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25 novembre 2020
Cour d’appel de Paris
RG n°
18/10274
Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 25 NOVEMBRE 2020
(n° 2020/ , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/10274 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6LAJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Avril 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 17/03332
APPELANT
Monsieur [S] [Y]
[Adresse 1]
Représenté par Me Nicolas MENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : D1423
INTIMEE
SA CLARINS prise en sa qualité de représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 2]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 octobre 2020, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Nadège BOSSARD, conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Anne BERARD, Présidente de chambre
Madame Nadège BOSSARD, Conseillère
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
Greffier : Madame Pauline MAHEUX, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Anne BERARD, Présidente de chambre et par Madame Pauline MAHEUX, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
M. [S] [Y] a été engagé par la société Clarins à compter du 26 mars 2012, selon contrat de travail écrit à durée indéterminée à temps complet, en qualité d’adjoint Direction Comptable, statut cadre, groupe 5, coefficient 460 de la convention collective nationale des industries chimiques.
Il est ensuite devenu :
– Responsable Comptabilité Auxiliaire et Projets à compter du 1er mars 2014,
– Adjoint Directeur de l’Information Financière Groupe à compter du 1er mai 2014.
Au dernier état de la relation de travail, M. [Y] occupait le poste d’Adjoint Directeur de l’Information Financière Groupe et percevait une rémunération brute mensuelle de 5.971,33 euros.
Par lettre recommandée en date du 26 octobre 2015, la société Clarins a convoqué M. [Y] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 10 novembre 2015, et l’a mis à pied à titre conservatoire.
Le 10 novembre 2015, M. [Y] a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Clarins afin qu’elle produise les effets d’un licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 17 novembre 2015, la société Clarins a adressé à M. [Y] une lettre de licenciement pour faute grave aux motifs suivants :
1/ « agissements et propos inadmissibles vis-à-vis d'[F] [K] ” ;
2/ « propos déplacés tenus avec d’autres collaborateurs: propos dénigrants, sexistes, misogynes, menaces et intimidations, épanchement régulier sur votre vie privée ”.
Par jugement en date du 3 avril 2018, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– débouté M. [Y] de sa demande de résiliation judiciaire,
– requalifié le licenciement prononcé pour faute grave, le 17 novembre 2015, en un licenciement pour cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Clarins au paiement des sommes suivantes :
* 4.319,00 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire,
* 431,90 euros bruts à titre de congés payés afférents,
* 17.914,00 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 1.791,40 euros bruts à titre de congés payés afférents,
* 9.355,08 euros bruts à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 1.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
* Dépens.
M.[Y] a interjeté appel le 22 août 2018.
Selon ses dernières conclusions remises au greffe signifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 20 novembre 2018, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [Y] demande de :
– relever que les manquements invoqués par M.[Y] au soutien de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Clarins sont fondés;
– relever que la société Clarins a porté une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de M. [Y] ;
– dire et juger que le licenciement en date du 17 novembre 2015 est sans cause réelle et sérieuse ;
– dire et juger que la convention de forfait en jours prévue au contrat de M. [Y] est inopposable ; que M. [Y] était en conséquence assujetti à l’horaire légal de travail de 35 heures hebdomadaires;
En conséquence,
– déclarer M. [Y] recevable à son appel et l’y dire bien fondé;
– recevoir M. [Y] en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions;
Sur la rupture du contrat de travail de M. [Y] :
A titre principal :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [Y] de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Clarins et tendant à ce qu’elle produise les effets d’un licenciement nul.
