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15 octobre 2020
Cour d’appel de Versailles
RG n°
19/03029
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 00A
14e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 OCTOBRE 2020
N° RG 19/03029 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TE7D
AFFAIRE :
SA ENGIE ENERGIE SERVICES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité
C/
[Z], [C], [P], [D] [N]
…
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 17 Avril 2019 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° chambre :
N° Section :
N° RG : 2018R01274
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Christophe DEBRAY
Me Bertrand LISSARRAGUE
Me Claire RICARD
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
SA ENGIE ENERGIE SERVICES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés au siège social en cette qualité
N° SIRET : 552 046 955
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Etablissement ENGIE RESEAUX PARIS LA DEFENSE 92930
Représentée par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 – N° du dossier 19192
Assistée de Me Thomas HEINTZ de la SELARL BOSCO AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0035 –
APPELANTE
****************
Monsieur [Z] [N]
né le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 9]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représenté par Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 1961728 –
Assisté de Me Charlotte PLANTIN de l’AARPI SOLFERINO ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0201
SAS IDEX SERVICES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
N° SIRET : 632 037 982
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 – N° du dossier 2190587
Assistée de Me Nicolas CONTIS de la SELARL KALLIOPE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0412 –
INTIMES
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 02 Septembre 2020, Madame Marina IGELMAN, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Nicolette GUILLAUME, Président,
Madame Marie LE BRAS, Conseiller,
Madame Marina IGELMAN, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sophie CHERCHEVE
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Idex Services (la société Idex) est la société holding de sociétés ayant les mêmes activités que celles exercées par la société Engie Energie Services (la société Engie), notamment au travers de son établissement Engie Réseaux, soit les activités de conception, réalisation et de maintenance d’installations thermiques.
Ces activités sont notamment réalisées pour le compte de collectivités, sous la forme de contrats longue durée attribués à l’issue de procédures d’appel d’offres.
M. [Z] [N], embauché par la société Engie en qualité d’ingénieur le 1er mars 1996, promu à compter de 2010 au poste de ‘directeur Etudes et Projets’, a démissionné le 1er août 2018.
Selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er octobre 2018, la société Idex a embauché M. [Z] [N] en qualité de ‘directeur des grands projets’.
Faisant état de ‘débauchages’ de salariés nommément désignés ainsi que d’un transfert illicite de données imputés à M. [N], la société Engie Energie Services a obtenu sur requête, une ordonnance du président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 12 novembre 2018 aux termes de laquelle la société Benzaken-Fourreau-Sebban, huissiers de justice à [Localité 10], a été désignée afin de :
– se rendre au siège social de la société Idex,
– ‘rechercher ou se faire remettre la liste et le contenu des fichiers, courriels professionnels ou tous autres documents que celle-ci pourrait détenir et qui aurait un lien avec notamment les marchés de [Localité 6], [Localité 5], [Localité 11], [Localité 7], [Localité 12], [Localité 13], mais également tout dossier technique avec les dénominations suivantes à titre illustratif codex, cogénération, nemo, digitalisation, sous station intelligente, délestage et effacement, puissance souscrite, stratégie Engie Réseaux, comptes-rendus de services DTP, DEP modèles de calcul et méthodologie sur BP, ainsi que les débauchages opérés auprès de la société Engie Réseaux’.
L’huissier ainsi désigné a procédé aux opérations de saisie dans les locaux de la société Idex le 6 décembre 2018.
Par acte d’huissier de justice délivré le 20 décembre 2018, la société Idex a fait assigner en référé la société Engie Energies Services afin d’obtenir principalement la rétractation de l’ordonnance du 12 novembre 2018, la nullité de la mesure d’instruction pratiquée dans ses locaux ainsi que de tout acte subséquent, la restitution sans délai de tous les documents et informations saisis, la mise à l’écart des débats du constat d’huissier réalisé le 24 octobre 2018, et, dans l’hypothèse de la non-rétractation de l’ordonnance susmentionnée, le maintien sous séquestre de tous les documents et informations saisis au cours de la mesure d’instruction, la restitution immédiate à M. [N] de l’ensemble des documents saisis sur le disque dur lui appartenant.
Par ordonnance contradictoire rendue le 17 avril 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :
– dit recevable l’intervention volontaire de M. [N],
– dit n’y avoir lieu à prononcer la nullité de l’ordonnance du 12 novembre 2018 comme non dénoncée à M. [N],
– rétracté l’ordonnance sur requête du 12 novembre 2018,
– conditionné la restitution des documents/clés USB saisis par la SCP Benzaken-Fourreau-Sebban-Lacas, huissiers de justice, à l’épuisement des voies de recours éventuelles à l’encontre de la présente décision,
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Engie Energie Services aux dépens,
– rappelé que l’exécution provisoire est de droit.
Par déclaration reçue au greffe le 23 avril 2019, la société Engie Energie Services a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de décision.
Saisi par conclusions d’incident de M. [N] déposées le 11 décembre 2019, le magistrat délégué par le premier président a, par ordonnance du 18 février 2020 :
– constaté que la demande de M. [N] tendant à l’irrecevabilité des conclusions de la SA Engie Energie Services déposées le 11 décembre 2019 est sans objet ;
– réservé les dépens de l’incident.
Dans ses dernières conclusions déposées le 4 mars 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Engie Energie Services demande à la cour, au visa des articles 145, 493 et 497 du code de procédure civile, de :
à titre principal,
– réformer l’ordonnance dont appel en ce qu’elle a rétracté l’ordonnance sur requête du 12 novembre 2018 et l’a condamné aux dépens ;
et rejugeant,
– juger que le champ des saisies opérées sur la base de l’ordonnance du 12 novembre 2018 est limité aux seuls documents et fichiers (i) provenant d’Engie Energie Service et Engie Réseaux ou (ii) en lien avec le recrutement de salariés d’Engie Energie Service et Engie Réseaux ;
– juger en conséquence que les mesures ordonnées sont légalement admissibles ;
– débouter Idex Services et M. [N] de l’ensemble de leurs demandes ;
– ordonner à la société Benzaken Fourreau Sebban, huissiers de justice à [Localité 10], de procéder à la libération des documents et fichiers saisis provenant d’Engie Energie Service et Engie Réseaux ou en lien avec le recrutement de salariés d’Engie Energie Service et Engie Réseaux ;
– ordonner à la société Benzaken Fourreau Sebban, huissiers de justice à [Localité 10], d’exclure les éventuels documents saisis qui (i) ne proviendraient pas d’Engie Energie Service ou Engie Réseaux ou (ii) ne seraient pas en lien avec le recrutement de salariés d’Engie Energie Service et Engie Réseaux ;
en conséquence,
– fixer une date pour procéder à l’examen contradictoire des pièces saisies à la communication desquelles la société Idex Services s’oppose afin de statuer sur leur communication ou non ;
– juger qu’elle est légitime et bien fondée à être représentée aux audiences sur la levée de séquestre afin d’y formuler ses observations s’agissant des demandes d’exclusions qui pourront être soulevées par la société Idex Services ;
– ‘juger, qu’au vu de cette audience, à la société Idex Services’ (sic) d’identifier les pièces à la communication desquelles elle s’oppose en distinguant les pièces dont la communication est autorisée et celles devant faire l’objet d’un examen contradictoire en justifiant la non-communication ;
à titre subsidiaire,
– juger que les documents saisis ne seront restitués qu’après épuisement des voies de recours à l’encontre de la décision à intervenir ;
en tout état de cause,
– condamner la société Idex Services à lui payer la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Idex Services aux entiers dépens de l’instance dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées le 3 mars 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Idex Services demande à la cour, au visa des articles 145, 493, 496 et 497 du code de procédure civile, de :
à titre principal,
– confirmer l’ordonnance du 17 avril 2019 en ce qu’elle a rétracté l’ordonnance sur requête du 12 novembre 2018 ;
– après épuisement des voies de recours contre la décision à intervenir, et si l’ordonnance du 12 novembre 2018 est définitivement rétractée, prononcer la nullité de la mesure d’instruction pratiquée le 6 décembre 2018 par la société Benzaken Fourreau Sebban Lacas, huissiers de justice, dans les locaux de sa société ainsi que de tout acte subséquent, dont notamment les rapports et constats réalisés à cet effet, et ordonner sans délai la restitution de tous les documents et informations lui appartenant saisis le 6 décembre 2018 par la société Benzaken Fourreau Sebban Lacas, huissiers de justice dans ses locaux ;
– prendre acte du fait qu’elle s’en remet à la justice s’agissant des moyens et demandes développés par M. [N] ;
à titre purement subsidiaire, dans l’éventualité où l’ordonnance du 12 novembre 2018 ne serait pas rétractée,
– ordonner le maintien sous séquestre auprès de la société Benzaken Fourreau Sebban Lacas, huissiers de justice, de tous les documents et informations saisis au cours de la mesure d’instruction pratiquée dans ses locaux, le 6 décembre 2018, et lui appartenant, dans l’attente de l’épuisement des voies de recours contre la décision à intervenir ;
– après épuisement des voies de recours contre la décision à intervenir, et si l’ordonnance du 12 novembre 2018 devait ne pas être rétractée, réserver, par décision séparée, sa décision sur la mainlevée des documents sous séquestre pouvant émaner de la société Engie Energie Services et de son établissement Engie Réseaux, après avoir recueilli les observations des parties en audience de cabinet, aux fins de vérifier la pertinence des documents à remettre à la société Engie Energie Services ;
en tout état de cause,
– rejeter l’ensemble des demandes de la société Engie Energie Services ;
– condamner la société Engie Energie Services à lui payer la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Engie Energie Services aux entiers dépens de l’instance.
Dans ses conclusions déposées le 8 novembre 2019, M. [N] demande à la cour, au visa des articles 145, 329 et 495 du code de procédure civile, 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 9 du code civil et 226-1 du code pénal,
à titre principal
– confirmer l’ordonnance du 17 avril 2019 en ce qu’elle a déclaré son intervention volontaire recevable ;
– confirmer l’ordonnance du 17 avril 2019 en ce qu’elle a rétracté l’ordonnance du 12 novembre 2018 ;
– confirmer l’ordonnance du 17 avril 2019 en ce qu’elle conditionne la restitution des documents/clés USB saisis par la SCP Benzaken-Fourreau-Sebban-Lacas, huissiers de justice, à l’épuisement des recours éventuels à l’encontre de la décision de première instance ;
à titre subsidiaire, si la cour infirmait l’ordonnance du 17 avril 2019,
– constater l’absence de dénonciation de l’ordonnance et de la requête à [Z] [N] conformément aux dispositions de l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile ;
– constater que l’ordonnance se fonde sur des pièces obtenues de manière déloyale ;
– dire et juger que les mesures ordonnées ne sont pas légalement admissibles ;
en conséquence,
– infirmer l’ordonnance du 17 avril 2019 en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à prononcer la rétractation de l’ordonnance du 12 novembre 2018 en l’absence de signification de la mesure à [Z] [N] ;
– rétracter purement et simplement l’ordonnance du 12 novembre 2018 rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre ;
– ordonner la restitution à [Z] [N] des données saisies sur son disque dur externe personnel ;
– ordonner le maintien sous séquestre des documents saisis dans l’attente de l’épuisement des recours éventuels à l’encontre de la décision à intervenir ;
en tout état de cause :
– condamner Engie Energie Services à lui verser 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue 31 août 2020.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire il sera relevé que M. [Z] [N] sollicite la confirmation de l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré son intervention volontaire recevable.
Si l’appelante a visé ce chef de dispositif dans sa déclaration d’appel, elle ne formule dans ses dernières conclusions aucune critique à cet égard et en particulier ne demande pas d’infirmation sur ce point.
A défaut de demande contraire de l’appelante, il convient en conséquence de confirmer purement et simplement l’ordonnance du 17 avril 2019 en ce qu’elle a dit l’intervention volontaire de M. [Z] [N] recevable.
Sur la rétractation
Sur les demandes de la société Engie et de la société Idex
La société Engie sollicite l’infirmation de l’ordonnance du 17 avril 2019 qui a intégralement rétracté l’ordonnance sur requête au motif que la mesure ordonnée était disproportionnée, sans relever que l’ordonnance sur requête était allée au-delà de ce qu’elle avait demandé.
Elle indique que le premier juge a toutefois préalablement relevé qu’elle avait démontré la nécessité de déroger au principe du contradictoire et qu’elle justifiait d’un motif légitime fondé sur des éléments objectifs et sérieux démontrant la probabilité des faits allégués.
Elle demande à la cour de rejuger et de limiter le champ de l’ordonnance sur requête aux demandes initiales proportionnées et équilibrées qu’elle avait formulées dans sa requête, afin que la SCP Benzaken Fourreau Sebban procède à la libération des seuls documents et fichiers saisis provenant d’Engie Energie Service et Engie Réseaux ou en lien avec le recrutement de salariés d’Engie Energie Service et Engie Réseaux.
Elle soutient que sa requête consistait à identifier l’ensemble des documents ‘provenant de Engie Réseaux’, se trouvant dans les ressources documentaires et informatiques de son principal concurrent, la recherche de ces documents étant ensuite orientée en priorité (d’où la mention préalable ‘et plus spécifiquement’) vers les marchés ou domaines les plus sensibles auxquels M. [N] avait pu avoir accès.
Elle considère que sa demande ainsi conçue – et du reste telle qu’exécutée par l’huissier à qui elle a communiqué sa requête et explicité la mission telle qu’elle devait selon elle être accomplie – n’a donc pas pu générer une masse indéfinie de documents.
Elle fait valoir que c’est à tort que l’intimée soutient que sa requête était atteinte d’un ‘vice originel’ et qu’elle l’interprète de manière extensive.
Elle soutient encore qu’en application des dispositions de l’article 497 du code de procédure civile, le juge de la rétractation dispose du pouvoir de modifier le champ de la mesure tel que demandé par la requérante initiale, que ce pouvoir est reconnu par la doctrine et consacré par la jurisprudence.
La société Idex rétorque que les prétentions de l’appelante ne sont fondées ni en droit, ni en fait, et demande la confirmation de la rétractation de l’ordonnance sur requête.
Elle relate que d’après les informations qu’elle a recueillies (n’ayant pas été rendue destinataire de la liste précise des documents saisis), l’huissier a saisi un certain nombre de documents et informations, stockés tout à la fois sur ses serveurs et sur un disque dur externe personnel appartenant à M. [N] connecté à l’ordinateur qu’elle lui a mis à disposition.
Elle prétend être étrangère aux faits de transferts illicites de données appartenant à Engie, indiquant qu’elle n’a pas pris connaissance des informations stockées sur le disque dur personnel de M. [N] et précisant qu’elle a pris des mesures conservatoires et de protection après la lecture des faits relatés par l’appelante, ainsi qu’aux faits de débauchages fautifs, rappelant que seul M. [J] a été recruté par ses soins.
Elle avance que l’ordonnance sur requête consacre une mesure manifestement démesurée et sans lien avec les faits litigieux pour conclure au caractère non légalement admissible de la mesure ordonnée.
Elle fait valoir que le dispositif de l’ordonnance sur requête prévoit une mesure extrêmement large, voire même indéfinie, et rappelle que la jurisprudence considère que seule une recherche par ‘mots clés’ strictement délimités aux faits litigieux est autorisée.
Elle indique qu’appliquée à la lettre, ce qui est demandé à l’huissier saisissant permet potentiellement la saisie de la totalité de la base de données informatiques stockée sur ses serveurs et ce, au profit de sa principale concurrente.
Elle considère que la société Engie ne nie plus que l’ordonnance sur requête a ordonné une mesure de constat totalement disproportionnée.
Elle invoque que la demande initiale de la requérante, contrairement à ce qu’elle prétend en concluant que c’est le juge des requêtes qui a modifié et élargi la mesure de sa propre initiative, comportait un vice originel et s’apparentait à une mesure générale prohibée.
Elle estime qu’il en est ainsi de la proposition de la société Engie afin que soit ordonnée la saisie de tout dossier technique avec les dénominations ou mots clés énumérés, sans se limiter aux documents lui appartenant, proposition qui a été reprise in extenso par le juge des requêtes.
Elle avance que le juge de la rétractation a à juste titre considéré que les termes de l’ordonnance du 12 novembre 2018 conduisaient à ‘une intrusion insupportable et disproportionnée dans l’activité commerciale de la société Idex’ et ajoute que l’appelante ne rapporte nullement la preuve d’avoir demandé à l’huissier de circonscrire la saisie aux seuls documents lui appartenant, débat au demeurant inopérant puisqu’il convient de se positionner au jour où l’ordonnance querellée a été rendue pour en apprécier la validité.
Elle considère que le juge de la rétractation, s’il a le pouvoir de modifier l’étendue d’une mesure d’instruction, ne détient pas le pouvoir de corriger l’intégralité d’une mesure d’instruction non légalement admissible et que la modification ne peut emporter la novation complète d’une décision qui ordonne une mesure prohibée d’investigation générale, alors que cette illégalité intrinsèque ressort tout à la fois de la requête initiale de la société Engie et de l’ordonnance sur requête.
M. [N] fait également valoir que compte-tenu du ‘caractère pathogène’ de l’ordonnance du 12 novembre 2018 relevé par les écritures de la société Idex, l’ordonnance du 17 avril 2019 devra être confirmée.
Sur ce,
Selon l’article 145 du code de procédure civile, ‘s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé’.
Le juge, saisi d’une demande de rétractation d’une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et tenu d’apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s’assurer de l’existence d’un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale et à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui, à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.
Sur la motivation de la dérogation au principe de la contradiction
Les mesures d’instruction prévues à l’article 145 du code de procédure civile ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement.
Le juge saisi d’une demande de rétractation statue sur les mérites de la requête en se prononçant, au besoin d’office, sur la motivation de la requête ou de l’ordonnance justifiant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction, motivation qui doit s’opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style.
En l’espèce, aucune des parties ne soutient que l’exigence de motivation ne serait pas remplie.
Et en effet, ainsi que l’a retenu le premier juge de la rétractation, la requête déposée par la société Engie le 7 novembre 2018, que l’ordonnance vise, ce qui vaut adoption implicite de ses motifs, énonce suffisamment qu’il peut exister en l’espèce des indices précis et pertinents de ce que la société Engie a considéré comme étant des agissements de concurrence déloyale (par la copie et le transfert de données lui appartenant) et de débauchage de ses collaborateurs occupant des fonctions clés commis par la société Idex, que les preuves de ces agissements pouvaient se trouver dans les locaux de la société Idex et qu’en la matière, la mesure demandée a plus de chance de succès si ‘l’effet de surprise’ est préservé, en particulier s’agissant d’éléments de preuve stockés dans des systèmes informatiques, par nature volatiles.
Par de tels motifs, la société requérante a donc suffisamment caractérisé les circonstances nécessitant de déroger au principe de la contradiction par rapport au contexte de déloyauté dénoncé.
Sur le motif légitime
Il résulte de l’article 145 que le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est destinée à les établir, mais qu’il doit justifier d’éléments rendant crédibles les griefs allégués.
Là encore, la société Idex ne discute pas que la requérante a justifié d’un motif légitime à obtenir la mesure d’instruction.
Il est effectivement patent que la société Engie a joint à sa requête divers courriels impliquant notamment M. [N], pouvant laisser supposer que celui-ci se serait emparé d’informations confidentielles appartenant à son ancien employeur et qu’il tenterait d’inciter des salariés de la société Engie à rejoindre la société Idex.
C’est donc à bon droit que le premier juge a considéré que la société Engie disposait d’un motif légitime à l’établissement ou à la conservation des preuves de ses suppositions de faits de concurrence déloyale commis par société Idex pour se posititionner dans le cadre d’appels d’offres et dont pourrait dépendre la solution d’un litige futur.
Sur le caractère légalement admissible des mesures ordonnées
Au sens de l’article 145, les mesures légalement admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile et elles ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes du défendeur.
Le secret des affaires, de même que le secret des correspondances et le respect de la vie privée, ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.
Enfin, le juge de la rétractation peut modifier la mission en la complétant ou l’amendant afin notamment qu’elle soit limitée dans son étendue, conformément aux articles 149 et 496 du code de procédure civile.
L’ordonnance sur requête querellée fixe ainsi la mission de l’huissier de justice:
– se rendre sur au siège de la société Idex Services (…),
– rechercher ou se faire remettre la liste et le contenu des fichiers, courriels professionnels ou tous autres documents que celle-ci pourrait détenir et qui aurait un lien avec notamment les marchés de [Localité 6], [Localité 5], [Localité 11], [Localité 7], [Localité 12], [Localité 13],
mais également tout dossier technique avec les dénominations suivantes à titre illustratif codex, cogénération, nemo, digitalisation, sous station intelligente, délestage et effacement, puissance souscrite, stratégie Engie Réseaux, comptes-rendus de services DTP, DEP modèles de calcul et méthodologie sur BP,
ainsi que les débauchages opérés auprès de la société Engie Réseaux.
Force est de constater que la mesure ainsi ordonnée comporte un champ d’application manifestement trop large et difficilement délimitable, susceptible de porter une atteinte excessive au secret des affaires de la société Idex, par l’appréhension d’informations étrangères à l’activité de la société Engie.
Il convient ainsi en application des articles susvisés d’en redéfinir les contours afin de la circonscrire aux seuls documents et informations détenus par la société Idex provenant de la société Engie et de son établissement Engie Réseaux.
S’agissant des faits de débauchages déloyaux invoqués, il convient de circonscrire l’appréhension des documents mentionnant les salariés, anciens ou actuels de la société Engie, pour lesquelles cette dernière justifie nommément dans sa requête des suspicions invoquées.
Dans ces conditions, et avec les délimitations ordonnées telles qu’elles seront indiquées au dispositif du présent arrêt, la mission de l’huissier de justice apparaît proportionnée à l’objectif poursuivi dès lors qu’elle se trouve suffisamment circonscrite dans son objet.
Sur les demandes de M. [N]
M. [N] sollicite la rétractation de l’ordonnance du 12 novembre 2018 en ce qu’elle n’a été dénoncée qu’à la société Idex et pas à lui, en violation des dispositions de l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile.
Il fait valoir qu’en application de ce texte, la jurisprudence retient que la requête et l’ordonnance doivent être dénoncées aux personnes qui subissent effectivement la saisie, c’est-à-dire qui en supportent l’exécution, et que tel est le cas en l’espèce puisqu’il n’est pas contesté que l’huissier de justice a saisi le contenu de son disque dur externe.
M. [N] demande ensuite la rétractation de l’ordonnance sur requête fondée selon lui sur des moyens de preuve obtenus de manière illicite.
Il soutient que le procès-verbal de constat d’huissier établi le 24 octobre 2018 présenté par la société Engie à l’appui de sa requête est empreint de déloyauté, notamment en ce qu’il indique qu’il a été procédé à l’extraction sur le serveur de la messagerie de la société requérante des mails provenant d’adresses ‘@idex’, ainsi que des mails professionnels ou personnels de M. [N] pour la période du 1er août au 17 octobre2018 et que des emails provenant de l’adresse personnelle d’une salariée ‘[Courriel 8]’ ont été communiqués alors que l’objet du message est ‘vacances’.
Il considère que la lecture des courriels en cause, versés au soutien de la requête de la société Engie, achève de démontrer leur caractère intime et personnel.
L’appelante n’a pas répondu sur ces points.
Sur ce,
En application des dispositions des articles 9 du code de procédure civile et L. 1121-1 du code du travail, il est de principe que les dossiers et fichiers créés par un salarié et connectés à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel.
Or en l’espèce, il est admis par l’ensemble des parties que l’huissier désigné par l’ordonnance du 12 novembre 2018 a exécuté sa mission dans les locaux de la société Idex, notamment sur les outils informatiques attribués à M. [N] par son employeur, et que si le contenu de son disque dur externe a été appréhendé, c’est uniquement parce que celui-ci était relié à son ordinateur professionnel.
Il est donc avéré que par cette connexion, l’huissier de justice n’a fait qu’appréhender des documents réputés être de nature professionnelle, sans que l’intimé ne démontre que des documents strictement personnels auraient par la même occasion été saisis.
Par ailleurs, il résulte du courrier du 19 décembre 2018 émanant de la société Idex que celle-ci a demandé à M. [N] de lui confirmer que ‘s’agissant de [son] disque dur, après retrait des éléments personnels se rattachant à [sa] vie privée, [il l’a] remis au conseil (…) désigné (…) afin qu’il soit placé sous séquestre dans l’attente des développements à venir dans le cadre de cette affaire’, ce à quoi l’intéressé a effectivement acquiescé par lettre du 26 décembre suivant.
Ainsi, à partir du moment où seules des informations professionnelles dans le cadre de son activité salariée au sein de la société Idex ont été appréhendées par l’huissier désigné, il s’en déduit que cette société doit être considérée comme l’unique personne à qui était opposée l’ordonnance sur requête au sens de l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile et à qui copie de la requête et de l’ordonnance devait être laissée.
Le moyen de M. [N] à ce titre sera écarté.
Par ailleurs, compte tenu des informations purement professionnelles ainsi saisies, la demande de M. [N] afin que lui soient restitués sans délais les documents qui ont été saisis sur son disque dur personnel sera également rejetée.
S’agissant du procès-verbal d’huissier en date du 24 octobre 2018, force est de constater que M. [N] procède par voie d’affirmation, sans démontrer dans ses conclusions quelles correspondances d’ordre privé auraient été illicitement communiquées à l’huissier.
La lecture des documents ainsi remis ne fait pas davantage ressortir d’atteinte à la vie privée du salarié, les courriels échangés notamment avec Mme [O] [K] (ou [S]) portant avant tout sur des considérations professionnelles, secondairement entremêlées de propos intimes.
Ainsi, il doit être retenu que l’ordonnance du 12 novembre 2018 ne s’est pas fondée sur les procédés de preuve déloyaux et le moyen soulevé à ce titre par M. [N] sera également écarté.
‘
Il résulte de tout ce qui précède qu’il n’y a pas lieu de rétracter l’ordonnance sur requête du 12 novembre 2018, sous réserve de la modification de la mission confiée à l’huissier de justice.
L’ordonnance du 17 avril 2019 sera quant à elle infirmée de ce chef.
Sur les demandes relatives au séquestre des éléments recueillis
L’appelante sollicite qu’il soit ordonné à la SCP Benzaken Fourreau Sebban de procéder à la libération des seuls documents et fichiers provenant d’Engie Energie Service et d’Engie Réseaux ou en lien avec le recrutement de salariés d’Engie Energie Service et d’Engie Réseaux et d’exclure les autres documents.
Dans le dispositif de ses conclusions, elle sollicite également l’organisation d’une audience contradictoire afin que soit fait le tri entre les pièces devant être communiquées ou non.
A titre subsidiaire, la société Idex sollicite le maintien sous séquestre des documents saisis, dans l’attente d’un débat contradictoire entre les parties, devant le juge commis par la cour, concernant la possible production des seuls documents saisis pouvant provenir de la société Engie et de son établissement Engie Réseaux, aux fins de vérifier la pertinence des documents à remettre à l’appelante.
