Sécurité des Systèmes : 16 février 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02398

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Sécurité des Systèmes : 16 février 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02398
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 FEVRIER 2023

N° RG 20/02398 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UDZO

AFFAIRE :

[G] [D] Mme [D]

C/

S.A.S. IDEMIA IDENTITY & SECURITE FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Octobre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PONTOISE

N° Section : E

N° RG : F 19/00092

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Gautier LE SUEUR

Me Frédéric ZUNZ

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS, après première prorogation en date du VINGT SIX JANVIER VINGT TROIS les parties en ayant été préalablement avisées,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [G] [D]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par : Me Gautier LE SUEUR, constitué, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 218.

APPELANTE

****

SAS IDEMIA IDENTITY & SECURITE FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Frédéric ZUNZ de la SELEURL MONTECRISTO, constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J153 substitué par Me Laure TRETON, avocat au barreau de Paris.

INTIMEE

****

Composition de la cour

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 22 novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Alicia LACROIX, greffier lors des débats.

FAITS ET PROCÉDURE

Engagée par la société Matis Technologies, spécialisée en conseil dans le domaine digital et la cybersécurité, Mme [G] [D] a été mise à disposition de la société Morpho à compter du 21 novembre 2011 en qualité d’ingénieur d’études.

Le 3 novembre 2014, la société Morpho a engagé Mme [G] [D] en qualité d’ingénieur recherche et développement, avec reprise d’ancienneté au 21 novembre 2011, et l’a affectée à l’unité de recherche technologique située à [Localité 6] (94).

L’entreprise emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie.

En 2016, la société Oberthur a repris l’ensemble des contrats de travail de la société Morpho en application de l’article L.1224-1 du code du travail, ces deux sociétés fusionnant en mai 2017 pour constituer la société Idemia.

A compter du 19 juin 2018 et jusqu’à la rupture du contrat de travail, Mme [G] [D] a été placée continûment en arrêt maladie pour ‘syndrome dépressif et trouble anxieux généralisé’.

Le 17 janvier 2020, la CPAM a, au visa de l’avis du Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, reconnu le caractère professionnel de la maladie de la salariée.

Se plaignant notamment d’un harcèlement moral, Mme [G] [D] a saisi, le 19 mars 2019, le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise aux fins d’entendre prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, produisant les effets d’un licenciement nul et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

La société s’est opposée aux demandes de la requérante et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 1er octobre 2020, le conseil a statué comme suit :

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Mme [G] [D] et la société Idemia France aux torts exclusifs de la société en raison du harcèlement moral subi par la salariée, cette résiliation emportant en conséquence les effets d’un licenciement nul,

Condamne la société Idemia France à verser à Mme [G] [D] les sommes de :

-10 683 euros nets au titre des dommages-intérêts pour licenciement nul,

-7 889,56 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,

-10 683 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

-1 068 euros bruts au titre des congés payés afférents,

-7 122 euros nets au titre des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat,

-1 500 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Limite l’exécution provisoire aux dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail et fixe la moyenne des salaires à 3 561 euros bruts,

Condamne la société Idemia France aux entiers dépens de l’instance.

Le 26 octobre 2020, Mme [G] [D] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Le 4 février 2022, Mme [G] [D] a été licenciée par la société pour inaptitude d’origine professionnelle et impossibilité de reclassement.

Par ordonnance rendue le 12 octobre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 22 novembre 2022.

‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 10 octobre 2022, Mme [G] [D] demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société en raison du harcèlement moral subi par la salariée, cette résiliation emportant en conséquence les effets d’un licenciement nul, constaté le manquement de la société à son obligation de résultat et condamné la société aux entiers dépens de l’instance ;

L’infirmer en ce qu’il a:

– limité la condamnation de la société à la somme de 10 683 euros nets au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul et en ce qu’il a rejeté sa demande à hauteur de 56 976 euros nets à ce titre,

– limité la condamnation de la société à la somme de 7 122 euros au titre des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat,

– l’a déboutée de sa demande dommages-intérêts pour privation d’effet de la convention de forfait jours ;

Statuant à nouveau, condamner la société à lui verser la somme de 21 366 euros à titre des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat,

Condamner la société à lui verser la somme de 2 500 euros en cause d’appel au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 3 octobre 2022, la société Idemia demande à la cour de :

