Secret des correspondances : 20 avril 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 20-87.248

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Secret des correspondances : 20 avril 2022 Cour de cassation Pourvoi n° 20-87.248
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20 avril 2022
Cour de cassation
Pourvoi n°
20-87.248

N° Y 20-87.248 FS-B

N° 00393

RB5
20 AVRIL 2022

CASSATION PARTIELLE
REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 AVRIL 2022

Les sociétés [4], [4], [2] et [6], ont formé des pourvois contre l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris, en date du 9 décembre 2020, qui a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et de saisies en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et rejeté leurs recours contre le déroulement des opérations effectuées en exécution de ladite ordonnance.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [4], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés [6] et [2], les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocats de la société [4], les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de l’Autorité de la concurrence, et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l’audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, M. Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Lesclous, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 3 avril 2019, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, saisi par requête du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, a autorisé ce dernier, au visa de l’article L. 450-4 du code de commerce, à procéder à des opérations de visite et de saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et délivré commission rogatoire aux juges territorialement compétents hors du ressort du tribunal de Paris.

3. Cette décision visait les locaux des sociétés [4] (la société [3]), [4] (la société [7]), [6] et [2].

4. Deux autres ordonnances ont en outre été prises, par les juges des libertés et de la détention des tribunaux judiciaires de Bordeaux, le 4 avril 2019, et Créteil, le 8 avril 2019.

5. Les visites domiciliaires et les opérations de saisies documentaires ont donné lieu à l’établissement de plusieurs procès-verbaux, des 9 et 10 avril 2019 en ce qui concerne les opérations initiales, puis des 14, 15 et 28 mai 2019, s’agissant de l’exploitation des scellés.

6. Des recours ont été exercés par chacune des sociétés contre les ordonnances ci-dessus et le déroulement des opérations de visite et saisie.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et quatrième moyens proposés pour la société [3], le premier moyen proposé pour la société [7] et les premier moyen et second moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposés pour les sociétés [6] et [2]

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen proposé pour la société [3], le deuxième moyen proposé pour la société [7] et le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour les sociétés [6] et [2]

Énoncé des moyens

8. Le moyen proposé pour la société [3] critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a ordonné à l’Autorité de la concurrence la seule restitution des pièces saisies numérotées 2.20, 2.23 et 2.51 et a rejeté le surplus de son recours, alors « que l’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client est couvert par le secret professionnel et se trouve, à ce titre, insaisissable, quelle que soit l’affaire à laquelle elles se rattachent ; qu’en l’espèce, pour rejeter les demandes de la société [3] tendant à l’annulation des saisies de documents couverts par le secret des correspondances entre avocat et client, identifiés et recensés par les soins de celle-ci dans les tableaux produits en pièces n° 13.00000 à 13.08365 (pour des dossiers ne relevant pas du droit de la concurrence), n°16.00000 à 16.00757 (pour des dossiers relevant du droit de la concurrence) et n° 23.00000 à 23.00074 (pour des correspondances « non localisées » par les agents), le délégué du premier président a estimé, d’une part, que les correspondances entre un avocat et son client n’étaient protégées par le secret professionnel, en matière d’atteinte à l’ordre public économique, qu’à la condition d’avoir été émises ou adressées par un avocat indépendant de l’entreprise et pour l’exercice des droits de la défense « en rapport avec l’objet même de l’enquête déterminée d’après les indices d’infraction au droit de la concurrence », d’autre part, que les courriers identifiés par la société [3] et dont elle sollicitait la restitution ne correspondaient pas à un échange entre avocat et client concernant sa défense dans l’enquête ; qu’en statuant de la sorte, donc en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, prise de la restriction du secret des correspondances aux seuls échanges en rapport avec l’objet même de l’enquête déterminé d’après les indices d’infraction au droit de la concurrence, le délégué du premier président de la cour d’appel a violé les articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et L. 450-4 du code de commerce, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. »

9. Le moyen proposé pour la société [7] critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a rejeté son recours tendant, à titre principal, à l’annulation des opérations de visite et saisie réalisées les 9 et 10 avril et 14 et 15 mai 2019 dans ses locaux et à la restitution de l’intégralité des pièces saisies et de leurs copies et, à titre subsidiaire, à l’annulation de la saisie des documents visés aux pièces n° 13, 14, 15 et 18, et à leur restitution, alors :

« 1°/ qu’il résulte de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qu’en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ; qu’il se déduit de ce texte que sont insaisissables par l’Autorité de la concurrence toutes les correspondances échangées entre l’entreprise sujette à une visite domiciliaire et son avocat, sans qu’il faille limiter la portée de cette insaisissabilité aux seules correspondances en relation avec l’exercice des droits de la défense, ni à celles dont l’objet est en relation avec celui de l’enquête pour les besoins de laquelle l’Autorité de la concurrence a été autorisée à procéder à une visite et saisie domiciliaires, ni enfin aux seuls documents dont l’avocat serait l’auteur ou l’expéditeur ; qu’en jugeant néanmoins qu’en matière d’atteintes à l’ordre public économique, les conseils des avocats à leurs clients ne peuvent bénéficier de cette protection qu’à la condition qu’ils aient été émis par un avocat indépendant de l’entreprise et pour l’exercice des droits de la défense en rapport avec l’objet même de l’enquête déterminée d’après les indices d’infractions au droit de la concurrence, puis en jugeant que tel n’était pas le cas des correspondances énumérées par les pièces n° 13, 13.1, 13.2 et 14 dont la société [7] sollicitait l’expurgation des scellés définitifs, le premier président a violé le texte susvisé en y introduisant des restrictions incompatibles avec sa rédaction, ensemble l’article 591 du code de procédure pénale et les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

2°/ qu’à supposer même que le champ d’application de l’insaisissabilité des correspondances entre un avocat et son client doive être limité à celles qui ont un lien avec l’exercice des droits de la défense, il n’en demeurerait pas moins que le premier président ne pouvait restreindre la portée de cette insaisissabilité aux seuls documents en rapport avec l’objet même de l’enquête mise en oeuvre par l’Autorité de la concurrence, de sorte qu’en se prononçant comme il l’a fait, le premier président a violé l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l’article 591 du code de procédure pénale et les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

3°/ que la protection du secret des correspondances échangées entre un avocat et son client ainsi que celle du droit d’accès au juge ne peuvent être effectives qu’à la condition que l’autorité poursuivante s’interdise, par des moyens adéquats et contrôlables, de prendre connaissance de telles correspondances avant que l’entreprise ayant fait l’objet d’une visite domiciliaire ait été mise en mesure d’en contester la saisie et de faire trancher cette contestation par une juridiction ; qu’en l’espèce, la société [7] exposait dans ses écritures que seule une partie des documents appréhendés par les services de l’instruction de l’Autorité consécutivement à la visite domiciliaire effectuée en ses locaux avait été placée sous des scellés provisoires ; qu’elle rappelait en effet qu’après avoir émis une réquisition pour obtenir la communication de documents dont ils n’étaient parvenus à prendre une copie informatique et recueilli sur procès-verbal la déclaration du représentant de l’entreprise selon laquelle les documents réquisitionnés étaient eux aussi susceptibles de renfermer des correspondances protégées par le secret avocat-client, le rapporteur général de l’Autorité avait néanmoins, par un courrier du 18 avril 2019, expressément refusé de mettre en oeuvre une mesure de protection des documents réquisitionnés par leur placement sous un scellé provisoire, de sorte que les services de l’instruction de l’Autorité avaient ainsi eu tout loisir de consulter sans contrainte l’ensemble de ces documents ; que, pour rejeter le moyen par lequel la société [7] demandait de sanctionner l’atteinte irrémédiable ainsi portée par l’Autorité au secret des correspondances avocat-client à raison de son refus de mettre en oeuvre une mesure provisoire de protection des documents réquisitionnés, le premier président s’est borné à énoncer « qu’il résulte des termes des procès-verbaux que les agents ont régulièrement invité le représentant de la société [7] à désigner ceux des documents couverts par la confidentialité des communications entre avocats et clients » et que la société [7] ne rapportait pas la preuve de ce que les agents de l’Autorité aient été au-delà d’un examen sommaire des correspondances en cause « avant de décider de la saisie des correspondances, de leur conservation, ni du refus qu’ils auraient opposé à une demande précise de retrait de documents » ; qu’en se déterminant par de tels motifs impropres à écarter l’atteinte irrémédiable portée au secret des correspondances entre avocats et clients qui résultait du refus, lui-même dûment documenté, des services de l’instruction de placer les documents réquisitionnés sous des scellés provisoires, le premier président a violé l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l’article 591 du code de procédure pénale et les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. »

10. Le moyen proposé pour les sociétés [6] et [2] critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a rejeté les recours en annulation du procès-verbal établi le 9 avril 2019 à [Localité 1] et du procès-verbal établi le 10 avril 2019 à [Localité 8], sauf à ordonner à l’Autorité de la concurrence de restituer à la société [6] les seuls documents numérotés 253, 271, 305, 312, 314 et 509, alors :

« 3°/ que l’insaisissabilité des documents couverts par le secret professionnel s’étend à l’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense et ne se limite pas à ceux qui relèveraient de l’exercice des droits de la défense dans le présent dossier de concurrence ; qu’en décidant au contraire que seuls étaient insaisissables les courriers émis ou adressés par un avocat « pour l’exercice des droits de la défense en rapport avec l’objet même de l’enquête déterminée d’après les indices d’infraction au droit de la concurrence » ou encore ceux « concernant la matière du droit de la concurrence ou se rapportant l’exercice des droits de la défense relatif à l’objet de l’enquête », le conseiller délégué a violé les articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que la violation du secret professionnel intervient dès la saisie d’un document, et la restitution des documents irrégulièrement saisis dont l’Autorité de la concurrence a pu prendre connaissance et qu’elle a pu analyser ne suffit pas à rétablir la société dans ses droits ; que la pratique des scellés provisoires est précisément destinée à garantir le secret professionnel en écartant de la saisie les documents couverts par le privilège légal avant que l’Autorité de la concurrence ait eu la possibilité de les analyser ; qu’en décidant que l’Autorité avait pu refuser à la société [6] le droit de bénéficier de la procédure de scellés provisoires s’agissant de la saisie de la messagerie de Mme [J], sans que ce refus ne lui cause de préjudice, tandis qu’elle avait souligné que cette messagerie comportait des documents couverts par le secret professionnel, dont l’Autorité ne pouvait pas librement prendre connaissance, le conseiller délégué a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 450-4 du code de commerce, 591 et 293 du code de procédure pénale. »

 


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