573

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Sécurité informatique : 29 juin 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/01573

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 29 JUIN 2022

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 19/01573 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OBSL

ARRET N°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 FEVRIER 2019

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER – N° RG F 16/01129

APPELANTE :

Madame [E] [P]

née le 19 Mars 1983 à [Localité 4] ([Localité 4])

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me François BERNON, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A.S CAPI

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Iris RICHAUD, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Florence DRAPIER-FAURE substituée par Me Marina CHASSANY, avocat plaidant, SELARL LEXCASE SOCIETE D’AVOCATS, avocats au barreau de LYON

Ordonnance de clôture du 25 avril 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 MAI 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Jean-Pierre MASIA, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président

Madame Florence FERRANET, Conseiller

Madame Isabelle MARTINEZ, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

– contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par M. Jean-Pierre MASIA, Président, et par Mme Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

**

FAITS ET PROCEDURE

Mme [E] [P] ([B]) a été embauchée par la sas Capi en qualité d’employée de bureau et occasionnellement démarcheur, à compter du 1er décembre 2009 suivant un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet. Au dernier état de la relation contractuelle, elle exerçait les fonctions de responsable de recrutement, statut cadre.

Par courriel du 31 mai 2016 puis par courrier du 1er juin 2016, la salariée a sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Mme [P] a été en arrêt pour maladie du 13 au 24 juin 2016.

Le 24 juin 2016, l’employeur l’a convoquée à un entretien prévu le 4 juillet 2016 aux fins de discuter des modalités de la rupture conventionnelle. La signature de la rupture conventionnelle n’a pas été finalisée.

A compter du 5 juillet 2016, Mme [P] a bénéficié d’arrêts de travail prolongés plusieurs fois.

Le 29 septembre 2016, à l’issue de deux visites médicales, la salariée a été déclarée inapte par le médecin du travail en ces termes :

« Inapte au poste :

Suite à la visite du 12.09.2016, et à l’étude de poste et des conditions de travail effectuées le 09.09.2016, deuxième visite dans le cadre de l’article R4624-1 du Code du travail.

Mme [B] [E] est inapte à son poste de manager recrutement. Pas de proposition sur postes existants dans l’établissement. Il faudrait un poste comportant une grande autonomie vis à vis de l’établissement, type télétravail par exemple. »

Le 12 octobre 2016, l’employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable au licenciement, fixé au 24 octobre 2016, et, le 27 octobre 2016, il l’a licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Devant le conseil de prud’hommes de Montpellier, Mme [P] a sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail et formulé une demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires non rémunérées ainsi que plusieurs demandes indemnitaires notamment au titre du harcèlement moral et du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 4 février 2019, ce conseil a rejeté la demande de résiliation judiciaire de Mme [P] pour harcèlement moral et manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité, débouté Mme [P] de l’ensemble de ses demandes, débouté la sas Capi de ses demandes reconventionnelles et laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

C’est le jugement dont Mme [P] a régulièrement relevé appel.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions récapitulatives n°2 régulièrement déposées au RPVA le 13 avril 2022, Mme [P] demande à la cour de :

– réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

– condamner la sas Capi au paiement des sommes suivantes :

* 9.000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral, harcèlement sexuel et subsidiairement exécution déloyale du contrat de travail,

* 10.000 € de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité,

* 5.146,29 € brut, outre 514,63 € de congés payés afférents, au titre de l’arriéré d’heures supplémentaires,

* 22.428,18 € d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

* 91.200 € de dommages et intérêts pour la résiliation judiciaire du contrat de travail, ou, subsidiairement, licenciement illicite,

* 7.476 € brut, outre 747,60 € de congés payés afférents, d’indemnité compensatrice de préavis,

* 6.750,97 € net correspondant au solde de l’indemnité spéciale de licenciement doublée en cas de licenciement illicite,

* 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonner la remise des documents sociaux modifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard,

– ordonner la capitalisation des intérêts échus par année entière.