A titre principal :

Juger que la déclaration d’appel de Mme [G] [D] en date du 26 octobre 2020 ne critique pas le chef de jugement la déboutant de sa demande de condamnation à 10 683 euros de dommages-intérêts pour nullité du forfait-jours,

Juger que l’effet dévolutif de l’acte d’appel de Mme [G] [D] n’a nullement opéré sur la demande relative à la nullité du forfait jours,

Juger n’y avoir lieu à statuer sur la demande de nullité du forfait jour la cour n’étant pas saisie de cette question,

Infirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts exclusifs en raison du harcèlement moral subi par la salariée, cette résiliation emportant en conséquence les effets d’un licenciement nul et l’a condamnée à verser à Mme [G] [D] les sommes de :

-10 683 euros nets au titre des dommages-intérêts pour licenciement nul,

-7 889,56 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,

-10 683 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

-1 068 euros bruts (mille soixante huit euros) au titre des congés payés afférents,

-7 122 euros nets au titre des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de

sécurité de résultat,

-1 500 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a

condamnée aux entiers dépens de l’instance ;

Et statuant à nouveau,

A titre principal,

Débouter Mme [G] [D] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et demandes afférentes,

Débouter Mme [G] [D] de sa demande au titre de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat,

A titre subsidiaire,

Confirmer le jugement en ce qu’il débouté Mme [G] [D] de sa demande de dommages-intérêts pour privation d’effet de la convention de forfait jours,

A titre infiniment subsidiaire,

Juger que Mme [G] [D] a perçu une indemnité conventionnelle de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, congés payés sur préavis au titre de son licenciement intervenu le 4 février 2022,

Débouter en conséquence Mme [G] [D] de ses demandes au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, l’indemnité compensatrice de préavis, les congés payés sur préavis,

En tout état de cause, condamner Mme [G] [D] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

I – Sur l’effet dévolutif de la déclaration d’appel 

Aux termes de ses dernières conclusions, dont le dispositif saisit la cour, Mme [G] [D] a renoncé à la demande tendant à voir condamner la société Idemia à lui verser la somme de 10 683 euros de dommages-intérêts pour nullité du forfait-jours.

L’exception soulevée de ce chef par l’intimée est devenue sans objet.

II – Sur le harcèlement moral

En application des articles L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon les dispositions de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait, précis et concordants, constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, Mme [G] [D] énonce les faits suivants, constitutifs selon elle d’un harcèlement ayant débuté dans le courant de l’année 2016, ensuite de la réorganisation de l’équipe au sein de laquelle elle exerçait ses fonctions, qui a fait suite à la fusion des sociétés Oberthur et Morpho et à la démission de Mme [Y], sa précédente responsable, remplacée par M. [E] :

1. La diminution des missions confiées, 2. Le refus de sa hiérarchie de lui confier le soin de représenter la société à l’extérieur, 3. La suppression des moyens mis à sa disposition, 4. Le dénigrement de ses compétences professionnelles ; 5. L’isolement qui lui a été imposé, ce harcèlement ayant entraîné la dégradation de son état de santé, à telle enseigne que la Caisse primaire d’assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de l’affection psychique développée.

Il convient de reprendre les différents éléments invoqués par la salariée.

* En ce qui concerne ‘la diminution des missions confiées’ :

La salariée se prévaut de messages échangés en septembre 2017 par M. [Z], collègue sur le départ qui devait lui passer des instructions de travail, et M. [M], que l’employeur présente – ce point n’étant pas discuté par l’appelante – comme étant son compagnon :

Dans un premier message M. [M] évoque les difficultés à communiquer avec Mme [G] [D] en indiquant notamment ‘je comprends bien l’appréhension que tu peux avoir pour discuter avec elle. Ça m’arrive aussi (sic !). Pourtant je ne considère pas que c’est à elle de pallier complètement à mon appréhension, sans montrer plus d’adaptation et de la tolérance de mon côté (séparer le fond de la forme). Si ça a mené au stade où tu refuses de lui donner quoi que ce soit (tu es en charge des tâches du labo tout de même par peur des critiques, c’est une faute […]’

M. [Z] lui répond comme suit :

« […] Je reconnais que j’aurais dû lui faire part de ce que m’a dit [A], mais j’en ai franchement marre de m’excuser sans cesse auprès d’elle pour des choses qu’elle fait elle-même (ne pas tenir informé d’un sujet en commun comme elle l’a fait en s’isolant avec [H] [S] Pour un transfert de connaissances alors qu’elle songeait à quitter la boîte à ce moment, râler pour le bruit que je fais en tapant sur la table alors qu’elle chante dans le bureau, râler quand on parle à voix haute quand elle est au tel alors qu’elle rigole et parle fort […]).

Pour les tâches que j’aurais dû déléguer, je ne savais pas comment les lui présenter sans qu’elle me reproche le manque d’infos […] mais on a quand même pu travailler sur PILAS ensemble et j’ai trouvé que ça s’était très bien passé. En fait, depuis son retour de congés, j’ai eu l’impression qu’elle me faisait la tête, par sa manière de m’adresser la parole […] je n’arrive pas à me faire à ses changements d’humeurs si rapides et imprévisibles […] c’en est arrivé à un point où c’est nocif pour moi, source d’un stress inutile […]. concernant l’ambiance, on y est certainement un peu tous responsables, mais je trouve ça hypocrite qu’elle s’en plaigne en plaisantant auprès des autres équipes/services. »

Mme [G] [D] établit (pièce n° 14 de l’appelante) que M. [L] a invité à plusieurs reprises au cours du mois d’octobre 2017, et notamment par messages en date des 26 et 31 octobre, M. [Z] pour que ce dernier exécute ses instructions et procède à la transmission de compétences (carac active des SLC32, chargement des cartes) au profit de Mme [G] [D] .

Au soutien de l’affirmation selon laquelle M. [L] aurait mis fin à ‘ses projets techniques’, elle se borne à produire un échange de mail relatif à la commande de ‘circuits’ relatif à un projet ‘flash hirose’, que M. [L] a décidé de ‘mettre en pause en l’invitant à ‘ne pas confirmer la commande’. (pièce n° 15 de l’appelante) Il n’en résulte pas qu’il ait été mis fin à tous ses projets techniques comme prétendu au moment même où il était ordonné par la hiérarchie à M. [Z] de procéder à la passation de ses compétences techniques.

L’appelante établit également que si M. [L] lui a confié le soin de procéder aux formations de sécurité (pièce n°16 de l’appelante) en l’invitant à participer à une formation de formateur, c’est en réalité ce même responsable qui a délivré cette formation à M. [J] en mars 2018 qui en atteste.

En revanche si l’appelante affirme avoir été exclue du projet PILAS, la pièce communiquée par la salariée au soutien de cette affirmation établit simplement que M. [L] a décidé de confier à ‘[T]’ le soin d’établir un plan de charge précis par rapport aux différents livrables, avant d’apprécier le nombre de participants à intégrer à ce projet et de demander à la salariée d’ici là de se consacrer sur la ‘carac du SLC32″.

Si Mme [G] [D] affirme s’être retrouvée sans mission concrète, l’employeur objecte et démontre qu’il a été confié à l’intéressée :

– la participation au projet WG Whitebox portant sur la création d’algorithme cryptographique à utiliser dans les téléphones mobiles (pièces n°27,28, 49 et 54 de l’intimée), dont la salariée ne justifie nullement qu’il serait dépourvu d’intérêt,

– le soin de mener les formations sécurité à l’attention des équipes de recherche et développement, pour laquelle une formation de 21 heures lui a été prodiguée,

– le 31 janvier 2018, M. [L] lui demande quand pourra-t-elle présenter ses travaux sur la caractérisation du SLC32,

– le 21 février 2018, elle accomplit une expertise de sécurité à la satisfaction de son supérieur,

– à la mi-mars 2018 il lui est confié la rédaction d’un rapport dont elle estime dans ses échanges avec son supérieur le temps de travail nécessaire ‘à 30 jours soit environ 2 mois si je le fais à temps plein’ et indique à son supérieur pouvoir le livrer fin mai 2018.

– le 18 juin 2018, Mme [G] [D] remercie M. [L] de l’avoir positionnée sur l’analyse de sécurité d’un composant, qu’elle qualifie de ‘projet challengeant !’ assorti d’un smiley qui sourit (pièce n°34 de l’intimé) ; les allégations de la salariée selon lesquelles elle n’était pas en réalité compétente pour assumer cette responsabilité n’étant étayées par aucun élément ;

– en juillet 2018, la salariée était programmée sur un travail d’expertise que sa hiérarchie pensait lui confier à son retour d’arrêt maladie que M. [V] imaginait pour le début du mois d’août (pièce n° 35 de l’intimée) ; Mme [G] [D] affirme vainement que ce projet aurait été abandonné quelques mois plus tard.

Il ne résulte pas de ces éléments une diminution de ses missions, tout au plus un élargissement de celles-ci (formations sécurité, rédaction ‘d’un guide de sécurisation’), dont il n’est nullement établi qu’elles étaient d’un intérêt moindre que les précédentes et le fait en outre qu’en octobre 2017, M. [Z], qui était sur le départ (programmé en décembre suivant), a fait preuve de réticences dans la transmission de compétences à son égard et ce nonobstant plusieurs interventions de collègue (M. [M]) et surtout de la hiérarchie et que finalement c’est M. [L] qui a délivré les formations sécurité dont il lui avait confié la responsabilité.

* En ce qui concerne le refus de lui confier la représentation extérieure de la société :

Mme [G] [D] ne justifie en aucune façon le refus que sa hiérarchie lui aurait opposé à sa demande de participer à la manifestation professionnelle ‘QITS 2017″ ; elle établit simplement qu’elle a été invitée à ‘partager son expérience’ quand bien même y aurait-elle participé sur son temps personnel.

Elle établit que M. [L] lui a répondu qu’il ne souhaitait pas que ‘nous participions’ à la journée LIP6 et qu’il lui a indiqué, par ailleurs avoir choisi d’autres collaborateurs qu’elle pour participer au ‘CHES 2018″.

* Sur la suppression des moyens mis à disposition :

Mme [G] [D] établit que M. [E] lui a refusé le bénéfice d’une journée en télétravail en mars 2017 pour un motif lié à la sécurité informatique (accès au réseau ‘Borabora’ interdit en télétravail), réponse qui n’a pas convaincu son compagnon, M. [M] affirmant dans un message que d’autres collaborateurs avaient par le passé bénéficié d’un tel aménagement et que son travail ne nécessitait pas d’utiliser quotidiennement l’accès au site ‘borabora’,

Elle établit s’être plainte du déménagement de plusieurs équipements en avril 2018 du site, dont un ‘banc EM’.

* Sur le dénigrement de ses compétences professionnelles :

Mme [G] [D] relève que M. [L] à l’occasion du déménagement des matériels vers les locaux de [Localité 7] (33) a répondu à sa réclamation dans les termes suivants qu’elle qualifie de dénigrants : ‘concernant les sondes EM, ton message n’est pas clair. J’ai l’impression que tu ne dissocies pas les sondes EM active et les sondes EM passives. Il te faut effectivement une sonde EM active et une passive’.

Elle se plaint en outre que M. [L] a refusé de l’évaluer pour l’année 2017. Le compte-rendu (pièce n° 31 de l’appelante) mentionne ceci :

‘Suite au manque d’indicateurs, il n’est pas possible d’évaluer l’année 2017 d'[G]’ ; ‘lors de son intégration au sein du groupe en octobre, [G] a clairement indiqué être en recherche d’une autre mission à l’extérieur de la société montrant ainsi un manque de motivation et d’implication’.

Elle se prévaut en outre du fait qu’il lui demande ‘de participer de manière pro active aux présentations du mardi’ alors qu’il n’ignore pas qu’elle y participe dans des conditions non propices (absence de visio conférence)

Le 7 juin 2018 M. [L] lui indique que ‘le délai nécessaire pour rédiger ce rapport lui semble énorme […]’.

Aucun dénigrement en interne n’est caractérisé.

En revanche, il est constant que la salariée a vu sa candidature à l’Autorité Nationale de Sécurité des Systèmes Informatiques (ANSSI) être rejetée au premier trimestre 2017.

M. [E], après avoir attesté que la salariée s’étant opposée à la réorganisation du service consécutivement au départ de Mme [Y], au motif qu’elle refusait de travailler sous l’autorité d’un de ses anciens collègues, M. [Z], il l’avait placée sous son autorité directe, qu’elle s’était ensuite opposée très souvent à ses démarches, concède que, sollicité par l’ Anssi sur les mérites de la candidature de la salariée, alors qu’il se trouvait alors dans l’attente d’intégrer cette institution, il a émis un avis réservé sur son recrutement. Ce témoin précise que son appréciation et les avis de deux autres personnes ayant travaillé avec la salariée ont conduit cette Autorité à ne pas retenir la candidature de Mme [G] [D] , ce que la salariée indique avoir vécu douloureusement.

Il ressort de son témoignage qu’il a donné son avis alors qu’il était encore le supérieur hiérarchique de la salariée et qu’il n’avait pas encore intégré l’ANSSI.

Ce dernier fait est établi.

* Sur son isolement :

Mme [G] [D] établit les faits suivants :

Le 11 décembre 2017, alors qu’elle indique se trouver seule dans son bureau depuis le départ de M. [Z], et demande à M. [L] de changer de bureau, ‘pour pouvoir bénéficier d’un bureau chauffé’, lui répond : « nous en parlerons demain, bon après-midi ». (Pièce n°18)

Elle affirme qu’elle n’était plus invitée aux réunions d’équipe hebdomadaires, malgré ses demandes insistantes en ce sens. Elle justifie avoir interpellé M. [L] sur ce point les 9 et 19 avril 2018 et note dans ce dernier message que la raison consisterait au dysfonctionnement de la visioconférence. (Pièce n°20)

Elle affirme encore qu’elle n’était plus incluse dans des listes de diffusion interne de sorte que ses collègues pouvaient lui transmettre les messages l’intéressant. Elle produit plusieurs messages étayant cette situation, transmis par M. [K].

Il est par ailleurs constant que parallèlement les effectifs affectés au laboratoire d'[Localité 6] (94) ont progressivement diminué, plusieurs collaborateurs étant mutés sur le site de [Localité 7] (33) ou [Localité 5] (92). En avril 2018, il ne restait plus que trois collaborateurs présents sur le site. À compter du 1er juin suivant, la salariée s’est retrouvée toute seule dans le laboratoire d'[Localité 6], la société précisant toutefois, ce point n’étant pas contredit par la salariée qu’elle n’était pas en situation de travail isolé, des développeurs de cartes à puce oeuvrant également sur ce site.

Il en ressort que la salariée établit un isolement professionnel progressif qui est allé en s’accentuant avec le temps.

Par ailleurs, il ressort d’un échange de courriels en date du mois d’avril 2017, que la salariée, soutenue par un représentant du personnel, avait sollicité une réunion à la directrice des ressources humaines avec M. [E], son supérieur, afin de rétablir un semblant de normalité dans les relations entre eux, et que dans ce contexte, le médecin du travail, informé de la situation répondait à l’employeur qui l’avisait que ‘la normalisation des relations entre Mme [G] [D] et son responsable n’est peut-être plus la priorité compte tenu du fait que le responsable aura quitté la société d’ici un mois’, ceci :

« l’idée n’est pas de normaliser les relations avec son responsable mais d’essayer de comprendre et surtout de permettre que Mme [G] [D] puisse continuer à travailler dans des conditions épanouissantes pour elle et pour l’ensemble de l’équipe car comme vous le savez certainement cette situation n’est pas seulement lié à un problème relationnel avec son responsable. […] le but est de permettre que Mme [G] [D] retrouve une certaine sérénité au travail  ».

Placée en arrêt de travail à compter du 19 juin 2018 pour « syndrome dépressif et trouble anxieux généralisé » (Pièces n°27.2 à 27.6), Mme [G] [D] justifie s’être vu prescrire antidépresseur et anxiolytique (Pièces n°28.1 à 28.4) et a fait l’objet d’un suivi auprès d’un psychologue. (Pièces n°29.1 à 29.8)

L’altération de sa santé physique et mentale a été reconnue comme maladie professionnelle après avis du CRRMP, suivant décision en date du 17 janvier 2020.

Pris dans leur ensemble, les seuls faits précis et concordants ci-avant établis, laissent supposer l’existence d’un harcèlement.

Certes, l’employeur souligne à juste titre qu’il ressort des propres pièces produites par la salariée, à savoir les témoignages de son compagnon, qui concédait qu’il pouvait éprouver de l’appréhension à discuter avec elle, et de M. [B], qui indique que son ‘caractère entier a posé des problèmes de management aux encadrants que j’ai connus à l’époque, à savoir Mme [Y], M. [U] et M. [E] qui ne savaient pas comment réagir à certaines situations conflictuelles’, et du compte-rendu d’un entretien qui s’était tenu le 20 février 2017, au cours duquel il avait été évoqué la nécessité pour la salariée de faire des efforts de communication, que l’attitude que pouvait adopter la salariée à l’égard de ses collègues était source de difficultés.

L’employeur établit que cette difficulté n’était pas nouvelle et sans lien avec la réorganisation du service, M. [U], précédent responsable hiérarchique de la salariée, lui ayant demandé dès le mois de novembre 2015 de suivre une formation ayant pour objet ‘communication et relations interpersonnelles’.

La difficulté ainsi objectivée pour la salariée d’entretenir avec ses collègues et supérieurs hiérarchique des relations cordiales a pu contribuer à la mauvaise ambiance de travail décrite par plusieurs salariés, ou des situations de contexte que la salariée évoque dans ses écritures tel le fait de ne pas avoir été invitée au pot de départ d’un apprenti.

Pour autant, cette attitude ne saurait justifier objectivement, l’attitude défensive adoptée par M. [Z] en octobre 2017, à son égard alors qu’il lui avait été demandé dans la perspective de son prochain départ de transmettre des savoirs et/ou compétences sur des dossiers en cours nécessaires à l’activité du laboratoire, ni le fait que la salariée se soit vu progressivement placée dans une situation d’isolement géographique et professionnel.

Par l’attestation circonstanciée de M. [L], l’employeur justifie objectivement par des éléments étrangers à tout harcèlement que nonobstant une formation délivrée à la salariée, et à l’issue d’une présentation peu convaincante le 28 février 2018 de l’intéressée sur la sécurité, son supérieur a finalement décidé d’assurer lui-même la formation organisée en mars sur ce thème afin de lui laisser plus de temps pour progresser dans ce domaine.

La salariée ayant exprimé le souhait de quitter l’entreprise auprès de MM. [L] et [V], ainsi que ceux-ci en attestent, la société a pu légitimement confier le soin de la représenter à des manifestations professionnelles par d’autres collaborateurs lors de deux journées professionnelles.

De même, la société justifie sa décision de lui refuser le bénéfice d’une journée de télétravail par des éléments étrangers à tout harcèlement moral en rappelant que la salariée intervenait exclusivement dans le domaine de la sécurité, contrairement à certaines personnes auxquelles elle se compare, exposant sans être contredit sur ce point par l’appelante que l’entreprise bénéficiait d’accréditations délivrées par l’Etat qui l’obligeait à ne pas sortir de ses réseaux informatiques sécurisés des données sensibles liées au développement des produits sur lesquels travaillait la salariée.

S’agissant du déménagement de matériels des locaux situés à [Localité 6] vers ceux de [Localité 7], l’employeur justifie qu’ensuite de la réduction de l’effectif de l’équipe dédiée à la sécurité qui était passée en quelques mois de 8 à une seule personne, la société a pu légitimement procéder à cette opération tout en lui laissant les outils nécessaires aux missions qui étaient les siennes, ce dont M. [V] atteste et qui n’est pas sérieusement contredit par la salariée.

En revanche, alors qu’il n’est pas discuté que M. [E] était encore, à la date de la sollicitation de l’Anssi, le supérieur hiérarchique de Mme [G] [D] qui, pour être présentée par l’employeur comme une collaboratrice connaissant des difficultés dans sa relation avec ses collègues et la hiérarchie, bénéficiait toutefois d’évaluations sur le plan strictement professionnel tout à fait positives, la recommandation négative qu’il a faite concernant la salariée dans le cadre de ce processus de recrutement, dans des termes que ce supérieur hiérarchique ne précise pas, n’est pas justifiée objectivement.

