Secret des correspondances : 24 mars 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 19-82.069

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Secret des correspondances : 24 mars 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 19-82.069
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24 mars 2020
Cour de cassation
Pourvoi n°
19-82.069

N° Y 19-82.069 FS-D

N° 331

SM12
24 MARS 2020

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 MARS 2020

M. X… J…, partie civile, a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 5 février 2019, qui l’a débouté de ses demandes après relaxe de M. E… C… du chef d’atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Ménotti, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. X… J…, les observations de la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat de M. E… C…, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l’audience publique du 4 février 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, M. Bonnal, M. Maziau, Mme Labrousse, M. Seys, conseillers de la chambre, M. Barbier, Mme de-Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires, M. Croizier, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. J…, ancien responsable d’unité de production de la société Aude Beton, licencié pour faute lourde le 13 novembre 2013, a porté plainte du chef de violation du secret des correspondances, après avoir constaté que ladite société, qui avait mis à sa disposition un téléphone portable avec une adresse de messagerie professionnelle («[…]»), sur lequel il avait installé une adresse de messagerie personnelle («[…]») en violation de l’interdiction faite par le règlement intérieur d’utiliser les outils professionnels à des fins personnelles, avait, après qu’il eut restitué ce téléphone portable en omettant d’effacer les messages émis et reçus sur cette dernière adresse, utilisé des courriels échangés par lui avec un client et l’un de ses fournisseurs, en les produisant lors d’une action en justice engagée contre lui devant le conseil de prud’hommes pour atteinte à la clause de non-concurrence prévue dans son contrat de travail.

3. Cité devant le tribunal correctionnel pour l’infraction prévue par l’article 226-15 du code pénal, M. C…, dirigeant de la société Aude Beton, a été déclaré coupable du délit d’atteinte au secret des correspondances. Appel a été interjeté de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 9 du code civil, 226-15 du code pénal, L. 1121-1 et L. 1321-4 et R. 1321-1 et suivants du code du travail, 1382 (devenu 1240) du code civil, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale.

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce que l’arrêt attaqué a débouté M. J… de ses demandes, après avoir relaxé le prévenu poursuivi pour atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique, alors :

« 1°/ que l’article 226-15 du code pénal réprime l’atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique par interception, utilisation ou divulgation ; que ces correspondances restent personnelles lorsqu’elles sont échangées avec un outil mis à la disposition du salarié par l’employeur, serait-ce à des fins purement professionnelles, et le règlement intérieur interdirait-il l’usage à des fins personnelles de cet outil ; que, pour relaxer le prévenu, M. C…, poursuivi pour violation du secret des correspondances pour avoir produit devant le conseil de prud’hommes des correspondances échangées par son ancien salarié, M. J…, captées sur le smartphone que son employeur avait mis à sa disposition, la cour d’appel a estimé que le règlement intérieur interdisant l’usage à titre privé de ce téléphone, les courriels étant échangés sur une boite de messagerie créée par M. J…, accessible depuis un téléphone et une ligne mise à disposition par l’employeur et que les échanges en cause portant sur des correspondances avec un client et un fournisseur de la société, ne pouvaient être considérés comme des correspondances personnelles, dans le rapport avec l’employeur, et comme telles être couverts par le secret des correspondances ; que le seul fait que le règlement intérieur interdise l’usage à des fins personnelles des instruments de travail mis à disposition par l’employeur ne suffisant pas à faire présumer le caractère professionnel d’une messagerie électronique, dès lors qu’elle constatait que les courriels en cause avaient été échangés par l’ancien salarié sur une adresse électronique personnelle du salarié -[…] -, distincte de la seule adresse professionnelle qui lui avait été attribuée aux fins d’exercice de son activité professionnelle – […] -, ce qui suffisait à identifier la messagerie comme personnelle, ainsi couverte par le secret des correspondances qui y étaient échangées, la cour d’appel qui a refusé d’admettre le caractère secret de ces correspondances, n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations établissant une atteinte au secret des correspondance tel que garanti par les articles 226-15 du code pénal, L. 1121-1 du code du travail et 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

2°/ que dès lors qu’il résultait de ses propres constatations que les courriels produits dans l’instance prud’homale, en date du 17 novembre 2013 et du 23 décembre 2013, émanaient d’une messagerie créée par le salarié distincte de celle que lui avait attribuée son employeur et avaient été échangés par ce salarié, M. J…, postérieurement à son départ de l’entreprise, le 13 novembre 2013, son licenciement pour faute grave excluant tout préavis, ce qui établissait que M. C… savait que cette messagerie avait un caractère personnel et était couverte par le secret des correspondances, le règlement intérieur ne pouvant en aucun cas justifier le maintien par l’ancien employeur d’une connexion avec une messagerie qui n’était pas celle qu’il avait attribuée pour l’activité pour son compte par son salarié, la cour d’appel qui a refusé d’admettre qu’était en cause une messagerie personnelle dont les correspondances étaient couvertes par le secret n’a à nouveau pas tiré les conséquences de ses propres constatations établissant une atteinte au secret des correspondances, telles que visées par l’article 226-15 du code pénal ;

3°/ qu’à tout le moins, en ne répondant pas aux conclusions qui soutenaient que l’employeur ayant lui-même admis, pendant l’enquête préliminaire, qu’il savait que l’adresse en question était une adresse personnelle, admettant ainsi qu’il n’ignorait pas que cette messagerie n’avait pas été créée pour les besoins du travail pour son compte, et qui a entrepris d’accéder aux messages qui y étaient échangés, de les copier, les détournant ainsi, pour ensuite les divulguer dans le cadre de la procédure prud’homale, ce qui caractérisait une violation du secret des correspondances de M. J…, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

4°/ qu’en outre, en ne répondant pas aux conclusions de la partie civile qui soutenaient que l’employeur ne pouvait se prévaloir d’une présomption d’usage professionnel du téléphone en se fondant sur l’interdiction d’usage non professionnel du téléphone résultant du règlement intérieur de la société, sans établir que ce règlement était opposable aux salariés en ce qu’il respectait les exigences de l’article L. 1321-4 du code du travail et qu’en tout état de cause, ce règlement intérieur n’était pas opposable à un ancien salariés concernant l’utilisation de la messagerie postérieure à la rupture du contrat de travail et que l’employeur ayant inscrit dans sa flotte la ligne qui appartenait initialement à M. J… avait nécessairement accepté que celui-ci l’utilise à des fins privées, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

5°/ qu’enfin et en tout état de cause, à supposer que la société ait pu considérer que la boite courriel distincte de la boite courriel professionnelle apparaissant sur le téléphone restitué par le salarié, au moment de son licenciement, était destinée à son activité au sein de la société, en considérant que le secret des correspondances n’était pas applicable aux courriels échangés avec un client et un fournisseur de la société dont M. C… était le dirigeant, quand ces échanges étant intervenus après le licenciement avaient nécessairement un caractère personnel, ne pouvant plus être en rapport avec la relation de travail qui avait cessée, et ne pouvaient dès lors être divulgués dans l’instance prud’homale sans méconnaître le secret de correspondances dont M. C… ne niait pas qu’elles ne lui étaient pas destinées, la cour d’appel a méconnu le droit au secret des correspondances tel que garanti par les articles 226-15 du code pénal, L1121-1 du code du travail et 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 593 du code de procédure pénale et 226-15 du code pénal :

6. La mauvaise foi prévue par l’article 226-15 du code pénal est caractérisée dès lors que celui qui utilise ou divulgue une correspondance sait que celle-ci ne lui est pas destinée, quel que soit le mobile auquel il obéit.

7. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

8. Pour relaxer M. C… du chef d’atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique, l’arrêt attaqué énonce notamment que M. J…, qui a installé, sur le téléphone portable mis à sa disposition par son employeur, une adresse de messagerie personnelle, distincte de l’adresse de messagerie professionnelle dont il disposait du fait de ses fonctions, a omis de paramétrer cette adresse de messagerie comme étant personnelle ou privée, et que le caractère personnel des courriels en cause ne peut se déduire du seul fait qu’ils ont été échangés à partir d’une adresse mise en place par le salarié.

9. Les juges en déduisent qu’il ne saurait être reproché à M. C… d’avoir intercepté et utilisé les messages de mauvaise foi.

10. En se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

11. En effet et dès lors qu’ils avaient constaté que les messages en cause avaient été échangés entre des tiers et M. J… postérieurement au licenciement de celui-ci, depuis son adresse de messagerie personnelle, les juges ne pouvaient déduire de la seule absence d’un paramétrage spécifique indiquant le caractère privé des courriels, que ceux-ci n’étaient pas personnels, sans examiner l’objet des messages utilisés par l’employeur.

13. La cassation est par conséquent encourue.

14. Elle sera limitée aux seules dispositions relatives aux intérêts civils.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Montpellier, en date du 5 février 2019, et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre mars deux mille vingt.

 


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