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9 septembre 2020
Cour de cassation
Pourvoi n°
18-20.489
SOC.
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 septembre 2020
Cassation partielle
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 627 F-D
Pourvoi n° T 18-20.489
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 SEPTEMBRE 2020
M. B… C…, domicilié […] , a formé le pourvoi n° T 18-20.489 contre l’arrêt rendu le 31 mai 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l’opposant à la société Accor, société anonyme, dont le siège est […] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Le Corre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. C…, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Accor, après débats en l’audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Corre, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 31 mai 2018), M. C… a été engagé le 16 mars 2009 par la société Accor en qualité de directeur site management. Il a été nommé cadre dirigeant par avenant du 1er juillet 2011.
2. M. C… a été licencié pour faute grave le 30 avril 2014.
3. Il a saisi la juridiction prud’homale de demandes en contestation de la rupture de son contrat de travail et en paiement de rappels de salaire.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses quatrième, cinquième et huitième branches, et le troisième moyen, ci-après annexés
4.En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, sixième et septième branches
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce que son licenciement soit déclaré nul ou à titre subsidiaire dépourvu de cause réelle et sérieuse et à ce que soit rejetés les éléments de preuve, illicites, communiqués par la société et, en conséquence, de le débouter de ses demandes en paiement de diverses sommes, alors :
« 1° / que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances; que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail; que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché; que la circonstance que l’émetteur d’une correspondance la rendre accessible à un nombre restreint de personnes agréées par lui ne fait pas perdre sa nature de correspondance privée, de sorte que l’employeur ne saurait licitement en prendre connaissance ni les utiliser contre le salarié; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu que, « comme le rappelle la société Accor, celle-ci est entrée régulièrement en possession des messages litigieux, ceux-ci ayant été transférés avec l’accord de M. C…, dans la boîte électronique de son assistante, Mme W…, puis, consultés dans celle-ci et imprimés à partir de cette boîte, en présence d’un huissier de justice – étant rappelé que le matériel informatique utilisé par les deux salariés était mis à leur disposition par l’employeur » et que « ces messages ne peuvent être qualifiés de privés alors que l’un de leurs auteurs, M. C…, a laissé à un tiers – fût-ce son assistante – toute liberté pour les détenir et les consulter ; qu’en outre, la société Accor n’a pas cherché à s’emparer de cette correspondance et en a pris connaissance seulement par l’intermédiaire de Mme W… qui lui en a révélé l’existence »; qu’en statuant par de tels motifs inopérants, tandis que la seule circonstance, à la supposer avérée, que M. C… ait donné accès uniquement à son assistante aux messages privés litigieux ne leur faisait pas perdre leur caractère de conversation de nature privée, interdisant à l’employeur de s’en saisir pour sanctionner le salarié, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble l’article 9 du code civil et l’article L. 1121-1 du code du travail ;
2°/ que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail ; que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; que la circonstance que l’émetteur d’une correspondance la rendre accessible à un nombre restreint de personnes agréées par lui ne il fait pas perdre sa nature de correspondance privée, de sorte que l’employeur ne saurait licitement en prendre connaissance ni les utiliser contre le salarié; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu que, « comme le rappelle la société Accor, celle-ci est entrée régulièrement en possession des messages litigieux, ceux-ci ayant été transférés avec l’accord de M. C…, dans la boîte électronique de son assistante, Mme W…, puis, consultés dans celle-ci et imprimés à partir de cette boîte, en présence d’un huissier de justice – étant rappelé que le matériel informatique utilisé par les deux salariés était mis à leur disposition par l’employeur » et que « ces messages ne peuvent être qualifiés de privés alors que l’un de leurs auteurs, M. C…, a laissé à un tiers – fût-ce son assistante – toute