Surtout, ni le projet que la salariée aurait exprimé consécutivement à la fusion des deux sociétés de quitter l’entreprise, ni l’échec de sa candidature à l’Anssi, et son refus de rejoindre les équipes sur le site de [Localité 7], ne saurait justifier objectivement le positionnement attentiste adopté par l’employeur plaçant progressivement la salariée dans une situation d’isolement professionnel, aggravé par des difficultés techniques qui ne lui permettait même pas d’assister aux réunions par visio conférence, isolement qui s’est prolongé dans le temps et qui caractérise ainsi des agissements réitérés entraînant une dégradation de ses conditions de travail susceptible de compromettre son avenir professionnel.

Si M. [C] atteste que la salariée s’est vu proposer verbalement une mutation sur [Localité 7] qu’elle a refusée pour des raisons personnelles, force est de constater que l’employeur n’a pas mis en oeuvre un processus de proposition de modification de son contrat de travail.

Si la société justifie par le témoignage de M. [V] que les locaux de [Localité 5] ne permettaient pas d’accueillir le matériel utilisé par Mme [G] [D] dans son activité quotidienne en raison de leur encombrement, et que des travaux n’étaient pas envisageables compte tenu d’un projet de déménagement, et objecte utilement que la salariée n’était pas seule sur le site, des développeurs de logiciels de carte à puce y travaillant, force est néanmoins de constater que la salariée était, de facto, isolée par rapport à ses collègues de l’unité de recherche et développement à laquelle elle était rattachée, ce dont Mme [I] convenait en mai 2018 en lui expliquant que ‘vous êtes toute seule aujourd’hui et nous ne sommes pas dans une démarche de favoriser l’isolement de nos collaborateurs’.

Faute de justifier ainsi par des éléments étrangers à tout harcèlement la mise en échec de sa candidature au sein de l’Anssi, mais surtout l’isolement professionnel dans lequel elle été progressivement placée et rappel fait que la notion de harcèlement ne requiert nulle intention de ses auteurs, le jugement sera confirmé en ce qu’il a jugé que la salariée avait été victime d’un harcèlement moral, en lien avec l’arrêt maladie prescrit pour syndrome anxio-dépressif.

Ce harcèlement empêchant la poursuite de la relation contractuelle, c’est à bon droit que le conseil a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail et dit que celle-ci produisait les effets d’un licenciement nul en application de l’article 1152-3 du code du travail.

Alors qu’il est établi que le service ressources humaines avait été interpellé sur la dégradation des conditions de travail dès le mois de février 2017, que le médecin du travail était intervenu auprès de l’employeur pour lui indiquer qu’il ne s’agissait pas tant de régler un problème relationnel entre deux collègues mais d’intervenir pour permettre à la salariée de retrouver une certaine sérénité au travail, force est de relever que l’employeur ne justifie pas avoir pris une quelconque initiative (médiation au sens de l’article 1152-6 du code du travail, enquête, réorganisation du service) pour faire cesser le risque auquel la salariée était exposée.

En l’état des éléments qui précèdent, le conseil de prud’hommes a fait une juste appréciation du préjudice en résultant pour la salariée. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société à lui verser la somme de 7 122 euros de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat.

En revanche, lorsque le salarié dont le licenciement est nul ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, il a droit, d’une part, aux indemnités de rupture, d’ores et déjà versées et, d’autre part, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

En l’espèce, Mme [G] [D] qui totalisait une ancienneté de 8 ans et 10 mois au jour de la rupture, fixée au jour du jugement de première instance, percevait un salaire mensuel brut de 3 561 euros bruts. Elle justifie s’être inscrite à Pôle-emploi et être éligible à l’allocation de retour à l’emploi depuis le 3 mars 2022.

Au regard de son ancienneté dans l’entreprise, et de son âge, et en l’absence d’autres éléments produits par la salariée à l’appui de sa demande indemnitaire, le préjudice résultant du licenciement nul doit être arrêté à la somme de 25 000 euros bruts.

Il sera fait application des dispositions de l’article L. 1235-4-1 du code du travail.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement seulement sur le montant de l’indemnité allouée pour licenciement nul.

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la société Idemia Identity & Security France à verser à Mme [G] [D] la somme de 25 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

Y ajoutant,

Ordonne, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4-1 du code du travail, le remboursement par l’employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes,

Condamne la société Idemia Identity & Security France à verser à Mme [G] [D] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ainsi qu’aux dépens d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, président, et par Madame Alicia LACROIX greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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