Sécurité informatique : 12 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01350

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Sécurité informatique : 12 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01350

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 12 AVRIL 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01350 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDDRX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Décembre 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Encadrement chambre 6 – RG n° F 19/01845

APPELANTE

SASU LE HUFFINGTON POST

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

INTIMÉ

Monsieur [B] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Maï LE PRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : J018

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, chargé du rapport, et M. Fabrice MORILLO, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [Y] a été engagé à compter du 1er février 2012 en contrat de travail à durée déterminée par la société Le Huffington Post en qualité de rédacteur multimédia en charge des contributions extérieures.

La relation s’est ensuite poursuivie sous la forme d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 2013.

Dans le dernier état des relations contractuelles entre les parties régies par la convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976, M. [Y] exerçait les fonctions de chef de service des contributions extérieures vidéo.

Après avoir été mis à pied à titre conservatoire le 18 octobre 2018 puis convoqué par lettre du 2 novembre 2018 à un entretien préalable au licenciement fixé au 15 novembre 2018, M. [Y] a été licencié pour faute grave le 30 novembre 2018 pour avoir proféré des insultes, à plusieurs reprises, à l’égard de certaines de ses collègues et même incité ses collègues et subordonnés masculins, à insulter également celles-ci, avoir tenu des propos extrêmement dégradants à l’égard de ses collègues femmes et avoir alimenté et encouragé les propos sexistes, racistes et homophobes.

Par lettre du 18 décembre 2018 portant demande de précision et contestation du licenciement, M. [Y] a indiqué à la société Le Huffington Post qu’il n’avait jamais reconnu les propos que l’employeur lui attribuait, qu’il n’avait absolument aucun souvenir de les avoir tenus et qu’il ne peut donc que les contester, qu’il ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi l’employeur continuait de refuser de lui indiquer à quelle date et dans quel contexte et au cours de quelle discussion il aurait tenu ces propos (sujet de la conversation, participants, identité de la personne dont il est question…) et que la société ne lui avait pas montré les copies d’écran dont elle se prévalait et qu’ainsi aucune faute ne justifiait son licenciement.

Il a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 4 mars 2019 pour contester le bien fondé de son licenciement, et obtenir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamnation de la société Le Huffington Post à lui verser les sommes suivantes :

° 7 522,80 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

° 752,28 euros au titre des congés payés afférents ;

° 30 091,20 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

° 4 703,98 euros à titre de rappel de salaire pour la période ayant été couverte par la mise à pied conservatoire ;

° 470,40 euros au titre des congés payés afférents ;

° 45 136,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

° 7 522,80 euros du fait des circonstances vexatoires de la rupture ;

° 617,69 euros au titre du rappel de salaires sur la prime de 13ème mois ;

° 61,77 euros au titre des congés payés afférents ;

° 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

La société Le Huffington Post a conclu au débouté de M. [Y] et à la condamnation de ce dernier à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 15 décembre 2020, le Conseil de Prud’hommes de Paris a :

– Fixé le salaire de M. [Y] à 3 761,40 euros par mois,

– Fixé l’ancienneté de M. [Y] au 1er février 2012,

– Requalifié le licenciement de M. [Y] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Condamné la société Le Huffington Post à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

° 7 522,80 euros au titre du préavis,

° 752,28 euros au titre des congés payés afférents,

° 617,69 euros au titre du 13ème mois sur préavis,

° 61,77 euros au titre des congés payés afférents,

° 4 703,98 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied,

° 470,40 euros au titre des congés payés afférents,

° 30 091,20 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;

° 11 284,20 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

° 500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

La société Le Huffington Post a interjeté appel de ce jugement le 26 janvier 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 2 janvier 2023, la société Le Huffington Post demande à la cour de :

à titre principal,

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts au titre des prétendues circonstances vexatoires de son licenciement et en ce qu’il a fixé l’ancienneté du salarié au 1er février 2012,

