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26 septembre 2022
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
22/00011
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 26 SEPTEMBRE 2022
N° RG 22/00011 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MPVS
S.A.S. DUVERGT FBI
c/
[M] [F] [O]
S.A.R.L. DOURSAT
Nature de la décision : AU FOND
APPEL D’UNE ORDONNANCE DE REFERE
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 16 décembre 2021 par le Président du Tribunal Judiciaire de PERIGUEUX (RG : 21/00247) suivant déclaration d’appel du 03 janvier 2022
APPELANTE :
S.A.S. DUVERGT FBI, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PERIGUEUX sous le numéro 510 961 402, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
représentée par Maître ALBIAC substituant Maître Fernando SILVA de la SCP DELTA AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[M] [F] [O]
né le 03 Janvier 1994 à [Localité 6]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 1]
représenté par Maître Vincent MARIS de la SELARL PLUMANCY, avocat au barreau de PERIGUEUX
S.A.R.L. DOURSAT, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de BERGERAC sous le numéro 810 681 239, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 5]
représentée par Maître David LARRAT de la SELARL H.L. CONSEILS, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 juin 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Vincent BRAUD, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Vincent BRAUD, conseiller,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
Par acte sous seing privé du 23 janvier 2017, la société Duvergt FBI a conclu avec [M] [F] [O] un contrat à durée indéterminée pour le poste de métreur, deviseur et commercial de la société. Le 6 décembre 2019, [M] [F] [O] a présenté à la société Duvergt FBI une lettre de démission à effet au 7 janvier 2020. [M] [F] [O] a été ensuite recruté par une société concurrente de la société Duvergt FBI, la société Doursat.
Par requête du 2 mars 2021, la société Duvergt FBI a sollicité l’autorisation de procéder non contradictoirement à des constatations dans les locaux de la société Doursat sur le fondement des articles 145 et 493 du code de procédure civile. La société Duvergt FBI exposait que lors de la reprise du poste de travail de [M] [F] [O], elle avait découvert que ce dernier avait organisé, au cours des derniers mois de son activité, un transfert de ses nouveaux dossiers vers la société Doursat. Les demandes de devis, documents et propositions commerciales de la société Duvergt FBI avaient ainsi été transférés vers la société Doursat, lui permettant d’établir des devis plus compétitifs.
Par ordonnance du 4 mars 2021, le tribunal judiciaire de Périgueux a fait droit à la requête de la société Duvergt FBI et a désigné la société civile professionnelle Galodé et Repussard, huissiers de justice, pour poursuivre les opérations de constat et se faire remettre les documents utiles à la mesure d’instruction. L’ordonnance a été exécutée et signifiée à la société Doursat le 13 avril 2021.
Par exploits en date des 10 et 11 août 2021 et conclusions du 30 novembre 2021, [M] [F] [O] a assigné la société Doursat et la société Duvergt FBI devant le président du tribunal judiciaire de Périgueux, sur le fondement des articles 496 et 497 du code de procédure civile, en rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 4 mars 2021, et condamnation en paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.
[M] [F] [O] sollicitait la rétractation de l’ordonnance rendue sur requête aux motifs que les documents produits au soutien de la requête du 2 mars 2021, et spécialement les pièces nos 11, 16, 20 et 23, proviennent de sa boîte de messagerie personnelle et ont donc été obtenus de manière illicite, en violation du principe de la loyauté de la preuve, du secret des correspondances et des dispositions des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 226-15 du code pénal et L.1121-1 du code du travail.
Par ordonnance contradictoire en date du 16 décembre 2021, le président du tribunal a :
‘ Rétracté l’ordonnance rendue sur la requête de la société Duvergt FBI le 4 mars 2021 ;
‘ Annulé l’ensemble des procès-verbaux, saisies et copies effectués en exécution de cette ordonnance ;
‘ Ordonné la restitution à la société Doursat et à [M] [F] [O], directement ou par l’intermédiaire de l’huissier instrumentant (société civile professionnelle Galodé et Repussard), dans un délai de 15 jours à compter de celui de la signification de la présente décision, de l’ensemble des saisies, fichiers et documents, originaux, annexes et copies de toute nature établis en exécution de l’ordonnance du 4 mars 2021 quels qu’en soient le support et le détenteur ;
‘ Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
‘ Condamné la société Duvergt FBI aux dépens de l’instance.
Par déclaration du 3 janvier 2022, la société Duvergt FBI a interjeté appel de l’ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 20 avril 2022, la société Duvergt FBI demande à la cour de :
‘ Recevoir la société Duvergt FBI en son action et l’y déclarer bien fondée ;
‘ Infirmer l’ordonnance rendue le 16 décembre 2021 par le juge des référés près le tribunal judiciaire de Périgueux en toutes ses dispositions ;
Statuant de nouveau,
‘ Confirmer purement et simplement l’ordonnance rendue sur requête le 4 mars 2021 ;
‘ Ordonner à la société civile professionnelle Galodé et Repussard, huissier de justice, de remettre à la société Duvergt FBI l’ensemble des documents conservés sous séquestre en son étude, au titre de la mission qui lui a été confiée le 4 mars 2021 ;
En tout état de cause,
‘ Condamner in solidum [M] [F] [O] et la société Doursat au paiement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 2 juin 2022, [M] [F] [O] demande à la cour de :
‘ Dire et juger [M] [F] [O] recevable et bien fondé en l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Partant,
‘ Débouter la société Duvergt FBI de son appel, le disant radicalement mal fondé ;
‘ Confirmer en l’ensemble de ses dispositions l’ordonnance rendue le 16 décembre 2021 et rétractant l’ordonnance rendue le 4 mars 2021 par monsieur le président près le tribunal judiciaire de Périgueux à la requête de la société Duvergt FBI ;
‘ Condamner la société Duvergt FBI au paiement de la somme de 5 000 euros à [M] [F] [O] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Condamner la société Duvergt FBI aux entiers dépens, outre l’émolument prévu à l’article A. 444-32 du code de commerce.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 22 mars 2022, la société à responsabilité limitée Doursat demande à la cour de :
‘ Confirmer purement et simplement la décision dont appel en toutes ses dispositions ;
‘ Condamner la société Duvergt FBI à verser une somme de 2 000 euros à la société Doursat sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Condamner la société Duvergt FBI aux entiers dépens sur le fondement de l’article 696 du code de procédure civile et, au surplus, à tous les frais d’exécution, en ce compris le droit proportionnel dû à l’huissier de justice sur le fondement de l’article A. 444-32 du code de commerce.
Au visa de l’article 905 du code de procédure civile, l’affaire a fait l’objet le 24 janvier 2022 d’une ordonnance de fixation à bref délai à l’audience du 20 juin 2022, la clôture de la procédure étant ordonnée à la date du 7 juin 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le bien-fondé de la mesure d’instruction :
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Le juge, saisi d’une demande de rétractation de l’ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et tenu d’apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s’assurer seulement de l’existence d’un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.
Les intimés contestent en l’espèce la licéité des moyens de preuve employés par l’appelante pour caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction avant tout procès. Ils font valoir en ce sens que les pièces nos 10, 11, 16, 20, 23, 24 et 25 produites au soutien de sa requête par la société Duvergt FBI ont été obtenues en violation du secret des correspondances de [M] [F] [O], parce qu’il s’agit de messages électroniques provenant de la messagerie personnelle du salarié de la société Duvergt FBI.
Aux termes de l’article 9, alinéa premier, du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.
Aux termes de l’article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
Il s’ensuit que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; celle-ci implique en particulier le secret des correspondances. L’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur (Soc., 2 oct. 2001, no 99-42.942).
Cela étant, les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence (Soc., 18 oct. 2006, no 04-48.025).
Néanmoins, les messages électroniques provenant de la messagerie personnelle du salarié distincte de la messagerie professionnelle dont celui-ci dispose pour les besoins de son activité, doivent être écartés des débats en ce que leur production en justice porterait atteinte au secret des correspondances (Soc., 26 janv. 2016, no 14-15.360).
La demande de rétractation d’une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne tendant qu’au rétablissement du principe de la contradiction, le juge de la rétractation qui connaît d’une telle demande doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.
Il ressort du constat versé aux débats (pièce no 30 de l’appelant) que l’ensemble des courriels ont été recueillis sur l’ordinateur professionnel de [M] [F] [O], mis à sa disposition par la société Duvergt FBI, ce sur un onglet intitulé « Duvergt [M] », et que cet onglet ouvre accès à deux boîtes aux lettres électroniques, sans mot de passe, à savoir d’une part « [Courriel 3] » par l’application Outlook, et d’autre part « [Courriel 4] » par l’application Mail.
Nonobstant l’accès sans mot de passe à l’une et l’autre boîtes aux lettres électroniques par un onglet commun identifié comme professionnel, le libellé explicite des adresses électroniques en cause permet de distinguer la messagerie personnelle de [M] [F] [O] de sa messagerie professionnelle.
Or, le but poursuivi par la société Duvergt FBI est de corroborer des soupçons de détournement de documents et de concurrence déloyale. Par ailleurs, elle peut avoir accès aux messages électroniques provenant de la messagerie professionnelle de son salarié. Dans ces circonstances, la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle de ce dernier n’est pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur, et une telle atteinte n’est pas proportionnée au but poursuivi.
Les messages électroniques provenant de la messagerie « [Courriel 3] » doivent donc être écartés des débats.
Il n’est cependant pas démontré que les sept pièces litigieuses, à savoir nos 10, 11, 16, 20, 23, 24 et 25, proviennent toutes de l’adresse électronique personnelle « [Courriel 3] ». En effet, seules les pièces nos 11, 23 à 25 apparaissent comme étant envoyées à partir d’Outlook ou mentionnent l’adresse « [Courriel 3] ». Les pièces nos 10 (courriel relatif au projet [U]), 16 (courriel relatif au projet [S]) et 20 (courriel relatif au projet Oxymétal) sont des messages électroniques émis ou envoyés à « [M] [F] [O] » ou à « [M] [F] » sans qu’on ne puisse identifier le détail de l’adresse électronique, à savoir « [Courriel 3] » ou « [Courriel 4] ».
Seules seront donc écartées les pièces nos 11, 23 à 25.
De l’analyse des autres pièces versées aux débats par la société Duvergt FBI, il ressort qu’au mois de décembre 2019, [M] [F] [O] a transféré à son futur employeur, la société Doursat, plusieurs demandes de devis émises par les clients de la société Duvergt, outre les plans réalisés pour y répondre, ce avant de présenter sa démission, ayant pris effet au mois de janvier 2020.
La société Duvergt FBI a notamment pu identifier le détournement des chantiers dénommés [U] (ses pièces nos 9 et 10), [S] (ses pièces nos 15 à 17), et Oxymétal (ses pièces nos 18 à 20).
La société Doursat a ainsi été en mesure de contacter directement les clients de l’appelante pour leur soumettre ses propres propositions commerciales, probablement à un prix plus attractif.
Au regard de ces faits, la société Duvergt FBI justifie de l’existence d’un litige potentiel entre les parties, et par là-même d’un motif légitime de voir ordonner la mesure d’instruction sollicitée.
Par ailleurs, tant la requête que l’ordonnance caractérisent les circonstances qui justifiaient que la mesure d’instruction réclamée ne fût pas prise contradictoirement. Elles visent en effet la nécessité d’agir non contradictoirement pour éviter la disparition ou la dissimulation des éléments de preuve recherchés. Elles font valoir en ce sens que pour assurer l’efficacité des opérations de constat, il est nécessaire de se prémunir contre tout risque de concertation entre la société Doursat et [M] [F] [O], mais également contre toute résistance qu’ils pourraient opposer pour organiser la dissimulation des pièces à réunir.
N’y ayant lieu à rétractation, l’ordonnance querellée sera infirmée.
L’instance en rétractation ayant pour seul objet de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire, la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet, de sorte qu’est irrecevable la demande tendant à voir ordonner, en cas de rejet de la demande de rétractation, la mainlevée de la mesure de séquestre.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Les intimés en supporteront donc la charge.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, [M] [F] [O] et la société Doursat seront condamnés à payer la somme de 1 500 euros à la société Duvergt FBI.
LA COUR,
PAR CES MOTIFS,
Infirme l’ordonnance ;
Statuant à nouveau,
Confirme l’ordonnance rendue sur requête le 4 mars 2021 ;
Dit que les pièces numéros 11, 23 à 25 de la société Duvergt FBI seront écartées ;
Déclare la société Duvergt FBI irrecevable en sa demande de mainlevée du séquestre ;
Condamne in solidum [M] [F] [O] et la société Doursat à payer à la société Duvergt FBI la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum [M] [F] [O] et la société Doursat aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,