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8 juin 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/04316
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 39H
14e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 JUIN 2023
N° RG 22/04316 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VJGJ
AFFAIRE :
S.A.S. OGILVY [Localité 37]
…
C/
S.A.S.U. POLYTANE
…
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 16 Juin 2022 par le Président du TC de NANTERRE
N° RG : 2022R00240
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 08.06.2023
à :
Me Martine DUPUIS, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Pascale REGRETTIER-GERMAIN, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Stéphanie TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. OGILVY [Localité 37]
Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
S.A.S. RED CONSEIL
Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625
Assistées de Me Benjamin MAGNET de la SCP COBLENCE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de [Localité 37], vestiaire : R045
APPELANTES
****************
S.A.S.U. POLYTANE
Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Pascale REGRETTIER-GERMAIN de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98 – N° du dossier 2200297
Ayant pour avocats plaidants Me Margaux ORSINI et Me Isabelle AYACHE REVAH de la SELARL RAPHAEL, au barreau de [Localité 37], vestiaire : B0859
S.A.R.L. THE SALMON CONSULTING
Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 451 36 5 6 13
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 – N° du dossier 20220302
Assistée de Me Philippe DUBOIS, Plaidant, avocat au barreau de [Localité 37], vestiaire : R045
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 Avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président et Madame Marina IGELMAN, conseiller chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président,
Madame Marietta CHAUMET, Conseiller,
Madame Marina IGELMAN, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Mohamed EL GOUZI,
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Ogilvy [Localité 37] a une activité d’agence de conseil en stratégie, communication et publicité. Elle est spécialisée dans la stratégie de marques et la stratégie marketing et fait partie des cinq premières agences de publicité françaises. Pour se positionner sur le marché du consulting en plein essor, Ogilvy [Localité 37] a crée le nom commercial Ogilvy Consulting, exploité conjointement avec la société Red Conseil, société s’ur d’Ogilvy [Localité 37]. La société Red Conseil intervient notamment au stade de la facturation des missions auprès des clients du groupe Ogilvy.
Les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil sont deux sociétés filiales de la société WPP France Holdings, crée en 1986 et appartenant au groupe WPP, l’un des plus grands réseaux internationaux de publicité dans le monde.
Mme [G] [O] a exercé des fonctions de direction au sein du groupe Ogilvy durant près de 23 ans. En qualité de directeur général salarié puis de président d’Ogilvy [Localité 37] et de Red Conseil, elle a contribué au lancement et au développement d’Ogilvy Consulting. Sa carrière au sein de ce groupe a pris fin à la suite de son licenciement intervenu le 30 mai 2020. Son préavis a été partiellement exécuté jusqu’au 15 mai 2020, date à laquelle elle a quitté l’entreprise. Au moment de son départ, Ogilvy [Localité 37] comptait environ 300 salariés, dont 20 dans l’activité consulting.
Le 3 juin 2020, Mme [O] a conclu un accord de partenariat avec Ogilvy Consulting, expirant au 31 décembre 2020, par lequel les parties s’engageaient à une obligation de loyauté et de bonne foi réciproques, Mme [O] s’obligeant par ailleurs à privilégier autant que possible les services d’Ogilvy, et à défaut de WPP, et à ne se livrer à aucun acte de concurrence déloyale à leur encontre.
Le 6 juillet 2020, Mme [O] a crée le SASU Polytane, dont elle est présidente et unique associée et dont l’objet social est le conseil en matière de stratégie de marques institutionnelles, commerciales et personnelles, et de stratégies de communication associée. La société ne compte aucun salarié.
La société The Salmon Consulting, filiale du groupe Havas, exerce une activité de conseil en stratégie pour le compte d’entreprises. Autrefois, dénommée Rome, la société a pris cette dénomination commerciale le 26 juillet 2021 pour constituer la branche consulting du groupe Havas, intervenant dans les domaines de stratégie d’entreprise, de marketing stratégique, innovation et culture d’entreprise.
A compter du mois de septembre 2021, les nouveaux dirigeants d’Ogilvy [Localité 37] ont constaté, que sur une équipe d’Ogilvy Consulting de 15 personnes, 7 avaient rejoint la société The Salmon Consulting dans le sillage de Mme [O], et suspecté cette dernière de s’être rendue complice d’actes de concurrence déloyale commis par ses anciens salariés au profit de la société The Salmon Consulting, plus spécifiquement en ayant joué un rôle de ‘pilote’ dans l’orientation des salariés vers la société The Salmon Consulting ainsi que dans la redirection des clients d’Ogilvy, tels que Chanel ou le Crédit Mutuel, vers le groupe Havas.
Le 16 décembre 2021, les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil ont présenté au président du tribunal de commence de Nanterre une requête aux fins de voir ordonner des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
Par une ordonnance du 16 décembre 2021, le président du tribunal a fait droit à la requête et ordonné la désignation d’un huissier afin de se rendre dans les locaux des sociétés Polytane et de The Salmon Consulting afin de procéder à la copie de certains documents concernant notamment la date d’embauche de salariés, le registre personnel de la société, les contrats de travail, échanges de courriers, emails, documents et fichiers présents sur tous supports informatiques.
Par requête du 27 janvier 2022, les sociétés Ogilvy et Red Conseil ont sollicité la modification de l’ordonnance rendue le 16 décembre 2021, afin notamment d’ajouter des mots clés et d’allonger le délai d’un à deux mois pour que l’huissier puisse procéder à ses missions.
Par ordonnance du 1er février 2022, le président du tribunal a fait droit à cette nouvelle requête. Le juge des requêtes a également décidé que l’ensemble des éléments saisis seraient conservés par l’huissier sous séquestre et qu’il appartiendrait à la requérante d’assigner en référé la partie visée par les mesures aux fins d’examen et de tri des éléments saisis.
