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24 mai 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/07859
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 24 MAI 2023
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07859 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCV6F
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Octobre 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Industrie chambre 4 – RG n° F 19/10790
APPELANTE
Madame [R] [L] épouse [H]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Etienne BATAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0320
INTIMÉE
SAS DAVIMAR
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Coralie JAMOIS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 7 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Philippe MICHEL, président de chambre
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère
Greffier : Mme Nolwenn CADIOU, lors des débats
ARRÊT :
– Contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 1er novembre 2019 comportant une période d’essai de deux mois, Mme [H] a été engagée par la société Davima, exerçant sous l’enseigne Bérénice, en qualité de vendeuse, statut employé, niveau II, échelon 1 de la convention collective nationale de l’industrie de l’habillement.
Dans le dernier état des relations contractuelles entre les parties, Mme [H] percevait une rémunération mensuelle brute de 1 738,49 euros.
Par courrier recommandé du 15 novembre 2019, la société Davima a mis fin à la période d’essai de Mme [H] dans les termes suivants : « Vous avez signé le 1er novembre 2019 un contrat de travail en qualité de vendeuse, avec une période d’essai de deux mois. Cette dernière ne nous donnant pas entière satisfaction, il a été décidé d’y mettre un terme à compter de ce jour (…) »
Invoquant une rupture abusive de la période d’essai, Mme [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, le 6 décembre 2019, afin d’obtenir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamnation de la société Davima au paiement des sommes suivantes assorties des intérêts au taux légal capitalisé :
° Dommages-intérêts pour abus de droit de rupture de la période d’essai : 9 000 euros,
à titre subsidiaire,
° Dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 9 000 euros,
en tout état de cause,
° Dommages-intérêts pour préjudice moral : 4 000 euros,
° Article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros.
La société Davima a conclu au débouté de Mme [H] et à la condamnation de cette dernière au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 27 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté les parties de l’ensemble de leurs demandes.
Mme [H] a interjeté appel de la décision le 19 novembre 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 février 2021, Mme [H] demande à la cour de :
– Infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes,
en conséquence,
à titre principal,
– Requalifier la rupture de la période d’essai en rupture abusive de la période d’essai,
– Condamner la société Davima à lui verser la somme de 9 000 euros à titre de dommages-intérêts pour abus de droit de rupture de période d’essai,
à titre subsidiaire,
– Requalifier la rupture de la période d’essai en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Condamner la société Davima à lui verser la somme de 9 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en tout état de cause,
– Condamner la société Davima à lui verser la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, outre celle de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 20 avril 2021, la société Davima demande à la cour de :
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [H] de ses demandes et l’a condamnée aux dépens,
– Infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
– Condamner Mme [H] à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 31 janvier 2023, et l’affaire appelée à l’audience du 7 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
À l’appui de son appel, Mme [H] fait valoir qu’elle a appris le jour même de son embauche par une collègue, que son employeur n’avait pas l’intention de la garder pour des raisons économiques et qu’il comptait rompre la période d’essai au bout d’un mois.
Elle soutient ainsi que l’employeur a détourné la finalité de la période d’essai, en ayant eu l’intention, dès le premier jour de travail, de ne pas la garder au sein de son effectif et donc de n’avoir eu aucune intention d’évaluer réellement ses capacités professionnelles mais au contraire de voir dans cette période d’essai une finalité de gestion du personnel.
La société Davima réplique que Mme [H], à qui il revient de démontrer le caractère abusif de la rupture de la période d’essai, ne se fonde que sur ses propres affirmations qui ne sont étayées par aucun élément probant et crédible à l’exception d’un courriel daté du 2 novembre 2019 dont elle n’est ni l’émettrice, ni la destinataire, obtenu par un procédé déloyal et, en tout état de cause couvert par le secret des correspondances. Elle précise que le conseil de prud’hommes a jugé à juste titre que Mme [H] n’apportait pas la preuve que la déclaration selon laquelle elle ne serait pas conservée dans l’entreprise au-delà d’un mois émanait de la direction ou d’un de ses supérieurs hiérarchiques.
Elle ajoute qu’il est étonnant que Mme [H], qui prétend avoir eu connaissance de la fin de sa période d’essai le 2 novembre 2019 par l’intermédiaire d’une collègue de travail, n’ait jamais interrogé la direction de l’entreprise sur le sujet, et que le motif prétendument économique de la rupture ne peut utilement être invoqué par Mme [H] puisque la société a procédé au recrutement de salariés selon des contrats à durée indéterminée sur la période d’octobre 2019 à décembre 2019 pour des affectations au sein de ses boutiques situées en région parisienne et a eu recours à une autre vendeuse pour remplacer Mme [H] dans ses fonctions.
Cela étant, aux termes des articles L. 1221-19 et L. 1221-20 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut comporter une période d’essai qui permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent.
Durant cette période, chacune des parties dispose en principe d’un droit de résiliation unilatérale du contrat de travail sans avoir à alléguer de motifs.
Toutefois, le droit de rompre la période d’essai ne doit pas dégénérer en abus. La rupture à l’initiative de l’employeur est abusive lorsque elle intervient à un moment où l’appréciation des qualités professionnelles du salarié n’a pas pu être réalisée.
Il appartient au salarié de prouver le caractère abusif de la rupture de la période d’essai.
En l’espèce, selon son contrat de travail, Mme [H] a été engagée pour exercer ses fonctions de vendeuse sur le stand Bérénice situé au magasin Le Printemps de Parly2.
Or, elle verse un mail du 2 novembre 2019 à 16h55 provenant, selon l’adresse explicite de l’expéditeur, d’une salariée du stand Bérénice du Printemps Parly2 rédigé comme suit :
« Bonjour [K],
Suite à notre conversation téléphonique dans la semaine, j’ai dû annoncer aujourd’hui 02/11/19 comme vous me l’avez demandé à Mme [H] que nous allons pas la garder dans la société Davima.
Qu’elle effectuerait juste un mois le temps qu’elle retrouve un nouvel emploi.
C’était pour vous mettre au courant.
Très bon week-end à vous.
[N] »
et sa réponse émanant manifestement d’une salariée de la société Davima au regard de l’adresse mail explicite de celle-ci rédigée en ces termes :
« Merci [N] cette info.
Je vous appelle la semaine prochaine.
Cdt,
[K] »
Aucun élément du dossier ne permet de relever que ce mail a été obtenu par fraude ou par un moyen déloyal, d’autant qu’il est produit, certes non par les interlocutrices elles-mêmes mais par la salariée concernée par le sujet et qui affirme avoir appris la rupture de sa période d’essai le jour même de sa prise de fonction, donc de l’échange de mails.
Il résulte des termes clairs de ces mails, que la décision de ne pas garder Mme [H], bien que notifiée le 15 novembre 2019, a été prise suite à « une conversation téléphonique dans la semaine », c’est-à-dire quelques jours avant le 2 novembre 2019, donc nécessairement avant la prise de fonction de l’intéressée.
Le fait que les fonctions des interlocutrices au sein de la société Davima ne soient pas précisées est indifférent à l’appréciation du litige en ce que, d’une part, les intitulés des adresses mail sont explicites, notamment, celui concernant le mail expédié le 2 novembre 2019 à 16h55 faisant expressément référence au stand Bérénice du Printemps Parly2 où exerçait Mme [H] et que, d’autre part, cet échange a été concrétisé par la rupture de la période d’essai survenue deux semaines plus tard dans les conditions indiquées, prévoyant une durée de présence de la salariée dans l’entreprise d’un mois.
Dans de telles conditions, la décision de rompre la période d’essai de Mme [H] ne pouvait pas reposer sur une appréciation des qualités professionnelles de la salariée par l’employeur.
La rupture de la période d’essai est donc abusive et le jugement sera infirmé en ce qu’il a jugé le contraire.
La rupture abusive d’une période d’essai ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts réparant le préjudice causé par la perte de son emploi survenue dans de telles conditions qui, dans le cas présent, seront évalués à la somme de 3 000 euros.
En conséquence, la société Davima sera condamnée à verser à Mme [H] la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice causé par la rupture abusive de la période d’essai.
Mme [H] ne justifie pas de l’existence d’un préjudice moral distinct de celui causé par la rupture abusive de la période d’essai et déjà réparé par l’octroi de dommages et intérêts.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [H] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.
Sur les frais non compris dans les dépens.
Par application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Davima sera condamnée à verser à Mme [H], accueillie au principal de ses demandes en appel, la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par l’appelante à hauteur d’appel qui ne sont pas compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement en ce qu’il a débouté Mme [H] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
INFIRME le jugement pour le surplus,
DÉCLARE abusive la rupture de la période d’essai de Mme [H] par la société Davima,
CONDAMNE la société Davima à verser à Mme [H] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de la période d’essai,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Davima à verser à Mme [H] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Davima aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT