Sécurité informatique : 24 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05516

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Sécurité informatique : 24 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05516

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 24 MAI 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05516 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCIRA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 7 Juillet 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MELUN – Section Encadrement – RG n° F 18/00200

APPELANT

Monsieur [J] [Z]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représenté par Me Fabien HONORAT, avocat au barreau de PARIS, toque : R047

INTIMÉE

Me [B] [Y] [X] ès qualités de liquidateur de SARL ADFAB CONNECT

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Antoine PASQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0117

PARTIE INTERVENANTE

ASSOCIATION UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Stéphane MEYER, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société ADFAB CONNECT avait pour activité la programmation informatique.

Suivant contrat à durée indéterminée du 9 janvier 2012, Monsieur [Z] a été engagé par la société ADFAB CONNECT en qualité de Directeur de projet au statut cadre, position 3.2, coefficient 210 de la convention collective dite SYNTEC.

La société ADFAB CONNECT a notifié à Monsieur [Z] une mise à pied à titre conservatoire le 19 janvier 2018, le convoquant à un entretien préalable pour le 30 janvier 2018.

Monsieur [Z] était licencié pour faute lourde par lettre du 13 février 2018 aux motifs de’:

-détournement de documents appartenant à l’entreprise,

-désinvolture blâmable et volontaire dans l’exécution de ses fonctions,

-destruction volontaire des données informatiques appartenant à l’entreprise.

Monsieur [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Melun le 6 avril 2018, aux fins de contester le licenciement pour faute lourde et de solliciter l’inscription au passif de la liquidation judiciaire de la société ADFAB CONNECT des sommes suivantes :

– Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse………………………….53.632,00 €

– Indemnité conventionnelle de licenciement………………………………………………..16.166,23 €

– Indemnité compensatrice de préavis…………………………………………………………22.985,16 €

– Congés payés afférents……………………………………………………………………………..2.298,51 €

– Dommages et intérêts pour licenciement vexatoire……………………………………….7.661,62 €

– Mise à pied conservatoire…………………………………………………………………………..3.569,14 €

– Congés payés afférents………………………………………………………………………………..356,91 €

– Heures supplémentaires années 2015 à 2017……………………………………………88.183,35 €

– Congés payés afférents……………………………………………………………………………..8.818,33 €

– Dommages et intérêts pour travail dissimulé………………………………………………45.970,37 €

– Article 700 du code de procédure civile……………………………………………………..3.000 €

– Remise des bulletins de paie, certificat de travail et de l’attestation Pôle Emploi conformes sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document.

Par jugement du tribunal de commerce de Bobigny en date du 19 février 2019, la société ADFAB CONNECT était placée en redressement judiciaire, lequel était converti en liquidation judiciaire par jugement du 17 septembre 2019, avec maintien d’activité jusqu’au 15 novembre 2019.

Maître [Y] [X] était désigné liquidateur judiciaire de la société.

Par jugement en date du 7 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Melun a débouté Monsieur [Z] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné à payer à la société ADFAB CONNECT la somme de 150 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [Z] a interjeté appel de ce jugement le 14 août 2020, en visant expressément les dispositions critiquées.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 12 janvier 2023, Monsieur [Z] demande à la cour de’:

-Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

-Dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

-Fixer la moyenne mensuelle des salaires à la somme de 7.661,62 € bruts, à titre principal, ou à 5.148,36 € bruts, à titre subsidiaire,

-Fixer au passif de la société Adfab Connect les sommes suivantes :

– 3.569,14 € bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;

– 356,91 € bruts au titre des congés payés afférents ;

– 22.985,16 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, à titre principal, ou 15.445,08 € bruts à titre subsidiaire ;

– 2.298,51 € bruts au titre des congés payés afférents, à titre principal, ou 1.544,51 € bruts à titre subsidiaire ;

– 16.166,23 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, à titre principal, ou 10.863 € à titre subsidiaire;

– 53.632 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre principal, ou 36.038 € à titre subsidiaire ;

– 7.661,62 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;

– 88.183,35 € bruts à titre de rappels de salaire sur heures supplémentaires de 2015 à 2017 ;

– 8.818,33 € bruts au titre des congés afférents ;

– 45.970,37 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;

-Ordonner la remise d’un bulletin de salaire, d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle Emploi rectifiés conformément à l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document à compter de la notification de l’arrêt,

-Ordonner la capitalisation des intérêts,

-Fixer au passif de la société Adfab Connect la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens,

-Dire et juger la décision à intervenir opposable à l’UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 12 février 2021, le liquidateur judiciaire de la société ADFAB CONNECT demande à la cour de’:

– Confirmer le jugement rendu le 7 juillet 2020 par le conseil de prud’hommes de Melun,

– En conséquence, débouter Monsieur [Z] de l’ensemble de ses demandes,

– Le condamner aux dépens.