liberté pour les détenir et les consulter ; qu’en outre, la société Accor n’a pas cherché à s’emparer de cette correspondance et en a pris connaissance seulement par l’intermédiaire de Mme W… qui lui en a révélé l’existence » ; qu’en statuant par de tels motifs inopérants, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé en quoi la surveillance et l’utilisation des messages issus de la messagerie instantanée de l’intéressé, à les supposer même légitimes dans leur principe, ne portaient pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie personnelle au regard du but poursuivi par l’employeur, a violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble l’article 9 du code civil et l’article L. 1121-1 du code du travail ;
3°/ que, subsidiairement, l’employeur, qui se prévaut d’un élément de preuve, doit justifier, lorsque cela est contesté, qu’il est entré en possession de celui-ci de manière licite; que M. C… faisait valoir dans ses conclusions remises et soutenues à l’audience que, s’il avait donné son accord pour que sa secrétaire, Mme W…, puisse accéder à sa boîte mail pour gérer, au besoin, son agenda, il ne l’avait en revanche pas autorisée à accéder au contenu de ses correspondances échangées via la messagerie instantanée de l’entreprise « Lynk », l’employeur ne l’ayant, à tout le moins, pas informé que l’autorisation donnée à la secrétaire d’accéder à sa boîte mail impliquerait également la retransmission de ses conversations instantanées à cette dernière ; que, pour dire que l’employeur était entré en possession des échanges litigieux de manière licite, la cour d’appel a retenu que Mme W… avait accès à la messagerie de M. C… et qu’il n’était pas justifié de la disparition de cette prérogative, aucun élément de preuve n’établissant que l’autorisation donnée à celle-ci d’accéder à la messagerie du salarié aurait été limitée aux seuls messages « mails » de ce dernier ; qu’en statuant ainsi, cependant qu’il appartenait à l’employeur de démontrer qu’il était entré en possession de manière licite des éléments de preuve dont il se prévalait au soutien du licenciement pour faute grave, la cour d’appel a violé l’article 1315 devenu 1353 du code civil ;
4°/ que si les courriels adressés ou reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme personnels, l’employeur ne peut les utiliser pour sanctionner le salarié s’il s’avère que ces courriels relèvent de la vie privée du salarié ; qu’à ce titre, la seule circonstance que l’intéressé ait autorisé un nombre restreint de personnes à prendre connaissance desdits messages ne suffit pas à leur faire perdre leur nature de conversation privée ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a estimé qu’à partir du moment où l’employeur aurait eu licitement le droit de disposer des messages litigieux, cela suffisait en soi à justifier qu’il puisse fonder sur eux le licenciement pour faute grave ; qu’en se déterminant de la sorte, tandis que la circonstance, à la supposer même avérée, que l’employeur ait pu licitement appréhender les messages litigieux du fait de leur transfert sur la boîte de l’assistante de M. C…, ne suffisait pas à leur faire perdre leur nature de conversation privée, ni donc à permettre à l’employeur de les utiliser contre le salarié pour le sanctionner, la cour d’appel, qui n’a nullement caractérisé en quoi les messages litigieux n’auraient pas constitué une conversation de nature privée insusceptible de fonder une sanction contre le salarié, n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du code du travail ;
5°/ qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire que s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; que, pour retenir la faute grave, la cour d’appel a énoncé qu’« il apparaît à la lecture des échanges litigieux que ces propos, témoignant d’une conversation régulière et fournit, de M. C… avec sa collègue, Mme I…, sont exprimés sur un ton grossier et méprisant envers ses collègues, supérieurs ou subordonnés, critiqués à titre personnel et en dehors de toute considération de travail » et « qu’ils traduisent aussi un désaccord avec la stratégie de l’entreprise et montre finalement, de M. C…, l’image contrefaite d’un supérieur irrespectueux, cynique et hypocrite, détaché de l’intérêt de son personnel et de l’entreprise », qualifiant ainsi le comportement de l’exposant d’« irrespectueux et déloyal, incompatible avec la confiance et le sentiment d’exemplarité qu’un cadre dirigeant doit pouvoir inspirer à son employeur » ; qu’en statuant ainsi, sans expliquer concrètement en quoi les échanges entre M. C… et Mme I… étaient constitutifs de la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du code du travail. »