– Infirmer le jugement déféré pour le surplus,

– Dire que le licenciement prononcé à l’égard de M. [Y] repose sur une faute grave,

– Débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes d’indemnisation à ce titre,

– Ordonner le remboursement par M. [Y] des sommes perçues au titre de l’exécution provisoire du jugement déféré,

A titre subsidiaire, si la cour devait confirmer le jugement déféré en ce qu’il a considéré que la rupture est sans cause réelle et sérieuse :

– Limiter le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 25 721,22 euros, de l’indemnité compensatrice de préavis à 7 433,88 euros, outre 743,39 euros au titre des congés payés afférents, des dommages et intérêts éventuellement alloués au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement à 11 150,82 euros ou, à défaut, 26 018,58 euros, en application de l’article L. 1235-3 du Code du travail,

En tout état de cause,

– Fixer la rémunération de référence du salarié à un montant brut de 3 716,94 euros,

– Débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes fins et prétentions, y compris au titre de l’appel incident, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

– Condamner M. [Y] à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Dire que les dépens d’appel seront recouvrés par Me Hinoux, SELARL Lexavoue Paris Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 janvier 2023, M. [Y] demande à la cour de :

à titre principal,

– Confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a fixé son ancienneté au 1er février 2012, sur le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en ce qu’il l’a débouté du surplus de ses demandes,

– Fixer son ancienneté au 1er février 2011,

– Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

° 30 091,20 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

° 7 522,80 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des circonstances vexatoires entourant la rupture du contrat de travail ;

° 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Débouter la société de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

à titre subsidiaire, si la cour retenait comme salaire de référence la somme de 3 716,94 euros, :

– Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

° 29 735,52 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

° 7 433,88 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 743,39 euros au titre des congés payés afférents ;

° 29 735,52 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

° 7 433,88 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des circonstances vexatoires entourant la rupture du contrat de travail.

L’instruction a été clôturée le 10 janvier 2023 et l’affaire fixée à l’audience du 18 janvier 2023.

MOTIFS

Sur le reprise d’ancienneté

Faisant valoir qu’antérieurement au contrat de travail à durée déterminée conclu le 1er février 2012 qui a été suivi de son contrat de travail à durée indéterminée du 25 janvier 2013, il a été lié à la société Lepost devenue la société Le Huffington Post par une succession continue de contrats de travail à durée déterminée et de piges à compter du 1er février 2011, M. [Y] demande que son ancienneté soit fixée au 1er février 2011, date à partir de laquelle il a consacré toute son activité professionnelle à la société Le Huffington Post et en a tiré tous ses revenus.

Mais, comme justement rappelé par la société Le Huffington Post, il résulte de l’application combinée de l’article 2224 du Code civil fixant la prescription des actions personnelles ou mobilières à cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer une telle action, de l’article L. 1471-1 du contrat de travail dans sa rédaction issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 fixant la prescription pour toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail à deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ainsi que des dispositions transitoires de la même loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 selon lesquelles le nouveau délai de deux ans s’applique aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, que l’action de M. [Y] portant sur une succession de contrats de travail à durée déterminée dont le dernier a pris fin le 31 janvier 2012 aurait dû être introduite avant le 16 juin 2015 (deux ans à compter de l’entrée en vigueur de l’article L.1471-1 du code du travail).

Or, M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes le 4 mars 2019. Sa demande tendant à faire remonter son ancienneté au 1er février 2011 en raison de la succession de contrats de travail à durée déterminée l’ayant lié à la société Le Huffington Post est donc prescrite.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a fixé l’ancienneté de M. [Y] au sein de la société Le Huffington Post au 1er février 2012.

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

« Monsieur,

Nous avons à déplorer de votre part des agissements constitutifs d’une faute grave.

En effet, le 16 octobre 2018, un collectif composé de douze journalistes femmes a demandé à être entendu par la Direction de la société afin de l’informer de l’existence de propos sexistes, racistes et homophobes tenus, par écrit et pendant les heures de travail, par le biais de l’outil de communication professionnelle Slack et des conséquences de ces propos tant sur leur intégrité morale que sur leurs conditions de travail.

Après avoir pris connaissance des captures d’écran qui nous ont été remises par ce collectif et de votre participation active au sein de ce réseau composé d’un groupe de journalistes, nous vous avons informé de votre mise à pied à titre conservatoire et ce jusqu’à ce qu’une décision définitive à votre sujet ait été prise après avoir pris connaissance de vos explications.

Pour ce faire, nous vous avons convoqué, par courrier recommandé avec accusé de réception du 2 novembre 2018, à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement qui s’est tenu le 15 novembre dernier.

Dans l’intervalle, une enquête interne a été déclenchée, menée par [E] [V], Responsable Développement RH et santé au travail Groupe.

Lors de l’entretien du 15 novembre dernier, au cours duquel vous avez été reçu par [J] [R], Directrice des ressources humaines Groupe et [M] [D], Directeur de la rédaction, et auquel vous n’avez pas souhaité être accompagné, vous avez immédiatement reconnu avoir tenus des propos inacceptables à l’égard de vos collègues.

De fait, il ressort des documents qui nous ont été remis que vous avez notamment :

– Proféré des insultes, à plusieurs reprises, à l’égard de certaines de vos collègues et même incité vos collègues et subordonnés masculins, à les insulter également :

«je la connais pas mais c’est une grosse pute»,

«c’est une pute je te l’avais dit»,

«la 3ème c’est une pute aussi»,

« je le voyais venir GROS COMME UNE MAISON pute pute pute pute pute pute pute pute pute»,

« vous voulez pas mettre des « pute pute pute » svp »,

« elle va se dire ‘on non il est amoureux de moi le pauvre’ et là tu lui dis écoute, si t’as décidé d’être conne et relou dis le moi clairement ».

– tenu des propos extrêmement dégradants à l’égard de vos collègues femmes :

«t’as 5 minutes pour une sodomie accidentelle ‘ »,

«même si je suis très respectueux des problèmes de santé de mes sous-fifres».

– alimenté et encouragé les propos sexistes, racistes et homophobes, notamment par vos propos suivants :

« [N], est-ce que je peux te parler ‘ » (…)

«Officiellement je déteste les gossip mais je comprends qu’on puisse tomber dedans donc je te comprends [C] je te juge mais je te comprends »

«Raconte !»

« je suis COMPLETEMENT D’ACCORD avec tes trois points [C] »

Votre comportement et votre participation active au sein de ce groupe d’expression sont inacceptables et inexcusables ; ils le sont, en eux mêmes, compte tenu des propos que vous avez tenus et alimentés, mais aussi, du fait de votre qualité de manager, qui vous imposait de mettre immédiatement un terme à ces pratiques et de protéger l’intégrité mentale et les conditions de travail des collaborateurs de l’entreprise.

Votre conduite est extrêmement préjudiciable à la bonne marche de l’entreprise et ne peut être tolérée. Les explications que vous nous avez fournies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation. C’est pourquoi, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.

Au regard de ce qui précède, votre maintien dans l’entreprise est impossible ; nous sommes donc contraints de procéder à votre licenciement pour faute grave.

Votre licenciement prend ainsi effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement, la période non travaillée du 19 octobre 2018 jusqu’à ce jour correspondant à votre mise à pied à titre conservatoire, ne vous sera pas rémunérée.

Nous vous demandons de prendre contact avec [O] [Z], Chargée des ressources humaines, afin de nous restituer l’ensemble du matériel mis à votre disposition par l’entreprise (ordinateur portable, carte d’accès aux locaux).

Nous vous précisons que les emails envoyés à partir de votre compte de messagerie attribué par la Société et reçus sur celui ci sont conservés sur les serveurs de la Société pendant une durée de 5 ans à compter de votre départ sous forme d’archives, et ce afin de permettre à l’entreprise de poursuivre son activité après votre départ, y compris dans le cadre de la gestion des suites de votre licenciement. Des copies de sauvegarde sont conservées pendant une durée de 15 mois.

Les données vous concernant, susceptibles d’apparaître dans votre compte de messagerie professionnelle, pourront ainsi être transmises :

– à vos supérieurs hiérarchiques ;

– à la direction des ressources humaines ;

– aux autorités financières, judiciaires ou agences d’État, organismes publics et administrations sur demande et/ou dans la limite de ce qui est permis par la réglementation ;

– à certaines professions réglementées telles qu’avocats, notaires, commissaires aux comptes.

Nous vous rappelons également que vous disposez d’un droit d’accès, et dans les conditions et limites prévues par la réglementation, de rectification, d’effacement, de limitation du traitement, d’opposition, de retrait du consentement, à la portabilité des données.

Nous vous informons également que nous mettrons à votre disposition dans les plus brefs délais votre certificat de travail, votre reçu pour solde de tout compte et votre attestation Pôle emploi.

Conformément à l’article R.1232-13 du code du travail, vous avez la faculté offerte de demander des précisions sur les motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé.

Nous avons la possibilité d’y donner suite dans un délai de quinze jours après votre demande et selon les mêmes formes mais également de prendre l’initiative d’apporter des précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement. »

À l’appui de son appel, la société Le Huffington Post fait valoir que M. [Y] a proféré des insultes, à plusieurs reprises, à l’égard de certaines de ses collègues et, alors même qu’il encadrait une équipe de deux collaboratrices, a tenu des propos extrêmement dégradants, insultants et humiliants, a alimenté et encouragé les propos sexistes, que de tels agissements ont eu pour conséquences non seulement de dégrader les conditions de travail, mais également de porter atteinte à la dignité et au bien-être des collaborateurs de la société et constituent indiscutablement une faute grave.

Elle soutient que la valeur probante des captures d’écran transmises à la direction n’est pas contestable, que les conditions d’accès aux conversations litigieuses par la société sont parfaitement loyales et qu’il existe un rapport indiscutable entre le contenu des conversations litigieuses et l’activité professionnelle de M. [Y] justifiant son licenciement pour faute grave.

Elle ajoute que M. [Y] ne saurait se retrancher derrière l’existence de « goatses » pornographiques (pratique consistant à faire parvenir à des collaborateurs, par le biais de la boîte e-mail professionnelle, un lien ou des photographies donnant accès à des images obscènes et sordides) qui, selon lui, auraient eu libre cours au sein du Huffington Post, dès lors qu’il n’a jamais alerté son employeur de l’existence de telles pratiques.

Pour confirmation du jugement en ce qu’il a retenu l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, M. [Y] réplique qu’il n’a jamais reconnu avoir tenu les propos qui lui sont attribués par l’employeur dans la lettre de licenciement.

Il affirme que les prétendues copies d’écran du chan privé « RBF » versées aux débats par Le Huffington Post sont dénuées de force probante en ce que la société n’indique pas qui a eu accès et pris copie des discussions, de quelle manière cela a été fait et à quelles dates alors que ces informations sont indispensables à la cour d’appel, que les pièces produites n’ont ni date ni heure certaine, que leur contenu a pu être créé, corrigé ou modifié par n’importe qui puisque la société est incapable d’en justifier la provenance et les auteurs.

Il soutient que la Direction du Huffington Post ne peut assurément pas sanctionner un salarié pour avoir soi-disant participé à des échanges au contenu, prétendument sexiste, puisqu’elle avait encouragé de telles pratiques dans le cadre d’une culture d’entreprise ayant laissé libre cours à l’envoi de messages sur les boîtes e-mails professionnelles des collaborateurs pour leur faire parvenir un lien ou des photographies donnant accès à des images obscènes et sordides.

