Secret des correspondances : 6 décembre 2022 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/02016

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Secret des correspondances : 6 décembre 2022 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/02016
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6 décembre 2022
Cour d’appel de Besançon
RG n°
21/02016

ARRÊT N°

CE/SMG

COUR D’APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 6 DECEMBRE 2022

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 27 septembre 2022

N° de rôle : N° RG 21/02016 – N° Portalis DBVG-V-B7F-EOGD

S/appel d’une décision

du Bâtonnier de l’ordre des avocats de CHALON SUR SAONE

en date du 31 décembre 2020

Code affaire : 80A

Demande d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

APPELANTE

S.E.L.A.S. ADIDA ET ASSOCIES VENANT AUX DROITS DE LA SCP ADIDA ET ASSOCIES, sise [Adresse 1]

représentée par Me Félipe LLAMAS, avocat au barreau de DIJON, présent

INTIMEES

Madame [R] [B], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Anais BRAYE, avocat au barreau de DIJON, présente

POLE EMPLOI, sise [Adresse 2]

non comparant

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 27 Septembre 2022 :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats

Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 22 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe. A cette date la mise à disposition de l’arrêt a été prorogé au 29 novembre 2022 puis au 6 décembre 2022.

**************

Statuant sur l’appel interjeté le 29 janvier 2021 par la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, venant aux droits de la SCP ADIDA ET ASSOCIES, d’un jugement rendu le 31 décembre 2020 par le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Chalon-sur-Saône qui, dans le cadre du litige l’opposant à Mme [R] [B], a :

– condamné la SCP ADIDA et ASSOCIES à rétablir la prime exceptionnelle de

pouvoir d’achat 2019 due à Maître [R] [B] pour un montant de 100

euros,

– condamné la SCP ADIDA et ASSOCIES à verser à Maître [R] [B]

les intérêts légaux dus à compter du 27 août 2019, date de réception par

l’employeur de la lettre de contestation de son reçu pour solde de tout compte par

la salariée et de la mise en demeure de l’employeur de la rétablir dans ses droits,

– dit que le licenciement de Maître [R] [B] est nul,

– condamné la SCP ADIDA ET ASSOCIES à verser à Maître [R]

[B] la somme de 16.741,68 euros à titre de dommages et intérêts pour

licenciement nul,

– condamné la SCP ADIDA ET ASSOCIES au remboursement des allocations de

retour à l’emploi versées par Pôle emploi à Maître [R] [B] depuis le

19 août 2019 dans la limite de trois mois,

– ordonné la remise d’un bulletin de paie, d’une attestation Pôle emploi et d’un

certificat de travail rectifiés, établis conformément aux dispositions de la décision,

– constaté l’exécution provisoire de droit,

– fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de Maître [R] [B]

à la somme de 2.790,28 euros,

– débouté Maître [R] [B] du surplus de ses demandes,

– débouté la SCP ADIDA ET ASSOCIES de sa demande au titre de l’article 700

du code de procédure civile,

Vu l’ordonnance du 4 novembre 2021 (RG N° 21/00087) par laquelle la cour d’appel de Dijon a ordonné le renvoi de l’affaire devant la cour d’appel de Besançon sur le fondement de l’article 47 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions visées par le greffe le 27 septembre 2022 aux termes desquelles la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, appelante, demande à la cour de :

– réformer le jugement déféré,

– juger le licenciement de Mme [B] régulier et fondé sur une cause réelle

et sérieuse,

– débouter Mme [B] de ses demandes et prétentions afférentes à la rupture

de son contrat de travail ainsi que de celles relatives à son exécution,

– réformer le jugemen t condamnant la SELAS ADIDA ET ASSOCIES à

rembourser les allocations Pôle emploi dans la limite de trois mois,

à titre subsidiaire, la dispenser de cette condamnation dans la limite plus adaptée que la cour appréciera,

– condamner Mme [B] à payer à la SELAS ADIDA ET ASSOCIES la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens,

Vu les dernières conclusions visées par le greffe le 27 septembre 2022 aux termes desquelles Mme [R] [B], intimée, forme un appel incident et demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes de

dommages-intérêts pour discrimination et harcèlement moral d’une part, pour méconnaissance de l’obligation de sécurité d’autre part, de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et en ce qu’il a limité à 16.741,68 euros le montant des dommages-intérêts alloués pour licenciement nul,

– le confirmer pour le surplus,

– condamner la SELAS ADIDA ET ASSOCIES à lui payer la somme de 100,00 euros nets à titre de rappel sur prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et dire que cette condamnation portera intérêts au taux légal à compter de la date de mise en demeure du 27 août 2019,

– dire qu’elle a été victime de discrimination fondée sur l’état de santé et de harcèlement moral,

– condamner en conséquence la SELAS ADIDA ET ASSOCIES à lui payer la somme nette de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts,

– dire que l’employeur a méconnu l’obligation de sécurité et condamner en conséquence la SELAS ADIDA ET ASSOCIES à lui payer la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts,

– dire nul, à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse son licenciement,

– condamner en conséquence la SELAS ADIDA ET ASSOCIES à lui payer la somme nette de 27.902,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– ordonner à la SELAS ADIDA ET ASSOCIES le remboursement des allocations de retour à l’emploi que lui a versées Pôle emploi depuis le 19 août 2019,

– ordonner la remise d’un bulletin de paye, d’une attestation Pôle emploi et d’un certificat de travail rectifiés, établis conformément aux dispositions de la décision à intervenir,

– condamner la SELAS ADIDA ET ASSOCIES à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux éventuels dépens,

– débouter la SELAS ADIDA ET ASSOCIES de ses demandes, fins et prétentions,

La cour faisant expressément référence, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qui ont été soutenues à l’audience,

Vu l’absence de comparution de l’institution Pôle emploi, autre intimée, qui a accusé réception le 8 mai 2022 de sa convocation à l’audience du 27 septembre 2022 à laquelle l’affaire a été retenue,

SUR CE

EXPOSE DU LITGE

Mme [R] [B] a été embauchée à compter du 1er décembre 2016 par la SCP ADIDA ET ASSOCIES, cabinet d’avocats, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de juriste en droit social, statut cadre, niveau II, échelon 1, coefficient 385 de la convention collective nationale numéro 1850 des cabinets d’avocats (avocats salariés).

A compter de sa prestation de serment en janvier 2017, Mme [R] [B], désormais avocate, a été engagée par le cabinet ADIDA ET ASSOCIES en qualité d’avocate salariée, avec reprise d’ancienneté au 1er décembre 2016 et moyennant une rémunération annuelle brute de 33.483,45 euros payée sur 13 mois, cette rémunération forfaitaire couvrant à la fois la durée hebdomadaire convenue, soit 35 heures du lundi au vendredi, et les dépassements nécessités par les fonctions de Maître [B].

En dépit de l’existence d’une période d’essai de trois mois, renouvelable une fois, l’employeur a confirmé à la salariée dès le 17 février 2017 son embauche définitive à l’issue de l’essai se terminant le 28 février 2017.

A la suite de la signature d’un partenariat avec le site internet [05].com, les parties ont signé le 12 mars 2018 un avenant n° 1 au contrat de travail prévoyant une prime d’intéressement sur les clients apportés par le biais dudit site.

Le 5 décembre 2018, après en avoir averti son employeur, Mme [R] [B] a consulté en urgence son médecin, qui a prescrit un arrêt de travail, prolongé jusqu’au 3 janvier 2019.

Suite à l’examen par le tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône à l’audience du 14 janvier 2019 d’une affaire la touchant personnellement, Mme [R] [B] a de nouveau été arrêtée le jour même jusqu’au 21 janvier 2019.

Percevant depuis son retour au travail un changement d’attitude de son employeur à son égard, Mme [R] [B] a par téléphone sollicité un rendez-vous auprès de M. [E] [A], entretien qui a eu lieu le 18 février 2019 en présence d’un autre associé du cabinet, M. [O] [G].

