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7 mai 2018
Cour de cassation
Pourvoi n°
17-82.411
N° D 17-82.411 FS-D
N° 770
ND
7 MAI 2018
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
–
M. Philippe X…, partie civile,
contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 6e chambre, en date du 27 février 2017, qui l’a débouté de ses demandes, après relaxe de M. Pierre Y… et de Mme Zineb Z… du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, un dépositaire ou un agent de l’autorité publique ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 13 mars 2018 où étaient présents : M. Soulard, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Ricard, Parlos, Bonnal, Mme Ménotti, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, conseillers référendaires ;
Avocat général : Mme Le Dimna;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DURIN-KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER, de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général LE DIMNA;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29, 30, 31, 35, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
“en ce que l’arrêt a renvoyé M. Y… et Mme Z… des fins de la poursuite ;
“aux motifs que les prévenus n’ont pas offert de prouver la vérité des faits diffamatoires, mais ils invoquent le bénéfice de la bonne foi ; que les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos ; que ces critères s’apprécient différemment selon le genre de l’écrit en cause et la qualité de la personne qui s’exprime ; que lorsque les propos incriminés concernent un sujet d’intérêt général, leur auteur doit établir qu’ils reposent sur une base factuelle suffisante ; que le tribunal correctionnel n’a pas retenu la bonne foi en raison d’une base factuelle insuffisante et d’un défaut de prudence, au motif que si les réquisitions de M. X… ont été jugées illégales, elles n’étaient pas destinées à mettre sous écoutes téléphoniques les journalistes ; que la partie civile soutient que le jugement doit être confirmé puisque les informations livrées aux lecteurs sont mensongères, que les prévenus n’ont pas respecté l’exigence de prudence dans l’expression, les faits ayant été dénaturées, et que le contradictoire n’a pas été respecté ; que les prévenus font valoir que les écoutes téléphoniques sont définies comme des interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications, qu’au moment de la rédaction de l’article incriminé, ils disposaient de décisions judiciaires de principe, de divers articles de presse et de la saisine du conseil supérieur de la magistrature, que les investigations sollicitées par la partie civile ont porté non seulement sur l’identification des appels reçus et émis par les journalistes du monde, mais aussi leurs SMS ; qu’en l’occurrence, il convient tout d’abord de constater que l’article litigieux porte manifestement sur un sujet d’intérêt général, à savoir la protection du secret des sources des journalistes, ce qui constitue un des fondements de la liberté de la presse et ce qui exige donc un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression dans une société démocratique ; que par ailleurs, il sera observé que M. X… n’est pas le sujet principal de l’article qui est relatif à une autre affaire consécutive à un article du Monde publié en 2006 sur le meurtre d’Ilan A…, à la suite duquel 490 conversations téléphoniques du journaliste M. Gérard B… – dont la photographie illustre l’article poursuivi – ont été écoutées et enregistrées par la police pendant un mois ; que ce n’est qu’en fin d’article que Mme Zineb Z… évoque M. X…, certes de manière très visible puisque le nom de ce dernier figure en intertitre et en caractères gras, mais seulement pour rappeler factuellement une précédente affaire du même type ; que lors de la rédaction de l’article litigieux, publié le 9 septembre 2013, la journaliste disposait de divers éléments, produits en défense, en particulier : – l’arrêt rendu le 6 décembre 2011 par la chambre criminelle de la Cour de cassation – que Mme Zineb Z… évoque en fin d’article – duquel il ressort notamment qu’à la suite de la publication le 1er septembre 2010 dans le journal le Monde d’un article de MM. Gérard B… et Jacques C… rendant compte d’investigations réalisées la veille et le même jour lors d’une perquisition effectuée chez Mme Liliane D…, cette dernière a porté plainte du chef de violation du secret professionnel, que le procureur de la république a ordonné une enquête préliminaire le 2 septembre 2010, en autorisant les officiers de police judiciaire à obtenir, par voie de réquisitions auprès des opérateurs de téléphonie, l’identification des numéros de téléphone des correspondants des journalistes auteurs de l’article, que par arrêt du 5 mai 2011 la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux a annulé ces réquisitions prises par M. X… ; que dans son arrêt du 6 décembre 