Il avance que l’employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire par la mise en garde du 6 septembre 2018 dans laquelle la direction faisait état de chans slack secrets dans lesquels les uns rabaisseraient les autres, et qu’en tout état de cause, son licenciement a été notifié le 30 novembre 2018, soit plus de deux mois après la mise en garde.

Il dit que Le Huffington Post ne saurait utilement se prévaloir de ses pièces n°16 et 17 en ce que celles-ci, même à les considérer comme fiables (ce qu’il conteste) sont des correspondances manifestement privées et personnelles dont l’utilisation par l’employeur constitue une atteinte à la vie privée au moyen d’une surveillance illicite et déloyale des salariés, alors que la production des captures d’écran n’était pas strictement nécessaire à l’exercice du droit à la preuve revendiqué par l’employeur.

Il ajoute qu’il a été mis à pied le 18 octobre 2018 pour que puisse se dérouler une enquête interne dont aucun compte-rendu n’a jamais été versé à la procédure.

Cela étant, il résulte des pièces produites par l’employeur que, par mail du 15 octobre 2018, un collectif de 12 journalistes femmes (dénommé Collectif Huff) a demandé à être reçu en urgence dans le cadre d’un entretien collectif par le directeur de la rédaction, le directeur délégué, la rédactrice en chef adjointe, le chef d’édition pour « alerter sur des faits graves qui ont causé une ambiance délétère au sein de la rédaction », qu’au cours de la réunion du 16 octobre 2018, deux membres de ce collectif ont lu un texte dans lequel il est indiqué, notamment, les points suivants :

« nous avons découvert fortuitement l’existence de conversations racistes, sexistes et homophobes, contenu dans le cas professionnel sur l’outil de travail Slack, entre plusieurs hommes de la rédaction dont certains chefs. Ainsi dans le chan RBF, plusieurs collègues masculins échangent quotidiennement, par écrit et pendant les heures de travail des propos dégradants et humiliants, et des insultes à l’encontre des journalistes femmes de la rédaction. Les auteurs quotidiens de ses propos sont de quinzaine de journalistes masculins de la rédaction soit quasiment la moitié des effectifs. (..)

Ces propos nous ont profondément atteint dans notre dignité.(…)

Ces agissements répétés entraînent donc la dégradation générale de nos conditions de travail et portent atteinte à notre dignité à notre bien-être dans l’entreprise qui sont garanties contractuellement. De plus cette pratique malsaine récurrente en ligne ne peut qu’influencer négativement les comportements réels de ces mêmes journalistes hommes envers leurs collègues féminines dans la vie quotidienne de l’annexion. D’ailleurs, vous pourrez trouver dans ces captures d’écran un procédé particulièrement parlant. L’un des chefs diffus divulgue de temps en temps à tous les hommes du chan les noms de celles qui le font part de leur absence le matin et parle de « fragilomètre ». Il dit des choses du genre : « Attention, aujourd’hui, le fragilomètre est remporté par une telle » au prétexte que ladite personne n’a pu se rendre au travail pour des raisons de santé. Un autre chef de service demande à ce que tous ses collègues masculins le plaignent et insultent la collègue avec qui il a eu une discussion qui semble avoir déplu. Nous espérons que vous prendrez la mesure de la gravité de la situation. »

qu’à l’occasion de cette réunion, des membres du collectif ont remis à l’employeur des captures d’écrans d’ordinateur faisant apparaître les discussions litigieuses avec les noms de leurs auteurs, dont celui de M. [Y], et qu’une des journalistes, ancienne salariée de l’entreprise a versé son long témoignage dactylographié illustré par des captures d’écrans mais aussi par ses échanges de SMS entre elle-même et son supérieur qui participait au fil de la discussion litigieuse.

Ainsi, la société Le Huffington Post ne peut se voir reprocher d’avoir obtenu de façon déloyale un moyen de preuve au soutien du licenciement prononcé à l’encontre de M. [Y] dès lors que les captures d’écran utilisées à l’appui des griefs ne procèdent pas d’une recherche de l’employeur mais ont été spontanément remis à ce dernier par des salariées se plaignant d’une atteinte à leur dignité et à leur bien-être dans l’entreprise.

M. [Y] n’est pas fondé à invoquer le respect de sa vie privée et le secret des correspondances en ce que les propos en cause ont été échangés sur une plate-forme de discussion (Slack) à visée exclusivement professionnelle, durant le temps de travail et ont porté sur les relations professionnelles entre collaborateurs au sein de l’entreprise. L’accès restreint à la liste de discussion RBF (Radio-Bière-Foot), car réservé à certains salariés de la société Le Huffington Post, et le fait que les échanges n’étaient pas destinés à être diffusés au delà de cette liste ne privent pas la plate-forme et les messages qui y étaient échangés de leur caractère professionnel et ne permettent pas de les considérer comme faisant partie de la sphère de la vie privée des salariés y participant. Au surplus, les circonstances selon lesquelles des salariées ne faisant pas partie de la liste de diffusion ont pu avoir connaissance des propos échangés à leur sujet et les rumeurs au sein de la société sur l’existence d’une telle liste (message du 6 septembre 2018 du directeur de la rédaction libellé : « J’entends parler de Chans Slack secrets dans lesquels les uns rabaisseraient les autres… ) attestent d’un manque de confidentialité des discussions.

Certes, M. [Y] produit l’analyse des pièces versées par la société Le Huffington Post faite par un consultant qui indique :

« les pièces 16 [note de la cour : captures d’écran remises à la Direction le 16 octobre 2018] et 17 [note de la cour : témoignage de Madame [T] M. remis à la Direction le 16 octobre 2018] ne permettent pas d’authentifier qui est la personne autrice des propos. En effet, sans être expert en informatique, une personne peut tout à fait créer un ou plusieurs profils Slack en choisissant librement un nom et une photographie s’y rapportant. Elle peut alors créer des conversations, qu’elles soient sous forme de channel public, channel privé ou direct messages et les prendre en photo. Ainsi, sans avoir de connaissances poussées en informatique, il est très simple de créer un espace de travail sur Slack, créer des utilisateurs, créer le channel « radio-bière »foot » puis rédiger des dialogues et enfin prendre une photo. De même, les pièces n°17/2, 17/6, 17/9 sont des photographies d’une conversation privée (Direct Message), entre deux personnes qui sont dénommées [P] [W] et [C] A. La mention « Message @Adrien [W] » montre que la personne qui est devant l’écran de l’ordinateur devrait être [C] A. s’adressant à [P] [W] Il peut s’agir d’une conversation créée par un tiers (cf ci-dessus) ou cela peut résulter de l’intrusion d’un tiers sur la session Slack d'[C] A. (après récupération d’un mot de passe) ou sur la session de l’ordinateur d'[C] A. Un tiers qui ferait ainsi intrusion pourrait prendre connaissance des conversations passées et écrire ce qu’il souhaite sous le nom d'[C] A… ».

Mais, cette analyse a été commandée par un salarié cherchant à se disculper et se fonde, non pas sur des données techniques précises issues de l’exploitation du système en cause, mais sur des considérations générales sur la protection des données et la sécurité informatique. Surtout, il doit être relevé que la simple lecture des messages, par les sujets qui y sont abordés, les circonstances professionnelles qui y sont relatées, les relations sociales avec telle ou telle collaboratrice qui y sont décrites, les références à des événements précis de la vie professionnelle de l’un ou l’autre des interlocuteurs qui y sont contenues et la complicité professionnelle unissant les interlocuteurs, atteste de l’authenticité des captures d’écran et de l’absence de doute sur l’identité des auteurs mentionnés.

Cette absence de doute sur l’authenticité des messages et sur l’identité de leurs auteurs est, par ailleurs, confirmée par le recoupement entre, d’une part, les échanges litigieux de la liste RBF et, d’autre part, des SMS échangés par l’une des journalistes visées avec l’un des correspondants de cette liste.