Lors de cet échange, l’employeur a reproché à la salariée un temps de travail insuffisant tandis que celle-ci évoquait son mal-être au travail depuis son retour d’arrêt maladie, lié à un changement d’attitude à son endroit.

Le 28 février 2019, Mme [B] a adressé un courriel aux deux associés qui l’avaient reçue le 18 février précédent, par le biais de leurs adresses professionnelles et en ajoutant la mention « Personnel » sur le message d’accompagnement. Revenant sur les conséquences de son absence sur le fonctionnement du pôle social du cabinet, Mme [B] y présentait ses excuses et se disait « sincèrement désolée ». En outre, pour mettre fin au « malaise » ressenti depuis plusieurs semaines en raison « d’un problème d’horaires », Mme [B] confirmait les alternatives envisagées par elle lors de l’entretien du 18 février : la mise en place d’un forfait jours, ou la collaboration libérale sous réserve de ne pas subir une perte de salaire net. Elle ajoutait néanmoins qu’il serait préférable de mettre un terme aux critiques à son endroit, qui lui paraissent infondées et dont l’opiniâtreté lui pèse quotidiennement, et évoquait des médisances et « bruits de couloir » au sein du cabinet qui lui étaient rapportés.

Aucune réponse écrite n’était apportée par l’employeur à cette correspondance.

Le 25 mars 2019, Mme [B] informait son employeur qu’elle était contrainte de quitter le cabinet pour récupérer son fils malade à l’école.

Le 26 mars 2019, Mme [B] avisait son employeur de son retour au cabinet dès le lendemain à 08h00.

Le 27 mars 2019, à son retour, la salariée se voyait remettre une convocation à un entretien préalable en vue de son licenciement.

Le jour même, Mme [B] a de nouveau été arrêtée par son médecin traitant jusqu’au 7 avril 2019.

L’entretien préalable, fixé le 3 avril 2019, s’est finalement déroulé le 5 avril 2019.

Dans un courrier du 12 avril 2019 adressé à son employeur ayant pour objet : « deuxième alerte sur la discrimination et le harcèlement moral », Mme [B] a dénoncé « une nouvelle fois » la discrimination et le harcèlement moral dont elle estimait faire l’objet.

Par lettre du 11 avril reçue le 13 avril 2019, la SCP ADIDA ET ASSOCIES a notifié à Mme [R] [B] son licenciement pour cause réelle et sérieuse et la fin de la collaboration entre les parties au terme du délai de préavis de trois mois.

Par lettre du 17 avril 2019, l’employeur a contesté la teneur de la lettre de la salariée du 12 avril 2019.

Par courriers des 18 avril et 3 mai 2019, la salariée a contesté, respectivement, les motifs de son licenciement et le contenu du courrier de l’employeur du 17 avril 2019.

C’est dans ces conditions que par requêtes des 11 juillet et 10 septembre 2019 Mme [R] [B] a saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Chalon-sur-Saône de la procédure qui après échec de la tentative de conciliation a donné lieu au jugement entrepris.

MOTIFS

1- Sur la nullité du licenciement :

A titre liminaire, il apparaît utile de faire observer que :

– d’une part, ainsi que l’a retenu avec pertinence le premier juge, il ne saurait être tiré quelque enseignement que ce soit du fait que chacune des parties bénéficie d’une solide expérience en droit du travail ;

– d’autre part, le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même n’est pas applicable à la preuve d’un fait juridique (2e Civ. 6 mars 2014 n° 13-14.295), de sorte que la cour est tenue d’examiner le contenu des propres écrits de Mme [B] antérieurs à l’introduction de la procédure, produits pour étayer ses demandes tendant à la nullité de son licenciement.

Mme [B] poursuit la nullité de son licenciement sur plusieurs fondements :

– en ce qu’il est motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral et de discrimination, à tout le moins par la dénonciation d’une situation génératrice de risques psychosociaux, et en tout état de cause par l’usage, par la salariée, de sa liberté d’expression ;

– en ce qu’elle a été victime de harcèlement moral et de discrimination à raison de son état de santé.

Pour dire le licenciement nul, le premier juge a retenu exclusivement le premier fondement susvisé, en application des articles L. 1152-3 du code du travail, 7.2.5, 9.2 et 9.3 de l’accord collectif du 1er juillet 2011 relatif à la prévention et à la gestion des risques psychosociaux, annexé à la convention collective nationale des cabinets d’avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 et étendu par arrêté du 2 avril 2012.

1-1- Sur la nullité du licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral et de discrimination, à tout le moins d’une situation génératrice de risques psychosociaux, et en tout état de cause par l’usage, par la salariée, de sa liberté d’expression :

Il convient à ce stade de rappeler les textes applicables :

– en matière de harcèlement moral :

L’article L. 1152-2 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige dispose :

« Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. »

En application de l’article L. 1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

– en matière de discrimination :

En vertu de l’article L. 1132-3 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné d’agissements discriminatoires ou pour les avoir relatés.

L’article L. 1132-4 du même code dans sa rédaction applicable au litige dispose : « Toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul. ».

– en outre, sont applicables au litige les dispositions de l’accord collectif du 1er juillet 2011 relatif à la prévention et à la gestion des risques psychosociaux, annexé à la convention collective nationale des cabinets d’avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 et étendu par arrêté du 2 avril 2012.

Son article 7.2.5 dispose :

« Tout avocat salarié constatant une situation qu’il considère comme pouvant être génératrice de risques psychosociaux devra en informer sa hiérarchie.
L’avocat salarié bénéficie de la protection établie par les articles L. 1552-2 [en réalité L. 1152-2] et L. 1153-2 du code du travail. »

L’article 9.2 intitulé « Devoir de signalement » précise :

« L’avocat salarié qui signale à la hiérarchie ou aux représentants du personnel une situation de danger soit pour lui-même, soit pour les autres est protégé dans les situations visées aux articles L. 1152-2 et L. 1153-2 du code du travail. »

Dans le cadre des litiges entre un avocat salarié et une personne non avocat, l’article 9.3.1. prévoit la possibilité d’une enquête interne :

« L’avocat salarié s’estimant victime d’un harcèlement ou toute personne du cabinet informée peut déclencher une procédure interne de vérification des faits allégués afin, le cas échéant, de pouvoir les faire cesser. La mise en ‘uvre de cette procédure ne doit pas avoir pour but de diffuser de fausses allégations ou de porter atteinte à la réputation d’une personne.
L’avocat salarié peut se faire assister dans toutes ses démarches par un représentant du personnel ou une personne de son choix appartenant obligatoirement au cabinet.

A la suite de l’entretien à l’initiative de l’employeur et compte tenu des éléments fournis par l’avocat salarié, l’employeur peut décider de procéder à une enquête.
L’enquête menée dans un délai raisonnable comportera les investigations, y compris auprès du médecin du travail, les auditions et les confrontations utiles.
Le salarié mis en cause sera informé de la procédure mise en place par tout moyen.
Cette enquête sera menée dans la plus grande confidentialité afin de garantir le respect et la dignité de chacun.
Le résultat de l’enquête sera notifié aux parties par l’employeur qui en tirera les conséquences compte tenu de son obligation de sécurité de résultat. »

Au cas présent, le 28 février 2019, dix jours après l’entretien avec deux de ses employeurs, Mme [B] a transmis à ces derniers une lettre aux termes de laquelle elle reprend les différents propos tenus lors de l’entrevue du 18 février et leur demande d’agir pour mettre un terme aux agissements à son endroit de certains membres du cabinet, avocats collaborateurs et personnes non avocats.

L’employeur fait valoir que Mme [B] n’a jamais avant son licenciement dénoncé de prétendus faits de harcèlement moral, qu’elle n’a pas davantage été victime de discrimination et que c’est seulement par un courrier du 12 avril 2019, postérieur à l’envoi de la lettre de licenciement, qu’elle évoque, à tort, ces notions. Il relève que dans son message du 28 février la salariée n’emploie absolument pas les termes « harcèlement moral » et « discrimination » et il se prévaut à cet égard d’un arrêt de la chambre sociale du 13 septembre 2017 (n° 15-23.045) qui, pour casser un arrêt d’appel ayant déclaré nul le licenciement du salarié, a retenu au visa des articles L. 1152-2 en sa rédaction alors applicable et L. 1152-3 du code du travail :

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le salarié n’avait pas dénoncé des faits qualifiés par lui d’agissements de harcèlement moral, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ».

Si les mots « harcèlement moral » et « discrimination » ne figurent pas dans le courrier du 28 février 2019 ainsi que le fait justement remarquer l’employeur, pour autant le premier juge a relevé à juste titre que Mme [B], son auteure, utilise des expressions dépourvues d’ambiguïté :

– « J’ai demandé un rendez-vous le 15 février à [E], par téléphone, pour évoquer un sentiment de mal-être au travail depuis mon retour d’arrêt maladie. J’avais et j’ai toujours l’impression d’être évitée, la communication étant devenue difficile, je me sentais mise à l’écart pour une raison inconnue malgré une remise en question de ma part ».

– « Il y a donc bien un malaise depuis mon retour d’arrêt maladie, mais la cause proviendrait des collaborateurs et des assistantes, si je comprends bien ».

– « Il serait préférable de mettre un terme à ces critiques qui me paraissent infondées, dont l’opiniâtreté me pèse quotidiennement ».

– « N’ayant pas l’autorité pour mettre un terme à cet acharnement, je me tourne vers vous pour veiller à ce que celui-ci se dissolve dans un souci de bienveillance et de sérénité ».

Au regard des dispositions susvisées, la salariée n’était pas tenue de qualifier les agissements qu’elle déplore à son égard mais de les relater.

Par-delà le ressenti clairement exprimé par la salariée, qui emploie notamment les expressions « mise à l’écart », « communication difficile », « malaise », « critiques qui me paraissent infondées, dont l’opiniâtreté me pèse quotidiennement », « acharnement », celle-ci expose aussi des faits plus précis en se disant aussi victime de « bruits de couloir » dans la mesure où il lui a été notamment rapporté :

« – que des assistantes soutiennent qu’il est anormal que j’ai une place de parking,

– que des collaborateurs se plaignent que vous m’ayez attribué ce grand bureau alors que je ne reçois pas de clientèle personnelle (mais exclusivement la vôtre),

– que certains collaborateurs ont demandé pendant longtemps à avoir un contrat salarié et qu’elle ne comprennent pas pourquoi vous en avez formalisé un avec moi dès l’embauche… ».

La salariée explique ainsi à son employeur qu’au cabinet elle se sent isolée, mise à l’écart et critiquée de façon récurrente, non seulement par des avocats collaborateurs mais aussi par des assistantes, notamment en raison de certains avantages dont elle bénéficie et qu’elle cite (place de parking, grand bureau, contrat d’avocat salarié).

La relation des faits dont la salariée se plaint pour demander à son employeur d’y mettre fin est suffisamment précise pour permettre à celui-ci de réagir. Elle doit dès lors s’analyser en une relation d’agissements répétés de harcèlement moral.

En tout état de cause, c’est avec pertinence que le premier juge a retenu que « sans même s’attacher aux propos qu’elle prête à son employeur au cours de l’entretien du 15 février 2019 [en réalité du 18 février 2019], il est manifeste que la salariée évoque dans son courrier, de manière explicite, l’existence de risques psychosociaux tels que définis à l’article 3.3 de l’accord collectif du 1er juillet 2011 : « Le concept de risque psychosocial recouvre des contextes de travail qui peuvent conduire à des formes variées de manifestations collectives et individuelles de mal-être au travail et/ou de pathologies physiques ou psychiques (stress, souffrance au travail, harcèlement moral, harcèlement sexuel, violences,…). Ce concept a pour origine des situations et des causes variées : surcharge de travail, contraintes excessives de temps, mais aussi perte de repère, difficultés à trouver du sens au travail, conflit de valeurs et d’intérêts,…). ».

L’employeur n’a apporté aucune réponse au courrier de la salariée du 28 février 2019, qui faisait suite à l’entretien du 18 février, et n’a diligenté aucune enquête interne, manquant ainsi à son obligation de sécurité vis-à-vis de la salariée.

En outre, la salariée ne pouvait être licenciée pour avoir relaté des agissements répétés à son égard et, à tout le moins, pour avoir évoqué l’existence de risques psychosociaux.

Or, la lettre de licenciement en date du 11 avril 2019, à laquelle la cour se réfère pour un plus ample exposé de sa teneur, fait expressément référence au courrier de la salariée du 28 février 2019 pour lui en reprocher tant les termes que les modalités de sa transmission :

– « La meilleure preuve en est le message que vous m’avez adressé ainsi qu’à Me [G], le 28 février dernier.

Non seulement les termes en sont inexacts et formellement contestés concernant la teneur de l’entretien et et les affirmations que vous nous prêtez, mais encore l’envoi de ce message mettant en cause vos collègues de travail sur nos boîtes mail professionnelles (auxquelles a accès l’ensemble du personnel lui ôtant tout caractère professionnel) traduit une véritable volonté de déstabiliser le Cabinet. »

– « (‘) vous préférez tenter de faire supporter à vos collègues la responsabilité des difficultés d’intégration dont vous êtes seule responsable. »

– (‘) dès lors que vos affirmations inexactes à l’égard de vos collègues ne permettent absolument plus d’envisager une collaboration dans des conditions normales. »

Ainsi que l’a relevé exactement le premier juge, le lien direct entre le courrier de la salariée et la procédure conduisant à la rupture de son contrat de travail est reconnu et admis par l’employeur aux termes de ses propres écritures.

Il en est de même dans ses conclusions d’appel, la société d’avocats y écrivant :

– page 7 : « En outre, aux termes de ses deux requêtes, Madame [B] cite (à longueur de page) concernant notamment une prétendue « discrimination et harcèlement moral » ses propres courriers dont encore une fois les termes ont été contestés par la SCP ADIDA (notamment le courrier du 28 février 2019 de Madame [B] à l’origine de l’engagement de la procédure de licenciement et qui est précisément visé dans la lettre de rupture du 11 avril 2019) ! »

– page 9 : « Aux termes de son message du 28 février 2019 (qui encore une fois a été contesté par l’engagement de la procédure de licenciement) […] »

L’employeur n’établit pas la mauvaise foi de la salariée, dont il se prévaut à plusieurs reprises dans ses conclusions.

Il s’ensuit qu’en application de l’article L. 1152-3 du code du travail, le licenciement de Mme [R] [B] ne peut qu’être déclaré nul, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les faits sous l’angle de l’usage par la salariée de sa liberté d’expression, examen qui conduirait cependant à la même solution dès lors qu’au regard des circonstances de la cause ci-avant exposées, l’usage par la salariée de sa liberté d’expression ne peut être considéré abusif et ne pouvait dès lors lui être reproché (Soc. 29 juin 2022 n° 20-16.060).

1-2- Sur le harcèlement moral et la discrimination à raison de l’état de santé :

Il convient à ce stade de rappeler les textes applicables :

– en matière de harcèlement moral :

L’article L. 1152-1 du code du travail dispose :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

En application de l’article L. 1152-3, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions de l’article L. 1152-1 est nul.

L’article L. 1154-1 du même code précise qu’en cas de litige relatif à l’application notamment de l’article L. 1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

– en matière de discrimination en raison de l’état de santé :

Aux termes de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en raison de son état de santé.

Tout licenciement pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions de l’article L. 1132-1 est nul, en application de l’article L. 1132-4 du code du travail.

L’article L. 1134-1 du même code prévoit que ‘ lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions de l’article L. 1132 précité, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles’.

Au cas présent, Mme [B] présente indistinctement des éléments de fait laissant selon elle supposer l’existence d’un harcèlement et d’une discrimination à raison de son état de santé, à l’exception du premier élément exposé qui ne concerne que la discrimination invoquée.