2011, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt en retenant que l’atteinte portée au secret des sources des journalistes n’était pas justifiée par l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public et que la mesure n’était pas strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi, la chambre de l’instruction ayant ainsi justifié sa décision tant au regard de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme que de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 ; que la plainte déposée le 20 janvier 2012 par MM. Gérard B…, Jacques C… et la société éditrice du Monde auprès du conseil supérieur de la magistrature, qui fait état de la mise en examen de M. X… le 17 janvier 2012 des chefs de collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite et atteinte au secret des correspondances (mise en examen annulée par la suite) et du fait que ce dernier avait demandé aux enquêteurs d’identifier les appels reçus et émis et les SMS provenant des téléphones des journalistes, en tout cas selon les policiers (l’avis du CSM ayant été rendu postérieurement à l’article, tout en faisant état de faits antérieurs dont la journaliste n’avait pas cependant pas forcément connaissance) ; qu’un article du Monde du 20 janvier 2012, relatant les propos du commissaire E… de l’inspection générale des services, selon lequel l’adjointe du procureur de Nanterre avait bien donné instruction de rechercher le contenu des SMS ; que plusieurs articles intitulés Écoutes : le procureur X… convoqué (Europe 1 – 28 septembre 2011), Écoutes de journalistes du Monde : le patron de l’IGS contredit le juge X… (Le Point – 20 février 2012), Écoutes de journalistes : enquête disciplinaire du conseil supérieur de la magistrature contre X… (20 minutes – 12 juillet 2012) ; qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que si l’article litigieux n’a pas été écrit avec une grande précision, il n’en demeure pas moins que les réquisitions de M. X…, procureur de la république de Nanterre, tendant à la recherche d’informations sur les sources des journalistes auprès d’opérateurs téléphoniques avaient été définitivement annulées, que des policiers avaient affirmé qu’il leur avait également été demandé de rechercher le contenu de SMS, que des poursuites pénales et disciplinaires étaient envisagées à l’encontre de la partie civile ; que par ailleurs, la presse a largement rendu compte du déroulement des divers développements entourant les faits litigieux, en évoquant notamment l’affaire dite des fadettes (factures détailles), mais en employant également le mot écoute alors utilisé dans son sens générique, comme le montrent les pièces produites en défense ; que dès lors que l’article poursuivi ne faisait état qu’incidemment de M. X… à propos d’une affaire dont les médias avaient largement rendu compte et sur laquelle l’intéressé avait également fait valoir sa position, il n’était pas indispensable que la journaliste prenne contact avec la partie civile avant d’écrire son article ; que s’agissant du rappel factuel d’une précédente affaire largement médiatisée, la cour considère que les propos poursuivis, qui s’inscrivent manifestement dans un débat d’intérêt général, reposent sur une base factuelle suffisante au cas présent ; qu’ainsi, le bénéfice de la bonne foi sera reconnu aux prévenus qui seront renvoyés des fins de la poursuite, le jugement étant infirmé en ce sens ;
“1°) alors que le bénéfice de la bonne foi est accordé à l’auteur d’un écrit diffamatoire lorsqu’il s’est fondé sur des éléments permettant de croire à la véracité de l’imputation ; qu’en accordant le bénéfice de la bonne foi à l’auteur qui avait imputé des écoutes téléphoniques illégales à M. X…, quand il résultait des documents invoqués pour démontrer la bonne foi qu’elle connaissait l’exact contenu des réquisitions de M. X… – c’est-à-dire l’identification de numéros de téléphones de correspondants – ce qui démontrait qu’elle savait que l’imputation était fausse ou à tout le moins tendancieuse, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
“2°) alors que le bénéfice de la bonne foi est refusé à l’auteur qui procède à une déformation tendancieuse des faits qu’il impute ; que l’auteur de l’article qui a présenté des réquisitions aux fins d’identifier les correspondants et, si ce point était établi, l’interception de SMS, comme des écoutes téléphoniques a commis une déformation tendancieuse des faits ; qu’en lui accordant néanmoins le bénéfice de la bonne foi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
“3°) alors que le bénéfice de la bonne foi s’apprécie au regard des diligences effectuées par l’auteur ; qu’en accordant à M. Y… et Mme Z… le bénéfice de la bonne foi au motif que la presse dans son ensemble avait largement évoqué l’affaire, en employant parfois à titre erroné le terme d’écoutes, quand cette circonstance n’était pas de nature à dispenser l’auteur de son devoir personnel d’effectuer des diligences visant à s’assurer de la véracité de l’énonciation, la cour d’appel a de nouveau violé les textes susvisés ;
“4°) alors que la bonne foi de l’auteur de l’écrit s’apprécie par rapport à la teneur des propos, sans avoir égard à leur longueur ou leur caractère incident ; qu’en se fondant, pour dispenser l’auteur d’inviter M. X… à s’expliquer puis pour retenir la bonne foi, que l’article n’évoquait qu’incidemment M. X…, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
“5°) alors que l’auteur d’un écrit diffamatoire ne peut utilement invoquer l’existence d’un débat d’intérêt général que s’il a agi de bonne foi ; qu’il a à cet égard la charge de la preuve de la bonne foi ; qu’en reconnaissant à M. Y… et Mme Z… le bénéfice de la bonne foi à raison du lien avec un débat d’intérêt général, quand la bonne foi de l’auteur n’était pas établie, la cour d’appel a violé les textes susvisés” ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 6 décembre 2013, M. Philippe X… a porté plainte et s’est constitué partie civile du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public en raison d’un article publié le 9 septembre 2013 sur le site internet “www.[…] intitulé ” Secret des sources : encore un journaliste mis sous écoute”, et comportant le passage suivant : « Déjà Philippe X…
Ce n’est pas la première fois qu’une affaire d’écoutes agite le quotidien du soir. La dernière date de 2011 : Philippe X…, pour identifier la source d’un article concernant une perquisition ordonnée par la juge Isabelle Prévost-Desprez chez Liliane D… en 2010, avait pris l’initiative de mettre sur écoute des téléphones de plusieurs journalistes du Monde, dont Gérard B… » ; que M. Pierre Y…, directeur de publication du site “[…]” et Mme Zineb Z…, auteur de l’article, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel ; que les juges du premier degré ont retenu leur culpabilité et prononcé sur l’action civile ; que les prévenus, le procureur de la République et la partie civile ont relevé appel de cette décision ;
Attendu qu’après avoir, à bon droit, considéré que le passage incriminé imputait à la partie civile, en sa qualité de magistrat, un fait contraire à sa déontologie professionnelle et susceptible de qualification pénale, l’arrêt, pour relaxer les prévenus au bénéfice de la bonne foi, énonce que l’article litigieux concerne la protection du secret des sources des journalistes, sujet d’intérêt général, et notamment une procédure ouverte après la publication d’un article du Monde sur le meurtre d’Ilan A…, au cours de laquelle 490 conversations téléphoniques de M. B…, journaliste, ont été écoutées et enregistrées par la police pendant un mois ; que les juges retiennent que ce n’est qu’en fin d’article que la journaliste évoque M. X…, pour rappeler factuellement une précédente affaire du même type ; qu’au regard de l’existence d’une base factuelle suffisante, les juges déduisent de l’analyse des éléments produits en défense, que si l’article litigieux n’a pas été écrit avec une grande précision, les réquisitions de M. X…, procureur de la République de Nanterre, tendant à la recherche d’informations sur les sources des journalistes auprès d’opérateurs téléphoniques avaient été définitivement annulées, par un arrêt de la Cour de cassation, que des policiers avaient affirmé qu’il leur avait également été demandé de rechercher le contenu de SMS, que des poursuites pénales et disciplinaires étaient envisagées à l’encontre de la partie civile ; qu’ils ajoutent que les extraits de presse produits par l’auteur ont mentionné notamment l’affaire dite des “fadettes” mais en employant également le mot “écoute”, alors utilisé dans son sens générique, et que, s’agissant d’un passage ne faisant état qu’incidemment de la partie civile à propos d’une affaire dont les médias avaient largement rendu compte, la journaliste n’était pas tenue de prendre contact avec M. X… ; qu’ils en concluent que, s’agissant du rappel factuel d’une précédente affaire largement médiatisée, les propos reposent sur une base factuelle suffisante ;
Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que le passage incriminé, d’une part, portait sur un sujet d’intérêt général, celui de l’atteinte au secret des sources des journalistes au sein d’un article à l’occasion duquel était rappelé un épisode passé constituant une telle atteinte imputée à la partie civile, dans le cadre d’une affaire judiciaire ayant eu un retentissement national, d’autre part, reposait sur une base factuelle suffisante, à partir de décisions judiciaires, du contenu d’une plainte, et d’articles de presse venant en complément, de sorte que, même s’il comprenait l’emploi du terme juridiquement erroné d’écoute, un tel passage ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression de journalistes dans la critique de l’action d’un magistrat, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;