En ce qui concerne l’épuisement du pouvoir disciplinaire de l’employeur, le message du 6 septembre 2018 du directeur de la rédaction libellé en ces termes : « J’entends parler de Chans Slack secrets dans lesquels les uns rabaisseraient les autres : Outre le fait que c’est vraiment nul, sachez juste qui n’est rien de secret dans les outils professionnels. On ne peut pas empêcher que ça se fasse hors du milieu pro mais là oui’ » ne peut pas être considéré comme une sanction puisqu’il s’agit d’une communication générale adressée collectivement aux salariés de l’entreprise et non une mesure individuelle dirigée contre un salarié ayant une incidence sur son contrat de travail et son dossier professionnel.

L’imprécision des termes employés démontre qu’à cette date l’employeur n’avait pas une connaissance exacte des faits susceptibles d’être reprochés ni de l’identité de leurs auteurs. En tout état de cause, même à considérer que l’employeur avait connaissance des griefs pouvant être articulés à l’appui d’une sanction à l’encontre de M. [Y], il doit être relevé que le salarié a été convoqué à un entretien préalable par lettre du 2 novembre 2018 et qu’ainsi l’employeur a engagé la mesure disciplinaire moins de deux mois après son message du 6 septembre 2018, soit dans le délai de l’article L. 1332-4 du code du travail.

Il résulte donc de l’ensemble des éléments ci-dessus que l’employeur rapporte la preuve que M. [Y] est bien l’auteur des messages particulièrement injurieux, sexistes et dégradants reprochés dans la lettre de licenciement et que ceux-ci ont porté atteinte à la dignité des salariées visées qui ont déclaré s’en trouver déstabilisées, démotivées et fragilisées, y compris sur le plan de leur santé.

La diffusion de messages à caractère pornographiques (« goatses ») sur les boîtes mails de certains collaborateurs (pièce 14 de M. [Y]) n’autorisait pas M . [Y] à participer à une liste de discussion portant gravement atteinte, par les propos injurieux, sexistes et dégradants contenus, à l’honneur et à la dignité de collègues femmes nommément désignées ou, en tout état de cause, identifiables.

La société Le Huffington Post était donc parfaitement légitime à considérer que les agissements de M. [Y] étaient constitutifs d’une faute grave qui rendait impossible la poursuite des relations contractuelles de travail entre les parties, y compris pendant la période de préavis.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a dit que le licenciement pour faute grave de M. [Y] par la société Le Huffington Post était dépourvu de cause réelle et sérieuse et le salarié sera débouté de ses demandes salariales et indemnitaires formées à ce titre.

Il sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [Y] de sa demande en dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement.

Sur la demande reconventionnelle en remboursement des causes du jugement entrepris

Il sera rappelé qu’un arrêt infirmatif emporte, de plein droit, obligation de rembourser toutes les sommes versées en exécution du jugement infirmé et vaut titre à cet effet, sans que la cour n’ait à prononcer de condamnation.

Sur les frais non compris dans les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, M. [Y] sera condamné à verser à la société Le Huffington Post la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par celle-ci qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a fixé l’ancienneté de M. [Y] au sein de la société Le Huffington Post au 1er février 2012 et en ce qu’il a débouté M. [Y] de sa demande en dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement,

INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau,

DÉCLARE fondé le licenciement pour faute grave de M. [Y] par la société Le Huffington Post,

DÉBOUTE M. [Y] de l’intégralité de ses demandes,

RAPPELLE qu’un arrêt infirmatif emporte, de plein droit, obligation de rembourser toutes les sommes versées en exécution du jugement infirmé et vaut titre à cet effet,

CONDAMNE M. [Y] à verser à la société Le Huffington Post la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [Y] aux dépens de première instance et d’appel, qui pourront être directement recouvrés par Me Hinoux, SELARL Lexavoue Paris Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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