Par écritures récapitulatives notifiées électroniquement le 12 février 2021, l’UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST demande à la cour de’:

A titre principal,

-Confirmer le jugement entrepris,

-Débouter Monsieur [Z] de l’ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,

-Réduire l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à trois mois de salaire,

-Fixer au passif de la liquidation les créances retenues,

-Dire le jugement opposable à l’AGS dans les termes et conditions de l’article L.3253-19 du code du travail,

-Dans la limite du plafond 6 toutes créances brutes confondues,

-Exclure de l’opposabilité à l’AGS la créance éventuellement fixée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’astreinte,

-Rejeter la demande d’intérêts légaux,

-Dire ce que de droit quant aux dépens sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 7 février 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur le licenciement

Sur le bien fondé du licenciement

La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute lourde et de l’intention de nuire qui la caractérise.

La faute lourde n’est pas privative de l’indemnité compensatrice de congés payés.

La responsabilité du salarié n’est engagée envers son employeur qu’en cas de faute lourde.

Si elle ne retient pas la faute lourde, il appartient à la juridiction saisie d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, conformément aux dispositions de l’article L. 1232-1 du code du travail.

Aux termes de l’article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle peut être une faute grave telle que définie à l’article L. 1234-1 du code du travail.

Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

En l’espèce, la lettre de licenciement du 13 février 2018, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l’article L.1232-6 du code du travail, est libellée dans les termes suivants :

«'(‘) nous avons pris la décision de vous licencier pour les motifs suivants.

1/ Détournement de documents appartenant à l’entreprise

Nos équipes nous ont récemment alertés sur le fait que vous imprimiez des quantités vertigineuses de documents et que vous preniez soin de lancer vos impressions chaque fois que la directrice administrative et financière était amenée à s’absenter.

Vos équipes ont ainsi décrit un rituel qui consiste à vous ruer, dès le départ de Madame [W] [O], sur l’imprimante de l’entreprise pour y collecter en masse des documents appartenant à l’entreprise, que vous n’hésitez pas ensuite à emporter et à sortir de l’entreprise.

Cette impression massive de documents est pour le moins suspecte dès lors qu’elle ne cadre pas avec les fonctions que vous exercez.

Elle est d’autant plus suspecte que vous entretenez des relations suivies avec les fondateurs et animateurs de la société ABE, laquelle exerce une activité directement concurrente à la nôtre et qui a jugé bon de s’installer récemment dans des locaux situés dans notre immeuble, au même étage.

2/ Désinvolture blâmable et volontaire dans l’exécution de vos fonctions

Nous vous avons engagé le 9 janvier 2012 en qualité de directeur de projet.

Au fil des années, vos fonctions ont évolué et ont consisté notamment à assurer la sécurité informatique de l’établissement de [Localité 7].

Le 9 janvier dernier, nous avons découvert que vous aviez sciemment laissé nos concurrents directs pénétrer notre réseau informatique.

A la suite du départ de notre ancien collaborateur, Monsieur [N] [I], et de son embauche immédiate au sein de la société ABE, il vous incombait de sécuriser le réseau en modifiant notamment le mot de passe wifi et en supprimant l’accès aux clés SSH.

Plutôt que de prendre les mesures qui s’imposent, vous avez laissé sciemment nos concurrents utiliser nos ressources (soit nos 30 serveurs, l’ensemble des outils, machines et processeurs) les 8 et 9 janvier 2018 pendant plus de 24 heures.

Cette intrusion ayant eu pour conséquence de ralentir le réseau, nos équipes se sont préoccupées d’en trouver la cause. Ils ont découvert à cette occasion que nos concurrents avaient infiltré notre réseau et qu’ils captaient impunément nos ressources, sans que cela ne soulève la moindre réaction de votre part.

