Sécurité informatique : 27 mai 2020 Cour d’appel de Paris RG n° 19/02289

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Sécurité informatique : 27 mai 2020 Cour d’appel de Paris RG n° 19/02289

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRÊT DU 27 Mai 2020

(n° , pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/02289 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7JYO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/02582

APPELANT

Monsieur [H] [G]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Anne-laure PRÉVOT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0108

INTIMEE

EPIC FONCIER ILE DE FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, substitué par Me PERRIN Olivier, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Février 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente de Chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère

Madame Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 06 Janvier 2020

Greffier, lors des débats : M. Julian LAUNAY

ARRET :

– Contradictoire

– mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [H] [G] a été engagé par l’EPIC Foncier d’Île-de-France le 6 janvier 2010, par un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de technicien systèmes réseaux. En dernier lieu, il exerçait son activité dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique.

L’EPIC Foncier d’Île-de-France emploie plus de 11 salariés et applique un règlement du personnel qui lui est propre.

Par une lettre datée du 13 février 2018, M. [G] a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement. L’entretien s’est tenu le 12 mars 2018.

Par une lettre datée du 16 mars 2018, l’EPIC Foncier d’Île-de-France a notifié à M. [G] son licenciement pour faute grave.

Contestant la validité même de son licenciement et sollicitant sa réintégration ainsi que le paiement de diverses indemnités, M. [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, qui, par un jugement en date du 17 décembre 2018, l’a débouté de l’intégralité de ses demandes.

Ayant constitué avocat, M. [G] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise au greffe de la cour d’appel de Paris le 30 janvier 2019.

Par des écritures transmises le 1 er avril 2019 par le réseau privé virtuel des avocats, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des moyens développés, M. [G] demande à la cour de :

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

– fixer sa rémunération mensuelle brute à la somme de 3 343 euros,

A titre principal,

– prononcer la nullité de son licenciement et ordonner sa réintégration,

– condamner l’EPIC Foncier d’Île-de-France à lui verser les salaires qu’il aurait dû percevoir depuis sa mise à pied,

– ordonner la remise des bulletins de paie afférents,

A défaut de réintégration,

– condamner l’EPIC Foncier d’Île-de-France à lui verser les sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal :

* 40 476 euros d’indemnité pour licenciement nul,

* 3 695,74 euros pour rappel de salaire sur mise à pied du 14 février au 16 mars 2018, outre les congés payés y afférents,

* 6 746 euros d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents,

* 20 238 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,

A titre subsidiaire,

– juger que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamner l’EPIC Foncier d’Île-de-France à lui verser les sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal :

* 26 984 euros d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 3 695,74 euros pour rappel de salaire sur mise à pied du 14 février au 16 mars 2018, outre les congés payés y afférents,

* 6 746 euros d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents,

* 20 238 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,

En tout état de cause,

– ordonner la remise des documents sociaux de fin de contrat et de bulletins de paie conformes sous astreinte de 50 euros par jours de retard,

– condamner l’EPIC Foncier d’Île-de-France à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par des écritures transmises le 28 juin 2019 par le réseau privé virtuel des avocats, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des moyens développés, l’EPIC Foncier d’Île-de-France demande à la cour de :

– juger le licenciement justifié et régulier en la forme,

– juger que M. [G] a été rempli de l’intégralité de ses droits à l’occasion de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail,

– juger que M. [G] n’a été victime d’aucune discrimination,

– confirmer le jugement sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande reconventionnelle,

– débouter M. [G] de ses demandes,

Statuant à nouveau,

– condamner M. [G] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

M.[G] fait valoir que :

-le grief qui lui est fait est infondé,

-compte tenu de ses fonctions, il avait des droits d’accès plus étendus que les simples utilisateurs du système,

-il a été licencié en raison de son état de santé,

L’EPIC Foncier d’Île-de-France fait valoir que :

-M. [G] a fait une utilisation abusive de ses prérogatives d’administrateur réseau en se rendant destinataire des messages de la délégation unique du personnel à l’insu de ses représentants,

-la consultation de ces données ne poursuivait pas d’objectif déterminé lié au bon fonctionnement des réseaux et systèmes de l’entreprise et ne faisait pas suite à des instructions précises de sa hiérarchie,

-les faits reprochés à M. [G] sont constitutifs d’une faute grave justifiant son licenciement.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 janvier 2020.

MOTIFS

Sur le motif du licenciement

En application des dispositions de l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Il incombe à l’employeur d’établir la réalité des griefs qu’il formule.

La lettre de licenciement du 16 mars 2018, qui circonscrit le litige, est rédigée dans les termes suivants :

« Monsieur,

Suite à notre entretien préalable à sanction disciplinaire qui s’est tenu le 12 mars 2018, nous vous informons de notre de décision de vous licencier pour les motifs suivants.

Le 13 février 2018, un huissier assisté d’un expert de justice en informatique, ont constaté que, par une manipulation technique volontaire, vous vous étiez inséré à l’insu de tous dans le groupe de messagerie « [Courriel 5] », réservé aux représentants du personnel de la Délégation Unique du Personnel.

Vous receviez ainsi directement dans le dossier DUP de votre boîte aux lettres électronique professionnelle l’ensemble de leurs échanges internes et de leurs correspondances avec la direction et avec des salariés de l’Etablissement, réalisés au moyen de cette adresse groupée.

Cette conduite met sérieusement en cause la façon dont vous usez des droits que nous vous avons accordés sur notre système informatique pour l’exercice de vos fonctions de Technicien systèmes et réseaux et est en outre susceptible de poursuites pénales, notamment s’il s’avère que des données ou documents de l’Etablissement et/ou de ses agents ont fait ou font l’objet d’une diffusion extérieure.

Lors de notre entretien préalable à sanction disciplinaire du 12 mars 2018, mené en présence de Monsieur [W] [S], Directeur des ressources humaines et de Monsieur [N] [M], salarié de l’Etablissement, vous avez non seulement reconnu « l’appropriation du compte de messagerie de la DUP » mais avez de plus admis avoir consulté ponctuellement le contenu des comptes de messagerie et des répertoires informatiques d’agents de l’EPFIF, et ce en l’absence de toute demande ou autorisation d’intervention de leur part.

Par ce comportement, vous avez délibérément ignoré les usages attachés à votre fonction de Technicien systèmes et réseaux, ainsi que les règles inscrites dans la Charte de sécurité informatique de l’EPFIF, notamment dans ses articles 3-1, 3-2-2, 3-3-1, et 3-3-2, reproduits ci-après :

(…)

En conséquence, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave. »

M. [G] fait valoir qu’il a été licencié en raison de son état de santé.

Aux termes de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de son état de santé ou de son handicap.

L’article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Comme éléments de fait de nature à laisser supposer une discrimination directe ou indirecte en raison de son état de santé, M. [G] expose que

– il bénéficiait du statut de travailleur handicapé, ce dont il est justifié par la communication de la lettre de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées en date du 27 novembre 2014 qui indique que « La qualité de travailleur handicapé est reconnue du 01/01/2015 au 31/12/2019 » à M. [G].

– il exerçait son activité dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique et produit à cet égard une liste d’arrêts de travail établie par l’organisme d’assurance maladie dont il relève indiquant qu’il a bénéficié d’un mi-temps thérapeutique du 30 janvier 2017 au 6 mars 2018 et un avis du médecin du travail daté du 6 février 2017 l’autorisant à reprendre le travail dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique,

– son licenciement initié dès le 13 février 2017, soit quelques jours après cette préconisation du médecin du travail d’une reprise dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique.

Ce faisant, M. [G] présente des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination en lien avec le motif prohibé de son état de santé.

L’EPIC Foncier d’Île-de-France, qui conteste toute discrimination, précise que le licenciement était motivé non par l’état de santé de M. [G] mais par une faute grave.

L’EPIC Foncier d’Île-de-France reproche à M. [G], de s’être introduit, par une manipulation technique volontaire, à l’insu de tous, dans le groupe de messagerie réservé aux membres de la délégation unique du personnel.

Pour établir ces faits, la société verse aux débats le procès-verbal dressé le 13 février 2018 par Me [N] [L], huissier de justice. Celui-ci indique avoir, par une connexion à distance sur le serveur de messagerie, sélectionné le compte de messagerie de la délégation unique du personnel, et constaté alors que « M. [G] apparaît en tant qu’administrateur ».

Il en ressort qu’une opération permettant à M. [G] d’avoir accès aux courriers électroniques destinés aux membres de la délégation unique du personnel avait été réalisée à la date du 13 février 2018.

Toutefois, il résulte des pièces versées aux débats que la société ATS Systems disposait de droits d’accès au système informatique de l’EPIC Foncier d’Île-de-France identiques à ceux de M. [G], que par suite, M. [G] n’était pas la seule personne à être en capacité de réaliser l’opération litigieuse.

En outre, la cour constate que l’EPIC Foncier d’Île-de-France ne démontre pas que l’opération a été réalisée à une date à laquelle M. [G] avait la possibilité d’accéder au système informatique de l’entreprise. Il n’apporte pas non plus la preuve qu’elle a été réalisée depuis le poste de travail de M. [G] et auquel lui seul avait accès.

Il résulte de ces éléments qu’il n’est pas démontré que les faits reprochés à M. [G] lui sont imputables, nonobstant le fait qu’il n’a pas contesté formellement en être l’auteur lors de l’entretien préalable ce qui ne vaut pas reconnaissance explicite du caractère fondé du grief allégué.

Au regard de ces constats, l’EPIC Foncier d’Île-de-France échoue à établir que sa décision de licencier M. [G] repose sur un élément objectif étranger à toute discrimination en lien avec son état de santé.

En conséquence, le licenciement de Monsieur [G] est nul.

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Sur la réintégration

Le licenciement d’un salarié pour un motif prohibé en lien avec son état de santé caractérise une atteinte au droit à la protection de la santé, garanti par l’article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958.

Lorsqu’elle est sollicitée par le salarié dont le licenciement a été déclaré nul à raison d’une telle discrimination, la réintégration est de droit sauf impossibilité établie.

Le salarié licencié pour un tel motif qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et la date de sa réintégration, peu important qu’il ait ou non reçu des salaires ou revenus de remplacement pendant cette période, et par suite sans déduction de ceux-ci.

En conséquence, M. [G] est fondé à solliciter le paiement d’une indemnité d’éviction à compter de la date de son licenciement et correspondant aux salaires qu’il aurait dû percevoir jusqu’à la date de sa réintégration, sans déduction des revenus de remplacement.

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire

Seule la faute grave peut justifier le non-paiement du salaire pendant la durée de la mise à pied conservatoire.

La cour constate qu’aucune faute grave ne peut être imputée à M. [G].

Il convient donc d’allouer à M. [G] la somme de 3 695,74 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période de la mise à pied, outre 369,57 euros brut au titre des congés payés y afférents.

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Sur les intérêts;

Les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la défenderesse de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en prononçant tout à la fois le principe et le montant.

Sur la remise de documents

Il résulte de ce qui précède que M. [G] est fondé à solliciter la remise de bulletins de paie conformes pour la période de février 2018 à mai 2018.

Il sera fait droit à cette demande.

L’EPIC Foncier d’Île-de-France sera condamné à remettre ces documents dans un délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt.

Aucune astreinte ne sera toutefois prononcée, aucune circonstance particulière ne le justifiant.

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Sur les frais de procédure

L’EPIC Foncier d’Île-de-France, succombant à l’instance, sera condamné aux dépens de l’entière procédure.

Il sera, en outre, condamné à payer à M. [G] la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Juge que le licenciement prononcé est nul,

Ordonne la réintégration de M. [G] dans son emploi,

Condamne l’EPIC Foncier d’Île-de-France à verser à M. [G] une indemnité d’éviction correspondant aux salaires qu’il aurait dû percevoir à compter de son éviction jusqu’à la date de sa réintégration.

Condamne l’EPIC Foncier d’Île-de-France à verser à M. [G] la somme de 3 695,74 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de la mise à pied conservatoire, outre les congés payés afférents ainsi qu’une indemnité de 2000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la défenderesse de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Ordonne la remise des bulletins de salaire pour la période de février à mai 2018 dans un délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples,

Condamne l’EPIC Foncier d’Île-de-France aux entiers dépens.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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