Secret des correspondances : 21 novembre 2017 Cour d’appel de Paris RG n° 14/09159

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Secret des correspondances : 21 novembre 2017 Cour d’appel de Paris RG n° 14/09159
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21 novembre 2017
Cour d’appel de Paris
RG n°
14/09159

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 4

ARRÊT DU 21 Novembre 2017

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S 14/09159

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Mai 2014 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY Section Activités Diverses RG n° 13/00022

APPELANT :

Monsieur [S] [C]

né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 1] (CHILI)

demeurant [Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Edith YAPO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0371

INTIMEE:

Association ENTRAIDE UNIVERSITAIRE

sise [Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Jérôme ARTZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Octobre 2017, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marianne FEBVRE-MOCAER, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Bruno BLANC, président

Madame Soleine HUNTER-FALCK, conseiller

Madame Marianne FEBVRE-MOCAER, conseiller

qui en ont délibéré,

Greffier : Mme Marine BRUNIE, lors des débats

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile,

– signé par Monsieur Bruno BLANC, Président, et par Mme Marine BRUNIE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

EXPOSE DU LITIGE :

M. [S] [C], né en 1964, a été engagé par contrat à durée indéterminée par l’association Entraide Universitaire le 4 décembre 2009 en qualité de moniteur éducateur, moyennant une rémunération mensuelle brute initiale de 1.960,44 € et qui était en moyenne de 2.149,37 € dans le dernier état de la relation contractuelle.

Il était affecté à l’ITEP/ SESSAD de Sevran qui accueille des adolescents en difficulté et qui employait une trentaine de salariés. La relation de travail était expressément soumise à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Le 31 août 2012, M. [C] a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de deux jours pour avoir utilisé un véhicule de service pour se rendre à son domicile après la fin de son service, sans ordre de mission ni autorisation.

Le 4 octobre 2012, le salarié a fait parvenir un arrêt de travail pour cause de maladie du 3 au 9 octobre 2012. Il a bénéficié d’un arrêt de prolongation, reçu le 15 octobre suivant, pour la période du 11 au 19 octobre 2012. Le 9 novembre 2012, l’association Entraide Universitaire était destinataire d’un nouvel arrêt de travail du 29 octobre au 9 novembre 2012.

Entre-temps et par lettre du 15 octobre 2012, l’association Entraide Universitaire a convoqué M. [C] à un entretien préalable fixé au 30 octobre suivant, avec mise à pied conservatoire. Le salarié qui avait vainement demandé le report de cet entretien, a été licencié pour faute grave par lettre en date du 19 novembre 2012 rédigée en ces termes :

‘Nous faisons suite à l’entretien préalable qui s’est tenu le 30 octobre 2012, au cours duquel vous avez été représenté par Monsieur [F] [C] délégué du personnel en votre absence, et sommes au regret de vous confirmer notre décision de vous notifier votre licenciement pour faute grave.

En effet les explications recueillies auprès de Mr [F] au cours de cet entretien, ainsi que vos courriers ultérieurs à l’entretien, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation.

Nous vous rappelons les faits qui se sont produits à l’origine de la faute : Vous avez effectué une réservation de voyage et imprimé avec le matériel de l’établissement sans poser de congés payés au préalable, un séjour à l’étranger du 03/10/2012 au 07/10/2012. Nous recevions pour cette même période un arrêt de travail envoyé par vous-même en date du 03/10/2012 et reçu à notre établissement le 04/10/2012.

Vous avez été durant votre arrêt contrôlé par un organisme assermenté et, le médecin contrôleur a témoigné de votre absence à votre domicile, tout comme vous n’avez pas répondu aux différents messages laissés par celui-ci sur votre boîte vocale.

De plus, vous avez fait parvenir une prolongation d’arrêt de travail à compter du 11/10/2012, la journée du 10/10/2012 est restée injustifiée de votre part.

Par la suite, nous avons reçu une lettre de la CPAM refusant de vous indemniser à compter du 12/11/2012 et précisant ceci : «Je vous informe qu’après avis du médecin conseil, les indemnités journalières ne vous seront plus versées à compter du 12/11/2012 pour la raison suivante : l’arrêt de travail n’est pas médicalement justifié. Cette notification fait suite à une décision prise en date du 30/10/2012 par notre praticien conseil pour un motif d’ordre médical ».

Cette situation a particulièrement désorganisé le service et a nuit à la qualité de prise en charge due aux enfants accueillis et dont nous sommes redevables auprès de notre autorité de contrôle. Par ailleurs, votre posture professionnelle entraîne une perte de confiance puisque vous êtes capable de prévoir un abandon de poste du jour au lendemain.

En effet, les enfants qui vous sont habituellement confiés en votre qualité d’éducateur ont dû rapidement être réorientés vers d’autres modes d’accueil.

Aussi, les conséquences de vos agissements rendent impossible la poursuite de votre activité au service de l’établissement même pendant le préavis.’

Le 3 janvier 2013, le salarié a contesté cette décision devant le conseil des prud’hommes de Bobigny.

La cour est régulièrement saisie de l’appel M. [C], enregistré le 11 août 2014, à l’encontre du jugement rendu le 6 mai 2014, qui a :

* requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* condamné l’association Entraide Universitaire à lui verser les sommes suivantes :

– 818,81 € à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied

– 81,88 € au titre de congés payés incidents,

– 4.298,74 € à titre d’indemnité de préavis,

– 429,74 € au titre de congés payés incidents,

– 3.368,32 € à titre d’indemnité de licenciement,

avec intérêts de droit à compter du 15 janvier 2013 (date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation),

– 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

* ordonné la remise des bulletins de paie conforme,

* débouté les parties de toutes autres demandes,

* condamné l’employeur aux dépens.

Vu les conclusions déposées à l’audience de plaidoirie du 4 octobre 2017 par M. [C], qui demande à voir infirmer le jugement en ce qu’il a dit que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et :

* constater qu’il a fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* condamner son employeur au paiement des sommes qui lui ont accordées par le conseil des prud’hommes ainsi qu’à une somme de 38.688,57 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* ordonner la remise des bulletins de paie afférents et une attestation Pôle Emploi sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter du prononcé de la décision,

* à titre subsidiaire, constater que l’association Entraide Universitaire n’a pas respecté la procédure de licenciement et la condamner à lui payer la somme de 2.149,37 € à titre d’indemnité à ce titre,

* rejeter les demandes reconventionnelles de l’employeur et le condamner au paiement d’une somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Vu les conclusions déposées à l’audience par l’association Entraide Universitaire qui demande à la cour de :

– à titre principal, infirmer le jugement, dire que le licenciement de M. [C] repose sur une faute grave et débouter ce dernier de l’intégralité de ses demandes,

– à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu’il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouter M. [C] du surplus de ses demandes,

– en tout état de cause, condamner ce dernier au paiement d’une somme de 3.000 € pour frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites déposées, visées et développées à l’audience de plaidoirie du 4 octobre 2017.

A l’issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 21 novembre 2017 par mise à disposition au greffe.

SUR CE :

Sur le bien fondé du licenciement :

L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif.

Pour sa part, la faute grave dont la preuve incombe à l’employeur, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis. S’agissant d’une faute disciplinaire, les faits reprochés au salarié doivent nécessairement être soit reconnus par le salarié soit établis par employeur. S’il subsiste un doute concernant l’un des griefs invoqués par l’employeur ayant licencié un salarié pour faute grave, il profite au salarié.

En l’espèce, M. [C] conteste les faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement. Il soutient en substance

– que son arrêt maladie était justifié par un certificat médical, que l’email de réservation envoyé le 20 septembre 2012 sur une adresse personnelle relève du secret des correspondances et n’est pas un moyen de preuve licite, qu’il n’est pas certain que cet email adressée à ‘[S]’ sans autre précision lui était effectivement adressé et qu’enfin l’association Entraide Universitaire n’établit pas qu’il était parti à l’étranger ;

– qu’il bénéficiait d’un arrêt maladie avec sorties autorisées, de sorte qu’il ne peut lui être reproché de s’être absenté de son domicile lors de la contre-visite et qu’il justifie qu’il était en train de passer une radiographie à ce moment là ;

– qu’il n’a pas été mis en demeure de justifier l’absence du 10 octobre 2012 et qu’il établit en toute hypothèse avoir été pris en charge par l’organisme de sécurité sociale pour cette journée,

– qu’une contre-expertise du 25 février 2013 établit que son arrêt de travail était justifié contrairement à la décision que lui avait notifiée la CPAM le 5 novembre 2012.