Dans ses conclusions responsives notifiées par RPVA le 23 novembre 2020, la sas Capi demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de résiliation judiciaire pour harcèlement moral et manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité et en ce qu’il a débouté Mme [P] de l’intégralité de ses demandes, débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes et la condamner à lui verser la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Le 22 avril 2022, Mme [P] a déposé sur le RPVA des conclusions récapitulatives n°3 par lesquelles elle a rajouté la pièce n°26.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 25 avril 2022.

Le 9 mai 2022, la sas Capi a notifié des conclusions d’incident sur le RPVA par lesquelles elle demande à la cour d’écarter des débats les conclusions et pièces signifiées le 22 avril 2022 par l’appelante.

Dans ses conclusions d’incident notifiées par RPVA le 10 mai 2022, Mme [P] demande pour sa part le débouté de l’intimée sur l’incident formée.

Pour l’exposé des prétentions des parties et leurs moyens, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

SUR CE

I. Sur la recevabilité des conclusions et pièces signifiées le 22 avril 2022

La société intimée demande à la cour, au visa des articles 15 et 16 du code de procédure civile, de rejeter les conclusions déposées par l’appelante le 22 avril 2022 au motif qu’elles ont été notifiées un jour ouvrable avant l’ordonnance de clôture et qu’elle n’a pas eu la faculté d’y répondre.

Mme [P] demande à la cour de juger recevables ses conclusions déposées le 22 avril 2022 exposant que postérieurement à la notification de ses conclusions n°2 actualisant sa situation socio-professionnelle, la sas Capi a contacté son employeur actuel en usant d’une fausse identité afin de vérifier ses dires ce qui l’a mise en difficulté. Elle estime que cette pièce vient démontrer « la mentalité de la sas Capi ».

Aux termes de l’article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.

L’article 16 du même code dispose par ailleurs que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et qu’il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Selon l’article 135 du code de procédure civile, le juge peut écarter des débats les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile.

En l’espèce, Mme [P] a notifié par RPVA de nouvelles conclusions ainsi qu’une nouvelle pièce le vendredi 22 avril 2022 à 14h24 soit la veille du week-end précédant l’ordonnance de clôture du lundi 25 avril 2022.

En dépit des explications données par la salariée, la cour constate que la pièce produite, qui correspond à un courriel envoyé par son employeur actuel, est datée du 15 avril 2022 à 14h13.

Alors que la salariée disposait de cette nouvelle pièce depuis cette date, celle-ci s’abstient d’expliquer la raison pour laquelle elle a attendu une semaine et la veille du week-end précédant l’ordonnance de clôture pour la communiquer à son adversaire.

En raison du très court délai entre le dépôt de ces dernières conclusions et l’ordonnance de clôture, la sas Capi n’a pas disposé d’un temps suffisant pour organiser utilement sa défense.

Dans ces conditions, il convient d’écarter des débats les conclusions tardives de Mme [P] du 22 avril 2022 et la pièce nouvelle qui y est invoquée. La cour statuera donc au seul vu des conclusions de l’appelante du 13 avril 2022.

II. Sur le fond

Sur les heures supplémentaires et le travail dissimulé

Selon l’article L.3171-4 du code du travail, « en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, Mme [P] expose qu’avant de bénéficier du régime forfait-jour, elle a réalisé de nombreuses heures supplémentaires pour lesquelles elle n’a pas été rémunérée. Elle se prévaut ainsi d’un extrait de sa boîte aux lettres électroniques qui démontrerait, selon elle, les échanges matinaux ou tardifs avec sa direction.

Cependant, l’extrait de la boîte électronique ne correspond qu’à une liste de courriels réceptionnés. Si certes, il apparaît que la salariée a reçu des courriels professionnels avant 9 heures et après 17 heures, soit en dehors des horaires collectifs auxquels était soumise la salariée, rien ne justifie qu’elle aurait répondu auxdits courriers en dehors de son temps de travail.

La salariée appelante ne peut valablement reprocher à l’employeur de ne pas produire les courriels litigieux dès lors qu’il lui appartient de produire des éléments suffisamment précis pour étayer sa demande et permettre à l’employeur d’y répondre, ce qui n’est pas le cas de cet extrait.