M. [N] demande qu’il soit ordonné le maintien sous séquestre des documents saisis dans l’attente de l’épuisement des recours éventuels à l’encontre de la décision à intervenir.
Sur ce,
Au vu de ce qui précède, il convient en effet d’ordonner à l’huissier de justice d’expurger des documents saisis ceux qui n’entrent pas dans le champ délimité par le présent arrêt.
Il appartiendra à l’huissier instrumentaire de restituer à la société Idex les documents contenant des informations non comprises dans le périmètre nouvellement défini.
Par ailleurs, les parties s’accordent sur la nécessité d’organiser une audience sur la levée des séquestres.
Le 3e alinéa de l’article R. 153-1 du code de commerce dispose que :
‘Le juge saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10’.
L’article R. 153-8 alinéa 1 précise quant à lui que ‘lorsqu’elle intervient avant tout procès au fond, la décision statuant sur la demande de communication ou de production de la pièce est susceptible de recours dans les conditions prévues par l’article 490 ou l’article 496 du code de procédure civile’.
Au regard de la procédure ainsi réglementée, il convient d’ordonner le maintien sous séquestre de l’intégralité des documents restants saisis entre les mains de l’huissier instrumentaire ayant dirigé les opérations dans l’attente d’une décision du juge de la rétractation du tribunal de commerce compétent sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre, lequel sera saisi en application des textes susvisés à l’initiative de la partie la plus diligente.
Sur les demandes accessoires
La société Engie étant accueillie en son recours, l’ordonnance sera infirmée en sa dispositions relative aux dépens de première instance mais confirmée en ce qui concerne les frais irrépétibles.
Parties perdantes, la société Idex et M. [N] ne sauraient prétendre à l’allocation de frais irrépétibles. La société Idex devra supporter les dépens et première instance et d’appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande pour ceux d’appel.
L’équité commande en revanche de débouter l’ensemble des parties de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
Infirme l’ordonnance rendue le 17 avril 2019 par le juge de la rétractation, sauf en ce qu’elle dit l’intervention volontaire de M. [Z] [N] recevable et en ce qu’elle a jugé quant aux dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à rétractation de l’ordonnance sur requête du 12 novembre 2018,
Dit que la mission confiée à la Scp Benzaken, Fourreau, Sebban doit être ainsi modifiée :
‘- rechercher ou se faire remettre :
* la liste et le contenu des fichiers, courriels professionnels ou tous autres documents que la société Idex Services pourrait détenir et provenant d’Engie Energie Service ou d’Engie Réseaux et qui aurait un lien avec notamment les marchés de [Localité 6], [Localité 5], [Localité 11], [Localité 7], [Localité 12], [Localité 13],
* mais également tout dossier technique provenant d’Engie Energie Service ou d’Engie Réseaux avec les dénominations suivantes : codex, cogénération, nemo, digitalisation, sous station intelligente, délestage et effacement, puissance souscrite, stratégie Engie Réseaux, comptes-rendus de services DTP, DEP modèles de calcul et méthodologie sur BP,
* le contenu des fichiers, courriels professionnels ou tous autres documents faisant apparaître l’identité des salariés suivants :
– M. [X] [V],
– Mme [O] [S],
– M. [G] [A],
– M. [R] [E],
– Mme [T] [F],
– M. [W] [J]’,
Ordonne à l’huissier instrumentaire d’expurger des documents séquestrés ceux qui n’entrent pas dans le champ ainsi délimité et de les restituer à la société Idex Services,
Ordonne le maintien sous séquestre de l’intégralité des documents restants entre les mains de la SCP Benzaken Fourreau Sebban dans l’attente d’une décision du juge de la rétractation du tribunal de commerce compétent sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre, lequel sera saisi en application des articles R. 153-1 et suivants du code de commerce à l’initiative de la partie la plus diligente,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit que la société Idex Services supportera les dépens et première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés, s’agissant des dépens d’appel, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Nicolette GUILLAUME, Président et par Madame CHERCHEVE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,