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18 janvier 2017
Cour de cassation
Pourvoi n°
15-24.327
SOC.
JT
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2017
Rejet non spécialement motivé
M. HUGLO, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Décision n° 10085 F
Pourvoi n° C 15-24.327
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société [F], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
contre l’arrêt rendu le 25 juin 2015 par la cour d’appel d’Orléans (chambre sociale), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. [U] [P], domicilié [Adresse 2],
2°/ à Pôle emploi [Localité 1], dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 7 décembre 2016, où étaient présents : M. Huglo, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Slove, conseiller rapporteur, M. Maron, conseiller, Mme Becker, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [F], de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de M. [P] ;
Sur le rapport de Mme Slove, conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l’article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu’il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [F] aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société [F] et condamne celle-ci à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société [F]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que M. [P] avait subi des faits répétés de harcèlement moral au sein de la SARL [F] et d’AVOIR, en conséquence, condamné la société [F] à lui verser 5.000,00 euros de dommages et intérêts à ce titre ;
AUX MOTIFS QUE « Sur les allégations de harcèlement moral ; que l’article L. 1152-1 du code du travail dispose qu’ aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que l’article L. 1152-3 ajoute que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles précédents est nul ; qu’en cas de litige, le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et, au vu des ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que cette décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que le salarié fournit les attestations suivantes : celle de Madame [Z] [T] : « elle atteste, en tant que comptable, avoir constaté dans l’entreprise que les conditions de travail de Monsieur [P] s’étaient détériorées depuis 2010, puisqu’après une absence, il s’est retrouvé sans bureau, son poste de travail ayant été pris par Madame [H] [F] et il a été obligé de se mettre sur un coin de table avec un PC en mauvais état. Il n’avait plus accès à son véhicule de société et Monsieur [F] lui a demandé de ne plus s’adresser à Monsieur [P] en ce qui concerne les litiges mais de voir avec lui directement ou avec l’assureur, alors qu’auparavant tous les litiges quels qu’ils soient devaient passer automatiquement par Monsieur [P] ; celle de Madame [N] [I] qui affirme que ce cadre était très compétent et honnête dans son travail qu’il n’avait aucun reproche à lui faire, puisque les dossiers étaient suivis et compris alors qu’en tant qu’agent général d’assurances, elle avait pu constater que Monsieur [F] avait toujours mis en avant Monsieur [P] et se reposait sur lui, jour et nuit ; celle de Monsieur [R] [L], chauffeur livreur, qui certifie avoir constaté que Monsieur [P] avait été mis à l’écart de ses fonctions, il n’a pas été installé sur bureau, mais seulement sur un petit bureau situé au bout de l’exploitation, dos à notre arrivée. Pour tout ce qui concerne l’exploitation, les chauffeurs avaient désormais affaire à Madame [F] et qu’il n’avait jamais eu d’information sur ce changement. En outre, il a toujours vu ce cadre avec un véhicule de fonction car il venait et repartait chez lui avec une Clio de la société et il venait aussi les voir chez les clients ; celle de M. [O] [O] qui a constaté qu’en tant que chauffeur livreur, ce cadre était son responsable direct, concernant l’exploitation et que tout se passait très bien avec lui mais qu’avant son propre départ de l’entreprise, Monsieur [P] avait été complètement esseulé de ses fonctions et qu’à sa place c’était Madame [H] [F] qui l’avait remplacé sans qu’ils aient eu aucune information à ce sujet. Celui-ci avait un véhicule de fonction car il venait et repartait chez lui avec une Clio de la société et il venait également les voir chez les clients depuis de nombreuses années ; celle de Monsieur [C] [M], ancien voisin de Monsieur [P], qui a constaté qu’il travaillait au sein de la société groupe [F], car il venait et repartait de chez lui avec une voiture de société qui comportait la publicité de cette société ; celle de Madame [L] [C], ancienne assistante du gérant de la société, ne pourra être retenue puisqu’elle est la mère de l’enfant de Monsieur [P] ; que l’avenant au contrat de travail du 1er septembre 2009 avait déterminé ses nouvelles fonctions : un poste de responsable qualité au sein des deux filiales, avec la qualification de cadre, en étroite collaboration avec le gérant ; qu’il devait avoir pour principale fonction la planification, l’organisation, la direction et le contrôle des opérations de transport en vue d’assurer le bon fonctionnement et la rentabilité de l’entreprise et en charge notamment de la coordination et de la supervision de l’exploitation, l’utilisation optimale de toutes les installations et équipements après avoir maximisé la rentabilité, la gestion et le suivi des litiges clients, la représentation du gérant auprès des collaborateurs et à l’extérieur de la société, le suivi des véhicules et des dossiers assurances afférents, la détermination des prix et des stratégies de promotion de l’entreprise, la gestion de l’équipe administrative exploitation et des personnels roulants, le suivi et la durée du travail des personnels roulants, la coordination entre les différents services de l’entreprise et notamment les transmissions des informations vers le service des ressources humaines, l’application des normes et des procédures de sécurité de l’entreprise ; que de nombreux arrêts de travail lui ont été ordonnés médicalement du 10 juin au 29 juin 2011, du 27 juillet au 16 août 2011, le praticien ayant noté une souffrance psychologique au travail et du 16 au 31 août 2011, puis du 1er novembre au 10 novembre 2011 ; qu’il a fait l’objet d’un traitement au Lexomil et lors de la convocation à une consultation de pathologie professionnelle, il est relevé, à nouveau, une souffrance au travail ; que le chef de quai logistique, Monsieur [J] [Q], a rédigé une attestation en faveur du cadre, mais comme il a été en litige prud’homal avec la société, il convient d’écarter cette attestation de même que les courriels que se sont échangés les époux [F], injurieux pour le salarié, toutes pièces que la cour ne pourra prendre en considération dès lors qu’elles sont protégées par le secret des correspondances électroniques et qu’il n’est pas prouvé que Monsieur [P] ait pu en prendre connaissance sans stratagème reprouvé par la loi ; que, quant aux pièces fournies par la société, il convient d’éliminer du débat les écrits de la société en tant que telle, et les attestation de Monsieur et Madame [F], parties au procès ; que certes divers témoignages démontrent l’inefficacité partielle de ce cadre et les problèmes vécus avec les chauffeurs ou des tiers de l’entreprise ; que cependant, pendant neuf ans, son dossier est resté vierge de toute sanction et il appartenait au dirigeant social, au besoin, de lui infliger un avertissement, ce qu’il s’est abstenu de le faire ; que dans ces conditions, il ne justifie pas que son mode d’agir, le déclassement social, énoncé dans quelques attestations, au détriment de Monsieur [P] et au profit de sa propre épouse, soit justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que l’état dépressif du cadre s’est aggravé, en effet, au mois de décembre 2011, ce qui a pu expliquer qu’il s’abstienne de répondre au salut de ses collègues, mais il s’agit seulement d’une conséquence du harcèlement moral dont il était l’objet ; que dans ces conditions, le jugement déféré devra être infirmé et le harcèlement moral reconnu ; que ce cadre a atteint dans son amour-propre vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres, il a donc subi un préjudice indéniable qui devra être compensé par une sommes arbitrée à 5000 euros de dommages et intérêts » ;
1°) ALORS QUE l’employeur peut prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa conduite est objectivement justifiée par des considérations étrangères à tout harcèlement ; qu’au cas présent, la société [F] justifiait objectivement le comportement présenté par M. [P] comme harcelant par la nécessité pour l’entreprise de palier son insuffisance professionnelle en qualité de responsable qualité ; que la cour d’appel, pour dire le harcèlement moral établi par le salarié, a retenu que M. [P] n’avait fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire pendant 9 ans, quand le salarié avait exercé les fonctions au titre desquelles il s’est montré défaillant pendant moins de 3 ans, la cour d’appel a violé les article L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.
2°) ALORS QUE l’existence d’un conflit individuel ou de simples tensions professionnelles ne sauraient suffire à caractériser un harcèlement moral ; qu’en l’espèce, il ressort des constatations de la cour d’appel qu’il avait certes pu exister des tensions entre différents salariés et M. [P], trouvant notamment leur cause dans l’état dépressif de ce dernier ; qu’en en inférant cependant de manière inopérante l’existence d’un harcèlement moral infligé par les premiers au second , la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 1152-1, L 1232-1 et L 1235-1 du code du travail ;
3°) ET ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; que dans ses conclusions d’appel, la société invoquait précisément que la voiture de société, dont M. [P] prétendait avoir été privé, était indistinctement mise à la disposition de tous les salariés de l’entreprise ; qu’en retenant pourtant, pour dire le harcèlement moral caractérisé, que M. [P], qui se prévalait d’une privation des moyens mis à disposition pour exécuter ses fonctions, avait subi un déclassement social, excipant au soutien de sa décision l’attestation d’un voisin attestant de l’utilisation du véhicule de société (arrêt p. 6 § 4), sans répondre à ce chef déterminant des conclusions de l’exposante, la cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que la prise d’acte devait s’analyser comme ayant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’AVOIR condamné la société [F] à verser à M. [P] les sommes de 7845 euros d’indemnité compensatrice de préavis, 784,50 euros de congés payés afférents, 8.454,17 euros d’indemnité de licenciement et 15.690 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la prise d’acte de rupture aux torts de la société ; que dès lors que les juges constatent la rupture du contrat de travail, ils doivent rechercher si les faits invoqués justifient ou non la rupture du contrat de travail et, en conséquence, décider si cette dernière produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou encore d’une démission ; que le salarié doit rapporter les preuves des manquements de l’employeur qu’il invoque ; que si les faits sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat, ils produisent les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que dans le cas contraire, ils produisent les effets d’une démission ; que le 22 décembre 2011, Monsieur [P] adresse le courrier suivant à son employeur : « je prends acte de la rupture de mon contrat de travail à compter du 31 décembre 2011 et ce, pour les raisons plusieurs fois évoquées dans mes courriers précédents. En effet, depuis mon retour d’arrêt maladie du 8 décembre 2011, la situation n’a cessé d’empirer. J’ai tenté de revenir afin de voir si je pouvais retrouver ma place au sein de l’entreprise, mais en vain. Je n’ai pu que constater encore une fois votre comportement humiliant pour moi. Vous commencez vos journées par ne pas me dire bonjour alors que vous serrez la main à tous les autres collaborateurs dans le bureau. Vous continuez par m’ignorer, sauf pour me réprimander. De plus, je n’ai pas retrouvé les tâches que j’ai effectuées auparavant. Je ne supporte plus cette situation et cela me contraint à entreprendre cette décision » ; que la cour a retenu des faits de harcèlement moral à l’encontre de Monsieur [P] ce qui constitue, par nature, une cause grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail en sorte que les effets de cette prise d’acte seront ceux d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec toutes les conséquences de droit ; qu’étant cadre, il a droit à trois mois d’indemnité de préavis, soit 7845 euros et les congés payés afférents de 784,50 euros ; que l’indemnité de licenciement concerne neuf ans et autre mois d’ancienneté et devra être fixée à 8.455,17 euros, sans qu’elle ait été contestée, sur le fond, par la société ; que la société comptait plus de 11 salariés et lui-même, plus de deux ans d’ancienneté, en sorte qu’il aura droit au minimum des dommages-intérêts dans sa situation légale, soit six mois de salaires, 15.690,00 euros alors qu’il a retrouvé du travail auprès d’une autre entreprise de transport, quelques jours après sa démission » ;
1°) ALORS QUE la cassation de l’arrêt sur le fondement du premier moyen en ce qu’il a jugé que le salarié avait fait l’objet d’un harcèlement moral entraînera automatiquement en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile la cassation de l’arrêt en ce qu’il a dit que la prise d’acte de la rupture produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
2°) ALORS QU’ il appartient au juge du fond de vérifier concrètement si le manquement allégué au soutien de sa prise d’acte de la rupture du contrat aux torts de l’employeur est suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail ; qu’en l’espèce, pour faire produire à la prise d’acte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel s’est bornée à affirmer que les faits de harcèlement dénoncés par le salarié constituaient, « par nature, une cause grave pour empêcher la poursuite du contrat » (arrêt p. 8 § 3) ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher s’il s’agissait objectivement d’un manquement suffisamment grave de la société [F] de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1, L. 1235-2 et L. 1237-1 du Code du travail ;
3°) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu’après avoir relevé, pour faire droit aux demandes de M. [P], que la rupture s’analysait en une prise d’acte aux torts exclusifs de l’employeur, la cour d’appel a retenu, pour apprécier le préjudice subi par le salarié, que celuici avait retrouvé un emploi quelques jours après avoir démissionné (arrêt p. 8 § 6) ; qu’en statuant par des motifs contradictoires, qui ne mettent pas la cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur la nature de la rupture du contrat de travail, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du Code de procédure civile.