Secret des correspondances : 21 janvier 2021 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00044

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Secret des correspondances : 21 janvier 2021 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00044
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21 janvier 2021
Cour d’appel de Versailles
RG n°
20/00044

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 00A

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 21 JANVIER 2021

N° RG 20/00044 – N° Portalis DBV3-V-B7E-TVS4

AFFAIRE :

SASU WAVESTONE ADVISORS

C/

SAS PRICEWATERHOUSECOOPERS ADVISORY

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 20 Décembre 2019 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2019R00797

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Mélina PEDROLETTI

Me Christophe DEBRAY

TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SASU WAVESTONE ADVISORS agissant poursuites et diligences de son président en exercice domicilié audit siège en cette qualité

N° SIRET : 433 224 847

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI,, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 – N° du dossier 24789

Assistée de Me Rémi BAROUSSE de la SELAS TISIAS, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

SAS PRICEWATERHOUSECOOPERS ADVISORY prise en la personne de son président domicilié audit siège en cette qualité

N° SIRET : 338 112 733

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 – N° du dossier 20059

Assistée de Me Olivier HILLEL, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 02 Décembre 2020, Madame Marie LE BRAS, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Nicolette GUILLAUME, Président,

Madame Marie LE BRAS, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie CHERCHEVE

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Wavestone Advisors, anciennement société Kurt Salmon, est un cabinet de conseil en management international ayant fait l’objet courant 2016 d’un rachat par la société Solucom.

A partir de juin 2016, elle a été confrontée durant quelques mois, à la démission de 16 salariés dont M. [I] [S] et M. [P], tous deux ayant des fonctions de responsabilité au sein de la direction ‘CIO Advisory’ chargée notamment du conseil des entreprises en matière de transformation digitale, leur contrat comportant par ailleurs une clause de non-débauchage.

Elle a par la suite découvert que les salariés démissionnaires avaient tous rejoint la société PricewaterhouseCoopers Advisory (la société PwC), société de conseil ayant une activité concurrente, et que certains de ses clients (Carrefour, Valéo, Total) avaient concomitamment choisi de s’adresser à celle-ci pour la réalisation de prestations.

La société Wavestone Advisors a écrit à M. [S] et à la société PwC en septembre 2016 pour leur rappeler l’existence de la clause de non-débauchage insérée au contrat de son ancien salarié et dénoncer le débauchage fautif dont elle s’estimait victime, griefs réfutés par les intéressés.

Elle a par la suite constaté que la société PwC annonçait son intention de développer son activité de transformation digitale.

Soupçonnant au regard de ces différents événements, la commission d’actes de concurrence déloyale de la part de la société PwC, à savoir le débauchage de salariés et le détournement de clientèle, la société Wavestone Advisors a demandé au président du tribunal de commerce de Nanterre, par requête du 21 avril 2017 de désigner un huissier de justice afin de rechercher et de saisir, en se rendant dans les bureaux de la société PwC et sur la base de certains mots-clé, les documents présents sur les postes informatiques et téléphones mobiles professionnels de M. [P] et M. [S] pour établir la preuve des faits de concurrence déloyale allégués.

Par ordonnance rendue le 25 avril 2017, il a été fait droit à la requête de la société Wavestone Advisors et la SCP Bensimon & Boutanos, huissier de justice, a exécuté la mesure de saisie dans les locaux de la société PwC le 17 mai 2017. Les documents saisis ont été placés sous séquestre entre les mains de l’huissier instrumentaire.

Le 12 janvier 2018, la société Wavestone Advisors a fait assigner au fond la société PwC devant le tribunal de commerce de Nanterre pour obtenir réparation des préjudices subis du fait des actes de concurrence déloyale allégués en sollicitant avant dire droit la levée du séquestre et la communication des pièces.

Par acte d’huissier délivré le 16 juillet 2019, la société PwC a pour sa part fait assigner en référé la société Wavestone Advisors aux fins d’obtenir notamment la rétractation de l’ordonnance rendue le 25 avril 2017, l’annulation des actes exécutés en vertu de cette décision et la restitution de tous fichiers, documents ou autres éléments extraits de son système d’information.

Par ordonnance contradictoire rendue le 20 décembre 2019, le juge des référés du tribunal commerce de Nanterre a :

– rétracté l’ordonnance sur requête rendue le 25 avril 2017,

– prononcé l’annulation du procès-verbal de constat dressé en exécution de l’ordonnance sur requête rétractée, par la SCP Bensimon & Boutanos, huissier de justice, le 17 mai 2017,

– ordonné à la SCP Bensimon & Boutanos, huissier de justice, de restituer, sous huit jours du prononcé de l’ordonnance à la société PwC, l’intégralité des éléments séquestrés,

– fait interdiction de faire référence de quelque manière que ce soit aux éléments constatés ou saisis dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance sur requête rendue le 25 avril 2017,

– débouté la société Wavestone Advisors de sa demande de dommages et intérêts,

– condamné la société Wavestone Advisors à payer à la société PwC la somme de 3 000 euros au titre de l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Wavestone Advisors aux dépens,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit.

Par déclaration reçue au greffe le 3 janvier 2020, la société Wavestone Advisors a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

En parallèle, le juge du fond saisi du litige sur les faits de concurrence déloyale, a sursis à statuer dans l’attente d’une décision définitive à intervenir sur la mesure de saisie.

Dans ses dernières conclusions déposées le 23 novembre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Wavestone Advisors demande à la cour, au visa de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 10 du code civil et des articles 145 et 493 du code de procédure civile, de :

– la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

– déclarer la société PwC mal fondée en son appel incident ;

– réformer l’ordonnance de référé rendue le 20 décembre 2019 ;

et, statuant à nouveau,

– débouter la société PwC de sa demande de rétractation ;

– condamner la société PwC à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société PwC aux entiers dépens dont le montant sera recouvré par Maître Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 25 novembre 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société PwC demande à la cour au visa des articles 14, 16 et 17, 145, 493 à 498 et 875 du code de procédure civile, de :

– confirmer, en toutes ses dispositions, l’ordonnance rendue le 20 décembre 2019 (et non 19 décembre 2019) par le président du tribunal de commerce de Nanterre, en ce que celui-ci, par ladite ordonnance, motif pris de ce que :

* le recours à une procédure non contradictoire n’était pas justifié, a rétracté l’ordonnance rendue le 25 avril 2017 sur la requête présentée par la société Wavestone Advisors et datée du 21 avril 2017,

* les mesures d’instruction et conservatoires ordonnées ainsi que les actes d’exécution de cette mesure ayant perdu leur fondement juridique,

– a prononcé l’annulation du procès-verbal de constat dressé le 17 mai 2017 en exécution de l’ordonnance susvisée, par la SCP Bensimon & Boutos, huissier de justice ;

– a ordonné à celle-ci de lui restituer, sous huit jours du prononcé de ladite ordonnance, l’intégralité des éléments séquestrés ;

à titre subsidiaire,

– rétracter l’ordonnance rendue sur requête le 20 décembre 2019 (et non 19 décembre 2019), ci-dessus mentionnée, à raison du défaut de motif légitime et du caractère non légalement admissible de la mesure d’instruction ordonnée du fait, en particulier, de l’atteinte, disproportionnée au regard du droit d’accès à la preuve, qui en résulte au regard du droit au respect de la vie privée de l’entreprise, de ses salariés et clients, comme au regard du secret des affaires, qui concerne en particulier les relations entre lui, ses salariés et ses clients, ainsi qu’au regard du secret des correspondances ;

– attacher à la rétractation, pour ces motifs, les effets qui en résultent, et dès lors en conséquence de ladite rétractation :

* dire que les mesures conservatoires et probatoires ordonnées aux termes de la décision rendue sur requête le 25 avril 2017 ainsi que tous les actes d’exécution de la mesure d’instruction ordonnée ont perdu leur fondement juridique ;

* annuler les constatations effectuées en exécution des mesures susvisées, de même que tout procès-verbal de constat dressé ou tout autre document établi par l’huissier de justice commis pour accomplir la mission à lui confiée en vertu de l’ordonnance rétractée ;

* ordonner la levée de la mesure de séquestre des copies numériques réalisées et lui restituer celles-ci ainsi que de tous fichiers, documents ou autres éléments extraits de son système d’information ou du système d’information de son réseau ainsi que de tout support des données extraites lors de l’exécution des mesures ordonnées ;

* faire interdiction à la société Wavestone Advisors de conserver ou d’utiliser quelque donnée que ce soit extraites de son système d’information ;

sur les frais et dépens, vu l’article 700 du code de procédure civile,

– dire qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge la charge des frais non compris dans les dépens qu’il a dû exposer pour la défense de ses intérêts, ce tant en première instance qu’en cause d’appel ;

– condamner en conséquence ladite société à lui payer la somme de 15 000 euros ;

– condamner la société Wavestone Advisors aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 novembre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La cour rappelle, à titre liminaire, qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de “constatations” ou de ‘dire et juger’ qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques.

En outre, en dépit d’un appel portant sur l’intégralité des dispositions, la société Wavestone Advisors ne critique pas dans ses conclusions celle l’ayant déboutée de sa demande de dommages et intérêts, qu’il convient dès lors de confirmer.

– sur la mesure de saisie :

Rappelant que le premier juge a rétracté l’ordonnance sur requête motif pris qu’il n’était pas suffisamment justifié de la dérogation au principe du contradictoire, alors qu’il a par ailleurs reconnu l’existence d’un motif légitime à la mesure de saisie sollicitée, la société Wavestone Advisors soutient qu’au contraire, cette dernière était parfaitement fondée au regard des exigences de l’article 145 du code de procédure civile et de son droit à la preuve élevé au rang de droit fondamental en vertu de l’article 6 de la CEDH.

L’appelante fait valoir qu’elle a développé de manière circonstanciée dans sa requête les motifs justifiant une dérogation au principe du contradictoire, d’une part en exposant les éléments de contexte constitutifs d’indices de concurrence déloyale et d’autre part en invoquant sa crainte, dans de telles circonstances, d’une dissimulation des preuves figurant sur des supports numériques aisément effaçables, le fait qu’existent des outils permettant de les récupérer étant selon elle indifférent.

Elle fait observer sur ce point qu’une telle récupération qui impose des manipulations particulièrement techniques, implique de toute façon la saisie des supports et qu’à l’inverse, existent aussi des logiciels permettant de procéder à leur effacement total et définitif.

Elle estime également que la référence à un nécessaire effet de surprise demeure dans ce contexte une motivation pertinente nonobstant l’envoi le 3 août 2016 d’une lettre à la partie adverse dénonçant le débauchage fautif de ses collaborateurs.

Par ailleurs, la société Wavestone Advisors prétend, ainsi que l’a reconnu le premier juge, qu’elle justifie d’un motif légitime à la mesure de saisie, eu égard aux indices recueillis qui corroborent ses soupçons à l’égard de la société PwC de faits de concurrence déloyale, dont notamment le départ sur une période très courte de 14 salariés, tous issus de la direction chargée de l’activité de conseil dans le secteur de la transformation digitale (27% des effectifs de cette direction), travaillant avant leur départ sous la direction de M. [S] et de M. [P], et ultérieurement recrutés par Pwc, société concurrente, alors que certains étaient soumis à une clause de non-débauchage.

Elle fait en outre observer que concomitamment à ces départs, la partie adverse a annoncé son intention de développer à son tour son activité de conseil en matière de transformation digitale, et prétend s’être rendue compte que des missions en cours auprès de certains de ses clients, citant notamment les sociétés Valeo et Carrefour, avaient été reprises par l’équipe de ses anciens salariés reconstituée au sein de la société PwC.

La société Wavestone Advisors estime qu’elle présente ainsi des indices suffisants d’une part de violation de la clause de non-débauchage figurant dans les contrats de M. [S] et de M. [P], et d’autre part d’actes de concurrence déloyale.

Enfin, selon l’appelante, la mesure de saisie sollicitée ne constitue nullement une mesure d’investigation générale et ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits de la société PwC et au secret des affaires, au regard de son périmètre restreint à 16 mots-clés (14 noms de salariés, 1 nom de client, 1 nom de mission) et circonscrit dans le temps. Elle ajoute que la mesure de séquestre a aussi pour but de préserver les droits de l’intimée, sa levée impliquant le filtrage par un juge des pièces qui n’auraient éventuellement aucun lien avec la requête ou dont la saisie serait de nature à porter une atteinte disproportionnée aux intérêts de la société PwC ou de ses clients.

En réponse, la société PwC fait valoir que la brièveté et l’imprécision de la requête, notamment l’absence d’élément spécifique se rattachant au cas d’espèce, rendent insuffisante la motivation de la nécessité de déroger au principe de la contradiction, ajoutant que l’ordonnance n’adopte aucune motivation spécifique sur ce point.

Selon elle, la requête n’est qu’un procès d’intention à son endroit, sans commencement de démonstration des griefs allégués.

Elle rappelle que cette cour a déjà eu l’occasion, par un arrêt du 1er février 2018 de censurer une requête similaire de la société Wavestone Advisors dirigée contre la société KPMG.

La société PwC prétend en substance que la société Wavestone Advisors se contente de paraphraser l’article 493 du code de procédure civile, en procédant à des affirmations générales et abstraites, pour soutenir que les documents informatiques seraient facilement supprimés, ce qui ne suffit pas à prouver in concreto qu’il existe un risque avéré de dépérissement des preuves.

L’intimée fait observer que si elle avait réellement eu des intentions malveillantes à l’égard de la société Wavestone Advisors, elle aurait déjà fait en sorte de détruire les preuves de son supposé méfait avant même d’être informée d’une demande de mesure de saisie, rappelant qu’il n’y avait en l’espèce aucun effet de surprise possible puisque par courrier du 3 août 2016, l’appelante lui avait déjà fait part de ses soupçons et reproches concernant de prétendus faits de concurrence déloyale et qu’elle pouvait donc s’attendre et anticiper la visite d’un huissier de justice.

Elle considère en outre qu’il est absurde de présenter les courriels comme des documents plus volatiles que des pièces sur support papier, la destruction de ces dernières laissant encore moins de trace que celle de pièces dématérialisées susceptibles d’être récupérées grâce à des logiciels conçus à cet effet.

Rappelant que dans son assignation au fond, la société Wavestone Advisors a su lister précisément les pièces dont elle réclamait la communication, à savoir les contrats de travail et les documents commerciaux en lien avec ses clients, l’intimée affirme que c’est bien la preuve qu’une telle communication ne justifiait pas qu’il soit dérogé au principe du contradictoire et que la partie adverse ne craignait alors pas qu’elles soient détruites.

S’agissant du motif légitime exigé par l’article 145 du code de procédure civile, la société PwC soutient que les indices invoqués par l’appelante sont insuffisants à en caractériser l’existence, au regard du contexte des départs que cette dernière dénonce et que la mesure de saisie ne doit pas être un moyen pour l’appelante de suppléer sa carence dans l’administration de la preuve au sens de l’article 146 du code de procédure civile.

Elle explique qu’à la suite de son rachat par le cabinet Solucom, la société Wavestone Advisors a été confrontée au cours de l’année 2016 à une vague très importante de départ de salariés désireux de rejoindre des cabinets concurrents tels que le cabinet Deloitte ou encore le cabinet Ernst&Young, (33% de rotation des effectifs sur un an), phénomène dont même la presse s’est faite l’écho.

L’intimée ajoute que les 14 départs dénoncés constituent seulement 1,80% des consultants de la société Wavestone Advisors et se sont opérés sur plus de 6 mois et non sur une période très courte comme prétendu par celle-ci.

Enfin, la société PwC prétend qu’au vu de la mission donnée à l’huissier de justice, la mesure de saisie s’apparente à une mesure d’investigation trop générale qui est de nature à porter une atteinte disproportionnée d’une part au secret des affaires de ses clients, rappelant que par nature, son activité de conseil est soumise à une obligation stricte de confidentialité, eu égard à la sensibilité des informations que lui communiquent ces derniers, et d’autre part à la vie privée des salariés dont les noms sont utilisés comme mots-clé.

Sur ce,

Le juge, saisi d’une demande de rétractation d’une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile doit s’assurer de l’existence d’un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale, à ordonner la mesure probatoire, des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement et de la nature légalement admissible de la mesure sollicitée.

* sur la dérogation au principe du contradictoire :

En application des articles 493 et 495 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête rendue non contradictoirement doit être motivée de façon précise, le cas échéant par l’adoption des motifs de la requête, s’agissant des circonstances qui exigent que la mesure d’instruction sollicitée ne soit pas prise contradictoirement.

Le juge saisi d’une demande de rétractation ne peut suppléer la carence de la requête ou de l’ordonnance sur ce point et n’a pas à rechercher ces circonstances dans les pièces produites ou les déduire du contexte de l’affaire.

Il statue donc, au besoin d’office, sur la seule motivation de la requête ou de l’ordonnance justifiant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction, motivation qui doit s’opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style.

En l’espèce, l’ordonnance rendue le 25 avril 2017 vise la requête et les pièces qui y sont jointes, ce qui vaut adoption implicite des motifs figurant dans la requête, le juge des requêtes n’ayant pas l’obligation d’adopter une motivation distincte.

Dans sa requête, la société Wavestone Advisors rappelle en premier lieu la chronologie des différentes démissions de salariés auxquelles elle a été confrontée entre juin 2016 et novembre 2016, après celles des deux cadres dirigeants animant l’activité de conseil en transformation digitale, M. [S] et M. [P], et la découverte de leur recrutement par la société PwC.

Elle développe ensuite son argumentation pour caractériser le motif légitime à la mesure de saisie au regard des indices en sa possession qu’elle détaille et qui sont selon elle de nature à corroborer ses soupçons à l’égard de l’intimée d’actes de concurrence déloyale par sa participation à la violation des clauses de non-débauchage insérées aux contrats de travail de ses 2 anciens dirigeants ainsi que par le débauchage de ses salariés et le détournement de ses clients.

Elle motive en son point 4 la dérogation au contradictoire en ces termes : ‘L’intervention de PwC dans le débauchage organisé chez son concurrent n’a pu être réalisée que de façon discrète. Les échanges entre PwC et les salariés de chez Wavestone dont M. [S] et M. [P], et entre ces derniers et les autres salariés démissionnaires, n’ont été réalisés que par courriel et/ou SMS aisément effaçables. Une mesure d’instruction prise contradictoirement ne pourra permettre la communication spontanée de ces échanges qui pourront être effacés et dont l’existence pourra être aisément démentie. Il existe donc un risque de dépérissement de preuve. L’effet de surprise est une condition de l’efficacité de la mesure.’

En se référant ainsi de manière circonstanciée aux soupçons de débauchage de ses salariés précédemment décrits et à la nécessaire discrétion qui a pu entourer ces manoeuvres grâce à l’utilisation de moyens de communication tels des courriel ou SMS dont il ne peut être sérieusement contesté qu’ils sont par nature aisément effaçables, la société Wavestone Advisors a suffisamment caractérisé le risque de dépérissement des preuves des actes de concurrence déloyale qu’elle dénonce et par voie de conséquence, la nécessité de préserver un effet de surprise pour assurer l’efficacité de la mesure.

Il ne lui est pas demandé au stade de la requête de rapporter la preuve de l’intention avérée de la société PwC de détruire les documents en sa possession, ou encore de l’impossibilité technique de récupérer des données informatiques qui auraient pu être détruites par anticipation mais simplement d’étayer par les circonstances le risque de leur dépérissement.

En outre, les deux seuls courriers adressés le 3 août 2016 par la société Wavestone Advisors à la société PwC et à M. [S], pour alerter la première des démarches entreprises par son ancien cadre aux fins de débauchage de ses salariés en violation de ses engagements contractuels, et pour sommer le second d’y mettre un terme, n’apparaissent pas de nature à anéantir par anticipation l’effet de surprise qui devait résulter de l’exécution de la mesure de saisie ordonnée plusieurs mois plus tard hors débat contradictoire.

Est également indifférent le fait de savoir si les éléments de preuve sur support dématérialisé sont plus facilement destructibles que ceux sur support papier, la nature des pièces recherchées, en l’espèce des courriels, suffisant en soi à caractériser leur volatilité, au même titre qu’aurait pu l’être un courrier ou un enregistrement téléphonique.

Est par ailleurs inopérant pour combattre la motivation adoptée par la requérante, le fait qu’elle ait sollicité dans son assignation au fond délivrée le 12 janvier 2018 à la société PwC la communication d’autres pièces, le juge de la rétractation devant se placer au jour de la requête, soit au 21 avril 2017, pour apprécier si les circonstances nécessitant de déroger au contradictoire sont suffisamment caractérisées.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’à travers la requête de la société Wavestone Advisors à laquelle renvoie l’ordonnance du 25 avril 2017, les circonstances nécessitant de déroger au principe de la contradiction sont suffisamment caractérisées.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, le moyen de rétractation invoqué par la société PwC ne peut dès lors prospérer.

* sur l’existence d’un motif légitime :

L’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile rappelées plus haut suppose que soit constaté qu’il existe un procès ‘en germe’ possible, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui.

Il sera également rappelé qu’il appartient au requérant de justifier de ce que sa requête était fondée, et non au demandeur à la rétractation de rapporter la preuve qu’elle ne l’est pas.

Le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque au soutien de sa demande de mesure in futurum puisque celle-ci est destinée à les établir, l’application de l’article 145 du code de procédure civile n’impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé.

Il lui incombe simplement de justifier d’éléments rendant crédibles les griefs allégués, étant précisé que l’existence du motif légitime s’apprécie à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête initiale et de ceux produits ultérieurement devant le juge des référés et la cour à sa suite.

Il est en l’espèce admis par la société PwC en page 30 de ses conclusions qu’elle a recruté au cours de l’année 2016 les anciens salariés cités par la société Wavestone Advisors, dont M. [S] et M. [P], anciens cadres dirigeants du service chargé de l’activité de conseil en matière de transformation digitale (CIOA).

Il est justifié par le contrat de travail de M. [S] que celui-ci était soumis à une clause de non-débauchage pendant 18 mois à compter de son départ effectif de la société Wavestone Advisors qui est intervenu le 2 septembre 2016.

A travers la copie des lettres de démission, l’appelante rapporte la preuve que 11 de ces salariés dont M. [S] et M. [P], ont mis fin à leur contrat entre le 1er juin et le 1er août 2016, soit en l’espace de 2 mois, suivis de 3 autres salariés les 11 et 14 octobre 2016 et le 9 novembre 2016, leur départ respectif, après l’exécution de leur préavis, s’échelonnant entre le 18 août 2016 et le 8 février 2017.

Il n’est pas non plus discuté par la société PwC que ces personnes appartenaient toutes au service CIOA de la société Wavestone Advisors animé par M. [S], ainsi que cela résulte d’ailleurs de plusieurs lettres de démission et d’un tableau listant lesdits salariés, au demeurant non critiqué par l’intimée, que l’appelante verse aux débats.

La société PwC prétend que ces départs sont exclusivement liés au récent rachat de l’appelante par le cabinet Solucom. Toutefois, les quelques articles de presse produits ne constituent pas une preuve qui permettrait d’écarter de manière certaine les soupçons de débauchage qui résultent de ces démissions et recrutements intervenus de manière concomitante au départ de M. [S] dans un temps très court de quelques mois.

En outre, il résulte du compte-rendu daté du 11 octobre 2016 du comité de pilotage du projet Izy mené par Carrefour Banque, et dont la société PwC ne prétend pas qu’elle y est associée depuis l’origine, que M. [X] [Z] et M. [K] [V] sont mentionnés en tant que participants au nom de ‘KS'( Kurt Salmon), ancienne dénomination de la société Wavestone Advisors, alors qu’ils ont tous deux quitté la société en septembre 2016 et mentionnent dans leur profil Linkedin qu’ils travaillent pour la société PwC depuis octobre 2016, soit concomitamment à ladite réunion.(pièce 2 annexes 26, 32 et 62 et pièce 10 de l’appelante).

D’ailleurs, dans un courriel daté du 5 septembre 2016 entre la société Wavestone Advisors et son client, la société Carrefour, celle-ci précise à son interlocuteur que ‘le sujet de débauchage n’est pas mon sujet en ce qui me concerne, le seul enjeu pour Carrefour Banque étant le délivery du programme avec le dispositif et les personnes en charge à date (…)’.

Ces différentes pièces suffisent à considérer comme plausibles les soupçons de la société Wavestone Advisors concernant d’une part l’implication de la société PwC dans le débauchage de plusieurs salariés d’un même service (CIOA) en lien avec le départ de leur cadre dirigeant, M. [S], et ce en dépit de la clause de non-débauchage insérée au contrat de travail de celui-ci, et d’autre part, la reprise par l’intimée grâce à l’arrivée desdits salariés de projets antérieurement pilotés par la société Wavestone Advisors, tel que le projet Izy avec Carrefour Banque, l’ensemble de ces faits étant susceptibles de constituer des actes de concurrence déloyale.

La requérante n’ayant pas à démontrer la réalité de ces faits, il est à ce stade de la procédure indifférent de savoir si ces multiples départs ont désorganisé ou pas son activité.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la société Wavestone Advisors justifie d’un motif légitime à solliciter une mesure de saisie afin d’établir la preuve des actes ainsi suspectés et de conforter les indices déjà en sa possession.

* sur la nature et le périmètre de la mesure ordonnée :

Au sens de l’article 145, les mesures légalement admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile et qui ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes du défendeur.

Le secret des affaires, de même que le respect de la vie privée, ne constituent pas en soi un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.

Enfin, le juge de la rétractation peut modifier la mission en la complétant ou l’amendant afin qu’elle soit limitée dans son étendue et dans le temps, conformément aux articles 149 et 497 du code de procédure civile.

Aux termes de l’ordonnance du 25 avril 2017, le juge sur requête a autorisé la SCP Bensimon Boutanos, huissier de justice, à se rendre dans les locaux de la société PwC pour ‘extraire du système d’information de l’entreprise, des postes informatiques individuels M. [I] [S] et de M. [F] [P], et de tout support numérique, tout courriel créé, modifié ou supprimé entre le 1er avril 2016 et le 1er décembre 2016 dont l’auteur, l’expéditeur, le destinataire, l’objet ou le corps contiennent l’un ou l’autre des mots-clés suivants : [S], [P], [H], [N], [W], [Z], [A], [Y], [V], [L], [G], [J], [M], [O], Carrefour, Izy’ et en prendre copie.

La société PwC soutient que la recherche à partir des noms de ses salariés est susceptible de porter atteinte à leur vie privée et au secret des affaires de ses clients.

Il sera relevé que l’intimée n’émet aucune critique particulière s’agissant de l’utilisation des mots-clé ‘Carrefour’ et ‘Izy’.

Par ailleurs, la société PwC ne précise pas en quoi la recherche à partir des noms des salariés démissionnaires porterait une atteinte disproportionnée à leur vie privée dès lors que les recherches ne sont pas réalisées sur leurs ordinateurs professionnels personnels mais principalement sur ceux de M. [S] et de M. [P].

S’agissant de ces derniers, l’atteinte susceptible d’être portée à leur vie privée par la recherche de courriels sur leur ordinateur professionnel à partir de leur nom n’apparaît pas disproportionnée dès lors qu’ils sont soupçonnés d’être à l’origine des faits de débauchage allégués et que l’exécution de la mesure se fait en leur présence afin, si besoin, de ne pas prendre copie de courriels qui toucheraient à leur vie privée.

En revanche, la plupart des personnes visées par la requête travaillant au sein de la société PwC depuis octobre 2016, la recherche de courriels jusqu’en décembre 2016 à partir de leur seul nom est susceptible de conduire à la saisie de messages concernant des dossiers de clients propres à l’intimée, sans lien avéré avec les actes de concurrence déloyale dont la preuve est recherchée.

Aussi, cette recherche jusqu’en décembre 2016 à partir du nom des salariés démissionnaires est de nature à porter une atteinte disproportionnée au secret des affaires des clients de la société PwC.

Il convient dès lors de la circonscrire dans le temps pour la limiter à la période au cours de laquelle ont pu être discutées et décidées l’ensemble de ces démissions, soit entre le 1er avril 2016 et le 9 novembre 2016 inclus, date de la dernière démission.

Il sera enfin rappelé que les pièces saisies ont été placées sous séquestre dont la levée obéit à une procédure stricte permettant d’écarter toute pièce sans lien avec les actes de concurrence déloyale dénoncés, à savoir le débauchage des 14 salariés et le détournement du client Carrefour.

Dans ces conditions, et avec les limitation ordonnées, la mesure apparaît proportionnée à l’objectif poursuivi et il n’y a donc pas lieu de rétracter l’ordonnance sur requête du 25 avril 2017.

L’ordonnance entreprise sera en conséquence infirmée.

– sur les demandes accessoires :

L’ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société PwC ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés, s’agissant des dépens d’appel, avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.

Il est en outre inéquitable de laisser à la société Wavestone Advisors la charge des frais irrépétibles qu’elle a exposés. L’intimée sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME l’ordonnance entreprise en date du 20 décembre 2019 sauf en ses dispositions déboutant la société Wavestone Advisors de sa demande de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DÉBOUTE la société PricewaterhouseCoopers Advisory de sa demande tendant à la rétractation de l’ordonnance sur requête rendue le 25 avril 2017 ;

MODIFIE la mission confiée à la SCP Bensimon Boutanos, huissier de justice par l’ordonnance du 25 avril 2017 comme suit :

Extraire du système d’information de l’entreprise, des postes informatiques individuels M. [I] [S] et de M. [F] [P], et de tout support numérique :

* tout courriel créé, modifié ou supprimé entre le 1er avril 2016 et le 9 novembre 2016 dont l’auteur, l’expéditeur, le destinataire, l’objet ou le corps contiennent l’un ou l’autre des mots-clés suivants : [S], [P], [H], [N], [W], [Z], [A], [Y], [V], [L], [G], [J], [M], [O],

* tout courriel créé, modifié ou supprimé entre le 1er avril 2016 et le 1er décembre 2016 dont l’auteur, l’expéditeur, le destinataire, l’objet ou le corps contiennent l’un ou l’autre des mots-clés suivants : Carrefour, Izy ;

DIT que le surplus de la mission telle que définie par l’ordonnance du 25 avril 2017 reste inchangée ;

ORDONNE la destruction des éléments sur support informatique saisis hors périmètre de l’ordonnance du 25 avril 2017 ainsi modifiée ;

CONDAMNE la société PricewaterhouseCoopers Advisory à payer à la société Wavestone Advisors une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT que la société PricewaterhouseCoopers Advisory supportera les dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés, s’agissant des dépens d’appel, avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Nicolette GUILLAUME, Président et par Madame CHERCHEVE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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