Elle se prévaut ainsi des éléments suivants :

1-2-1 La concomitance entre son arrêt de travail et la dégradation de ses conditions de travail :

Mme [B] soutient que la concomitance entre son arrêt de travail du 5 décembre 2018 au 3 janvier 2019 et la dégradation de ses conditions de travail et les références faites par l’employeur à cet arrêt de travail et aux suivants sont déjà des éléments permettant de caractériser le traitement discriminatoire dont elle a été la cible.

Elle rappelle que dans son courrier du 28 février 2019, elle fait état de cette concomitance, en écrivant : « Vous m’avez informée que le fait d’avoir été absente pendant un mois avait été très difficile à gérer pour le Pôle Social qui s’était retrouvé submergé de dossiers de consultations et de contentieux dont j’avais la charge, que cela était ingérable. » et en présentant « une nouvelle fois mes excuses si mon état de santé a pu perturber l’organisation du Pôle Social ».

Elle fait valoir que les termes de ce courrier n’ont jamais été contestés par l’employeur avant la notification du licenciement.

Elle note que dans son courrier du 17 avril 2019 l’employeur croit pouvoir à nouveau indiquer qu’il déplore son absence durant son préavis, compte tenu de sa charge de travail très importante, et rappeler qu’elle est depuis le lundi 15 avril dernier en situation d’absence injustifiée ce qui désorganise totalement le Service Social.

1-2-2 La privation de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat :

Mme [B] rappelle à cet égard que la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 a prévu la possibilité pour les entreprises de verser à leurs salariés une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat exonérée d’impôt sur le revenu et de charges sociales dans la limite de 1 000 euros par bénéficiaire.

Elle cite la circulaire ministérielle n°DSS/5B/2019/29 du 6 février 2019 d’application, dont il ressort que le seul critère autorisé pour exclure une partie des salariés du bénéfice de la prime exceptionnelle est la détermination d’un plafond de rémunération.

Elle produit la décision unilatérale de l’employeur en date du 31 janvier 2019, aux termes de laquelle celui-ci décide d’instituer pour l’année 2018 une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat qui sera versée le 27 mars 2019 aux salariés liés par un contrat de travail au 31 décembre 2018 hormis les salariés ayant le statut d’avocat (pièce n° 26).

Elle en tire la conclusion que le motif invoqué par l’employeur pour refuser de lui octroyer cette prime n’est pas légal.

1-2-3 L’absence de rémunération des journées d’absence pour cas fortuit :

Mme [B] indique que selon l’article 6-3 de la convention collective nationale des avocats salariés étendue, les absences de courte durée inférieures ou égales à trois jours, résultant d’un cas fortuit, n’entraînent aucune réduction de la rémunération effective si l’avocat salarié a fait prévenir son employeur le plus rapidement possible.

Elle expose qu’elle a dû s’absenter le 25 mars 2019 à midi pour récupérer son fils malade, dont elle avait la garde cette semaine-là, qu’elle en a immédiatement avisé son employeur en lui précisant que tout le travail demandé avait été terminé, que le 26 mars elle a porté à la connaissance de la comptable du cabinet, Mme [V], qu’elle serait de retour au travail dès le lendemain et qu’elle a transmis à l’employeur le certificat du médecin traitant attestant de la présence indispensable de la mère auprès de l’enfant, certificat en date du 25 mars 2019 qu’elle verse aux débats, ainsi que le courriel adressé le même jour à Maître [A] (pièces n° 18 et 34).

Elle fait valoir que la demi-journée et la journée des 25 et 26 mars 2019 ont pourtant été déduites de son salaire du mois de mars, le bulletin de paie afférent faisant apparaître la mention « congé sans solde » et une déduction de 178,31 euros bruts, et que ce n’est que postérieurement à la production de l’ordonnance de non conciliation fixant ses semaines de garde alternée que le cabinet ADIDA s’est résolu à régulariser la situation, le paiement de la somme précitée, majorée des congés payés afférents, étant en définitive intervenu le 26 novembre 2019.

1-2-4 L’impossibilité de prendre ses congés payés :

Mme [B] reproche à son ex-employeur d’avoir répondu très tardivement à ses demandes de congé (vacances d’août 2018 et journée du 21 février 2019) et de lui avoir refusé les jours de congés qu’elle avait sollicités le 8 février 2019 pour les mois d’avril et de mai 2019, refus qui serait révélateur de l’intention du cabinet, dès le mois de février 2019, de se séparer d’elle.

Elle en veut pour preuve ses courriers des 12 avril et 3 mai 2019, sa demande de congés présentée le 9 mai 2018 pour la période du 20 au 31 août 2018 et son courriel envoyé le 16 août 2018 à Maître [A] afin de lui proposer de décaler lesdits congés (pièces n° 21, 25, 49 et 50).

1-2-5 L’interdiction d’exercice du droit de grève :

Mme [B] soutient qu’il lui a été interdit de se joindre le 15 janvier 2019 à une délégation du barreau de Chalon-sur-Saône pour manifester à Paris.

Elle se réfère sur ce point à un échange de SMS en date du 15 janvier 2019 avec une consoeur prénommée [N], à l’occasion duquel elle écrit : « ne pas pouvoir aller à [Localité 6] aujourd’hui est très pénible pour moi. » et « On ne me laisse pas manifester c’est déjà bien assez. » (pièce n° 14).

1-2-6 La stigmatisation devant les conseillers prud’homaux :

Mme [B] expose que le 14 février 2019, alors qu’elle dispensait une formation aux conseillers prud’hommes MEDEF de Dijon, Mâcon et Chalon-sur-Saône, Maître [A] a tenu des propos humiliants à son endroit en annonçant devant l’ensemble des participants à la formation que Maître [J] était devenu associé du cabinet et en ajoutant qu’en plus d’être brillant, Maître [J] était un collaborateur qui, « lui », évoluait bien au cabinet.

Elle produit à cet égard un message téléphonique d’un conseiller prud’homme, qui serait M. [D] [F], qui lui demande le 14 février 2019 : « Et toi, tu évolues pas dans le cabinet ‘ » et qui, à la suite de la réponse de la salariée (« Non je pense que tu as compris »), écrit : « Hooo que oui Tu dois être un peu cruche ou pas assez brillante pour eux Ils sont pitoyables » (pièce n° 16).

1-2-7 L’immixtion des employeurs dans la vie privée de la salariée et la violation du secret des correspondances privées :

Madame [B] reproche à Maître [T] [H], devenue associée du cabinet en janvier 2019, d’avoir manqué de délicatesse à son égard en ne lui témoignant pas le moindre signe de soutien moral, en ne l’interrogeant pas sur ses souhaits quant à sa présence et en restant dans la salle d’audience quand elle s’est exprimée sur les faits reprochés à son ex-compagnon, lors de l’audience correctionnelle du 14 janvier 2019 à laquelle elle assistait en qualité de partie civile (victime de violences aggravées de la part de son ex-compagnon).

Elle produit à cet égard un échange de SMS avec sa consoeur [N] (déjà citée) à l’occasion duquel il est fait état du manque de délicatesse de Maître [T] [H] à cette audience correctionnelle.

Elle s’appuie par ailleurs sur une attestation de Mme [W] [I], ancienne salariée du cabinet, témoignant des médisances et des ragots au sein du cabinet de la part d’assistantes mais aussi d’avocats collaborateurs.

Mme [I] fait état des relations de « copinage » existant au sein du cabinet, en particulier entre Maître [T] [H] et l’assistante de Maître [A], Mme [P], et des comptes rendus faits à la seconde par la première, y compris depuis que celle-ci est devenue associée le 1er janvier 2019.

Ce témoin écrit : « Donc, il y a eu le compte-rendu de l’audience correctionnelle de janvier 2019 de Madame [B], avec des termes méprisants à son égard. Certes ce compte-rendu ne s’adressait pas particulièrement à moi mais comme il y a eu lieu devant mon poste de travail à l’accueil, j’ai entendu les commentaires désobligeants qui en ont découlés tel que « Tu te rends compte elle s’est remis avec son Lui (parlant de l’ex-ami et agresseur de Maître [B]) » « C’est n’importe quoi… » « Elle ne pense pas à ses enfants… » «  Elle est instable ».

Ce témoin relate également qu’une vidéo tournée par France 3 lors de la grève des avocats à [Localité 4], dans laquelle Maître [B], alors en arrêt maladie, est interviewée, a fait l’objet d’un visionnage collectif à la demande de Maître [A] sur son poste de travail à l’accueil et qu’à cette occasion elle a entendu des propos stigmatisants (« inadmissible, du foutage de g…, elle fait ce qu’elle veux, elle n’a pas honte… »), précisant que son ordinateur était le seul à pouvoir lire la vidéo et qu’à l’accueil tout le monde entend ce qu’il s’y passe y compris les clients ayant rendez-vous.

Madame [B] se prévaut également de la circonstance que son courrier d’alerte du 28 février 2019 a fait le tour du cabinet, du fait de Maître [T] [H] avec la complicité de l’assistante de Maître [A], Mme [P].

Mme [I] expose à cet égard que « le courrier envoyé par mail à l’intention de Maître [O] [G] et de Maître [A] par Maître [B], et édité sur papier par l’assistante de celui-ci et par Maître [H], a fait le tour du cabinet, laissant chacun libre de lire celui-ci et faire ses appréciations personnelles « elle y va un peu fort… », « C’est quand même Elle qui n’a jamais cherché à s’intégrer au sein du cabinet… », ne laissant aucune confidentialité entre Maître [B] et ses employeurs. J’ai moi-même eu ce courrier entre les mains. »

Ce témoin ajoute : « Et tous les jours, bien sûr des commentaires sur le comportement de Maître [B] et comme j’étais à l’accueil et que je voyais arriver tout le monde, les questions du style « A quelle heure est arrivée [R] ‘ », « A quelle heure est-elle partie ‘ » … ».

1-2-8 Les manquements répétés à l’obligation de fournir du travail, l’isolement, le retrait de ses outils de travail (ordinateur, ouvrages professionnels), l’exclusion du réseau professionnel interne au cabinet et la consultation de ses fichiers titrés « personnels » en dehors de sa présence :

Mme [B] reproche à son employeur de ne pas lui avoir donné de travail au cours des premiers jours suivant son retour le 22 janvier 2019 d’arrêt maladie.

Elle expose en outre avoir envoyé le 26 mars 2019 un message à Maître [A], qu’elle produit (pièce n° 18), lui rappelant qu’elle n’avait plus de tâches à accomplir et qu’elle serait de retour le lendemain à 8h00, et lui demandant de déposer des dossiers afin de pouvoir débuter le travail dès son arrivée, que pourtant le 27 mars, à son arrivée au cabinet, aucune mission ne lui a été confiée ni aucun dossier remis et que ce n’est qu’à 11h00 que Maître [A] l’a convoquée dans son bureau pour lui remettre la convocation à l’entretien préalable en vue d’un licenciement, annonce qui l’a immédiatement fait rechuter en arrêt maladie jusqu’au 7 avril 2019.

Elle fait aussi valoir qu’à son retour au cabinet le 8 avril 2019, elle a eu la surprise de constater qu’on lui avait retiré son ordinateur et son disque dur, lesquels contenaient au surplus des fichiers intitulés personnels et que ses ouvrages nécessaires à son travail de recherche (mémento social Francis Lefebvre, Lamy social) avaient également été enlevés de son bureau.

Elle reproche encore à Maître [A], à compter du 8 avril 2019, de ne plus l’avoir rendue destinataire de la moindre consigne de travail, mais seulement d’instructions transmises par des post-it de l’assistante de ce dernier, déposés en son absence sur son bureau. Elle en produit deux exemples ainsi que deux courriels de sa part en date des 10 et 11 avril 2019 en réponse précisément à deux de ces post-it (pièces n° 28 à 31).

Elle fait encore observer qu’elle était la seule collaboratrice du cabinet à ne pas pouvoir accéder aux nouveaux dossiers, dès lors qu’elle n’avait pas été formée au logiciel SECIB en raison de son arrêt maladie, et que du fait de l’absence d’accès au nouveau logiciel elle était dans l’impossibilité de communiquer en réseau avec ses collègues.

Elle ajoute qu’en tout état de cause, la mise à disposition d’un ordinateur portable n’était pas de nature à résoudre la problématique relative au retrait des données personnelles présentes sur le disque dur de son poste de travail habituel.

1-2-9 Le défaut de réaction de l’employeur en réponse aux alertes de la salariée :

Mme [B] fait grief à l’employeur de ne pas avoir donné suite à son courriel du 28 février 2019.

Elle souligne également qu’à son courrier du 12 avril 2019 renouvelant ses alertes, l’employeur lui a cette fois répondu par un courrier du 17 avril 2019 aux termes duquel il mentionne à nouveau son arrêt de travail de décembre 2018 et lui reproche son nouvel arrêt de travail, en ces termes selon ledit courrier constituant la pièce n° 23 de l’intimée :

« (‘) je tiens tout de même à rappeler (sans encore une fois vous en faire d’une quelconque façon le reproche) votre absence pour cause d’arrêt de travail pendant toute la durée du mois de décembre 2018 ; absence due à vos problèmes personnels qui ne sont manifestement pas réglés (que vous avez qualifié de très graves et qui avaient mis en danger votre santé mentale et même votre vie).

Enfin je rappelle que vous êtes depuis le lundi 15 avril dernier en situation d’absence injustifiée ce qui désorganise totalement le Service Social. »

1-2-10 L’incidence sur l’état de santé de la salariée :

Mme [B] produit les éléments médicaux suivants :

– ses arrêts de travail en date des 5 décembre 2018, 12 décembre 2018, 14 janvier 2019, 27 mars 2019, 15 avril 2019 et 15 mai 2019 (pièces n° 12, 13, 15, 20, 32 et 33) ; Si les quatre premiers ne comportent aucune précision, celui du 15 avril fait état de « conflit au travail avec pression majeure des employeurs humeur dépressive associée sorties libres à visée rééducative » et celui du 15 mai mentionne : « poursuite arrêt sur conflits professionnels majeurs. Sorties libres à visée rééducative » ;

– une ordonnance médicale du 14 janvier 2019 lui prescrivant un antidépresseur, un anxiolytique et un somnifère (pièce n° 39) ;

– une fiche de synthèse médicale la concernant, imprimée le 30 juillet 2019, mentionnant des pulsions suicidaires, une anxiété généralisée, faisant état d’un facteur de risque : « divorce suite violences conjugales » et posant, au 14 janvier 2019, le diagnostic de dépression (pièces n° 40 et 40-1) ;

– un certificat établi par Mme [Z], psycho-praticienne, qui « atteste avoir reçu en consultation Madame [R] [B] le Mercredi 27 Mars 2019. Elle présentait un profil très inquiétant étant sous le coup d’angoisses et de désespoirs totalement submergeants avec en outre crises de larmes incoercibles et pensées suicidaires. » (pièce n° 41) ;

– un certificat médical établi par le docteur [K], praticien ayant délivré l’avis d’arrêt de travail du 15 avril 2019, qui indique avoir noté au cours de cette consultation un syndrome dépressif majeur associé à une asthénie importante (pièce n° 42).

Il doit être constaté que parmi ces praticiens, seul le docteur [K] fait état du lien pouvant exister entre l’état de santé de la salariée et ses conditions de travail.

Ces faits pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral et d’une discrimination en raison de l’état de santé de la salariée.

Il appartient dès lors à l’employeur de justifier que ces agissements sont exclusifs de tout harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et à toute discrimination fondée sur l’état de santé.

– s’agissant du premier point (la concomitance entre l’arrêt de travail et la dégradation des conditions de travail de la salariée), l’employeur, s’il conteste toute discrimination, n’y répond pas précisément.

La société d’avocats évoque un dossier monté de toutes pièces et des pièges tendus par la salariée, sans établir la mauvaise foi de cette dernière, de sorte que ces arguments sont inopérants.

En outre et comme il l’avait déjà écrit dans son courrier du 17 avril 2019, l’employeur se prévaut de la proposition faite par Mme [B] dans son courrier du 28 février 2019 de continuer à travailler au cabinet dans le cadre d’une collaboration libérale, qui selon lui démontrerait l’absence de tout fait de harcèlement moral et de toute discrimination.

Cependant, cette proposition de la salariée n’a manifestement pas la portée que lui prête l’employeur. En effet, il ressort de ce courrier que la salariée a envisagé une autre solution à la demande de l’employeur et « en vue de ne pas vous embarrasser des médisances des collaborateurs et assistantes à mon égard et que vous m’avez rapportées ».

Au début de ce courrier, elle écrit : « Dès le début de l’entretien, vous m’avez fait part :

– de dysfonctionnements,

– de retours négatifs du cabinet et des collaborateurs concernant mes horaires de travail,

– tout en soutenant que je disposais de capacités de travail évidentes. »

Si dans la lettre de licenciement, l’employeur prend soin de rappeler à la salariée qu’il ne lui a jamais été reproché une quelconque absence pour cause d’arrêt maladie et de contester la teneur du courrier du 28 février 2019, il évoque néanmoins les horaires de travail et le temps de travail insuffisant de la salariée pour les lui reprocher en ces termes :

« Par ailleurs, je vous confirme qu’il y a également un réel problème concernant vos horaires de travail, et un temps travail insuffisant (dont l’appréciation relève de l’employeur indépendamment de la question de l’autonomie dans l’organisation du travail).

Il s’agit d’un constat objectif que nous avons fait (confirmé par le fait que vous persistez à sortir, et vous êtes la seule à le faire, par la porte de derrière du Cabinet…). »

Le courrier de l’employeur en date du 17 avril 2019, fait encore état, avec les précautions d’usage, des absences de la salariée : celle du mois de décembre 2018 pour cause d’arrêt de travail due à ses « problèmes personnels » et celle en cours depuis le 15 avril pendant le préavis.

L’assistante de M. [E] [A], Mme [C] [P] née [M], atteste en faveur de son employeur en ces termes :

« La seule chose qui soit vraie c’est que Maître [A] et moi-même (pour lui passer les appels téléphoniques des clients) nous nous sommes interrogés sur les horaires de Maître [B], en constatant qu’elle était régulièrement absente de son bureau. Celle-ci était d’ailleurs la seule salariée du cabinet à entrer et sortir par la porte arrière de la cuisine, évitant ainsi tout contrôle. », ce témoignage insuffisamment circonstancié ne permettant pas d’établir qu’un problème d’horaires de travail et de temps de travail se posait au cours des deux premières années de la relation contractuelle.

A l’examen des productions de part et d’autre, il n’apparaît nullement que la salariée était soumise aux horaires de travail collectifs ou à des horaires de travail précis et il n’a jamais été question, avant les arrêts de travail pour cause de maladie de la salariée, d’un quelconque problème relatif à un temps de travail insuffisant.

Il n’existe ainsi aucun élément objectif pertinent permettant de décorréler le grief fait à la salariée sur ce point de ses arrêts maladie de décembre 2018 et janvier 2019.

– au sujet du deuxième point (la privation de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat), l’employeur répond qu’il a décidé d’attribuer cette prime aux salariés à l’exception des avocats salariés (compte tenu notamment de la spécificité de leur statut conventionnel) et en justifie par l’attestation de Mme [V], responsable administrative et comptable du cabinet (pièce n° 18).

Ainsi que l’a relevé avec pertinence le bâtonnier de l’ordre, s’il est exact qu’il n’était pas possible d’exclure du bénéfice de la prime une catégorie de salariés sur la base du critère retenu, il doit cependant être relevé que Maître [B] n’a fait l’objet d’aucun traitement différent de celui réservé aux autres avocats salariés, parmi lesquels figurait la propre s’ur de l’un des associés.

L’employeur établit dès lors que ce fait est exclusif de tout harcèlement moral et que l’erreur commise au détriment notamment de Maître [B] repose sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et à toute discrimination fondée sur son état de santé.

– Sur le point 3 (l’absence de rémunération des journées d’absence pour cas fortuit), il répond qu’il aurait pu être contesté que la prescription d’un arrêt maladie pour un enfant malade constitue véritablement pour ses parents un cas fortuit mais que la somme réclamée a été réglée à Mme [B] dès lors qu’elle a fourni près la conciliation devant le bâtonnier ‘ et en cours de délibéré seulement les justificatifs de sa semaine de garde alternée’.

Le premier juge a rappelé qu’il s’agissait de la rémunération d’une brève absence pour cas fortuit et retenu qu’il n’était pas possible de tirer des conséquences de cette abstention d l’employeur, compte tenu de l’absence de définition du cas fortuit dans la convention collective applicable.

Cependant, l’article 6.3 de la convention collective applicable prévoit :

« Les absences de courte durée, résultant d’un cas fortuit, n’entraînent aucune diminution de la rémunération effective, à condition toutefois que l’intéressé ait prévenu ou fait prévenir son employeur le plus rapidement possible de telle sorte que puissent être prises toutes dispositions en vue de pallier les conséquences de cette absence, tout spécialement à l’égard de la clientèle. Par absence de courte durée, il y a lieu d’entendre une absence n’excédant pas 3 jours. Toutes justifications sont ensuite fournies sur les raisons de cette situation.

L’avocat salarié s’efforce de réduire les conséquences de son absence sur le suivi des dossiers en cours, en particulier en se tenant à la disposition de celui de ses confrères qui le supplée pour lui procurer téléphoniquement ou à domicile les informations utiles et en restant en contact avec le cabinet lorsqu’il y a urgence. »

Considérant les caractéristiques de l’absence prévues par ces dispositions conventionnelles (courte absence n’excédant pas trois jours, recommandation à l’avocat salarié absent de se tenir à la disposition de celui de ses confrères qui le supplée pour lui procurer téléphoniquement ou à domicile les informations utiles), la cour retient que l’absence de Mme [B], les 25 mars et 26 mars 2019, nécessitée par la garde de son enfant malade âgé de 3 ans et demi, alors que c’était sa semaine de garde (semaine impaire) ainsi qu’elle en justifie, entre à l’évidence dans les prévisions de ce texte.

Ainsi qu’il a été dit, Mme [B] justifie également en avoir averti immédiatement son employeur, lequel ne pouvait ignorer que c’était sa semaine de garde dans la mesure où la salariée l’avait précisément informé des modalités de la garde alternée mise en place dans son courrier du 28 février 2019.

La retenue sur le salaire de la somme correspondante, puis son règlement tardif en fin d’année 2019 après la saisine du bâtonnier , ne sont donc pas fondés.

Dans ces conditions, l’employeur n’établit pas que ce fait est exclusif de tout harcèlement moral et qu’il est justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et à toute discrimination fondée sur l’état de santé.

– S’agissant du point 4 (l’impossibilité de prendre ses congés payés), l’employeur répond que Mme [B] ne s’est pas une seule fois vu opposer un refus de prendre les congés qu’elle a posés.

Il produit un témoignage de Mme [V], déjà citée, qui atteste que les congés sollicités par la salariée ont toujours été accordés aux dates demandées et que Maître [A] ne les a jamais refusés.

La circonstance que Mme [B] a posé le 9 mai 2018 des congés les semaines des 20 et 27 août 2018 et qu’elle a proposé le 16 août de venir au cabinet pour faire le point et de poser ses congés ensuite, ce à quoi M. [E] [A] lui a répondu : « oui pas de problème, merci ! », comme la salariée le justifie, ne révèle pas que ses congés ne lui avaient pas été accordés et n’a pas la portée que lui prête l’intimée dès lors que c’est elle qui propose de décaler ses congés, ainsi que le fait observer avec pertinence l’employeur.

Concernant les congés tardivement accordés pour le 21 février 2019 ainsi que pour un jour en mars et les congés non accordés pour les mois d’avril et de mai 2019, Mme [B] n’en justifie pas, étant précisé qu’elle ne produit pas les demandes de congés correspondantes.

Elle ne saurait par ailleurs tirer un quelconque argument du fait que l’employeur n’a pas répondu à son dernier courrier du 3 mai 2019, très postérieur au licenciement.

Considérant ainsi les seuls éléments établis matériellement et les éléments de réponse apportés par l’employeur, en particulier l’attestation de Mme [V], ce fait ne peut être retenu.

– S’agissant de l’interdiction d’exercice du droit de grève le 15 janvier 2019 à [Localité 6] (élément n° 5), l’employeur la conteste énergiquement et dénie toute force probante au SMS envoyé par l’intéressée à l’une de ses amies.

Il justifie en outre que Madame [B] avait déjà participé à une précédente manifestation professionnelle à [Localité 6] sans aucune difficulté.

Les confidences relativement lapidaires sur ce point faites par l’intéressée dans un SMS à sa consoeur prénommée [N] ne suffisent pas à établir matériellement le fait invoqué, alors en outre que le 15 janvier 2019 elle se trouvait en arrêt de travail.

Ce fait ne peut donc être retenu.

– S’agissant de la stigmatisation devant les conseillers prud’homaux (point 6), l’employeur répond qu’à l’occasion d’une formation dispensée le 14 février 2019 Maître [A] a simplement indiqué aux conseillers présents que Maître [L] [J], collaborateur libéral depuis 5 ans au cabinet, venait d’y être intégré en qualité d’associé et que cette annonce ne s’est évidemment accompagnée d’aucun commentaire péjoratif à l’endroit de Mme [B].

Il oppose à juste titre l’absence de valeur probante de l’échange de SMS entre l’intéressée et un conseiller prud’homal, M. [D] [F].

En effet, cet échange elliptique de Mme [B] avec l’un de ses amis, dans lequel aucun propos humiliant que Maître [A] aurait tenu n’est évoqué, n’établit pas matériellement le fait présenté par l’intéressée.

Ce fait ne peut donc être retenu.

– s’agissant de l’immixtion des employeurs dans la vie privée de la salariée et la violation du secret des correspondances privées (point 7), il apparaît difficile de reprocher à l’employeur l’éventuel manque d’empathie et de délicatesse de Maître [T] [H] lors de l’audience correctionnelle du 14 janvier 2019, alors que celle-ci venait d’être associée et qu’elle avait un dossier à plaider à cette audience.

En revanche, il ressort du témoignage de Mme [I] que Maître [T] [H] s’est « répandue » sur ce qu’il s’était passé à l’audience correctionnelle du 14 janvier 2019 dans le cadre de l’affaire opposant Mme [B] à son ex-conjoint.

Contrairement au premier juge, la cour retient la valeur probante de ce témoignage circonstancié, ni la circonstance que Mme [I] a elle aussi quitté le cabinet en 2019, ni l’attestation en sens contraire de Mme [C] [P] (née [M]), assistante de M. [E] [A], laquelle est sous la subordination de celui-ci et impliquée par Mme [B], n’étant de nature à le remettre en cause.

Au demeurant, si Mme [P], qui écrit avoir pris connaissance des conclusions de Maître [B] et de ses pièces, entend réfuter le témoignage de Mme [I], elle le corrobore en partie pour ce qui concerne le visionnage collectif de la video dans laquelle Mme [B] alors en arrêt maladie est interviewée :

« Par contre il est exact que Maître [A] a demandé à visionner du poste de l’accueil (seul poste techniquement compatible) un reportage de France 3 dans lequel nous avons découvert que Maître [B], alors en arrêt maladie, s’exprimait au nom du Barreau, ce dont Maître [A] s’est étonné, sans autre commentaire. »

Or, rien n’empêchait M. [E] [A] d’accorder moins d’audience à ce visionnage en y procédant plus discrètement hors la présence des assistantes et des avocats collaborateurs.

En regardant la vidéo à l’accueil au su et au vu de tous, l’employeur a indéniablement encouragé les propos malveillants dont Mme [B] était la cible au sein du cabinet.

Par ailleurs, le témoignage de Mme [I] établit que le courrier du 28 février 2019 transmis par la salariée à Maîtres [E] [A] et [O] [G] a fait le tour du cabinet à l’initiative de Maître [T] [H] et de l’assistante de Maître [A], Mme [C] [P].

A cet égard, si l’employeur rapporte la preuve que Mme [B] connaissait l’adresse mail personnelle de M. [E] [A] (sa pièce n° 21), il n’établit pas qu’elle connaissait celle de M. [O] [G].

En tout état de cause, il n’y avait aucune raison que ce message constituant la pièce jointe d’un courriel transmis uniquement à MM. [E] [A] et [O] [G] sur leur boîte mail professionnelle sous l’intitulé « Personnel-à l’intention de Mes [A] et [G] » soit divulgué et diffusé après édition.

Mme [B] ne saurait dans ces conditions être tenue pour responsable de cette divulgation, décidée à son préjudice, ni se voir imputer « une véritable volonté de désorganiser le cabinet ».

– s’agissant du huitième point (les manquements répétés à l’obligation de fournir du travail, l’isolement, le retrait de ses outils de travail (ordinateur, ouvrages professionnels), l’exclusion du réseau professionnel interne au cabinet et la consultation de ses fichiers titrés « personnels » en dehors de sa présence), la salariée rapporte uniquement la preuve qu’à compter du 8 avril 2019, Maître [A] l’a rendue destinataire d’instructions transmises par des post-it de l’assistante de ce dernier, déposés en son absence sur son bureau. Elle en produit deux exemples ainsi que deux courriels de sa part en date des 10 et 11 avril 2019 en réponse précisément à deux de ces post-it (pièces n° 28 à 31).

Le premier juge a retenu que la durée de ce mode de fonctionnement par post’it n’est pas établie et que les parties se sont méprises l’une et l’autre sur leurs intentions réciproques.

Toutefois, l’employeur, et à sa suite l’assistante Mme [P] dans son attestation, ne sont pas fondés à prétendre que la salariée était à l’initiative de la communication par post’it, sur la base de son message téléphonique du 26 mars 2019.

En effet, dans ce message transmis à M. [E] [A] la veille de son retour de congé pour enfant malade, Mme [B] lui demande uniquement et de façon ponctuelle de bien vouloir faire déposer sur son bureau, par son assistante [C] [P], les dossiers qu’il entend lui confier.

Mme [B] n’a ainsi jamais demandé à recevoir des consignes de travail par post’it de Mme [C] [P], et spécialement pas à son retour d’arrêt maladie le 8 avril 2019.

Pour ce qui concerne l’outil informatique, l’employeur justifie qu’un changement de logiciel (CLIOR remplacé par SECIB) avait été programmé de longue date pour tous les postes de travail du cabinet et que comme l’ensemble du personnel Mme [B] avait été inscrite, le 4 avril 2019, sur le planning des formations dispensées par les formateurs de SECIB, formation qu’elle n’a pas pu suivre en raison de son arrêt de travail du 27 mars au 7 avril 2019.

Si effectivement dans sa lettre du 17 avril 2019 M. [E] [A] se contente d’écrire : « Les postes fixes ayant été changés, un portable a été mis à votre disposition », Mme [V], responsable administrative et comptable du cabinet, atteste qu’à ce titre elle a participé au changement de logiciel informatique au printemps 2019, que Mme [B] n’a pu être formée comme prévu le 4 avril du fait de son arrêt maladie, que sa formation n’a pu être reprogrammée compte tenu de ses arrêts maladie jusqu’à la fin de son préavis et que pour autant Mme [B] n’était pas dans l’impossibilité de travailler puisque son poste informatique avec le logiciel CLIOR était toujours à sa disposition, ainsi que trois ordinateurs portables permettant de continuer à travailler temporairement sur CLIOR dans l’attente de l’utilisation générale de SECIB.

Mme [V] atteste en outre qu’aucun membre de la SCP ne lui a donné la moindre instruction pour ne pas former Maître [B] au nouvel outil informatique.

La cour relève que les réponses des 10 et 11 avril 2019 de Mme [B] aux instructions sur post’it démontrent qu’elle a été en mesure de modifier des conclusions sans aucune difficulté.

– s’agissant du 9ème point (défaut de réaction de l’employeur en réponse aux alertes de la salariée), il est constant que l’employeur n’a donné aucune suite à son courriel du 28 février 2019, ainsi qu’il a été dit.

– s’agissant de l’incidence sur l’état de santé de la salariée (point 10), le premier juge a relevé à juste titre que le dossier pénal à l’audience du 14 janvier 2019 n’était sans doute pas sans lien avec le constat médical.

Si au regard de la chronologie des événements et des documents médicaux susvisés, il est manifeste que les premières constatations médicales sont liées aux graves difficultés auxquelles Mme [B] a été confrontée dans sa vie de couple, pour autant il est suffisamment établi que son état de santé psychique fragilisé a été aggravé par la dégradation de ses conditions de travail et par sa convocation à un entretien préalable au licenciement.

C’est ainsi que le 27 mars 2019, jour de la remise de la convocation à entretien préalable, à deux mois et demi de l’audience correctionnelle du 14 janvier, Mme [Z], psycho-praticienne, constate le « profil très inquiétant » de Mme [B], « sous le coup d’angoisses et de désespoirs totalement submergeants ».

Après avoir constaté le 15 avril 2019 l’existence d’un syndrome dépressif majeur associé à une asthénie importante, le docteur [K] fait le lien entre l’état de santé de la salariée et ses conditions de travail.

Il ressort de surcroît des écrits des parties que la société d’avocats, dont l’une des collaboratrices assistait Mme [B] dans le cadre de sa procédure de divorce, n’ignorait pas la fragilité de la salariée, confrontée à une situation de violences conjugales dans son couple.

Enfin, dans ce contexte, l’employeur ne peut tirer aucun argument utile des éventuels talents de comédienne de Mme [B] pour laisser entendre qu’elle aurait dupé les médecins, ni de son engagement dans la campagne municipale de 2020, près d’un an plus tard, qui témoigne de sa faculté de résilience mais n’est pas de nature à invalider les agissements et comportements reprochés à l’employeur, ni à démentir le repli sur soi invoqué par l’intéressée dans la sphère professionnelle.

Considérant les développements qui précèdent, la cour retient sur la base des éléments n° 1, 3, 7, 8 (partiellement), 9 et 10 que Mme [B] a été victime de la part de son employeur de discrimination à raison de son état de santé et d’agissements constitutifs de harcèlement moral, étant rappelé que celui-ci est constitué indépendamment de l’intention de son auteur. Le licenciement est donc également nul de ces chefs et le jugement entrepris sera infirmé sur ces points.

2- Sur l’indemnité pour licenciement nul :

En application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’indemnité ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Le salaire moyen brut mensuel s’élève à 2.790,28 euros compte tenu de l’incidence du treizième mois, ainsi que l’a exactement fixé le premier juge, sauf à préciser qu’il s’agit de la moyenne des salaires des douze derniers mois.

Considérant les circonstances de la cause décrites ci-avant ayant entraîné la nullité du licenciement, l’ancienneté de la salariée et sa situation financière postérieurement au licenciement ‘ elle justifie avoir été indemnisée par Pôle emploi, avoir enchaîné quelques contrats à durée déterminée de très courte durée puis exercer à nouveau en qualité d’avocat à titre individuel depuis le 2 janvier 2021 ‘ il convient de condamner la société d’avocats à lui payer la somme de 19.532,01 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul.

3- Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral :

Les agissements constitutifs de harcèlement moral, qui se sont déroulés sur une période de l’ordre de trois mois et ont aggravé son état de santé ainsi qu’il a été dit, justifient qu’il soit alloué à Mme [B] la somme de 3.000 euros à ce titre, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

4- Sur les dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité :

Sur le fondement des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, il convient d’indemniser le préjudice distinct subi par Mme [B] du fait du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, qui n’a apporté aucune réponse au courrier de la salariée du 28 février 2019 ni diligenté une enquête interne, et d’allouer à ce titre à Mme [B] la somme de 1.000 euros.

5- Sur le remboursement des allocations versées par Pôle emploi :

Mme [B] justifie avoir été indemnisée par Pôle emploi depuis le 19 août 2019, à raison de 51,65 euros brut par jour (pièces n° 52, 58 et 60).

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus notamment aux articles L. 1132-4 et L. 1152-3 du même code, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société ADIDA ET ASSOCIES au remboursement des allocations de retour à l’emploi versées par Pôle emploi à Madame [B] depuis le 19 août 2019 dans la limite de trois mois.

6- Sur les intérêts de retard sur le rappel de la prime exceptionnelle :

Ainsi que le fait observer l’intimée, dans sa déclaration d’appel, l’employeur n’a pas critiqué le chef de jugement portant sur le paiement de la prime exceptionnelle de 100 euros, qui était incontestablement due ainsi qu’il a été dit ci-avant, mais seulement celui portant sur les intérêts de retard sur cette somme, accordés par le premier juge à compter du 27 août 2019, « date de réception par l’employeur de la lettre de contestation par la salariée de son reçu pour solde de tout compte et de la mise en demeure de l’employeur de la rétablir dans ses droits ».

Il en est de même dans ses conclusions d’appelant n° 2 déposées à l’audience du 27 septembre 2022, qui énumèrent les chefs expressément critiqués.

La lettre de contestation du solde de tout compte reçue par l’employeur le 27 août 2019 (pièce n° 37 de l’intimée) comporte une interpellation suffisante de l’employeur de payer à la salariée la somme de 100 euros nets au titre de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et vaut mise en demeure.

Dès lors et conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du code civil, c’est à juste titre que le premier juge a statué comme il l’a fait et sa décision sera confirmée sur ce point.

7- Sur la délivrance des documents sociaux :

Le présent arrêt étant partiellement infirmatif, il convient d’ordonner à la société ADIDA ET ASSOCIES de remettre à Mme [R] [B] un bulletin de paie, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes audit arrêt.

8- Sur les frais irrépétibles et les dépens :

La décision attaquée sera infirmée en ce qu’elle a statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance.

Il est équitable d’allouer à Mme [B] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer depuis l’introduction de la procédure.

L’employeur, qui succombe, n’obtiendra aucune indemnité sur ce fondement et supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a :

– condamné la société d’avocats ADIDA ET ASSOCIES à verser à Mme [R] [B] les intérêts légaux à compter du 27 août 2019 sur la somme de 100 euros représentant le montant de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat de 2019,

– dit que le licenciement de Maître [R] [B] est nul,

– condamné la société d’avocats ADIDA ET ASSOCIES au remboursement des allocations de retour à l’emploi versées par Pôle emploi à Madame [B] depuis le 19 août 2019 dans la limite de trois mois,

– fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de Maître [R] [B] à la somme de 2.790,28 euros, sauf à préciser qu’il s’agit de la moyenne des salaires des douze derniers mois ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que le licenciement est nul également pour discrimination à raison de l’état de santé et harcèlement moral ;

Condamne la SELAS ADIDA ET ASSOCIES venant aux droits de la SCP ADIDA ET ASSOCIES à payer à Mme [R] [B] les sommes suivantes :

– 19 532,01 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ;

– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

– 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;

Déboute Mme [R] [B] du surplus de ses demandes ;

Ordonne à la SELAS ADIDA ET ASSOCIES venant aux droits de la SCP ADIDA ET ASSOCIES de remettre à Mme [R] [B] un bulletin de paie, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt ;

Condamne la SELAS ADIDA ET ASSOCIES venant aux droits de la SCP ADIDA ET ASSOCIES à payer à Mme [R] [B] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer depuis l’introduction de la procédure ;

Condamne la SELAS ADIDA ET ASSOCIES venant aux droits de la SCP ADIDA ET ASSOCIES aux dépens de première instance et d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le six décembre deux mille vingt deux et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,

 


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