Elle invoque également qu’elle avait régulièrement des réunions organisées en dehors de ses horaires de travail ce qui correspondrait à 27 heures supplémentaires non réglées.

Le planning qu’elle produit à cet égard pour la période de février 2013 à septembre 2015 met en exergue la tenue de réunion en dehors du temps de travail de la salariée. Pour autant ce document est insuffisant pour démontrer que les heures supplémentaires correspondantes n’auraient pas été rémunérées alors que les fiches de paie mentionnent, comme le soulève à juste titre l’employeur, le paiement, non discuté, d’heures supplémentaires pour un quantum supérieur à 27 heures pour toute cette période (220 heures supplémentaires payées en 2013, 189 heures en 2014 et 201 heures en 2015).

De la même manière, le courriel du vendredi 10 juin 2016 que son employeur lui a adressé à 17h34 aux fins de lui demander de réaliser une comparaison statistique 2015 dont se prévaut la salariée pour invoquer qu’elle a été contrainte de travailler le week-end ne permet ni de démontrer qu’elle a dû travailler le samedi ou le dimanche, étant observé que l’employeur lui a répondu que cette demande n’était pas urgente, ni de rapporter la preuve que les heures qui auraient pu être réalisées n’auraient pas été payées compte tenu des mentions des fiches de paie ci-dessus évoquées.

La salariée ne produit aucun décompte de son temps de travail ni aucun élément permettant de justifier de la réalisation d’heures supplémentaires en sus de celle déjà réalisées et rémunérées.

Dans ces conditions, Mme [P] sera déboutée de sa demande en paiement à ce titre, et donc de sa demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Le jugement sera confirmé de ces chefs.

Sur le harcèlement moral, le harcèlement sexuel, l’exécution déloyale du contrat de travail et le manquement à l’obligation de sécurité

L’article L.1152-1 du code du travail énonce qu’ « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Par ailleurs, selon l’article L.1153-1 du même code, aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile voire offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché à profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

L’article L.1153-5 du même code met à la charge de l’employeur une obligation de prévention des agissements de harcèlement sexuel en ce qu’il dispose que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner.

En application de l’article L.1154-1 du code du travail, dans sa version alors applicable, il appartient au salarié de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, Mme [P] expose qu’elle a été victime de rumeurs de la part de ses collègues, sous-entendant qu’elle entretenait une relation avec son supérieur hiérarchique et directeur de la société, M. [Z], qu’elle a fait l’objet de plusieurs commentaires déplaisants et que la situation a atteint son paroxysme lors d’un voyage en Grèce au cours duquel elle a eu une altercation avec Mme [Z]. Elle ajoute que son employeur, qui avait « nécessairement » connaissance de la situation et qui n’y a pas remédié, a tenté de l’évincer en lui proposant une rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Pour établir la matérialité de ces faits constituant selon elle un harcèlement, Mme [P] verse aux débats, notamment :

– une copie écran d’un message téléphonique qu’elle aurait reçu un 26 mai, l’année n’étant pas mentionnée, en ces termes « Je viens d’appendre la nouvelle (smiley qui tire la langue) je sais ce que c’est de se taper son patron… As-tu eu les mêmes avantages que moi ”’ »

– plusieurs attestations :

* Mme [M], amie qui a accompagné la salariée lors du voyage en Grèce, témoigne, dans un mail du 21 avril 2017, que « le deuxième soir, le 14 mai 2016, aux alentours de deux heures du matin [E] [B] est arrivée dans la chambre que nous partagions en pleurs. En effet, elle venait d’avoir une altercation avec [J] [Z], la femme de son patron qui lui reprochait de coucher avec son mari et d’avoir un comportement étrange avec les hommes. Le lendemain, [E] a envoyé un mail à son supérieur hiérarchique pour l’avertir de la situation et lui demander un rendez-vous. Celui-ci n’a répondu que plusieurs jours plus tard. » Elle ajoute que Mme [Z] observait Mme [B] de manière agressive depuis l’aéroport et conclut en ces termes « J’ai assisté depuis ce voyage à une dégradation de l’état de santé de Mme [B], à sa perte de poids conséquente et à sa dépression. »

* Mme [A], salariée de la société de 2014 à novembre 2016, énonce qu’ « à son retour de voyage [en Crète], j’ai remarqué que Mme [P] était diminuée, attristée et ”mise au placard” par M. [Z] qui s’adressait à elle de manière sèche, contrairement au climat de travail qui régnait habituellement entre eux […] Je n’ai pu que constater sa perte de poids EFFRAYANTE et son moral proche de la dépression. ». Elle énonce que durant l’arrêt maladie de Mme [P], M. [Z] a convoqué l’ensemble de l’équipe pour leur dire « ”Mme [B] ([P]) a certainement dû vous parler de ce qu’il s’est passé, mais sachez que c’est une menteuse et qu’elle a tout inventé. Mme [B] ne sait pas se tenir, elle est totalement délurée et n’a plus rien à faire dans cette entreprise.” ». Elle indique que Mme [P] lui aurait raconté par la suite les événements survenus en Crète, « les calomnies et paroles blessantes de M. et Mme [Z]. J’ai alors fait le lien entre cet événement et les bruits et rumeurs qui couraient depuis quelques temps sur une soi-disant liaison entre M. [Z] et Mme [P]. » Elle affirme avoir également assisté à plusieurs appels anonymes qui insultaient Mme [P] notamment en ces termes : « sale pute, alors ça fait quoi de baiser avec le patron. »,

* Mme [Y], dont la qualité n’est pas précisée, atteste qu’à son retour de son séjour en Grèce, « Mme [P] m’a fait part d’un incident ayant eu lieu durant ce séjour, où elle s’est vu reprocher une relation intime avec son directeur général. Très gênée par cet état de fait, Mme [P] m’a confiée son intention de clôturer rapidement ce malentendu en ayant une discussion franche mais discrète avec M. [D] [Z]. […] Durant cette période, les rumeurs et insultes anonymes se sont amplifiés au sein des sociétés Capifrance et DigitRe malgré la demande d’intervention de Mme [P] auprès de la direction des ressources humaines. J’atteste que suite à ces événements, la santé de Mme [P] s’est rapidement et fortement détériorée et ses absences se sont répétées jusqu’à ce qu’elle mette un terme à son contrat de travail. »,

* M. [F], salarié de l’entreprise de septembre 2009 à juillet 2016 et compagnon de Mme [P] depuis janvier 2016, témoigne que Mme [P] n’a jamais eu de comportement équivoque sur le lieu de travail, que pour sa M. [Z] avait « coutume de mélanger les choses et les genres », se permettait de questionner les salariés sur leur vie privée, que Mme [P] est tombée en dépression à son licenciement,

* M. [B], père des enfants de Mme [P], témoigne de l’implication professionnelle de son ex-femme, qu’il a assisté sa « descente aux enfers » et qu’il la voyait régulièrement pleurer, arguant que « la pression, les menaces, les intimidations de certaines personnes chez CAPIFRANCE ont eu raison de sa santé »,

* Mmes [U] et [N] attestent que Mme [P] n’a jamais eu d’attitude déplacée envers les employés masculins, Mme [N] rajoutant qu’elle a été profondément choquée lorsque Mme [P] lui a raconté les événements s’étant déroulés en Grèce,

– un ensemble de courriers rédigés par Mmes [H], [A], [C] et [L], et M. [X], salariés de la société, ainsi que d’autres salariés n’ayant pas indiqués leur nom qui aurait été adressé à l’Ametra, médecine du travail, aux fins de dénoncer « le climat social qui règne au sein de la société Capi France ».

Elle se prévaut également de l’ attestation versée par l’employeur de Mme [S], salariée de la société depuis 2009, qui témoigne qu’elle déjeunait régulièrement avec Mme [P] et qu’à cette occasion cette dernière lui a fait part des rumeurs qui couraient dans l’entreprise quant à une relation extra conjugale avec [D] [Z].

La société intimée fait valoir que les attestations communiquées par la salariée ne répondent pas aux exigences de l’article 202 du code de procédure civile.

Or, les conditions de forme prévues par ce texte légal ne sont pas exigées à peine de nullité. A l’exception de l’attestation de Mme [M], qui n’est accompagnée d’aucune pièce d’identité permettant d’identifier l’auteur de cette attestation en sorte qu’elle doit être écartée, les autres attestations sont recevables.

En tout état de cause, il est constaté que les différents attestants n’ont pas été témoins directs de la conversation entre Mme [P] et Mme [Z] en Grèce et n’ont eu connaissance de l’échange entre les deux protagonistes que par l’intermédiaire de la salariée appelante. Ces événements, tels que décrits Mme [P], qui sont au demeurant en contradiction avec ceux relatés par Mme [Z] qui atteste, dans son témoignage, que l’échange a été cordial et qu’elles se sont quittées en bons termes, ne sont donc pas établis.

Si Mme [P] évoque par ailleurs l’ambiance délétère au sein de la société, les éléments relatifs à la dénonciation à l’Ametra en juillet 2016, qui sont au demeurant rédigés dans des termes strictement identiques ce qui laisse douter de leur sincérité, ou la multiplicité des licenciements et ruptures conventionnelles, ne permettent pas de rapporter la preuve d’une situation de harcèlement moral à son encontre dès lors qu’aucun n’évoque des faits dont Mme [P] aurait été personnellement victime.

Enfin, la salariée ne verse aucun élément pour démontrer que l’employeur lui a proposé la rupture conventionnelle de son contrat de travail et lui aurait demandé d’établir un courrier en ce sens. L’éviction alléguée n’est donc pas justifiée.

Les faits ci-dessus évoqués ne peuvent donc pas laisser présumer une situation de harcèlement moral.

Il est en revanche suffisamment démontré que :

– Mme [P] a fait l’objet de rumeurs de la part de ses collègues sur plusieurs mois,

– elle a reçu des appels et messages anonymes insultants en lien avec ces rumeurs,

– au cours d’une réunion et devant ses collègues, alors qu’elle était en arrêt de travail, M. [Z] l’a qualifiée de « menteuse » et de « délurée », étant observé qu’il s’agit du seul comportement hostile et déplacé de M. [Z] qui est rapporté de manière précise et circonstanciée par les attestations produites,

– elle a changé d’attitude après le voyage en Grèce avec l’entreprise.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, sont suffisants pour démontrer l’existence d’agissements répétés qui laissent présumer une situation de harcèlement à l’encontre de Mme [P]. Il incombe donc à l’employeur de rapporter la preuve que ces événements sont étrangers à tout harcèlement.

L’employeur dénie tout harcèlement et fait valoir que M. [Z] n’a jamais tenu de propos dénigrants à l’égard de Mme [P] devant ses collègues. A cet égard, Mme [I], directrice des ressources humaines, atteste avoir été présente à ladite réunion et conteste les propos dénoncés par Mme [A] affirmant que M. [Z] ne les a jamais tenus. Cet élément suffit à mettre un doute sur la véracité des propos tenus par le supérieur hiérarchique.

L’employeur soutient ensuite qu’il n’a jamais eu connaissance des rumeurs, ce qu’il démontre pertinemment par la production de trois attestations concordantes de M. [K], salarié en charge des ressources humaines du 7 mai 2011 au 1er décembre 2015, de Mme [R], membre du CHSCT au moment des faits et de Mme [I], directrice des ressources humaines, qui rapportent que Mme [P] n’a jamais avisé la société ou le CHSCT, qui était pourtant très alerte sur les risques psycho-sociaux au sein de l’entreprise au regard des différents procès-verbaux communiqués et de l’enquête diligentée par le CHSCT en juin 2015 sur ce point, de l’existence de rumeurs ou d’insultes dont elle aurait été victime ni d’un quelconque impact sur son état de santé.

Mme [S], à ce titre, évoque que c’est Mme [P] qui l’a avertie de la rumeur existante, ce dont il résulte que l’intéressée n’en avait pas connaissance avant d’en être informée, mais qu’elle s’en semblait pas affectée.

Bien au contraire, il ressort du compte-rendu de l’entretien annuel du 29 février 2016 que la salariée était « très satisfaite de son poste et dans l’entreprise ».

Encore, l’employeur verse aux débats le témoignage de Mme [I] qui expose que lors de l’entretien du 16 mai 2016, auquel elle a assisté en sa qualité de directrice des ressources humaines, la salariée a fait part à M. [Z] de son souhait de travailler chez DigitRe Groupe, qu’au cours de l’entretien elle s’est mise à pleurer « faisant état de sa fatigue, de son désintérêt pour son travail actuel, cette dernière estimant qu’elle avait fait le tour de son poste, indiquant également que son état était fragilisé en raison de sa récente séparation avec son mari. Elle a terminé en indiquant qu’elle souhaitait plutôt finalement entreprendre une rupture conventionnelle. » Alors que les éléments médicaux produits ne comportent pas la mention de la pathologie dont souffrait Mme [P] et que la constatation de sa diminution physique ne résulte que des témoignages produits par la salariée appelante, cette attestation permet de dire que la dégradation de l’état de santé de Mme [P] au retour du voyage en Grèce trouvait au moins partiellement son origine dans des difficultés d’ordre personnel.

L’analyse des éléments produits laisse apparaître que l’employeur n’avait pas connaissance de la situation délétère dénoncée par la salariée en sorte qu’aucune inertie ne peut lui être reprochée. L’attitude hostile de M. [Z] n’est pas suffisamment caractérisée, au regard des éléments contradictoires produits, pour établir l’existence d’agissements répétés à son encontre.

La seule matérialité de rumeurs ne permettant pas d’engager la responsabilité de l’employeur, il convient d’écarter l’existence d’un harcèlement moral ou d’un harcèlement sexuel dont aurait été victime Mme [P].

Cela étant, il ne peut être reproché de manquement à l’obligation de sécurité pour défaut de prévention du harcèlement ou une exécution déloyale du contrat de la part de l’employeur à ce titre.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes indemnitaires sur ces points.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Les deux motifs sur lesquels Mme [P] fonde sa demande de résiliation judiciaire, à savoir le harcèlement moral et le non-paiement des heures supplémentaires, n’ont pas été retenus par la cour.

Il n’est pas justifié d’un comportement fautif de l’employeur de nature à faire obstacle à la poursuite du contrat de travail en sorte que la salariée doit être déboutée de sa demande de résiliation judiciaire. Le jugement sera également confirmé sur ce point.

Sur le licenciement pour inaptitude

– Sur l’origine de l’inaptitude

Mme [P] soutient que son inaptitude trouve son origine dans le comportement fautif de l’employeur, lequel a créé une situation de souffrance en s’absentant d’intervenir face au comportement inadéquat de ses collègues.

Il vient d’être dit que la situation de harcèlement moral pour ces faits n’était pas établie. En conséquence, ce moyen et la demande en découlant doivent être rejetés.

– Sur l’obligation de reclassement

Pour demander la réformation du jugement, la salariée appelante

expose que l’employeur n’a fait aucune proposition loyale et conforme compte tenu de l’importance du groupe. Elle reproche également à l’employeur de ne pas avoir proposé un aménagement ou une transformation de son poste de travail et avance que les registres du personnel produits mentionnent plusieurs postes qui auraient pu lui être proposés.

L’employeur fait valoir qu’il a loyalement exécuté son obligation de reclassement dans la mesure où il n’existait au sein de l’entreprise ou du groupe aucun poste disponible et compatible avec les compétences de la salariée, notamment s’agissant du poste de directeur de développement, ou compatible avec le télétravail au regard de la sécurité informatique défectueuse pour le travail à distance.

En application de l’article L.1226-2 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, lorsque, à l’issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise.

L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en ‘uvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.

Il appartient à l’employeur d’établir qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité de reclasser le salarié au sein de l’entreprise et le cas échéant au sein des entreprises du groupe auquel il appartient dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

En l’espèce, alors que la sas Capi soutient avoir interrogé les dix-huit sociétés du groupe, la cour constate qu’en dépit des cinq courriers produits, des onze accusés de réception portant la mention « RH reclassement [B] » et des seize réponses produites, c’est à juste titre que la salariée expose que la société ne justifie pas avoir interrogé le groupe Fnac qu’elle indique pourtant faire partie du groupe dont elle dépend.