Il a fallu que le devops de Paris intervienne, en vos lieux et place, pour bloquer les accès.

3/ Destruction volontaire de données informatique appartenant à l’entreprise

Compte tenu des faits décrits ci-avant, nous vous avons mis à pied à titre conservatoire.

A cette occasion, nous vous avons demandé de laisser dans nos bureaux l’ordinateur portable qui vous était affecté.

Vous avez immédiatement prétexté vouloir récupérer en amont des photos de famille.

En réalité, vous avez sciemment profité de cette manipulation pour supprimer toutes les données qui figuraient sur votre ordinateur et qui étaient pourtant la propriété de l’entreprise.

Vous nous avez ainsi restitué le 30 janvier dernier un ordinateur portable qui était vide de toutes données informatiques. Votre boite mail professionnelle avait été intégralement nettoyée et l’ensemble des fichiers avaient disparu.

Vos man’uvres déloyales entament irrémédiablement la confiance que nous avions placée en vous et traduisent une volonté délibérée de votre part de nuire aux intérêts de l’entreprise. Elles rendent impossible toute poursuite de notre collaboration.

Votre licenciement pour faute lourde prend donc effet immédiatement à la date de la présente lettre, sans qu’il ne donne lieu ni au paiement d’une indemnité de préavis ni au paiement d’une indemnité de licenciement »

Il convient d’examiner les griefs invoqués afin de déterminer si le licenciement pour faute lourde était justifié, ou s’il s’agit à défaut d’un licenciement pour faute grave, pour cause réelle et sérieuse ou sans cause réelle et sérieuse.

-Sur le grief de détournement de documents appartenant à l’entreprise

L’employeur produit deux attestations de salariés à l’appui de ses dires, desquelles il découle que Monsieur [Z] a fait des impressions en l’absence de sa supérieure hiérarchique.

Toutefois, ni ces attestations ni aucune autre pièce ne permettent de déterminer la nature des documents imprimés, étant précisé que Monsieur [Z] indique qu’il s’agit d’impressions réalisées à des fins privées, telles que des places de concert ou des documents pour sa fille.

S’agissant des quantités, aucun élément précis n’est non plus produit. L’une des attestations évoque des impressions «’allant parfois sur plusieurs dizaines de pages’» sans autre précision ce qui est manifestement insuffisant pour établir l’existence «’d’impressions massives’».

Les éléments de preuve versés aux débats par l’employeur ne permettent donc pas de démontrer un détournement de documents de l’entreprise.

-Sur le grief de désinvolture blâmable et volontaire dans l’exécution des fonctions

Il est établi par les pièces versées aux débats que deux anciens salariés de l’entreprise, Monsieur [M] et Monsieur [I], ont pu se connecter au réseau de celle-ci après leur départ, car leurs informations de connexion apparaissaient sur le réseau sur une période d’environ 24 heures les 8 et 9 juin 2018. Leur connexion a pris fin grâce à l’intervention d’un responsable informatique de la société ADFAB, Monsieur [P], sollicité par la direction, Monsieur [Z] n’étant pas sur site le jour concerné. Or, ces deux anciens salariés travaillent pour une entreprise ABE qui évolue également dans le domaine informatique, au regard de son Kbis.

La société considère que Monsieur [Z], en charge de la sécurité informatique, a intentionnellement laissé pénétrer sur le réseau les deux anciens salariés, qui travaillaient pour une entreprise concurrente, afin de lui nuire et de favoriser l’entreprise concurrente dont il était proche.

Monsieur [Z] conteste avoir été en charge de la sécurité informatique du site. Toutefois, il ressort de plusieurs échanges de mails précédant les faits qu’il supervisait les questions relatives au wifi et la deconnexion des comptes des salariés qui quittaient l’entreprise.

S’agissant de la modification du code WIFI invoquée par l’employeur, Monsieur [P], autre responsable informatique au sein de la société, atteste qu’il n’était pas d’usage de le modifier lors du départ des salariés, et qu’il n’a d’ailleurs jamais été modifié depuis sa création, même après l’incident des 8 et 9 juin, ou après le départ de Monsieur [Z]. Il ne peut donc être retenu qu’il s’agit d’une faute professionnelle.