Il fait par ailleurs valoir qu’en l’absence de faute grave, l’article 33 de la convention collective interdisait le recours au licenciement dès lors qu’il n’avait pas préalablement fait l’objet d’au moins deux sanctions disciplinaires.

Quant à elle, l’association Entraide Universitaire soutient au contraire que le licenciement est fondé sur une faute grave et demande à la cour, dans le cadre d’un appel incident, de débouter intégralement le salarié de ses prétentions.

S’agissant du premier grief formulé dans la lettre de licenciement, la cour constate que l’employeur produit une confirmation de réservation d’un vol aller Orly-Alicante pour le mercredi 3 octobre 2012 à 19h20 avec retour Alicante-Orly le dimanche 7 octobre à 16h30 adressée à ‘[S]’. Cet élément de preuve ne pourrait pas être reçu s’il était démontré qu’il a été obtenu de manière illicite, notamment par le biais d’une intrusion dans la messagerie personnelle du salarié. Mais tel n’est pas le cas de M. [C] qui ne fait pas état d’une intrusion dans sa messagerie personnelle ou son ordinateur et qui ne conteste pas le fait – allégué par l’employeur – que le document litigieux avait été retrouvé sur une imprimante de l’établissement. Il ressort de surcroît de l’examen de la pièce produite par l’association Entraide Universitaire que la confirmation litigieuse est adressée à ‘[email protected]’ qui n’a rien d’une adresse électronique privée.

L’association Entraide Universitaire produit également le registre du personnel qui démontre que M. [C] était à l’époque le seul salarié prénommé ‘[S]’ au sein de l’établissement, de sorte qu’il n’existe aucun doute quant à la personne concernée par la réservation en cause.

L’employeur justifie enfin avoir reçu le 9 novembre 2012 un courrier de la caisse primaire d’assurance maladie l’informant de la notification à M. [C] d’un refus de prise en charge, suite à l’avis du médecin conseil, considérant que l’arrêt de travail du 3 au 31 octobre 2012 n’était pas médicalement justifié. La cour constate que le document daté du 25 février 2013 produit par le salarié – portant la mention ‘confidentiel’ et intitulé ‘conclusions motivées d’expertise’ – est insuffisant pour remettre en cause la décision notifiée par la caisse primaire d’assurance maladie et – encore moins – la situation de fait connue de l’employeur au moment où il a procédé au licenciement. Du reste, les conclusions du médecin expert ne concernent que les dates du 12 et 22 novembre 2012 et non la période du 3 au 31 octobre 2012 concernée par le voyage en Espagne.

En définitive, la cour constate que le premier grief fondé sur un abandon de poste dans un contexte empreint de déloyauté est matériellement établi.

Or à eux seuls, ces faits caractérisent une faute grave rendant impossible le maintien du contrat de travail, y compris pendant la durée du préavis, compte tenu à la fois des responsabilités exercées par M. [C] auprès de mineurs en difficulté, de l’éthique de l’établissement à caractère associatif et éducatif dans lequel il était employé et de la nécessité d’offrir au public pris en charge une organisation et un cadre particulièrement sécurisant.

En conséquence, l’association Entraide Universitaire pouvait procéder au licenciement immédiat nonobstant les dispositions de la convention collective interdisant à l’employeur d’avoir recours à une telle mesure si le salarié n’a pas au préalable fait l’objet de deux sanctions disciplinaires – ce qui n’aurait pas été le cas en l’absence de faute grave.

C’est donc à tort que les premiers juges ont décidé que le licenciement n’était pas fondé sur une faute grave et qu’il était cependant justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le jugement rendu sera infirmé et le salarié débouté de l’ensemble de ses demandes au titre de son licenciement.

Sur les autres demandes :

Il serait inéquitable que l’association Entraide Universitaire supporte l’intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que M. [C] qui succombe doit être débouté de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l’appel recevable ;

Infirme le jugement rendu le 6 mai 2014 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement notifié par l’Association d’Entraide Universitaire le 19 novembre 2012 est justifié par une faute grave,

Déboute M. [C] de l’ensemble de ses demandes,

Condamne M. [C] aux entiers dépens de première instance et d’appel, et à payer à l’association Entraide Universitaire la somme de 1.000 € en vertu de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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