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7 octobre 2022
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
18/16848
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 07 OCTOBRE 2022
N° 2022/352
Rôle N° RG 18/16848 – N° Portalis DBVB-V-B7C-BDHP4
[K] [S]
C/
SAS METRO CASH & CARRY FRANCE
Copie exécutoire délivrée le :
07 OCTOBRE 2022
à :
Me Alexandre JAMMET de la SELARL PASCAL JAMMET DALMET, avocat au barreau de TARASCON
Me Séverine ARTIERES, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AIX-EN-PROVENCE en date du 13 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 16/00303.
APPELANTE
Madame [K] [S], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Alexandre JAMMET de la SELARL PASCAL JAMMET DALMET, avocat au barreau de TARASCON
INTIMEE
SAS METRO CASH & CARRY FRANCE, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Séverine ARTIERES, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Madame Emmanuelle CASINI, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Septembre 2022 et prorogé au 07 Octobre 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Octobre 2022
Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Madame [K] [S] a été engagée par la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet du 18 juin 2012, en qualité de manager de rayon, au sein du magasin d'[Localité 3].
Par avenant du 1er mars 2013, elle a été affectée au sein du magasin de [Localité 7] puis, par avenant du 1er septembre 2015, au sein du magasin de [Localité 9], à l’époque de son ouverture.
Madame [S] a été en arrêt de travail pour cause de maladie à compter du 15 décembre 2015.
Par courrier du 22 décembre 2015, Madame [S] a été convoquée à un entretien préalable, fixé le 4 janvier 2016, et elle a été licenciée pour faute grave, par lettre du 18 janvier 2016, ainsi rédigée :
« Nous vous avons convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui a eu lieu le lundi 4 janvier 2016 et au cours duquel vous étiez assistée de Monsieur [V] [H], Délégué Syndical de l’entrepôt de [Localité 7]. Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les motifs pour lesquels nous envisagions une telle mesure et nous vous avons donné l’occasion de vous expliquer à l’égard de ceux-ci que nous reprenons ci-après.
En qualité de Manager de Rayon, vous avez comme mission principale de développer et optimiser les résultats économiques et commerciaux de votre rayon. Aussi, vous devez notamment organiser le travail et animer votre équipe, renforcer leur professionnalisme par une disponibilité clients accrue. Vous devez, entre autres, manager l’équipe du rayon BOF/Charcuterie/Surgelés dont vous avez la responsabilité et ce dans le respect des règles et procédures internes. A ce titre, vous assistez les membres de votre équipe dans leurs missions, les conseillez et les incitez à prendre des initiatives, vous réalisez les entretiens professionnels d’évaluation, vous déterminez leurs besoins en formation et encouragez l’évolution professionnelle, vous anticipez et gérez les conflits. Ce poste nécessite des compétences telles que l’organisation, l’esprit logique, la rigueur, la précision, la discrétion, la confidentialité, l’objectivité, la prise de recul, la diplomatie.
Nos premières inquiétudes ont été ressenties lors de l’implantation de votre rayon BOF/Charcuterie/Surgelés. En effet, l’implantation s’est terminée le 18 novembre 2015, une heure avant l’inauguration officielle de notre entrepôt. Votre réserve «produits frais » n’était pas rangée, des produits sensibles étaient stockés sans attention. Votre organisation a été décousue et tout a été fait dans l’urgence. De plus, le 19 novembre 2015, nous avons été surpris de constater qu’aucun collaborateur de votre équipe n’était positionné dans la Hall Frais lors de l’ouverture à la clientèle et de la visite de la Direction Générale du groupe METRO France. Un manager doit être capable de positionner les ressources dont il dispose au bon moment et au bon endroit.
Aussi, vous avez commis des erreurs importantes de commandes lors de l’implantation et vous n’avez pris aucune mesure immédiate pour transférer la marchandise sur des entrepôts proches comme [Localité 3], [Localité 4], [Localité 5].
A titre d’exemple, un très gros stock de Fromage Blanc 3Kg et 5Kg HORECA a été commandé pour, au final, jeter 300 euros de ce stock. De même, le 2 décembre 2015, nous sommes obligés de jeter 1000 Euros d’oeufs frais suite à une commande trop important bien que nous vous ayons déjà alerté au regard du stock commandé pour l’ouverture. Vous n’avez pas réalisé de transferts pour limiter la casse sur ces produits. Vos commandes de saumon ont généré plus de 1450 euros de démarque, des cartons entiers sont partis à la benne.
De même, vous avez commandé 171 plateaux de fromages pour le catalogue festif ce qui est disproportionné par rapport à notre type d’entrepôt, un ECO3 de 3.000m2. Ces engagements sont supérieurs à un entrepôt type de TRAD ou EC01. Aucun collaborateur de votre équipe, ni votre hiérarchie, Responsable de Secteur ou Directeur, n’ont été informé de cet engagement, ce qui a empêché toute anticipation pour la gestion de ces produits. Là encore, votre agissement a eu pour conséquence de démarquer 3000 euros de valeurs de produits.
Vous avez également effectué une commande de fromage à raclette, une commande de 174kg de mozzarella et de 75 boules Fleur de lait qui ont été stockées dans la réserve frais plusieurs semaines pour finir en démarque le 21/12/2015. Nous avons dû jeter pour 600 euros de fromage à raclette et 2500 euros de mozzarella et de boules Fleur de Lait.
Votre réserve n’a pas été ou peu traité, certains fromages n’ayant jamais vu la surface de vente, comme, par exemple, la démarque de 500 euros sur les fromages à pizza.
De même, vous avez négligé d’autres basics de votre métier de manager de rayon. En effet, aucun inventaire intermédiaire n’a été réalisé sur les secteurs de vente 20, 24, 31 et 32, et ce, malgré les relances exprimées lors des différents entretiens.
Comme vous le savez, en qualité de Manager de Rayon, vous aviez pour mission de passer et d’ajuster les commandes pour assurer un approvisionnement optimal du rayon dont vous aviez la charge, en tenant compte de la rotation des stocks et des actions promotionnelles. Vous deviez mettre en ‘uvre toutes les actions nécessaires pour atteindre les objectifs de démarque et de stocks.
Nous ne pouvons que déplorer les manquements importants et répétés dans l’exercice de votre mission. Votre manque d’anticipation, vos commandes non raisonnées et votre manque de réactivité sont consternants. Ce manque de réaction est d’autant plus consternant que nous n’avons pas manqué de vous accompagner.
En effet, vous avez régulièrement bénéficié d’entretiens, individuels ou avec tout ou partie de votre équipe, entretiens qui visaient à vous redonner de la méthode de travail, pour une meilleure efficacité dans la gestion commerciale, le management et l’accompagnement de votre équipe.
Votre laxisme, la non prise en compte des conseils et instruction de votre hiérarchie et votre manque d’implication dans l’exécution de vos missions ne sont pas acceptables.
En effet, malgré notre accompagnement et nos alertes, vous avez persisté à passer la majeure partie de votre temps de travail dans votre bureau, laissant seule votre équipe, sans aucun accompagnement, et ce, en dépit de vos erreurs répétées de commandes.
Le 15 décembre 2015, vous ne vous êtes pas présenté à votre poste de travail à 05h00 comme le précisait votre planning horaire. Vous n’avez prévenu ni Monsieur [L] [J], Responsable de Secteur, ni Monsieur [N] [F] Directeur de l’entrepôt, ni Monsieur [U] [X], Responsable des Ressources Humaines. Le 16 décembre 2015, nous avons reçu votre arrêt maladie, courant du 15 décembre au 12 janvier 2016.
Pourtant, notre règlement intérieur stipule dans son article 6 que « Pour le bon fonctionnement de l’établissement, le personnel doit : prévenir aussitôt que possible son supérieur hiérarchique en cas d’absence ou de retard et l’informer de sa durée prévisible».
Aussi, sans nouvelles de votre part, nous avons été contraint de réinitialiser le mot de passe de votre session Windows afin de pouvoir traiter les informations relatives aux alertes alimentaires, aux commandes clients et aux sollicitations de nos acheteurs qui arrivaient sur votre boîte mail. Nous avons alors découvert avec étonnement que vous échangiez de nombreux mails à caractère non professionnel avec le Responsable de Secteur Libre-Service de [Localité 6], Monsieur [A] [Z]. Nous avons été surpris de lire des mails où vous dénigrez l’entreprise et ses collaborateurs.
Ces e-mails n’étant pas identifiés comme étant « personnel » ou « privé », nous avons découvert avec stupéfaction que vous utilisiez la messagerie professionnelle pour exprimer vos états d’âme au Responsable de Secteur Libre-Service de [Localité 6] au détriment de votre profession de Manager de Rayon. Ainsi, vous avez transféré plusieurs mails de votre Responsable de Secteur et de votre Directeur qui devaient restés à usage professionnel au sein de votre entrepôt d’affectation.
Dans ces échanges mails, vous avez dénigré plusieurs collaborateurs de la société METRO : la Responsable Ressources Humaines d'[Localité 3], la Responsable Ressources Humaines de [Localité 6], votre propre adjoint, votre Directeur, votre Responsable de Secteur, votre Responsable Ressources Humaines…
De surcroît, nous avons également pu constater que vous échangiez, notamment avec ce même Responsable de Secteur de [Localité 6], des mails contenant des propos à connotations sexuelles qui n’ont aucune place au sein de notre Entreprise.
Vous écrivez le 10 décembre 2015 : « J’ai mis mon bonnet de mere noel ».
Monsieur [Z] répond : « Photo ‘».
Vous répondez alors : « Tu auras mieux qu’une photo et pas que le bonnet… ».
Ou encore, le 9 décembre 2015, vous écrivez à Monsieur [Z] : « Tu m’avais caché que tu avais une stagiaire RH au fait c’est parce qu’elle est mega bonne ””” ».
C’est ainsi que vous vous êtes isolé de votre équipe et que vous avez abandonné votre poste de travail, vous créant un monde virtuel, passant vos journées à converser avec le Responsable Secteur Libre-Service de [Localité 6], oubliant votre rôle de Manager, votre rayon, vos équipes et vos clients.
Vous avouez même lors d’un échange que votre départ en maladie est prémédité : «J’ai fait ma note de frais de l’habilitation électrique…. je vire tous mes fichiers fin de matinée et mon casier et je taille’-) J’ai appelé maman elle était deg. Pour sa fête en plus…. je lui ai dit qu’il fallait qu’elle me trouve du taf!’ La garce m’a répondu “tu t’es toujours débrouillée seule alors continue”…. C’était une blague j’espère!! Mdr ».
Notre règlement intérieur et notre charte informatique, dont vous avez connaissance, précisent que « l’utilisation d’internet, du fax et de la messagerie électronique de l’entreprise est réservée à un usage professionnel… ». De même, il est précisé que ces utilisations doivent être réalisées « dans le respect des règles de sécurité et des dispositions légales relatives notamment au droit de propriété, à la diffamation, aux fausses nouvelles, aux injures et provocations ». Aussi, tout « propos diffamatoires, discriminatoires, racistes et/ou tout autre propos contraires ou pouvant être contraire aux bonnes m’urs sont strictement interdits », et il « convient de ne pas diffuser ou rediffuser à des tiers des emails constituant ou pouvant constituer une atteinte à la vie privée, à la dignité humaine ou pouvant porter atteinte aux droits d’un tiers».
Force est de constater que vous avez sciemment enfreint ces règles. Non, seulement, vous n’avez pas respecté les règles d’utilisation des moyens informatiques mis à votre disposition, mais de surcroît, vous n’avez pas su faire face à vos obligations en matière de discrétion et de loyauté. Pire encore, vous avez dénigré de nombreux collaborateurs de l’entreprise, qu’ils vous soient hiérarchiques ou subordonnés, et utiliser des termes et propos qui bafouent les règles les plus élémentaires du respect et de la courtoisie, préférant vous abandonner à des échanges à connotations déplacées. Ceci est parfaitement intolérable Vous n’êtes pas sans savoir que cela va à l’encontre des principes et valeurs de l’Entreprise, valeurs réaffirmées par l’ensemble des collaborateurs de [Localité 9] lors de notre séminaire de cohésion d’équipe, auquel vous avez participé, en préalable à l’ouverture de notre entrepôt.
A la suite de nos échanges réguliers qui visaient à vous accompagner, au lieu de réagir et de mettre en ‘uvre les actions nécessaires pour améliorer la gestion de votre rayon et apporter à votre équipe tout le soutien qu’elle attendait ; vous avez préféré persister dans votre comportement en entretenant des conversations soutenues et désobligeantes, notamment avec un Responsable de Secteur d’un autre entrepôt. Vous vous êtes obstinée à dénigrer l’Entreprise, des collaborateurs de votre propre rayon, des Responsables Ressources Humaines, votre propre Responsable de Secteur, votre directeur d’Entrepôt.
Un Manager non présent en surface de vente, passant son temps au bureau à échanger des mails sur des sujets non professionnels et déplacés ne peut pas avoir d’impact positif sur les résultats commerciaux, sur sa gestion de ses rayons et le management de son équipe.
Au cours de l’entretien du 4 janvier 2016, vous vous êtes contenté de vouloir minimiser la responsabilité qui est la vôtre sur le management et la gestion de vos rayons, tout comme vous avez tenté de réfuter l’existence des échanges mails, ce qui est parfaitement ridicule, d’autant que Monsieur [Z], de son côté, a reconnu l’intégralité des faits.
En conséquence et après réflexion, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave. Cette décision prendra effet à la date d’envoi de la présente, soit le 18 janvier 2016. Nous vous rappelons que la faute grave est privative des indemnités de licenciement et de préavis ».
Contestant son licenciement, Madame [S] a saisi, par requête du 21 mars 2016, le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence, lequel, par jugement du 13 septembre 2018, a :
– dit que le licenciement de Madame [S] est dénué de faute grave mais fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– condamné la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE à verser à Madame [S] :
* 5.709,72 € au titre de l’indemnité de préavis,
* 570,97 € au titre des congés payés y afférents,
* 2.045,99 € au titre de l’indemnité de licenciement,
* 1.180 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile,
– débouté les deux parties de toute autre demande,
– condamné la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE aux entiers dépens.
Madame [S] a interjeté appel de ce jugement.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 7 janvier 2019, elle demande à la cour de :
Recevoir l’appel de Madame [S].
Le dire bien fondé en la forme et au fond.
En conséquence :
REFORMER le jugement en ce qu’il dit le licenciement dénué de faute grave mais fondé sur une cause réelle et sérieuse.
CONFIRMER le jugement ce qu’il condamne l’employeur au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et d’une indemnité de licenciement.
En conséquence :
Dire et juger que le licenciement de Mme [S] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En conséquence,
Condamner la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE au paiement des sommes suivantes :
– 30.000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 5.709,72 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis.
– 570,97 € de congés payés y afférents.
– 2.045,99 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.
– 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamner l’employeur aux entiers dépens.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 30 janvier 2019, la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE demande à la cour de :
A TITRE PRINCIPAL :
– DIRE ET JUGER les faits reprochés à Madame [S] constitutifs d’une faute grave justifiant la mesure de licenciement.
En conséquence :
– REFORMER la décision rendue par le conseil de prud’hommes d’Aix- en -Provence sur ce point.
– DEBOUTER Madame [S] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
– ORDONNER le remboursement des sommes versées par la société en application du jugement de 1ère instance.
A TITRE SUBISIDIAIRE :
– CONFIRMER que le licenciement de Madame [S] repose sur une cause réelle et sérieuse.
En conséquence,
– DEBOUTER Madame [S] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse formulée à hauteur de 30.000 €.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
– CONSTATER le caractère excessif des sommes demandées par Madame [S].
En conséquence :
– CONSTATER l’absence de préjudice.
– DEBOUTER Madame [S] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse formulée à hauteur de 30.000 €.
– MINIMISER FORTEMENT le montant éventuellement alloué à titre de dommages-intérêts de ce chef en application du barème MACRON.
– ALLOUER tout au plus la somme de 12.775 ,75 € bruts à titre de dommages-intérêts à ce titre.
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
– DEBOUTER Madame [S] de sa demande de condamnation de la société METRO aux entiers dépens.
– DEBOUTER Madame [S] de sa demande de condamnation de la société METRO au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– CONDAMNER Madame [S] à payer la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Madame [S] conclut que :
– elle n’a jamais reçu le moindre reproche sur la qualité et le sérieux du travail fourni.
– les entretiens annuels d’évaluation versés au débat témoignent d’un management apprécié, de ses bonnes connaissances et de son bon niveau.
– les griefs soudainement notifiés ne sont nullement caractéristiques d’une faute grave et ils ne sont étayés par aucun élément objectif versé par l’employeur.
– sur les prétendus manquements en termes de gestion de stock et d’approvisionnement, qu’elle conteste, aucune pièce n’est fournie par l’employeur ou par un responsable chapeautant son travail, de sorte que la preuve des manquements allégués n’est pas caractérisée, d’autant qu’elle n’a reçu aucune instruction précise de sa hiérarchie à ce sujet et que tout était validé par son chef de secteur. Aucune faute ne lui est imputable et, si de tels faits étaient avérés, ceux-ci constituraient une insuffisance professionnelle.
– la société METRO multiplie les arguments suivant lesquels le règlement intérieur interdirait un certain nombre de pratiques, notamment dans l’utilisation de la messagerie électronique, alors que pour être opposable au salarié, le règlement intérieur doit avoir été porté à la connaissance des représentants du personnel, avoir fait l’objet d’une consultation préalable pour avis tant auprès du comité d’entreprise que du CHSCT, avoir été régulièrement communiqué à la DIRECCTE et avoir été déposé au greffe du conseil de prud’hommes du ressort de l’entreprise ( article L 1321-4 du code du travail). Or, l’employeur ne justifie pas avoir préalablement consulté les représentants du personnel, ni communiqué le règlement intérieur à l’inspection du travail ni l’avoir régulièrement déposé au greffe du conseil de prud’hommes. Ce règlement est donc inopposable aux salariés et, en l’espèce, à elle-même, dans toute sa partie relative à l’utilisation de l’internet et de la messagerie électronique. L’employeur ne justifie nullement d’une publicité conforme de la charte informatique de sorte qu’aucune directive n’existait quant à l’usage à titre personnel du matériel professionnel. Les échanges de mails personnels avec le matériel informatique de l’entreprise ne sont pas interdits et ne sont pas en eux-mêmes fautifs, sauf si cet usage revêt un caractère abusif causant du tort à l’entreprise, ce qui n’est nullement le cas en l’espèce, les mails étant des conversations privées entre Madame [S] et Monsieur [Z], son compagnon, et aucun propos déplacé, aucun abus, ni aucune conséquence néfaste sur l’entreprise ne ressortait de ces échanges de mails. Il s’agirait d’une véritable atteinte au secret des correspondances et à la vie privée, d’autant que l’employeur ne démontre pas avoir trouvé ces mails sur sa boîte professionnelle (alors qu’ils figuraient sur sa boîte personnelle soit [Courriel 8]).
– le conseil de prud’hommes de Montpellier, le 22 mai 2017, dans le litige concernant Monsieur [Z] (son compagnon) , a lourdement condamné la SAS METRO CASH&CARRY FRANCE.
– la société METRO CASH & CARRY FRANCE a monté de toutes pièces un dossier sans élément pertinent alors que dans le même temps, elle reconnait la compétence et la qualité de son travail.
– il n’est pas démontré qu’elle ait été remplacée sur son poste de travail.
La SAS METRO CASH & CARRY FRANCE conclut que les manquements importants et répétés de Madame [S] dans l’exercice de sa mission ne sauraient résulter d’une simple insuffisance professionnelle car il s’agit de fautes résultant de négligences, d’un manque d’attention et d’intérêt fautifs, en ce que Madame [S], qui disposait de toutes les compétences nécessaires et savait être conscencieuse et professionnelle, n’avait plus envie de l’être ; que Madame [S] a méconnu les dispositions du réglement intérieur en ne prévenant aucun membre de la direction de son absence du 15 décembre 2015 qui, par ailleurs, était préméditée ; que les mails adressés à Monsieur [Z], l’ont bien été de la boîte professionnelle de la salariée et comportaient des propos qui dénigrent plusieurs collaborateurs ou à connotation sexuelle ; que Madame [S] a utilisé l’outil professionnel à des fins purement personnelles et ces échanges ont perturbé le bon fonctionnement de la société.
***
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis. Elle doit être prouvée par l’employeur.
Pour démontrer la réalité, l’imputabilité au salarié et la gravité des faits commis et reprochés dans la lettre de licenciement, la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE verse :
– l’entretien professionnel de Madame [S] du 6 février 2014 qui mentionne au titre des points forts : ‘bon management, gestion des priorités’, des points à améliorer : ‘formalisation et plan d’action commercial’ et conclut : ‘a les capacités pour évoluer vers un plus gros entrepôt’, ‘belle première année; A su fédérer une équipe réputée délicate. Il faut continuer à développer l’esprit commercial au sein du rayon LS Frais’.
– des échanges de mails entre Madame [S] et Monsieur [Z].
– le règlement intérieur et son annexe (charte informatique).
– la fiche de poste du manager de rayon.
– un courrier dactylographié de Monsieur [W] daté du 28 décembre 2015 (que la SAS METRO CASH&CARRY FRANCE mentionne dans son bordereau de communication de pièces comme étant une attestation).
– le jugement du conseil de prud’hommes de Montpellier concernant le litige l’opposant à Monsieur [Z].
– l’ordre du jour du comité central d’entreprise mentionnant le point ‘information et consultation sur les projets de nouveau règlement intérieur et de charte informatique’ et le procès-verbal du 28 juin 2012.
Il en résulte que la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE ne produit aucune pièce de nature à établir la matérialité des premiers griefs mentionnés dans la lettre de licenciement à l’encontre de la salariée, à savoir l’absence d’organisation de son rayon le jour de l’inauguration du magasin, des erreurs de commandes générant, in fine, des démarques ou des rebuts, l’absence d’inventaire, un manque d’anticipation et de réactivité, un laxisme, la non prise en compte des conseils et instructions de sa hiérarchie, le délaissement de son équipe, et ce alors même que l’employeur produit un entretien professionnel du 6 février 2014 qui mentionne les capacités de Madame [S] pour évoluer vers un plus gros entrepôt.
La SAS METRO CASH&CARRY FRANCE qualifie d’attestation la pièce 13 qu’elle produit mais qui, dactylographiée, ne respecte également aucune des conditions de l’article 202 du code de procédure civile. Ce courrier est attibué à Monsieur [W] qui l’a signé et a placé son nom à la fin. Toutefois, ce document ne présente aucune garantie de ce que Monsieur [W] en soit bien l’auteur. Les faits qui y sont énumérés ne sont pas datés et les propos qu’il contient ne mentionnent même pas l’identité de la personne visée par la liste de griefs qu’il énonce. Cette pièce n’a donc aucune valeur probatoire.
La SAS METRO CASH & CARRY FRANCE fonde les griefs énoncés dans la lettre de licenciement sur le règlement intérieur et la charte informatique qui est une annexe du règlement intérieur de la société. Si la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE produit l’ordre du jour du comité central d’entreprise mentionnant le point ‘information et consultation sur les projets de nouveau règlement intérieur et de charte informatique’, le procès-verbal de la réunion du CCE du 28 juin 2012 produit ne porte aucune mention que le règlement intérieur et son annexe ont été soumis à l’avis du CCE. De même, la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE ne justifie pas que le règlement intérieur et son annexe ont été communiqués à l’inspecteur du travail. Dans ces conditions, ce règlement intérieur et son annexe qui le complète, ne peuvent produire d’effet à l’égard de la salariée et la SAS METRO CASH&CARRY FRANCE ne peut reprocher à Madame [S] un manquement aux obligations que ces documents édictent.
Concernant l’absence de Madame [S] le 15 décembre 2015, la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE invoque également ledit règlement intérieur et, en tout état de cause, cette dernière reconnaît dans la lettre de licenciement avoir bien reçu l’arrêt de travail dès le lendemain.
Concernant les mails produits au débat, ceux-ci ont été échangés entre Madame [S] et Monsieur [Z], ce dernier s’avèrant être le compagnon de Madame [S], ce qui explique le ton familier employé ainsi que la forme et les expressions très peu élaborées utilisées par leur auteur. Il ne ressort pas de ces mails que ceux -ci ont été envoyés à partir de la boîte professionnelle de Madame [S], à défaut d’indication précise de l’adresse utilisée.
Les mails professionnels internes transférés l’ont été par Monsieur [Z] et Madame [S] n’a transféré qu’un seul message interne, le 8 décembre 2015 et c’est Monsieur [Z], et non Madame [S], qui a eu, à sa lecture, une réponse désobligeante (‘c’est creux’, ‘pfff nul’). De même, c’est toujours Monsieur [Z] qui tient des propos désobligeants à l’égard du responsable RH et du directeur dans les mails du 9 décembre 2015 et 4 janvier 2016.
Si Madame [S] exprime auprès de Monsieur [Z] son désarroi dans un échange de mails le 10 décembre 2015, si elle emploie un mot très famillier à propos de la présence d’une stagiaire auprès de Monsieur [Z] dans un mail du 9 décembre 2015 et échange des propos hors de tout lien professionnel dans les mails du 10 décembre 2015 et qui relèvent de sa sphère intime, il ne peut être considéré que Madame [S], s’adressant à un autre salarié de la société, a outrepassé les limites et abusé de sa liberté d’expression, les propos employés n’étant ni insultants, ni offensants ni injurieux ni excessifs et ne peuvent constituer une faute grave ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Le licenciement de Madame [S] est donc sans cause réelle et sérieuse.
En application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail (dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 et à l’exclusion du barême indicatif élaboré par décret du 23 novembre 2016, invoqué par la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE, dès lors que le montant minimum forfaitaire de 6 mois doit s’appliquer), et compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (32 ans), de son ancienneté (3 ans révolus), de sa qualification, de sa rémunération (2.854,86 € ), des circonstances de la rupture mais également de l’absence de justification d’une période de chômage et du constat d’un contrat de travail signé le18 janvier 2017, il convient d’allouer à Madame [S] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 17.500 €.
Il convient également d’accorder à Madame [S] une indemnité compensatrice de préavis de 5.709,72 €, outre la somme de 570,97 € au titre des congés payés afférents ainsi qu’une indemnité conventionnelle de licenciement de 2.045,99 €, dont le montant n’est pas discuté par la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE et qui est conforme aux droits de la salariée.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées et il est équitable de condamner la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE à payer à Madame [S] la somme de 1.500 € au titre des frais non compris dans les dépens qu’elle a engagés en cause d’appel.
Les dépens d’appel seront à la charge de la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE, partie succombante par application de l’article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud’homale,
Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions ayant dit que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et ayant rejeté la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Dit que le licenciement de Madame [K] [S] est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE à payer à Madame [K] [S] la somme de 17.500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Y ajoutant,
Condamne la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE à payer à Madame [K] [S] la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS METRO CASH & CARRY FRANCE aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Ghislaine POIRINE faisant fonction