S’agissant en revanche de la désactivation des clés SSH de Messieurs [M] et [I], il doit être retenu que Monsieur [Z] aurait dû désactiver leurs comptes après leurs départs, l’absence de désactivation étant constitutif d’une faute car elle permet l’accès au réseau par ces anciens salariés. Ces derniers ayant quitté l’entreprise le 26 juin 2017 pour Monsieur [M] et le 5 janvier 2018 pour Monsieur [I], il ne s’agit pas d’une négligence unique mais de deux omissions de Monsieur [Z].

L’employeur n’établit toutefois pas que cette négligence était intentionnelle et avait pour objectif de favoriser un concurrent. En effet, si Monsieur [Z] avait de bonnes relations avec Messieurs [M] et [I] lorsqu’ils travaillaient au sein de la société ADFAB CONNECT, il n’est pas possible de déduire de ce seul élément qu’il a voulu les aider à réaliser un acte anticoncurrentiel au préjudice de celle-ci. L’employeur ne démontre aucune relation entre Monsieur [Z] et Messieurs [M] et [I] ou la société ABE postérieurement au départ des salariés concernés de l’entreprise. Par ailleurs, il n’est pas établi que depuis son licenciement, Monsieur [Z] travaillerait ou aurait eu des relations avec la société ABE.

Ainsi, si Monsieur [Z] a pu faire preuve d’une omission fautive, celle-ci n’est pas constitutive d’une faute lourde.

Elle n’est pas non plus constitutive d’une faute grave, car rien ne démontre que les circonstances exigeaient un départ immédiat de l’entreprise de Monsieur [Z].

Cette faute caractérise en revanche une cause réelle et sérieuse de licenciement.

-Sur le grief de destruction volontaire de données informatique appartenant à l’entreprise

Lorsqu’il a été mis à pied le 19 janvier 2018, Monsieur [Z] a rendu son ordinateur portable. L’employeur soutient qu’il l’a fait après l’avoir formaté, ce qui implique l’effacement de toutes les données contenues, alors que Monsieur [Z] indique n’avoir enlevé que ses données personnelles. Des salariés viennent toutefois attester que l’ordinateur avait été reformaté, ce qui contredit la version de Monsieur [Z].

Cependant, l’employeur n’indique pas quel type de données utiles à l’entreprise ou lui appartenant auraient été effacées lors de l’opération de formatage, sachant qu’il existait un cloud où les salariés plaçaient les documents de travail au sein de la société.

Le reformatage de son ordinateur portable par Monsieur [Z] ne constitue dès lors pas en lui-même une faute justifiant un licenciement.

En considération de ce qui précède, il convient de réformer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a jugé justifié le licenciement pour faute lourde.

Statuant de nouveau, le licenciement pour faute lourde sera requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Sur la convention de forfait jours

Il ressort des dispositions de l’article L. 3121-63 du code du travail que les forfaits annuels en heures ou en jours sur l’année sont mis en place par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Le non-respect par l’employeur des clauses de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours prive d’effet la convention de forfait.

Plus spécifiquement, le défaut de tenue des entretiens spécifiques portant sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié, entraîne l’inopposabilité de la convention de forfait au salarié.

En l’espèce, en vertu de son contrat de travail du 9 janvier 2012 modifié par avenant du 22 juin 2015, Monsieur [Z] était soumis à une convention de forfait annuel en jours, prévoyant deux entretiens annuels minimums destinés à évoquer avec le salarié sa charge de travail ainsi que l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie privée.

Or, l’employeur ne justifie pas avoir réalisé les deux entretiens annuels prévus, étant précisé que les entretiens professionnels sont à distinguer des entretiens sur la charge de travail.

En conséquence, le jugement sera infirmé sur ce point et statuant de nouveau, il sera dit que la convention de forfait jour est dépourvue d’effet à l’égard de Monsieur [Z].

Sur les heures supplémentaires

Lorsqu’une convention de forfait en heures est déclarée inopposable, le décompte et le paiement des heures supplémentaires doivent s’effectuer selon le droit commun, au regard de la durée légale de 35 heures hebdomadaires ou de la durée considérée comme équivalente.

Aux termes de l’article L. 3171-4 du même code, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Il appartient donc au salarié de présenter, au préalable, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement, en produisant ses propres éléments.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

En l’espèce, le salarié fait valoir qu’il travaillait de 9h à 19h30 avec une pause déjeuner d’une heure en moyenne. Il ajoute qu’à ces horaires s’ajoute le travail accompli les soirs, les week-ends et pendant ses congés. Il chiffre ainsi à 12 heures par semaine ses heures supplémentaires pendant les années 2015 à 2017.

S’agissant de son amplitude horaire hebdomadaire de 9h à 19h30, le salarié se contente d’affirmer qu’il effectuait ces horaires sans toutefois produire aucun élément en soutien. Par ailleurs, l’employeur produit des attestations et écrits de six salariés, dont un délégué du personnel, qui concordent s’agissant d’horaires de 9h30 à 17h/17h30 et viennent donc contredire les allégations de Monsieur [Z].

S’agissant du travail accompli les soirs, les week-ends et pendant ses congés, le salarié verse aux débats plusieurs échanges de mails ou SMS démontrant qu’il a travaillé à plusieurs reprises sur ces périodes (19 échanges en 2015, 7 échanges en 2016, 11 échanges en 2017).

Il ressort de ces échanges qu’il était dans la culture d’entreprise de solliciter ponctuellement les collègues le soir, et/ou les week-ends, sans que la hiérarchie, qui en était informée, puisque en copie de certains mails, n’y manifeste d’opposition.

Il doit dès lors être retenu, au regard de ces éléments que Monsieur [Z] a accompli des heures supplémentaires à hauteur de 1.800 € pour les années 2015 à 2017, outre 180 € au titre des congés payés afférents. Il sera débouté pour le surplus.

Le jugement sera infirmé sur ce point et statuant de nouveau, la somme sera fixée au passif de la liquidation de la société ADFAB CONNECT.

Sur la demande au titre du travail dissimulé

Il résulte des dispositions des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, que le fait, pour l’employeur, de mentionner intentionnellement sur le bulletin de paie du salarié un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli est réputé travail dissimulé et ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaires.

En l’espèce, il résulte des développements qui précèdent que les heures supplémentaires accomplies par le salarié n’ont pas été mentionnées sur ses bulletins de paie.

Toutefois, le caractère intentionnel de la dissimulation n’est pas établi.

En conséquence, la décision de première instance sera confirmée sur ce point.

Sur les conséquences financières et indemnitaires du licenciement

-Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire

En application des dispositions de l’article L. 1332-3 du code du travail, en l’absence de faute lourde ou grave, la mise à pied à titre conservatoire n’était pas justifiée et Monsieur [Z] est donc fondé à percevoir le salaire correspondant, soit la somme de 3.569,14 €, ainsi que les congés payés afférents, soit 356,91 €.

Le jugement sera infirmé sur ce point et statuant de nouveau, la somme sera fixée au passif de la liquidation de la société ADFAB CONNECT.

-Sur l’indemnité compensatrice de préavis

A la date de la rupture, Monsieur [Z] avait plus de deux années d’ancienneté et est donc fondé à percevoir une indemnité compensatrice de préavis égale à trois mois de salaire au regard des dispositions de la convention collective.

Le salaire à prendre en considération pour le calcul est le salaire moyen du salarié soit 4.833,33 € bruts augmenté des heures supplémentaires, soit 4.883,33 €.

L’indemnité de préavis due est donc de 14.649,99 € (3 fois 4.883,33 €), outre 1.464,99 € au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé sur ce point et statuant de nouveau, la somme sera fixée au passif de la liquidation de la société ADFAB CONNECT.

-Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement

Monsieur [Z] a également droit à l’indemnité conventionnelle de licenciement, telle que prévue par les dispositions de la convention collective applicable, qui prévoit après deux ans d’ancienneté, qu’elle est égale à 1/3 de mois par année de présence de l’ingénieur ou du cadre, sans pouvoir excéder un plafond de douze mois.

Le salarié comptait six ans d’ancienneté à la date de son licenciement, et avait donc droit à une indemnité conventionnelle de 9.766,66 € (6 fois 1/3 de 4.883,33 €).

Le jugement sera infirmé sur ce point et statuant de nouveau, la somme sera fixée au passif de la liquidation de la société ADFAB CONNECT.

-Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le licenciement étant justifié par une cause réelle et sérieuse, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [Z] de cette demande.

-Sur le licenciement vexatoire

L’indemnisation du préjudice moral résultant d’un licenciement vexatoire suppose la démonstration d’une faute de l’employeur dans les circonstances de la rupture, causant au salarié un préjudice distinct de celui du licenciement.

En l’espèce, Monsieur [Z] fait valoir qu’il a été brutalement évincé de ses fonctions et a dû quitter son poste sans aucune raison ni signe avant-coureur. Il explique avoir subi un nouveau choc lors de la découvert de son licenciement pour faute lourde sous des prétextes fallacieux mettant en cause ses compétences et sa probité.

Toutefois, la mauvaise qualification de la faute (faute lourde au lieu de faute simple) du salarié ne caractérise pas en elle-même l’existence d’un licenciement vexatoire. Si le licenciement pour faute lourde et la mise à pied afférente n’étaient pas justifiés, les circonstances de la mise en ‘uvre du licenciement n’apparaissent pas fautives, étant rappelé que le salarié est déjà indemnisé au titre du rappel des salaires de la mise à pied, de l’indemnité de licenciement et de préavis.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [Z] de cette demande.

Sur les autres demandes

Sur la remise des documents

Il convient d’ordonner la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à Pôle Emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d’une astreinte apparaisse nécessaire.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

En application de l’article L622-17 du code de commerce, les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance.

La créance de dépens et de frais irrépétibles prend naissance dans le jugement qui la fixe. Si le jugement est postérieur à l’ouverture de la procédure collective. Pour être payée à échéance, elle doit répondre aux conditions posées par l’article L622-17 du code de commerce.

En l’absence de caractérisation des conditions requises, la créance de dépens et de frais irrépétibles ne peut faire l’objet que d’une fixation au passif.

La liquidation de la société ADFAB CONNECT succombe, ce qui justifie qu’elle supporte la charge des dépens et une somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En conséquence, le jugement sera infirmé sur ces points et statuant de nouveau, les créances de dépens et frais de procédure, qui en l’espèce ne répondent pas aux conditions de l’article L.622-17 du code de commerce, seront fixées au passif de la liquidation.

Sur les intérêts

En vertu de l’article L621-48 du code de commerce, le jugement d’ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux.

En conséquence, les condamnations indemnitaires ne porteront pas intérêts au taux légal, et les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2018, date de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, et jusqu’au 19 février 2019, date du jugement d’ouverture du jugement de redressement judiciaire de la société ADFAB CONNECT.

Sur la garantie de l’AGS

Il convient de déclarer le présent arrêt opposable à l’UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST qui sera tenue à garantie dans les termes et conditions des articles L3253-6 et suivants du code du travail, et les plafonds prévus aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du Code du travail.

L’UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST devra faire l’avance de la somme représentant les créances garanties, à l’exception de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [Z] de ses demandes au titre’:

-du travail dissimulé,

-de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-du licenciement vexatoire,

Statuant de nouveau,

Requalifie le licenciement pour faute lourde en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que la convention de forfait en jours est sans effet à l’égard de Monsieur [Z],

Fixe au passif de la liquidation de la société ADFAB CONNECT les sommes suivantes’:

-1.800 € au titre des heures supplémentaires, outre 180 € au titre des congés payés afférents,

-3.569,14 € au titre de la mise à pied conservatoire, ainsi que 356,91 € au titre des congés payés afférents,

-14.649,99 € au titre de l’indemnité de préavis, outre 1.464,99 € au titre des congés payés afférents,

-9.766,66 € au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

-2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-les dépens de l’instance,

Ordonne la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à Pôle Emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d’une astreinte apparaisse nécessaire,

Dit que les condamnations indemnitaires ne porteront pas intérêts au taux légal et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2018 et jusqu’au 19 février 2019,

Déclare le présent arrêt opposable à l’UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST qui sera tenue à garantie dans les termes et conditions des articles L3253-6 et suivants du code du travail, et les plafonds prévus aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du Code du travail,

Dit que l’UNEDIC DELEGATION AGS CGEA IDF EST devra faire l’avance de la somme représentant les créances garanties, à l’exception de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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