En sus, l’employeur ne produit que les registres du personnel des sociétés Capi, Refleximo, DigitRe Group et Optihome.

Il résulte de ces seules constatations que l’employeur ne démontre pas qu’il n’existait, dans les entreprises du groupe pour lesquelles une permutation du personnel était possible, aucun poste disponible et compatible avec l’état de santé et les compétences de la salariée.

En conséquence, il n’est pas justifié d’une recherche de reclassement loyale et sérieuse et le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse, sans qu’il soit besoin d’aller plus avant dans l’argumentation de la salariée.

Le jugement du conseil de prud’hommes sera donc infirmé en ce qu’il a dit le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse.

La salariée, née le 19 mars 1983, avait 6 ans et 10 mois d’ancienneté. Elle travaillait dans une entreprise dont l’effectif était au moins de 11 salariés et percevait une rémunération mensuelle brute non contestée de 3.736,03 €. Elle justifie avoir régulièrement travaillé de décembre 2017 à 2022, soit en qualité de salariée, soit de vendeuse indépendante (le dernier contrat, datant du 3 janvier 2022, étant à durée indéterminée). Elle avance avoir eu une baisse significative de ses revenus alors qu’elle avait toujours ses deux enfants à charge.

L’employeur produit pour sa part la copie du site internet societe.com pour justifier que la salariée a créé son entreprise dès le 1er décembre 2016 ce que ne discute pas l’intéressée.

Compte tenu de ces éléments, il lui sera alloué les sommes suivantes :

– 22.428,18 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse correspondant à six mois de salaire,

– 7.476 € d’indemnité compensatrice de préavis, outre 747,60 € de congés payés afférents, conformément à la demande de la salariée,

Le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement ayant été prononcé pour une maladie non professionnelle, il y a lieu de débouter Mme [P] de sa demande relative au solde de l’indemnité spéciale de licenciement. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la remise des documents de fin de contrat

Mme [P] sollicite la remise par la sas Capi sous astreinte de 50 € par jour de retard des documents sociaux modifiés.

Il est de droit que la salariée puisse disposer de ces documents de sorte que l’employeur devra remettre à Mme [P], sans qu’il soit fait droit à sa demande d’astreinte, les documents de fins de contrat rectifié ainsi que dit dans le dispositif. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires

La capitalisation des intérêts est de droit conformément à l’article 1343-2 nouveau du code civil, pourvu qu’il s’agisse d’intérêts dûs au moins pour une année entière et elle sera ordonnée conformément à la demande qui en est faite.

Vu l’article L.1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par la sas Capi des indemnités de chômage versées à Mme [P] dans la limite de six mois d’indemnités.

La sas Capi, qui succombe au moins pour partie, sera tenue aux dépens d’appel et au paiement de la somme de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour :

Confirme le jugement rendu le 4 février 2019 par le conseil de prud’hommes de Montpellier sauf en ce qu’il a débouté Mme [E] [P] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité compensatrice de préavis ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Dit que le licenciement de Mme [E] [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la sas Capi à verser à Mme [E] [P] les sommes suivantes :

– 22.428,18 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 7.476 € d’indemnité compensatrice de préavis,

– 747,60 € de congés payés afférents,

– 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que les intérêts échus sur une année seront capitalisés,

Ordonne le remboursement par la sas Capi à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à Mme [E] [P] du jour de son licenciement dans la limite de six mois d’indemnité et dit que conformément à l’article R.1235-2 du code du travail, une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe au Pôle-emploi du domicile de la salariée ;

Dit que la sas Capi devra transmettre à Mme [P] dans le délai de deux mois suivant la signification de la présente décision un

certificat de travail, une attestation Pôle emploi, et un solde de tout compte conformes ainsi qu’un bulletin de salaire récapitulatif ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la sas Capi aux dépens de l’instance.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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