Le 3 février 2022, l’huissier a procédé à la saisie en exécution des ordonnances.
Par acte d’huissier de justice délivré le 2 mars 2022, les sociétés Polytane et The Salmon Consulting ont fait assigner en référé les sociétés Ogilvy, Red Conseil aux fins d’obtenir principalement la rétractation des ordonnances rendues par le président du tribunal de commerce de Nanterre en date des 16 décembre 2021 et 1er février 2022.
Par ordonnance contradictoire rendue le 16 juin 2022, le président du tribunal de commerce de Versailles a :
– rétracté l’ordonnance du 16 décembre 2021, ainsi que l’ordonnance du 1er février 2022 ;
– ordonné la destruction de l’ensemble des pièces et documents recueillis à l’occasion de l’exécution de l’ordonnance du 1er février 2022 sans qu’ils soient communiqués aux sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil ;
– dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de dommages et intérêts de la société Polytane et l’a renvoyée à se pourvoir éventuellement devant le juge du fond ;
– condamné les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil in solidum à payer à chacune des sociétés Polytane et The Salmon Consulting la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil in solidum aux entiers dépens ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire, conformément aux dispositions de l’article R. 153-8 du code de commerce,
– liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 74,64 euros, dont TVA 12,44 euros.
Par déclaration reçue au greffe le 30 juin 2022, la SAS Ogilvy [Localité 37] et la SAS Red Conseil ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 20 mars 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil demandent à la cour, au visa des articles 145, 232 à 284-1, 493 à 497 et 561 du Code de procédure civile, de :
‘- infirmer l’ordonnance de référé du 16 juin 2022 en ce qu’elle a :
– rétracté l’ordonnance du 16 décembre 2021, ainsi que l’ordonnance du 1er février 2022 ;
– ordonné la destruction de l’ensemble des pièces et documents recueillis à l’occasion de l’exécution de l’ordonnance du 1er février 2022 sans qu’ils soient communiqués aux sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil ;
– condamné les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil in solidum à payer à chacune des sociétés Polytane et The Salmon Consulting la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil in solidum aux entiers dépens ;
– confirmer l’ordonnance de référé du 16 juin 2022 en ce qu’elle a débouté la société The Salmon Consulting de sa demande au titre des dommages et intérêts pour procédure prétendument abusive ;
statuant à nouveau,
à titre principal
– juger que la mesure pratiquée sur le fondement des ordonnances du président du tribunal de commerce de Nanterre des 16 décembre 2021 et 1er février 2022 est légalement admissible ;
– juger que les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil rapportent la preuve de motifs légitimes visant à conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits de concurrence déloyale imputés à la société The Salmon Consulting avec la complicité de la société Polytane ;
en conséquence,
– rejeter la demande de rétractation formée par les sociétés Polytane et The Salmon Consulting ;
– ordonner la remise des pièces recueillies par l’huissier instrumentaire aux sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil ;
à titre subsidiaire,
si par extraordinaire la cour d’appel de Versailles jugeait la mesure d’instruction insuffisamment circonscrite :
– limiter la mesure d’instruction pratiquée à la recherche de correspondances et / ou documents sur la période comprise entre le 30 avril 2021 et le 31 décembre 2021 ;
– limiter la mesure d’instruction pratiquée à la recherche des mots-clés suivants :
[G] [O] ; [G] [O] ; [E] [Z] ; [L] [X] ; [J] [I] ; [F] [T] ; [R] [V]. Ogilvy ; Communication des Maisons ; Chanel & Moi ; Chanel Digital ; RTW ; PAP ; Ebra.
– limiter la mesure d’instruction pratiquée à la recherche des adresses emails suivantes :
[Courriel 35] ; [Courriel 31] ; [Courriel 30] ; [Courriel 12] ; [Courriel 19] ; [Courriel 25] ; [Courriel 18] ; [Courriel 11] ; [Courriel 24]. [Courriel 13] ; [Courriel 22] ; [Courriel 20] ; [Courriel 32]; [Courriel 26] ; [Courriel 16] ; [Courriel 17] ; [Courriel 10] [Courriel 15] ; [Courriel 40] ; [Courriel 21] [Courriel 14] ; [Courriel 34] ; [Courriel 27] ;mailto:[Courriel 27] ; [Courriel 29] ; [Courriel 28] ; [Courriel 7] ; [Courriel 9] ; [Courriel 33] ; [Courriel 23]. [Courriel 8] ; [Courriel 38] ; [Courriel 39].
– supprimer la possibilité donnée à l’huissier de justice instrumentaire et le ou les technicien(s) choisi(s), en présence de documents intitulés « Personnel », « Perso » ou « Privé », de s’assurer du caractère réellement privé des informations qu’il contient ;
– ordonner la remise des pièces aux sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil résultant de la circonscription de la mesure ci-dessus décrite ;
en tout état de cause,
– déclarer mal fondé l’appel incident de Polytane visant à modifier les ordonnances sur requête rendues les 16 décembre 2021 et 1er février 2022 et l’en débouter ;
– débouter les sociétés The Salmon Consulting et Polytane de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
– condamner in solidum la société The Salmon Consulting et la société Polytane à payer aux sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil la somme de 40 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépense’.
Dans ses dernières conclusions déposées le 16 mars 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société The Salmon Consulting demande à la cour, au visa des articles 141, 145, 147, 496 et 497 du code de procédure civile et L. 153-1 et R. 153-3 à R. 153-10 du code de commerce de :
‘- confirmer purement et simplement l’ordonnance de référé rendue le 16 juin 2022 par le tribunal de commerce de Nanterre ;
par conséquent,
– débouter Ogilvy [Localité 37], Red Conseil et Polytane de toutes leurs demandes fins et prétentions,
y ajoutant, et statuant à nouveau,
– condamner Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil à payer à The Salmon Consulting la somme de 25 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance dans le cadre de la présente procédure d’appel’.
Dans ses dernières conclusions déposées le10 janvier 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Polytane demande à la cour, au visa des articles 145 et 493 du code de procédure civile, de :
‘à titre principal,
– confirmer l’ordonnance de référé rendue le 16 juin 2022 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu’il a :
– rétracté les ordonnances rendues par le président du tribunal de commerce de Nanterre en date des 16 décembre 2021 et 1er février 2022 rendues sur requête des sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil ;
– constaté la nullité des opérations de constat et saisies réalisées en application de ladite ordonnance le 1er février 2022 dans les locaux de la société Polytane ;
– ordonné la destruction de l’ensemble des pièces et documents recueillis à l’occasion de l’exécution des mesures ordonnées sans qu’elles ne soient communiquées aux sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil ;
– infirmer l’ordonnance de référé rendue le 16 juin 2022 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu’il a rejeté les demandes de :
– condamner les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil in solidum à verser la somme de 50 000 euros à titre provisionnel à la société Polytane au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive ;
à titre subsidiaire,
– juger qu’il est nécessaire de modifier les ordonnances sur requête rendues les 16 décembre 2021 et 1er février 2022 ;
– modifier les ordonnances sur requête rendues les 16 décembre 2021 et 1er février 2022 en ce qu’elles ont :
– jugé que les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil justifiait d’un motif légitime à demander une mesure d’instruction en vue d’un futur procès au fond pour concurrence déloyale à l’encontre de la SASU Polytane,
– autorisé l’huissier instrumentaire à faire toute recherches et constatations, toute copie (et pour les documents sous format électronique à en prendre copie uniquement sous forme numérique), et à mener les recherches sur tous supports informatiques, ordinateurs, serveurs, cloud, tablettes, téléphones portables, se faire remettre ou prendre copie, sur tout support électronique et/ou physique (notamment papier), des fichiers, dossiers, documents et informations suivants :
– bons de commande et factures émis depuis le 1er janvier 2021 par Mme [G] [O] et/ou la société Polytane concernant les clients Chanel, Groupe EBRA, BNP Paribas, Cetelem et Euronext ;
– toute correspondance et tout document ou fichier échangé envoyé entre le 7 juillet 2020 et le 30 septembre 2021 par Mme [G] [O] et/ou la société Polytane à Mme [Z], M. [X], Mme [I], Mme [T], Mme [V], M. [VA] et Mme [H] ;
– toute correspondance et tout document ou fichier, adressée depuis le 1er janvier 2021 par Polytane, Mme [O] aux adresses courriels de leurs interlocuteurs chez Chanel, EBRA, BNP Paribas, Cetelem et/ou Euronext listées en mots-clés ;
– autorisé l’huissier instrumentaire et le technicien choisi par lui à avoir accès à l’ensemble de serveurs et postes informatiques de la société Polytane ainsi qu’à tout ordinateur fixe ou portable de Mme [G] [O] aux fins d’y rechercher avec l’aide de mots-clés et ceux suivants : [G], [G], [O], [Courriel 36] et de prendre copie des documents y afférents.
en conséquence,
– modifier les ordonnances sur requête rendues les 16 décembre 2021 et 1er février 2022 en :
– réduisant le champ d’application de l’ordonnance à la seule société The Salmon Consulting ;
– limitant la mission de l’huissier à rechercher auprès de la seule société The Salmon Consulting ;
– annulant l’autorisation donnée à l’huissier de rechercher auprès de Polytane :
– les bons de commande et factures émis depuis le 1er janvier 2021 par Mme [G] [O] et/ou la société Polytane concernant les clients Chanel, Groupe EBRA, BNP Paribas, Cetelem et Euronext ;
– toute correspondance et tout document ou fichier échangé envoyé entre le 7 juillet 2020 et le 30 septembre 2021 par Mme [G] [O] et/ou la société Polytane à Mme [Z], M. [X], Mme [I], Mme [T], Mme [V], M. [VA] et Mme [H] ;
– toute correspondance et tout document ou fichier, adressée depuis le 1 er janvier 2021 par Polytane, Mme [O] aux adresses courriels de leurs interlocuteurs chez Chanel, EBRA, BNP Paribas, Cetelem et/ou Euronext listées en mots-clés ;
– annulant l’autorisation donnée à l’huissier d’avoir accès à l’ensemble des serveurs et poste informatique de la société Polytane et ainsi qu’à tout ordinateur fixe ou portable des personnes directement concernées par le litige à savoir Mme [G] [O] ;
– supprimant les mots clés concernant [G] [O] et notamment les mots clés suivants : [G] ; [G] ; [O] ; [Courriel 35].
en tout état de cause,
– débouter les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil de l’ensemble de ses demandes.
– condamner les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil in solidum à verser la somme de 50 000 euros à la société Polytane au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner les sociétés Ogilvy [Localité 37] et Red Conseil in solidum aux entiers dépens de l’instance’.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Les sociétés Ogilvy Consulting et Red Conseil entendent, à titre principal, obtenir la réformation de l’ordonnance du 16 juin 2022 qui a fait droit à la demande de rétractation de The Salmon Consulting et Polytane et à titre subsidiaire, tirer les conséquences de l’ordonnance de rétractation du 16 juin 2022 par la circonscription partielle de la mesure d’instruction dans son objet et dans le temps.
Elles font donc d’abord valoir que toutes les conditions posées par l’article 145 du code de procédure civile étaient réunies, relevant que les indices d’actes de concurrence déloyale sont nombreux et concordants au regard du départ simultané de la quasi-totalité de l’équipe d’Ogilvy Consulting, la désorganisation de son activité de consulting et la perte de clientèle, intervenus dans un contexte dans lequel les salariés de l’équipe consulting ont :
– dissimulé leurs projets en cours pour Chanel et d’autres clients ou prospects,
– dissimulé leur projet professionnel au sein du groupe Havas pour obtenir aisément la levée de leur engagement de non-concurrence,
– travaillé pour le groupe Havas avec des clients d’Ogilvy Consulting alors qu’ils étaient encore en poste chez cette dernière.
Sur la nécessité de déroger au principe du contradictoire les sociétés appelantes exposent les éléments figurant tant dans leur requête que dans l’ordonnance du 1er février 2022 qui laissaient penser que la société The Salmon Consulting n’aurait pas remis spontanément tous les documents dans le cadre d’une procédure contradictoire, mettant en avant le caractère exclusivement électronique des données à recueillir et le risque d’effacement des fichiers, et rappelant que le risque d’atteinte au secret des affaires n’est pas un fondement pertinent pour contrer une procédure non contradictoire.
Elles sollicitent la réformation de l’ordonnance qui a retenu à tort selon elles que la mesure d’instruction ne respectait pas l’exigence de proportionnalité, faisant observer que les éléments saisis chez société The Salmon Consulting sont toujours sous séquestre.
Elles critiquent l’ordonnance dont appel qui selon elles n’est pas motivée sur ce point et qui en outre, semble tirer le caractère disproportionné de la mesure d’instruction exécutée du nombre de documents et d’emails saisis, alors que le résultat des mesures mises en ‘uvre ne constitue pas un critère pertinent pour apprécier leur nécessité.
Elles demandent aussi la réformation de l’ordonnance du 16 juin 2022 qui a jugé que les mesures ordonnées n’étaient pas légalement admissibles en exposant que ces mesures sont circonscrites dans leur objet et dans le temps en ce que la mission confiée à l’huissier ne vise que l’embauche des anciens salariés d’Olgivy [Localité 37] et de Red Conseil, qu’elle est définie à l’aide de mots-clés, lesquels doivent être utilisés eu égard aux faits litigieux et rattachés aux faits de concurrence déloyale de l’espèce, et non pris séparément de manière générale.
Elles font valoir que la possibilité donnée à l’huissier de justice instrumentaire de s’assurer du caractère réellement privé des informations contenues dans les emails ayant pour objet « Personnel », « Perso » ou « Privé », avait uniquement pour but de vérifier que des informations constitutives d’acte de concurrence déloyale au détriment d’Ogilvy Consulting n’étaient pas couvertes par la simple mention du caractère prétendument personnel de l’échange.
Les appelantes développent ensuite sur le fait que la mesure est circonscrite aux faits litigieux, soutenant que les 8 chefs d’information demandés par Ogilvy Consulting sont tous limités quant à leur objet, leurs dates, leurs expéditeurs et leurs destinataires, et insistant sur le fait que les recherches sollicitées étaient bien limitées dans le temps avec un point de départ clairement fixé et une limite finale constituée par la date à laquelle la mesure était réalisée.
Les sociétés Ogilvy et Red Conseil soutiennent ensuite que la mesure ordonnée est justifiée par un motif légitime en ce qu’elles disposent d’indices de l’existence d’un parasitisme opéré par la société The Salmon Consulting, ayant conduit au détournement du client Chanel, que notamment, deux de ses anciens salariés ont travaillé au profit de la société The Salmon Consulting pendant la durée de leur préavis, qu’Ogilvy Consulting a découvert la dissimulation par d’anciens salariés de projets en cours et de la poursuite de ces projets pour le compte de la société The Salmon Consulting, laquelle a débauché son équipe consulting.
Les appelantes sollicitent enfin la confirmation de l’ordonnance querellée qui a rejeté la demande d’indemnisation de la société Polytane.
A titre subsidiaire, elles demandent l’infirmation partielle de l’ordonnance de rétractation du 16 juin 2022 et la limitation par la cour du champ de la mesure sur la seule période du 30 avril au 31 décembre 2021, ainsi que la circonscription de l’objet de la mesure en délimitant les mots-clés.
En réponse à la demande de modification de la société Polytane, les appelantes indiquent qu’il est indispensable de maintenir la mesure pratiquée à l’encontre de Mme [O] en sa qualité de présidente de la société Polytane
La société The Salmon Consulting expose en synthèse qu’au mois de mai 2020, [G] [O], qui a dirigé Ogilvy [Localité 37] pendant 23 ans et créé l’activité « consulting » de l’entreprise (Ogilvy Consulting) a été licenciée, puis a monté en juillet 2020 sa structure individuelle, Polytane ; que son départ a entraîné, d’abord celui de sa fidèle collaboratrice depuis 8 ans, Mme [E] [Z], puis ceux de M. [L] [X], Mme [R] [V], Mme [J] [I] et Mme [F] [T], Ogilvy [Localité 37] n’ayant du reste rien fait pour retenir ces salariés (la plupart ayant même été dispensés de préavis), tandis que les contrats de Mme [N] [VA] et Mme [Y] [H] n’ont pas été reconduits par Ogilvy [Localité 37], tout en soulignant qu’aucun de ces salariés n’a été remplacé par Ogilvy [Localité 37] qui s’est néanmoins servi du fait que ceux-ci avaient tous rejoint The Salmon Consulting (filiale de Havas [Localité 37]) pour obtenir les 2 ordonnances rendues sur requête.
Elle souligne que les mesures exécutées ont permis à Ogilvy [Localité 37] d’appréhender, pour la seule société The Salmon Consulting, 45 672 fichiers représentant un volume total de 151 Go.
Elle demande à la cour de confirmer la rétractation des 2 ordonnances sur requête prononcée par le tribunal de commerce de Nanterre le 16 juin 2022 qui a jugé que les mesures pratiquées s’apparentaient à des mesures « d’investigation générale » et n’étaient donc pas légalement admissibles.
Elle entend démontrer d’une part, que les raisons justifiant le recours à une procédure non contradictoire ne figuraient pas expressément dans la requête d’Ogilvy [Localité 37] qui s’est limitée à de simples pétitions de principe, de portée générale et susceptibles d’être employées dans n’importe quelle espèce.
D’autre part, elle soutient que les mesures autorisées s’apparentaient à une mesure d’investigation générale et n’étaient pas légalement admissibles, dès lors que :
– elles ont donné aux mandataires désignés un pouvoir d’appréciation excédant la mission de l’huissier instrumentaire ou du technicien ;
– elles étaient insuffisamment circonscrites dans le temps, dans l’espace, quant aux personnes ayant à subir les mesures d’investigation, et dans son objet, visant notamment une liste non-limitative de 111 mots clés, non combinés entre eux et pour la plupart non justifiés, ce qui a eu mécaniquement pour effet de donner accès à la totalité des fichiers appartenant à The Salmon Consulting (45 672 fichiers), même sans aucun rapport avec les faits allégués par Ogilvy [Localité 37].
Elle fait valoir que la tentative de « restriction » du champ de la mesure demandée subsidiairement pour la première fois en cause d’appel par Ogilvy [Localité 37] ne change absolument rien à cette situation.
Enfin, elle conclut que les mesures autorisées ne reposaient sur aucun motif légitime, puisque :
– aucun salarié d’Ogilvy [Localité 37] n’a jamais été débauché par The Salmon Consulting ;
– aucun client d’Ogilvy [Localité 37] n’a jamais été détourné par The Salmon Consulting, a fortiori dans le domaine très particulier du consulting dans lequel l’intuitu personae joue un rôle crucial et surtout, alors qu’Ogilvy [Localité 37] n’a absolument rien fait pour conserver sa relation client suite aux départs de ses salariés, les pièces produites par Ogilvy [Localité 37] démontrant au contraire que les missions qu’Ogilvy [Localité 37] reproche à The Salmon Consulting d’avoir détournées ont été, en réalité soit, intégralement réalisées et facturées par Ogilvy [Localité 37] (missions « Ecosystème 19M », « Ecosystème Digital » et « Relation Client ») ou Polytane (mission « MDM »), soit, tout simplement avortées (mission « Digital Chine »).
Quant à la mission « RTW Chanel & Moi » (Chanel), elle ne conteste pas avoir répondu à l’appel d’offres en réalisant une présentation Powerpoint incluant dans l’équipe Mme [F] [T] qui avait à l’époque déjà signé son contrat avec The Salmon Consulting mais finissait encore son préavis chez Ogilvy [Localité 37], mais prétend cela ne suffit pas à fonder l’action en concurrence déloyale envisagée par Ogilvy [Localité 37] qui est dépourvue de toute chance de prospérer.
La société Polytane quant à elle conclut à titre principal, à la confirmation de l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 16 juin 2022 en ce qu’elle a prononcé la rétractation des ordonnances du 16 décembre 2021 et 1er février 2022.
Elle soutient que le recours à la procédure d’ordonnance sur requête n’est pas justifié, que l’ordonnance sur requête ne caractérise pas les circonstances particulières qui justifiaient le recours à une procédure non contradictoire et qu’il n’existait pas de risque de dépérissement des preuves puisqu’au vu du nombre de pièces visées et de leur nature, elle n’aurait pas pu procéder à leur destruction.
Elle fait valoir que les mesures sollicitées sont disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi et portent atteinte à ses intérêts légitimes.
Elle soutient ensuite que les appelantes ne démontrent pas l’existence d’un motif légitime justifiant les mesures d’instruction sollicitées ; que [G] [O] n’a pas joué un rôle déterminant dans le débauchage de ‘certains salariés’ et notamment dans ceux de M. [L] [X] et de Mme [J] [I] au profit du groupe Havas, alors qu’elle n’a aucun lien avec ce groupe et n’aurait eu aucun intérêt à favoriser un tel débauchage, insistant sur le fait que Mme [O] n’est pas consultante pour la société The Salmon Consulting.
Elle met en exergue la loyauté de Mme [O], qui a été à l’initiative d’une proposition de partenariat avec Ogilvy [Localité 37] et conclut à l’absence d’indices de débauchage, de parasitisme et de détournement de clientèle.
La société Polytane demande en revanche l’infirmation de l’ordonnance déférée en ce qu’elle a rejeté sa demande de condamnation de la société Ogilvy [Localité 37] et de la société Red Conseil pour procédure abusive.
Elle sollicite le rejet de la demande de modification partielle des ordonnances querellées et à titre subsidiaire, la limitation des mesures prononcées.
Sur ce,
Selon l’article 145 du code de procédure civile, ‘s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé’.
Le juge, saisi d’une demande de rétractation d’une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et tenu d’apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s’assurer de l’existence d’un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale et à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui, à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.
Sur la motivation de la dérogation au principe de la contradiction
En application des articles 493 et 495 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête rendue non contradictoirement doit être motivée de façon précise, le cas échéant par l’adoption des motifs de la requête, s’agissant des circonstances qui exigent que la mesure d’instruction sollicitée ne soit pas prise contradictoirement.
Une requête ou l’ordonnance qui y fait droit ne peut ainsi rester muette sur les circonstances propres à l’affaire susceptibles de justifier qu’il soit procédé non contradictoirement et se contenter d’énoncer que, pour être efficace et éviter tout dépérissement des preuves, la mesure ne peut être sollicitée contradictoirement.
En l’espèce, la requête déposée par les sociétés Ogilvy Consulting et Red Conseil le 15 décembre 2021, après avoir longuement exposé les éléments leur laissant supposer le débauchage de l’équipe d’Ogilvy Consulting et le détournement de sa clientèle par The Salmon Consulting, indique que « les circonstances exigent que, pour être efficace, cette mesure ne [doit] pas être prise contradictoirement.
La mission confiée au mandataire de justice n’a en effet de chances de succès que si elle est exécutée sans que Polytane et The Salmon Consulting en aient été préalablement averties.
Les informations et documents dont la copie est sollicitée par Ogilvy Consulting sont des fichiers informatiques et e-mails. Il est donc impératif que The Salmon Consulting et Polytane ne soient pas informées de la mesure d’instruction, sous peine d’être tentées de faire disparaître les informations de leurs locaux, ordinateurs et/ou serveurs, ou de prendre des mesures de nature à entraver la mission du mandataire de justice.
Le secret et l’effet de surprise sont absolument nécessaires, ce qui explique qu’Ogilvy Consulting n’ait pas à ce jour adressé de mise en demeure au groupe Havas ou aux salariés concernés, afin que les personnes impliquées dans ces actes de concurrence déloyale ne soient pas tentées de faire disparaître des preuves nécessaires à la solution du procès ».
L’ordonnance rendue le 16 décembre 2021 vise expressément cette requête, en adoptant ainsi les motifs.
Or la requête est motivée en considération de la nature des faits de concurrence déloyale, puis expose que le recours à une procédure non contradictoire est seul susceptible d’assurer l’efficacité de la mesure et d’éviter le risque de disparition des preuves informatiques, justifiant ainsi suffisamment la nécessité de déroger au contradictoire.
L’ordonnance en date du 1er février 2022 constate quant à elle, qu’« au vu des justifications produites », « les requérantes sont fondées à ne pas appeler les parties visées par la mesure ; en effet, la mesure sollicitée porte sur des données qui sont toutes contenues sur des supports informatiques, dont la destruction est particulièrement aisée, ce qui rend nécessaire l’effet de surprise », justifiant ainsi elle aussi la procédure sur requête compte tenu de la nature du litige et de celle des supports volatiles contenant les preuves recherchées.
Sur l’existence d’un motif légitime
Il est constant que l’auteur de la demande à une mesure d’instruction in futurum à l’origine non contradictoire n’a pas à rapporter la preuve, ni même un commencement de preuve, du grief invoqué, mais qu’il doit toutefois démontrer l’existence d’éléments précis constituants des indices de violation possible d’une règle de droit permettant d’établir la vraisemblance des faits dont la preuve pourrait s’avérer nécessaire dans le cadre d’un éventuel procès au fond.
Il appartient au requérant de justifier de ce que sa requête était fondée, et non au demandeur à la rétractation de rapporter la preuve qu’elle ne l’est pas.
Il sera également rappelé que sont sans incidence sur l’appréciation de l’existence d’un motif légitime, les résultats de l’exécution des mesures sollicitées par les requérantes.
Il n’est pas contesté que jusqu’à l’été 2021, le groupe Havas n’avait pas d’entité propre sur le marché du consulting et que la société Salmon Consulting, dépendante de son groupe, a été dédiée à cette activité à compter de la fin de l’année 2021 comme en attestent les pièces appelantes n° 13 à 17, composées d’articles de presse indiquant que la nouvelle entité d’Havas est placée sous la responsabilité de « [E] [Z], fondatrice d’Ogilvy Consulting », laquelle a rejoint le groupe Havas le 17 mai 2021, soit quelques jours après avoir signé une rupture conventionnelle avec Olgilvy Consulting le 30 avril 201.
Il est également acquis que de mars à juillet 2021, les 6 membres de l’équipe d’Ogilvy Consulting suivants l’ont quittée pour rejoindre le groupe Havas : Mme [J] [I], anciennement directrice / consultante d’Ogilvy Consulting, M. [L] [X], anciennement directeur / consultant d’Ogilvy Consulting, Mme [R] [V], anciennement consultante d’Ogilvy Consulting, Mme [F] [T], anciennement consultante d’Ogilvy Consulting, Mme [N] [VA], anciennement analyste d’Ogilvy Consulting et Mme [Y] [H], anciennement stagiaire (doctorante) d’Ogilvy Consulting, les conditions de leur départ étant discutées de part et d’autre.
Il ressort par ailleurs de la pièce n° 51 des appelantes que par courriel en date du 12 mai 2021, Mme [R] [V], qui travaillait encore pour Ogilvy, a transmis son curriculum vitae à Mme [E], en indiquant : « comme convenu ».
Il apparaît aussi plausible comme le font valoir les appelantes, leurs pièces n° 20, 21, 24, 26, 27 et 28 à l’appui, que Mme [I] leur ait dissimulé des projets en cours, les mentionnant comme terminés et facturés (son courriel du 10 mai 2021), alors qu’elle en poursuivait en réalité l’exécution, s’agissant en particulier du client Chanel, avec la participation de Mmes [O] et [T], pour le compte de The Salmon Consulting, ce que le courriel de Chanel en date du 6 juillet 2021 confirme.
Les extraits de l’agenda de Mme [T] laissant supposer qu’elle a travaillé durant ses 4 dernières semaines d’activité au sein d’Ogilvy Consulting pour le compte du client Chanel prétendument détourné accrédite les dires des appelantes (pièce appelantes n° 62) selon lesquels « Mme [F] [T], encore salariée d’Ogilvy Consulting, a collaboré avec [J] [I] pour le compte de The Salmon Consulting, en vue de démarcher le client Chanel » (conclusions appelantes page 52).
Ainsi, il s’infère de ces éléments que sont caractérisés des indices laissant supposer l’existence d’un débauchage de salariés de l’équipe consulting d’Ogilvy Consulting par le groupe Havas, puis par la société de son groupe The Salmon Consulting, sur un temps très court, avec l’aide de Mme [O] en qualité de dirigeante de la société Polytane, lequel a pu entraîner sa désorganisation, la circonstance qu’aucun des anciens salariés d’Ogilvy Consulting n’aient été liés par une clause de non-concurrence ne suffisant pas à écarter la suspicion d’un débauchage fautif.
Par ailleurs, le comportement de Mmes [T] et [I], laissant apparaître qu’alors salariées d’Ogilvy, elles travaillaient grâce aux documents stratégiques de leur employeur, au profit d’une autre entreprise, est susceptible de revêtir la qualification d’actes de parasitisme commis au profit de The Salmon Consulting, comme en atteste en particulier la comparaison des documents présentés à Chanel, d’une part le 24 février 2021 par Ogilvy Consulting, et d’autre part le le 28 juin 2021 par The Salmon Consulting, documents quasiment identiques (pièce appelantes n° 23), étant relevé que la société Polytane ne démontre pas à ce stade qu’il s’agirait de la charte graphique de Chanel Mode comme elle le prétend.
D’ailleurs la société The Salmon Consulting reconnaît cet élément en indiquant dans ses conclusions (pages 8, 59 à 62) que s’agissant de « la mission « RTW Chanel & Moi » (Chanel), s’il n’est pas contesté que The Salmon Consulting a répondu à l’appel d’offres en réalisant une présentation Powerpoint incluant dans l’équipe [F] [T] qui avait à l’époque déjà signé son contrat avec The Salmon Consulting mais finissait encore son préavis chez Ogilvy [Localité 37] », en concluant prématurément que « cela ne suffit bien évidemment pas à fonder l’action en concurrence déloyale envisagée par Ogilvy [Localité 37] qui est dépourvue de toute chance de prospérer ».
Ces agissements constituent également des griefs rendant crédible l’existence d’un détournement du client Chanel, qui après avoir confié en 2020 15 missions à Ogilvy Consulting, générant un chiffre d’affaires de 548 902 euros, ne lui a plus confié que 5 missions en 2021, pour un chiffre d’affaires de 111 850 euros, la manière dont les appelantes exposent les faits et l’intuitu personae dans le secteur d’activité du consulting qu’invoque la société Polytane ne pouvant contrer ce constat objectif.
Dans ces conditions, les appelantes peuvent légitimement s’interroger sur les conditions de la perte du client Ebra (filiale du Crédit Mutuel), avec laquelle un travail de prospection et de développement commercial avait largement été initié (pièces appelantes 33, 57, 59 et 34).
L’ensemble de ces éléments constituent autant d’indices rendant vraisemblance les actes de concurrence déloyale suspectés par les appelantes, commis par la société The Salmon Consulting grâce à certaines interventions de Mme [O], permettant de légitimer le motif d’obtention des ordonnances sur requête afin de rechercher des compléments de preuves.
Sur les mesures ordonnées
Au sens de l’article 145, les mesures légalement admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile dès lors que celles-ci ne portent atteinte à aucune liberté fondamentale et qu’elles sont proportionnées au but recherché.
Le secret des affaires, de même que le secret des correspondances et le respect de la vie privée, ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.
En outre, le juge de la rétractation peut modifier la mission en la complétant ou l’amendant afin qu’elle soit limitée dans son étendue et dans le temps, conformément aux articles 149 et 497 du code de procédure civile.
Toutefois, il est constant que sont prohibées les mesures d’investigation générale, lorsque non suffisamment circonscrites dans le temps et dans leur objet, elles s’apparentent à une perquisition civile, et que la mission confiée à l’huissier doit être limitée à des constatations matérielles, en excluant toute interprétation juridique de celles-ci.
Or au cas présent, plusieurs critiques élevées par les intimées à l’égard des mesures ordonnées apparaissent fondées.
Ainsi, s’agissant de l’ordonnance en date du 16 décembre 2021, plusieurs chefs de mission confiés à l’huissier visent l’appréhension de documents concernant The Salmon Consulting ou « toute autre société du groupe Havas », cette dernière expression étant particulièrement large et sans nécessairement rapport avec les faits dénoncés puisque pouvant concerner les sociétés de ce groupe n’ayant pas participé à l’embauche des anciens salariés d’Ogilvy Consulting.
De plus, le mandataire de justice, après avoir été autorisé à rechercher des éléments permettant de déterminer les dates d’embauche des salariés prétendument débauchés, est autorisé à appréhender toute correspondance les concernant « depuis leur embauche par The Salmon Consulting (ou tout autre société du groupe Havas) », ce qui apparaît, soit une limitation de temps impossible à identifier pour l’huissier, soit une limitation qui requérait qu’il procède à des recoupements supposant une analyse de fond des documents parallèlement saisis.
L’huissier instrumentaire désigné est en outre autorisé à « diligenter [ces] opérations de contrôle au siège social de la société The Salmon Consulting et/ou de la société Polytane, ou en tout autre lieu qui serait indiqué au mandataire de justice commis, autant de fois que nécessaire, à la discrétion des sociétés Ogilvy Consulting et Red Conseil » (souligné par la cour), ce qui en plus d’être contraire aux indications initiales de l’ordonnance limitant les lieux d’investigation visés, est une autorisation potentiellement illimitée dans l’espace et dans le temps, lequel resterait au surplus contrôlé à la « discrétion » des requérantes.
En ce qui concerne la seconde ordonnance sur requête du 1er février 2022, laquelle mentionne qu’elle vient modifier la première, et qui constitue donc un tout avec elle, l’autorisation conférée à l’huissier d’appréhender sur tous les postes de travail des personnes « directement concernées par le litige » visées, est limitée dans son objet par l’utilisation d’une liste de mots-clés, laquelle limitation est annihilée par l’emploi de l’adverbe « notamment » qui la précède.
En outre, parmi les mots-clés visés, et en l’absence de prévision de combinaisons de ces mots, sont mentionnés des prénoms de salariés, ce qui peut permettre de récupérer des éléments dépourvus de tout lien avec le litige éventuel, mais surtout, est visé le mot-clé « The Salmon Consulting », permettant la saisie de l’intégralité des mails envoyés et reçus dans la mesure où le nom de la société est susceptible d’apparaître dans la signature de chacun des employés de cette société.
De même, la recherche à partir du mot-clé « [O] » pourrait permettre à l’huissier instrumentaire d’appréhender tous les mails envoyés et reçus par la société Polytane, dont elle est la seule personne en activité.
Comme le fait également observer la société The Salmon Consulting, les sociétés Ogilvy Consulting et Red Conseil ne démontrent pas la pertinence de certains mots-clés listés, comme c’est le cas pour : « [S] ; [K] ; [B] ; [U] ; [A] ; [W] ; [G] ; [C] ; [NW] ; [M] ; [P] ; [D] » qui sont visés dans la requête aux fins de modification du 27 janvier 2022, comme étant des « personnes physiques de la chaîne hiérarchique du groupe Havas et de sa filiale The Salmon Consulting potentiellement impliquées dans cette affaire », sans autre précision, ou encore pour les mots-clés relatifs à la société Cetelem.
Il découle de ce qui précède que les mesures de constat ordonnées sont insuffisamment limitées dans leur objet et assimilables à une mesure générale d’investigation, non strictement nécessaires à la protection des droits des appelantes et disproportionnées au but poursuivi de l’administration de la preuve d’éventuelles pratiques concurrentielles déloyales.
Par ailleurs, la possibilité donnée à l’huissier de justice instrumentaire et au technicien éventuellement choisi, en présence de documents intitulés « Personnel », « Perso » ou « Privé », de s’assurer du caractère réellement privé des informations qu’ils contiennent implique pour ces intervenants de procéder à des appréciations de fond qui ne ressortent pas de leurs pouvoirs.
Aussi, le nombre et le caractère substantiel des vices entachant ces mesures rend en outre impossible d’en amender les termes afin de la circonscrire pour la rendre légalement admissible.
Partant, l’ordonnance querellée sera confirmée en ce qu’elle a retracté les ordonnances du 16 décembre 2021 et 1er février 2022, ainsi qu’en ses mesures subséquentes relatives à la destruction des pièces et documents saisis en exécution.
*
La société Polytane sollicite la condamnation in solidum des appelantes à lui payer la somme de 50 000 euros à titre provisionnel en réparation du préjudice moral et économique subi, soutenant que les sociétés Ogilvy Consulting et Red Conseil ont détourné l’objet de la procédure pour partir à la recherche d’éléments susceptibles de leur être utile dans le cadre « du développement de leur business ».
Les sociétés Ogilvy Consulting et Red Conseil sollicitent la confirmation de l’ordonnance qui a rejeté cette demande, faisant valoir qu’elle ne relève pas des pouvoirs du juge des référés et que la société Polytane ne justifie pas des préjudices allégués.
Sur ce,
En application des dispositions de l’article 1240 du code civil, l’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur équivalente au dol.
Il appartient à toutes les juridictions, y compris dans le cadre d’un référé rétractation, de statuer sur la réparation du préjudice né de l’action dont elles sont saisies.
Toutefois en l’espèce, il n’est pas avéré que les appelantes auraient eu recours à la procédure sur requête dans un but fautif et par ailleurs, les préjudices allégués ne sont pas démontrés.
L’ordonnance querellée sera aussi confirmée en ce qu’elle a rejeté cette demande.
Sur les demandes accessoires :
L’ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Parties perdantes, les sociétés Ogilvy Consulting et Red Conseil ne sauraient prétendre à l’allocation de frais irrépétibles. Elles devront en outre supporter in solidum les dépens d’appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser aux intimées la charge des frais irrépétibles exposés en cause d’appel. Les appelantes seront en conséquence condamnées à verser la somme de 10 000 euros à chacune d’elles, in solidum à l’égard de la société Polytane comme elle le demande.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
Confirme l’ordonnance du 16 juin 2022 en toutes ses dispositions,
Condamne les sociétés Ogilvy Consulting et Red Conseil à verser 10 000 euros à la société The Salmon Consulting et, in solidum, 10 000 euros à la société Polytane en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en appel,
Dit que les sociétés Ogilvy Consulting et Red Conseil supporteront in solidum les dépens d’appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseiller faisant fonction de président, et par Madame Élisabeth TODINI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,