A titre subsidiaire :
– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a requalifié le licenciement de M. [Y], prononcé pour faute grave, en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
En conséquence :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [Y] de ses demandes indemnitaires suivantes :
* Rappel de salaire mise à pied : 4.319,00 euros bruts
* Congés payés afférents : 431,90 euros bruts
* Indemnité compensatrice de préavis : 17.914,00 euros bruts
* Congés payés sur préavis: 1.791,40 euros bruts
* Indemnité conventionnelle licenciement: 9.355,08 euros nets
* Indemnité pour licenciement nul ou, a défaut sans cause réelle et sérieuse: 85.000,00 euros nets
Sur la nullité et, en tout état de cause, l’inopposabilité de la convention de forfait jours de M. [Y] et ses conséquences :
– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [Y] de sa demande visant à dire et juger que la convention de forfait en jours prévue au contrat de M. [Y] est nulle et, en tout état de cause inopposable;
– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [Y] de sa demande visant à dire et juger que M. [Y] était en conséquence assujetti à l’horaire légal de travail de 35 heures
hebdomadaires ;
En conséquence :
– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [Y] de ses demandes au paiement des sommes suivantes :
– Rappel de salaire pour heures supplémentaires 74.068,47 euros bruts
– Congés payés afférents 7.406,85 euros bruts
– Quote-part de treizième mois afférentes 6.172,37 euros bruts
– Rappel de salaire au titre de l’absence de contrepartie obligatoire en repos 44.698,20 euros bruts
– Congés payés afférents : 4.469,82 euros bruts
– Quote-part de treizième mois afférentes 3.724,85 euros bruts
– Dommages et intérêts pour violation du droit au repos quotidien et hebdomadaire 10.000,00 euros nets
– indemnité forfaitaire pour travail dissimulé 35.828,00 euros nets
– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [Y] de sa demande au paiement de la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Et statuant à nouveau :
Sur la rupture du contrat de travail de M. [Y],
A titre principal,
– Dire et juger que la société Clarins a commis des manquements graves, notamment en raison du harcèlement moral subi par le salarié et sa charge de travail particulièrement importante, ces fautes rendant impossible la poursuite du contrat,
– Prononcer en conséquence la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [Y] aux torts et griefs de la société Clarins et dire qu’elle produit les effets d’un licenciement nul ;
A titre subsidiaire,
– Dire et juger que le licenciement de M. [Y] en date du 17 novembre 2015, prononcé pour faute grave, est dépourvu de cause réelle et sérieuse;
– Condamner en conséquence la société à lui verser les sommes suivantes :
* Rappel de salaire mise à pied : 4.319 euros bruts
* Congés payés afférents : 431,90 euros bruts
* Indemnité compensatrice de préavis : 17.914 euros bruts
* Congés payés sur préavis : 1.791,40 euros bruts
* Indemnité conventionnelle licenciement : 9.355,08 euros nets
* Indemnité pour licenciement nul ou, à défaut sans cause réelle et sérieuse: 85.000 euros nets,
Sur la nullité de la convention de forfait jours et ses conséquences :
– Dire et juger que la convention de forfait en jours prévue au contrat de M. [Y] est nulle, et en tout état de cause inopposable; que M. [Y] était en conséquence assujetti à l’horaire légal de travail de 35 heures hebdomadaires;
– Condamner en conséquence la société Clarins à lui verser les sommes suivantes :
* Rappel de salaire pour heures supplémentaires 74.068,47 euros bruts
* Congés payés afférents 7.406,85 euros bruts
* Quote-part de treizième mois afférentes 6.172,37 euros bruts
* Rappel de salaire au titre de l’absence de contrepartie obligatoire en repos 44.698,20 euros bruts
* Congés payés afférents : 4.469,82 euros bruts
* Quote-part de treizième mois afférentes 3.724,85 euros bruts
* Dommages et intérêts pour violation du droit au repos quotidien et hebdomadaire 10.000 euros nets
* Indemnité forfaitaire pour travail dissimulé 35.828 euros nets
– Ordonner la remise de documents de fin de contrat modifiés et conformes à la décision à intervenir,
– Condamner la société Clarins à verser à M. [Y] la somme de 3 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Prononcer les intérêts légaux sur l’ensemble des condamnations pécuniaires,
– Condamner la société Clarins aux entiers dépens.
Selon ses dernières conclusions remises au greffe, signifiées par réseau privé virtuel des avocats le 18 février 2019 et auxquelles la cour se réfère expressément, la société Clarins demande de :
A titre principal :
– Infirmer le jugement en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
– Confirmer le jugement en ses autres dispositions ;
En conséquence :
– Débouter M. [S] [Y] de l’intégralité de ses demandes,
– Ordonner le remboursement par M. [S] [Y] à la société Clarins de la somme de 28.839,08 € perçue au titre de l’exécution provisoire de droit ;
A titre subsidiaire :
– Confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
En conséquence :
– Débouter M.[S] [Y] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ;
– Dire et juger que le licenciement de M. [S] [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse, ouvrant droit au paiement des sommes suivantes :
o 4.319 € au titre du rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire,
o 431,90 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
o 16.869 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
o 1.686,90 € au titre des congés payés sur l’indemnité compensatrice de préavis,
o 9.355,08 € au titre de l’indemnité de licenciement.
– Débouter M. [S] [Y] de ses autres demandes ;
En tout état de cause :
– Condamner M.[S] [Y] à payer à la société Clarins la somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamner M. [S] [Y] aux entiers dépens, dont distraction pour ceux d’appel au profit de la Selarl BDL Avocats en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 14 septembre 2020.
MOTIFS :
Lorsqu’un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
Sur la demande de résiliation judiciaire :
L’action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être demandée par un salarié sur le fondement de l’article 1304 du code civil (ancien 1184). Les manquements de l’employeur, susceptibles de justifier cette demande, doivent rendre impossible la poursuite du contrat de travail. Lorsque de tels manquements sont établis, la résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée aux torts de l’employeur. Elle produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. En revanche, quand les manquements ne rendent pas impossible la poursuite du contrat de travail, le contrat ne peut être résilié et son exécution doit être poursuivie.
Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, M. [Y] soutient que malgré son hospitalisation le 25 mars 2015, son employeur n’a pas tenu compte de son épuisement, qu’il s’est vu confier par sa supérieure, Mme [N], à compter d’avril 2015, de nouvelles tâches et, notamment la gestion des prix de transferts, particulièrement lourde.
Il souligne que lorsque Mme [N] a appris qu’il entretenait une relation amoureuse avec l’une de ses collaboratrices, Mme [U] [P], Mme [N] a tout fait pour l’humilier et le mettre à l’écart. M. [Y] fait valoir qu’il a été l’objet pendant de longs mois de nombreuses tentatives de déstabilisation, de mises à l’écart de sujets importants sur lesquels il travaillait et que ses objectifs annuels lui ont progressivement été retirés. Il expose que c’est dans ces conditions que le 14 octobre 2015, il a obtenu un rendez-vous avec la directrice des ressources humaines pour les fonctions support, Mme [O] [A] et qu’au cours de cet entretien, il a fait état de toutes les difficultés rencontrées, que Mme [A] lui a fait part de sa compréhension et lui a exposé que Mme [N], sa N+1, était devenue très dure avec lui car elle ‘devait monter un dossier’.
Il fait également observer avoir été licencié pour faute grave le 17 novembre 2015 soit un mois à peine après avoir dénoncé les graves manquements de sa direction et ses conditions de travail et considère que son licenciement pour faute grave en l’accusant de faits de harcèlement moral participe des agissements de harcèlement moral de sa supérieure hiérarchique.
Il invoque à la fois un harcèlement moral, une grave atteinte à sa santé tant physique que morale et une violation de sa vie privée.
Sur l’atteinte à la santé :
M. [Y] reproche à la société d’avoir manqué à son obligation de sécurité alors qu’informée de sa situation de surcharge de travail, elle a laissé ce dernier travailler à ce rythme sans prendre les mesures qui s’imposaient afin que le temps de travail consacré à l’exécution de ses fonctions soit compatible avec une amplitude de travail raisonnable dans le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire et en application des accords collectifs applicables à la société.
Il établit avoir été hospitalisé une journée pour un trouble cardiaque et une hypertension le 25 mars 2015, et s’être ensuite vu prescrire un traitement médicamenteux à compter du mois d’avril 2015.
Le jour de son hospitalisation, en réponse à la sollicitation de sa supérieure, Mme [N], sur son état de santé, M. [Y] lui a écrit être sorti de l’hôpital après deux heures d’examen et a précisé : ‘verdict : un peu trop de stress et/ou fatigue…’ [3] ajoutait ‘ je serai donc présent demain’. Son employeur était ainsi informé du lien entre le trouble cardiaque subi et un état de fatigue et de stress. Au retour du salarié, la société n’a pas explicitement évoqué la question de sa charge de travail avec M. [Y] ni consulté le médecin du travail. Sa seule décharge a consisté dans une mise à l’écart sur deux dossiers, Concur et Scoop, en octobre 2015 soit six mois plus tard, qu’il a au contraire vécu comme des agissements de harcèlement moral. M. [Y] fait dès lors valoir à juste titre que son employeur n’a pas sastisfait à son obligation de sécurité. Pour autant, M. [Y] ne formule pas de demande de dommages-intérêts spécifique de ce chef.
Sur la violation de la vie privée du salarié :
L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
En vertu de l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.
L’article L. 1121-1 du code du travail dispose que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
S’agissant des échanges entre Mme [K] et M. [Y], via la messagerie interne à l’entreprise, Lync, que l’employeur reproche au salarié, les courriels adressés et reçus par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf si ce dernier les identifie comme personnels. Il n’est pas établi en l’espèce, que les messages échangés par M. [Y] et Mme [K] aient été identifiés comme personnels. Dès lors, la société Clarins n’a violé ni le droit au respect de la vie privée ni le secret des correspondances en les consultant.
En revanche, s’agissant de la relation amoureuse de M. [Y] avec Mme [P], celui-ci verse aux débats l’attestation de Mme [P], sa collègue de travail avec laquelle il a entretenu une relation personnelle les ayant conduit à une vie commune. Celle-ci témoigne avoir été convoquée en avril 2015 par Mme [N] qui lui a demandé de cesser sa relation avec M. [Y]. Ce dernier a également dénoncé ces démarches de sa supérieure dans la lettre adressée le 8 novembre 2015 à la directrice des ressources humaines dans laquelle il écrivait avoir été convoqué à deux reprises par Mme [N] , en avril et juin 2015, laquelle lui avait demandé de cesser sa relation avec Mme [P].
Cette immixtion dans la vie privée du salarié, contestée par l’employeur sans qu’il produise d’éléments de nature à contredire l’attestation de Mme [P] et le courrier de M. [Y], n’est justifiée par aucune exigence professionnelle ni obligation découlant de son contrat de travail. Elle est dès lors disproportionnée et à elle seule justifie la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Elle doit également être appréciée au titre du harcèlement moral tel que dénoncé par M. [Y].
Sur le harcèlement moral :
Selon l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L1154-1 du même code dans sa rédaction applicable du 1er mai 2008 au 10 août 2016 dispose que lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
M. [Y] expose avoir été victime de man’uvres de déstabilisation croissantes de la part de sa responsable directe, Mme [N], consistant dans :
– l’utilisation d’une équipe à son encontre afin de le mettre en difficulté dans le cadre de l’exécution de ses missions,
– une mise à l’écart de plusieurs missions importantes figurant au titre de ses objectifs annuels mentionnés dans son entretien d’évaluation,
– une prise de décisions importantes sans l’informer ni le consulter,
– une information au dernier moment des réunions prévues concernant les projets dont il avait la charge,
– une remise en cause de la qualité de son travail en pleine réunion, de manière agressive,
– une absence de réponse à ses demandes et blocage, en conséquence, des projets concernés,
– de nombreuses critiques injustifiées adressées à l’égard des projets qu’il menait.
S’il ne démontre pas que la qualité de son travail ait été remise en cause au cours d’une réunion ni que sa supérieure ait manipulé son équipe ‘note de frais’ à son encontre ou encore qu’elle se serait montrée agressive à son égard, il établit en revanche ne pas avoir eu le soutien de sa supérieure laquelle au contraire l’écartait des dossiers ou ne le tenait pas informé.
Ainsi le 30 juin 2015, M. [Y] a relayé auprès de Mme [N] une demande d’une directrice se plaignant de relations avec la banque, concernant le paiement de notes de frais, mais n’a reçu aucune réponse, et a dû finalement traiter le sujet seul.
Le 15 juillet 2015 alors qu’il était en arrêt de travail à la suite d’une chute, il a été contacté par mail par un membre de son équipe afin d’avoir une précision sur le dossier Zenith, échange sur lequel a rebondi Mme [N] à laquelle M. [Y] a répondu le 16 juillet. Cette sollicitation bien qu’unique a sollicité une réponse appprofondie de la part de [Y] dans la mesure où sa supérieure remettait en cause le travail réalisé. Cette sollicitation au cours de cette période d’arrêt de travail constitue une atteinte à sa santé.
Il n’a pas été tenu informé de la mobilité envisagée de l’une de ses collaboratrices et a dû interroger par écrit sa supérieure hiérarchique, le 22 septembre 2015, à ce sujet.
Il avait de même dû solliciter le 1er septembre 2015 deux de ses collègues et Mme [N], pour savoir quel était le montant valorisé du stock transféré de Freeport (Bahamas) vers Miami, ses équipes et lui-même n’ayant été ni consultés ni informés.
Le 15 septembre 2015, M. [Y] a été informé tardivement qu’une réunion aurait lieu le lendemain pour préparer un audit des commissaires aux comptes sur le dossier Zenith/[B], particulièrement complexe, dont il avait la charge. Du fait de son indisponibilité, la réunion a été décalée d’une journée au dernier moment. Il caractérise ainsi le stress généré par ses conditions de travail.
Il établit avoir eu pour objectif au titre de l’année 2015 de clôturer le projet Concur (Logiciel de note de frais) pour la fin du premier trimestre 2015, et dans le cadre de cette mission avoir reçu le 8 septembre 2015 un courriel de sa N+1 contestant le contenu et la forme d’un document de communication relatif à cet outil et la manière dont le projet avait été conduit. Il n’est pas contesté que la communication prévue a été reportée.
Il devait de même au titre de ses objectifs 2015 s’impliquer dans la finalisation du cahier des charges et dans les tests de ‘recettage’ du projet Scoop lot 2 et 3. Il établit ne plus avoir été convié aux réunions et avoir été exclu des échanges, et ce sans en avoir été informé ce qu’il a dénoncé à sa supérieure par courriel du 9 octobre 2015.
Il en résulte que M. [Y] établit avoir été écarté de deux projets – Concur et Scoop -relevant de ses objectifs, avoir été destabilisé dans sa relation avec ses équipes par sa supérieure qui intervenait directement auprès d’elles sans l’associer et ne lui communiquait pas des informations dont il aurait dû être destinataire et avoir été sollicité à tout moment en urgence y compris alors qu’il était en arrêt de travail.
Ces faits contemporains de l’atteinte à la santé et de la violation de la vie privée sus évoqués pris dans leur ensemble font présumer une situation de harcèlement moral.
Pour justifier ses décisions, l’employeur souligne que M. [Y] n’a pas été écarté de la finalisation opérationnelle du projet Concur sans toutefois le démontrer précisément.
Concernant le projet Scoop, la société relève que le salarié a été laissé ‘juge de son planning’ par sa supérieure lorsqu’il a protesté de sa mise à l’écart du projet Scoop, que celle-ci lui a rappelé qu’il avait indiqué ne pas avoir de disponibilié pour effectuer les tests. Pour autant la société Clarins ne démontre pas qu’il se soit agi d’une décision d’allocation optimale des ressources de la part de Mme [N] ni d’une volonté d’alléger la charge de travail de M. [Y] dans la mesure où ses obligatios sur le projets Concur, Amex et le projet édictique lui ont été rappelées. La société ne s’explique pas plus sur la forme de cette mise à l’écart sans consultation préalable.
L’absence de réponse aux sollicitations de M. [Y] ne sont pas plus justifiées par un motif étranger à tout harcèlement moral.
Concernant le transfert des stocks de Freeport à Miami, la société répond que Mme [N] a géré ce dossier sur plusieurs mois, au titre de ses responsabilités internationales et considère que la France n’étant pas concernée, M. [Y] n’avait pas de raison particulière d’être tenu informé bien qu’elle admette qu’ une écriture comptable était pourtant nécessaire en France.
L’employeur ne produit pas plus d’élément de nature à justifier que M. [Y] était informé de la mutation envisagée de sa collaboratrice.
La société produit un seul courriel daté du 16 octobre 2016 dans lequel Mme [N] approuve un travail de M. [Y] en des termes valorisants.
Dès lors, l’employeur ne démontre pas que les agissements de Mme [N] étaient justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement.
La cour a dès lors la conviction que M. [Y] a subi un harcèlement moral.
Le harcèlement moral ainsi subi, qui s’est poursuivi jusqu’à la convocation le 26 octobre 2015 de M. [Y] à un entretien préalable à licenciement pour des faits en lien avec sa vie privée, rendait impossible la poursuite du contrat de travail. Il justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur à la date du licenciement et produit les effets d’un licenciement nul.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur les conséquences pécuniaires de la rupture :
Le salarié victime d’un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l’entreprise, d’une part, aux indemnités de rupture, d’autre part, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire
M. [Y] a droit à un rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire non justifiée. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Clarins à lui payer la somme de 4319 euros de rappel de salaire et 431,90 euros de congés payés y afférents.
Selon l’article 4 de l’avenant n°III du 16 juin 1955 ‘ingénieurs cadres’ à la convention collective des industries chimiques, le préavis des cadres est de trois mois.
Eu égard à son salaire mensuel brut moyen de 5971,33 euros, M. [Y] a droit à une indemnité compensatrice de préavis de 17914 euros et 1791,40 euros de congés payés y afférents.
En vertu de l’article 14 de l’avenant n°III du 16 juin 1955 ‘ingénieurs cadres’ à la convention collective des industries chimiques, l’indemnité de licenciement due aux cadres ayant plus de deux années d’ancienneté est de 4/10èmes de mois de salaire par année d’ancienneté comprises entre 0 et 10 ans.
M. [Y] ayant trois ans et onze mois d’ancienneté, il a droit à 9355,08 euros.
Le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.
Sur l’indemnité pour licenciement nul :
Le préjudice subi par M. [Y] du fait de résiliation judiciaire de son contrat au torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement nul, sera réparé eu égard à l’ancienneté de trois années, à son salaire mensuel brut moyen de 5971 euros et au délai avec lequel il a retrouvé un emploi, par l’allocation de la somme de 40 000 euros. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur la nullité du forfait jours :
Selon l’article L3121-39 du code du travail dans sa rédaction applicable à la date du présent litige, la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l’année est prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
M. [Y] soutient que la convention de forfait jours est nulle en l’absence de garantie suffisante en matière de durée maximale de travail et de repos journalier et hebdomadaire et à tout le moins dépourvue d’effet pour absence de mise en oeuvre de telles garanties.
L’ accord d’entreprise du 31 janvier 2000 modifié le 15 juin 2012 prévoit que suivant l’article L 3121-48 du code du travail les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours doivent travailler 217 jours devenus 218 jours par an, journée de solidarité incluse.
L’article 5.4 de l’accord d’entreprise de juin 2012 dispose que ‘le temps de travail du personne soumis au forfait annuel en jours fait l’objet d’un décompte des jours travaillés sur l’année. Les parties conviennent que le contrôle du nombre de journées travaillées sur l’année par cette catégorie de personnel s’effectue au moyen d’un système déclaratif du temps de travail sur le système d’information de gestion des absences ‘Octime’ permettant aux salariés de saisir de manière auto-déclarative leurs absences avant validation par leur hiérarchie et d’obtenir un bilan mensuel et annuel des jours travaillés.’
L’article 5.5 prévoit : ‘ En application de l’article L3121-46 du code du travail, l’employeur, vérifie, à l’occasion d’un entretien annuel individuel à la fin de la période de références, l’organisation et la charge de travail du salarié, l’amplitude de ses journées de travail, sa rémunération, l’organisation du travail dans l’entreprise et l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale.
A cette occasion, il est vérifié que la charge de travail confiée au salarié et l’amplitude de ses journées de travail lui permettent de bénéficier des dispositions relatives au repos quotidien et hebdomadaire.
En cas de surcharge de travail reposant sur des critère objectifs et matériellement vérifiables, le salarié pourra, après s’en être entretenu avec son supérieur hiérarchique, solliciter un entretien avec la direction des ressources humaines afin d’envisager les mesures à mettre en oeuvre.’
Ces dispositions assurent le contrôle de la durée maximale raisonnable de travail.
La convention de forfait prise dans le cadre de l’accord collectif est donc valable.
S’agissant de la mise en oeuvre de ces dispositions, il résulte des entretiens d’évaluation versées aux débats que les questions de la charge de travail, de l’amplitude de ses journées et de l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ont été évoquées.
La société produit en outre le relevé du logiciel Octime prévu par l’accord collectif et comportant les jours travaillés et non travaillés de M. [Y].
La société Clarins a donc mis en oeuvre les mesures de contrôle du temps de travail et de repos prévus à l’accord collectif.
La demande tendant à voir juger la convention de forfait nulle ou privée d’effet est rejetée ainsi que les demandes subséquentes de paiement d’heures supplémentaires, de dommages-intérêts pour non respect du repos compensateur, de non respect du repos quotidien et hebdomadaire et de dommages-intérêts pour travail dissimulé sont rejetées.
Le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.
Sur les intérêts :
Conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du code civil, les créances salariales sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes soit le 13 novembre 2015 pour celles qui étaient exigibles au moment de sa saisine.
Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
L’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse produira intérêts à compter du prononcé du présent arrêt.
Sur la demande de remise de documents de rupture :
Le jugement entrepris étant confirmé en ces dispositions relatives aux créances salariales, il n’y a pas lieu d’ordonner la remise de nouveaux documents de rupture dont le jugement a déjà ordonné la remise. Celui-ci sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
La société Clarins est condamnée aux dépens d’appel et au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de résiliation judiciaire, en ce qu’il a jugé que le licenciement de M. [Y] reposait sur une cause réelle et sérieuse et a rejeté la demande d’indemnité pour licenciement nul,
LE CONFIRME pour le surplus,
Statuant sur les chefs infirmés,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [S] [Y] aux torts de l’employeur avec effet au 17 novembre 2015,
CONDAMNE la société Clarins à payer à M. [S] [Y] la somme de 40 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,
avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
CONDAMNE la société Clarins à payer à M. [S] [Y] la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Clarins aux dépens d’appel.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE