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15 décembre 2022
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
22/03797
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-1
ARRÊT AU FOND
DU 15 DECEMBRE 2022
N° 2022/ 366
JONCTION
N° RG 22/04804 joint à
N° RG 22/03797 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJBIE
[Z] [W]
C/
S.A.S. MERITAS REGIONS
S.A.S. MERITAS GROUP
SAS ALLIGATOR
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Agnès ERMENEUX
Me Gilles ALLIGIER
Me Roselyne SIMON-THIBAUD
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé du Tribunal de Commerce de GRASSE en date du 09 Mars 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 2021R00016.
APPELANT
Monsieur [Z] [W], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Denis DEL RIO, avocat au barreau de NICE, plaidant
(intimé dans le RG 22/04804)
INTIMEES
S.A.S. MERITIS REGIONS, dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d’AIX-EN- PROVENCE, assisté de Me Kevin GRAZIANI, avocat au barreau de NICE, et de Me Valérie DEVISMES, avocat au barreau de PARIS, plaidant
S.A.S. MERITIS GROUP, dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Me Gilles ALLIGIER, avocat au barreau d’AIX-EN- PROVENCE, assisté de Me Kevin GRAZIANI, avocat au barreau de NICE, et de Me Valérie DEVISMES, avocat au barreau de PARIS, plaidant
SAS ALLIGATOR, dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON- THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Romain GUERINOT, avocat au barreau de NICE, plaidant
(appelante dans le RG 22/04804)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 07 Novembre 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Pierre CALLOCH, Président
Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère
Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2022,
Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et Madame Marie PARANQUE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Le 31 août 2016 la société Meritis Group, société mère, a acquis de Messieurs [Z] [W] et [T] [S], ainsi que de la société Axylog Investissements, le capital social de la société Antyas, spécialisée dans les prestations de service informatique. En contrepartie, Messieurs [W] et [S] se sont engagés à ne pas concurrencer la société Antyas, et ont été salariés de cette société jusqu’à leur licenciement en 2017.
Le 29 avril 2021, la société Antyas (devenue société Meritis Régions) soupçonnant des actes de concurrence déloyale de la part de Messieurs [Z] [W] et [T] [S], a saisi, avec sa société mère Meritis Group, le président du tribunal de commerce de Grasse d’une requête en vue de la désignation d’un huissier de justice sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile afin de saisir au domicile de M. [E], président de la société Alligator, un certain nombre de documents ayant trait à l’activité de cette société.
Cette requête faisait elle-même suite à une première tentative infructueuse effectuée au siège social de la société Alligator, sur ordonnance du président du même tribunal en date du 19 janvier 2021.
En effet, la société Antyas soupçonnait Messieurs [W] et [S] d’avoir, dès 2017, créé une société concurrente, dénommée société Alligator, dirigée par M. [V] [E], dont l’activité était identique à la société Antyas et qui serait à l’origine du détournement de sa clientèle.
Par ordonnance du 30 avril 2021 le président du tribunal de commerce de Grasse a fait droit à la requête des sociétés Meritis Régions et Meritis Group et le 5 mai 2021, Maître [U] [M], huissier de justice, a établi un constat au titre de l’exécution des mesures ordonnées.
Le 31 mai 2021 la société Alligator a saisi le président d’une demande en rétractation de l’ordonnance. M. [Z] [W] s’est associé à la demande de rétractation.
Par ordonnance de référé du 9 mars 2022 le juge des requêtes du tribunal de commerce de Grasse a :
-dit la demande régulière et recevable,
-rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance du 30 avril 2021,
-dit que la mission de séquestre de l’huissier instrumentaire est prolongée jusqu’à ce que soit écoulés quinze jours après la signification de la présente à toutes les parties susceptibles d’introduire un recours à son encontre, passé ce délai, sur présentation d’un certificat de non appel, l’huissier remettra aux requérants des mesures d’instruction ordonnées les éléments saisis au cours des opérations de constat,
-rejeté toutes autres demandes,
-condamné la société Alligator et M. [Z] [W] solidairement aux dépens de l’instance et à payer à chacune des sociétés Meritis Régions et Meritis Group la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
———–
Par acte du 14 mars 2022 M. [Z] [W] a interjeté appel de l’ordonnance.
Par acte du 31 mars 2022 la société Alligator a également interjeté appel de la décision.
———–
Par conclusions enregistrées le 6 octobre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [Z] [W] fait valoir que :
-en l’état du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grasse et confirmé par arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, son licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse de sorte que la clause de non-concurrence invoquée par les sociétés Meritis Régions et Meritis Group lui est inopposable,
-la société Alligator est composée d’un associé unique et président, M. [V] [E], et lui-même ne détient aucune participation ni ne perçoit aucune rémunération dans la société ; ses liens avec la société Alligator ne résultent que des affirmations des sociétés Meritis Régions et Meritis Group,
-le juge du tribunal de commerce de Grasse a bien été saisi d’une requête en rétractation,
-les mesures ordonnées constituent un accès frauduleux à un système informatique puisque seul M. [Z] [W] est propriétaire de l’ordinateur confisqué et constituent une atteinte au secret des correspondances en violation de l’article 226-15 du code pénal,
-aucun acte objectif de concurrence déloyale ne peut lui être reproché ; la réalisation et l’exécution de l’ordonnance sur requête ont été accomplies de façon déloyale et lui causent un préjudice,
-aucun crédit ne peut être accordé à l’attestation de Mme [P]
Ainsi, M. [Z] [W] demande à la cour d’infirmer l’ordonnance rendue le 30 avril 2021 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’elle a déclaré la demande régulière et recevable.
Statuant à nouveau, M. [Z] [W] demande à la cour de :
-rétracter l’ordonnance du « 9 mars 2022 » en ses autres dispositions,
-débouter les sociétés Meritis Régions et Meritis Group de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
-condamner les sociétés Antyas et Meritis Group au paiement de la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre aux dépens
———–
Par conclusions enregistrées le 20 juin 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Alligator (SAS) fait valoir que :
-l’assignation en rétractation vise bien le président du tribunal de commerce, de sorte que la demande en rétractation est recevable,
-la requête repose sur un engagement de non-concurrence qui se trouve être dépourvu de cause en l’état du jugement rendu par le conseil de prud’hommes, et de l’arrêt de la cour d’appel ; le témoignage de Mme [P] a été jugé sans portée utile par la cour,
-le juge des requêtes a été saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile alors que de nombreuses procédures opposent d’ores et déjà les parties depuis 2017, procédures qui ont été omises par les sociétés Meritis Régions et Meritis Group lors du dépôt de leur requête,
-la requête des sociétés Meritis Régions et Meritis Group repose sur des éléments détenus illégalement depuis 2017 à partir de l’ordinateur personnel et de correspondances personnelles de M. [Z] [W] en violation du secret des correspondances, infraction pénale au sens de l’article 226-15 du code pénal,
-le recours à une procédure non-contradictoire est injustifié et n’a pas été motivé au regard des circonstances de l’espèce, mais est basé sur une motivation vague et générique, et ce, alors que les faits supposés de concurrence auraient commencé en 2017, excluant toute urgence,
-les mesures ordonnées sont illicites dès lors qu’elles portent non sur des constatations mais sur des actes d’investigation et sont disproportionnées par rapport à leur objectif,
-les mesures découlant d’une ordonnance rétractée sont nulles et il conviendra de statuer sur les conséquences de la rétractation,
-les sociétés Meritis Régions et Meritis Group n’ont pas respecté le délai de séquestre d’un mois des documents saisis par l’huissier et ont fait usage du procès-verbal dans une autre procédure au fond,
La société Alligator demande à la cour d’infirmer l’ordonnance rendue le 9 mars 2022 sauf en ce qu’elle a jugé la demande recevable et régulière, et statuant à nouveau de :
-rétracter l’ordonnance du 30 avril 2021,
-annuler les procès-verbaux établis par la Sas Christopher Sorrentino-[U] [M] en exécution de l’ordonnance du 30 avril 2021,
-ordonner la restitution des documents saisis et/ou copiés par la Sas Christopher Sorrentino-[U] [M] le 5 mai 2021 à la société Alligator dans un délai de 8 jours à compter de l’ordonnance à intervenir,
-juger que passé ce délai de 8 jours, les sociétés Meritis Régions et Meritis Group seront redevables envers la société Alligator d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard,
-faire interdiction aux sociétés Meritis Régions et Meritis Group d’utiliser, à quelque fin que ce soit, les procès-verbaux établis par l’huissier de justice désigné en exécution de l’ordonnance du 30 avril 2021, ainsi que l’un quelconque des documents obtenus, copiés ou saisi lors des opérations de constat du 5 mai 2021 et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée au bénéfice de la société Alligator,
-se réserver le droit de liquider l’astreinte,
-condamner les sociétés Meritis Régions et Meritis Group à payer à la société Alligator la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et pour la cause d’appel outre les dépens
———–
Par conclusions enregistrées le 24 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les sociétés Meritis Régions (SAS) et Meritis Group (SAS) répliquent que :
-elles ont découvert les liens occultes unissant la société Alligator à Messieurs [W] et [S] et laissant présumer d’actes de concurrence déloyale ; pour autant, les éléments obtenus étaient insuffisants pour mettre en cause la responsabilité de la société Alligator dans la réalisation d’actes de concurrence déloyale,
-la décision doit être infirmée dès lors que la demande en rétractation a été portée devant le juge des référés, qui est dépourvu de pouvoir ; la demande n’était pas fondée sur l’article 496 du code de procédure civile et visait des demandes qui excédaient la simple rétractation ; seul le juge des requêtes avait pouvoir de rétracter l’ordonnance rendue le 30 avril 2021 et le juge des référés aurait dû déclarer la demande irrecevable ; si l’erreur de qualification de l’ordonnance n’entraîne pas l’irrecevabilité des demandes, en revanche, la saisine du juge des référés par assignation et par courriers aurait dû conduire à l’irrecevabilité de la demande,
-la décision doit être confirmée sur le fond,
-les demandes d’instruction étaient recevables : la société Antyas disposait déjà d’éléments tangibles laissant suspecter une participation occulte à l’activité de la société Alligator, elle était valablement en possession de l’ordinateur sur lequel les opérations de constat ont été effectuées et tout a été fait pour éviter toute immixtion dans la vie privée de M. [Z] [W],
-la condition d’absence de tout procès avant la requête formée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile a été respectée puisqu’il n’existait aucune procédure à l’égard de la société Alligator avec les sociétés Meritis Régions et Meritis Group ou Antyas,
-l’engagement de non-concurrence de Messieurs [W] et [S] est valable et opposable à la société Alligator : l’engagement de non-concurrence n’a pas été pris par M. [Z] [W] et M. [T] [S] en tant que salariés mais dans le cadre du protocole de cession d’actions du 31 août 2016 ; l’engagement de non-concurrence a vocation à s’appliquer même en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse si la cause de la rupture des relations résulte d’un désaccord majeur avec la politique du groupe Meritis, ce qui est le cas en l’espèce,
-le recours à une procédure non-contradictoire était justifié et est motivé par plusieurs critères dans l’ordonnance du 30 avril 2021,
-les mesures d’instruction prévues par l’ordonnance du 30 avril 2021 étaient légales et fondées : l’huissier de justice n’avait aucun pouvoir coercitif, les questions étaient listées et M. [E] était libre de ne pas y répondre, les éléments étaient limités aux allégations de concurrence déloyale et la mission limitée,
Ainsi, les sociétés Meritis Régions et Meritis Group demandent à la cour de :
A titre liminaire,
-infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a considéré la demande de la société Alligator et M. [Z] [W] tendant à la rétractation de l’ordonnance du 30 avril 2021 comme étant recevable,
-déclarer la société Alligator et M. [Z] [W] irrecevables en leurs demandes présentées devant le juge des référés
Sur le fond,
-confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a considéré la demande de la société Alligator et M. [Z] [W] tendant à la rétractation de l’ordonnance du 30 avril 2021 comme infondée,
-débouter la société Alligator et M. [Z] [W] du surplus de leurs demandes
En tout état de cause,
-ordonner la mainlevée du séquestre de tous documents, données, fichiers et pièces conservés par l’huissier de justice SAS Sorrentino-[M] tirés des opérations de constat du 5 mai 2021,
-juger qu’elles pourront librement disposer desdits documents, données, fichiers et pièces au jour de la décision à intervenir,
-condamner solidairement la société Alligator et M. [Z] [W] au paiement d’une somme de 4.500 euros à chacune des sociétés Meritis Régions et Meritis Group en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre aux dépens
———-
Le président a prononcé la clôture de l’instruction par ordonnance du 10 octobre 2022 et a fixé l’examen de l’affaire à l’audience du 7 novembre 2022.
A cette date, l’affaire a été retenue et mise en délibéré au 15 décembre 2022.
MOTIFS
Sur la jonction :
En application des articles 367 et 368 du code de procédure civile il y a lieu d’ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les n° 22/03797 et 22/04804 dès lors qu’elles procèdent de deux appels interjetés par des parties différentes mais ont trait à la même décision querellée, à savoir l’ordonnance rendue le 9 mars 2022 par le juge des requêtes du tribunal de commerce de Grasse.
Il est donc de l’intérêt d’une bonne justice de les juger ensemble.
Sur la recevabilité de l’action en rétractation :
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
L’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.
S’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance conformément à l’article 496 du code de procédure civile.
En l’espèce, il apparaît que l’assignation délivrée le 31 mai 2021 par la société Alligator à l’encontre des sociétés Antyas, Meritis Group et de M. [Z] [W] a été portée devant « Madame ou Monsieur le président du tribunal de commerce de Grasse » et non devant le juge des référés, et sollicitait expressément « la rétractation » de l’ordonnance rendue le 30 avril 2021, tant dans ses motifs que dans son dispositif, au visa des articles 495 et 497 du code de procédure civile.
Au demeurant la décision a été rendue par le « juge des requêtes » et non le juge des référés.
Dès lors, la circonstance que la décision attaquée ait été rendue sous la forme d’une « ordonnance de référé » est sans incidence sur la recevabilité de la requête en rétractation considérant que la décision statuant sur la rétractation a été prononcée par le même juge que celui ayant eu à connaître de l’ordonnance sur requête.
De même, les échanges de courriers avec le greffe du tribunal de commerce sont sans portée sur la compétence de la juridiction saisie.
Il y a donc lieu de rejeter le moyen tiré de l’irrecevabilité de l’action en rétractation engagée par la société Alligator.
Sur le bien-fondé de la demande en rétractation :
Le caractère inopposable de l’engagement de non-concurrence :
Au visa de l’article 145 du code de procédure civile, il existe un motif légitime à établir ou conserver une preuve en vue d’un litige potentiel. En outre, la mesure sollicitée doit présenter un caractère utile et pertinent.
En l’espèce, les sociétés Meritis Régions et Meritis Group justifient du caractère vraisemblable de l’action en concurrence déloyale envisagée à l’encontre de la société Alligator et de Messieurs [W] et [S] au regard des éléments précis et circonstanciés énoncés à la requête, étant observé que cette action n’a pas pour seul fondement le non-respect d’un engagement ou d’une clause de non-concurrence.
Il s’ensuit qu’en tout état de cause, l’inopposabilité de l’engagement de non-concurrence signé par M. [Z] [W] aux termes du protocole de cession de parts conclu avec les sociétés Meritis, sur laquelle il n’appartient pas au juge des requêtes de se prononcer, n’est pas de nature à exclure de facto la vraisemblance des faits de concurrence déloyale dénoncés par les sociétés Meritis Régions et Meritis Group.
Par ailleurs, l’absence de liens statutaires apparents entre M. [Z] [W] et la société Alligator ne saurait davantage exclure l’existence d’ententes de nature à contrevenir aux règles de la concurrence, l’existence de liens étant a minima déduite des procès-verbaux de constat établis par huissier de justice les 25 mai et 16 janvier 2020 et 16 novembre 2020.
Ainsi, la requête déposée le 29 avril 2021 au greffe du tribunal de commerce de Grasse comporte des éléments suffisants permettant de laisser présumer d’un procès à venir fondé sur l’existence d’une activité concurrente à celle de la société Antyas (Meritis), initiée par Messieurs [S] et [W] au travers de la société Alligator, dont il appartiendra au juge du fond d’apprécier le bien-fondé.
En outre, il convient de rappeler que l’urgence n’est pas une condition nécessaire à la saisine du juge des requêtes sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de sorte que la circonstance que les sociétés Meritis Régions et Meritis Group possédaient depuis 2017 des éléments factuels sur les liens unissant Messieurs [W], [S] et la société Alligator ne fait pas obstacle à la demande de mesures d’instruction dès lors que ces mesures en sont le complément et la résultante.
Enfin, le caractère potentiel du litige se déduit également du projet d’assignation au fond versé aux débats par les sociétés Meritis Régions et Meritis Group.
Ce moyen est dès lors écarté.
L’existence de procédures antérieures :
Les mesures ordonnées dans le cadre de l’article 145 du code de procédure civile doivent l’être avant tout procès au fond.
Pour autant, l’existence d’un procès au fond au jour de la demande ne constitue un obstacle à ce qu’une mesure d’instruction soit ordonnée que pour autant qu’il existe une identité d’objet et d’identité des parties entre la requête et le procès en cours.
Par ailleurs, une instance en référé n’est pas constitutive d’une instance au fond.
Par suite, les deux procédures diligentées en référé, ainsi que la procédure prud’homale, et pas davantage la procédure au fond concernant le paiement du prix de cession des parts sociales, en ce qu’elles ne concernent pas la société Alligator, ne sont de nature à constituer un obstacle à la requête présentée par les sociétés Meritis Régions et Meritis Group en vue de la désignation d’un huissier de justice.
Ce moyen est également écarté.
Le secret des correspondances :
La société Alligator et M. [Z] [W] invoquent une atteinte au secret des correspondances au visa de l’article 226-15 du code pénal et un accès frauduleux à l’ordinateur de M. [Z] [W].
En l’espèce, le caractère manifestement illicite de l’immixtion dans les correspondances de M. [Z] [W] au travers de l’exploration de son ordinateur ou d’autres supports ne résulte pas des mesures ordonnées considérant que la mission de l’huissier exclut « tous les messages portant la mention « personnel » ou « privé » ou ayant un objet manifestement privé ».
Par ailleurs, la société Alligator et M. [Z] [W] invoquent l’exploitation par l’huissier de justice d’un ordinateur saisi dans le bureau de ce dernier à l’occasion d’un procès-verbal établi le 31 mars 2017.
Outre que la propriété personnelle de cet ordinateur est démentie par la facture produite par les sociétés Meritis Régions et Meritis Group, l’exploitation des données effectuée dans le cadre des mesures ordonnées reste circonscrite aux réserves susvisées mentionnées dans l’ordonnance sur requête rendue le 30 avril 2021 concernant le caractère privé ou personnel des échanges. Pour le surplus, il appartiendra le cas échéant aux juges du fond d’apprécier la recevabilité des éléments de preuve soumis aux débats.
Ce moyen est dès lors écarté.
Le recours à une procédure non-contradictoire :
Comme rappelé ci-dessus, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.
En l’espèce, il ressort de l’ordonnance rendue le 30 avril 2021 que la nécessité de ne pas recourir au contradictoire est motivée sur plusieurs lignes faisant référence aux parties au litige, et vise une éventuelle procédure à venir en concurrence déloyale.
Au demeurant, cette motivation, appliquée au cas d’espèce, ne s’apparente pas à une formule de style en ce qu’elle vise l’effet de surprise recherchée en raison d’une volonté de dissimulation et d’un risque de déperdition des preuves en raison de la communauté d’intérêts existant entre les personnes visées par la requête. L’ordonnance vise également la nature des informations recherchées, essentiellement sur supports informatiques et électroniques, rendant leur destruction aisée.
Ces éléments sont dès lors suffisants pour établir la nécessité d’obtenir la désignation d’un huissier sans soumettre au préalable celle-ci au principe du contradictoire de sorte que ce moyen est rejeté.
L’illicéité et la proportionnalité des mesures ordonnées :
Les mesures légalement admissibles sont celles qui sont circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi ainsi qu’aux intérêts antinomiques en présence.
Au cas particulier, si la mission confiée à l’huissier de justice est étendue, il n’en demeure pas moins qu’elle est circonscrite à l’activité de la société Alligator à l’égard de certains clients de la société Antyas, cités au nombre de cinq, et susceptibles d’avoir été détournés par la société Alligator, et circonscrite aux liens existant entre Messieurs [W] et [S] et cette société, de façon à établir l’existence d’une concurrence déloyale.
De même, les questions posées à M. [V] [E], au nombre de quatre, ont trait à ses relations avec Messieurs [W], [S] et M. [X] [R] et n’ont aucun caractère coercitif.
En conséquence il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 9 mars 2022.
Ainsi, il y a lieu d’ordonner la mainlevée du séquestre des documents, données, fichiers et pièces conservés par l’huissier de justice SAS Sorrentino-[M] à la suite des opérations de constat du 5 mai 2021, en exécution de l’ordonnance sur requête.
En revanche, il n’y a pas lieu de statuer sur les modalités d’exécution de la décision rendue le 30 avril 2021, et notamment la communication du procès-verbal établi par l’huissier de justice, cette appréciation ne relevant pas de la compétence du juge des requêtes.
Sur les frais et dépens :
M. [Z] [W] et la société Alligator seront tenus in solidum aux entiers dépens de la procédure d’appel, recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
En outre, ils seront tenus chacun de payer la somme de 2.000 euros à chacune des sociétés Meritis Régions et Meritis Group en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les n° 22/03797 et 22/04804,
Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 9 mars 2022 par le juge des requêtes du tribunal de commerce de Grasse,
Ordonne la mainlevée du séquestre des documents, données, fichiers et pièces conservés par l’huissier de justice SAS Sorrentino-[M] à la suite des opérations de constat du 5 mai 2021, en exécution de l’ordonnance sur requête,
Condamne in solidum M. [Z] [W] et la société Alligator aux dépens de la procédure d’appel, recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Alligator à payer à chacune des sociétés Meritis Régions et Meritis Group la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [Z] [W] à payer à chacune des sociétés Meritis Régions et Meritis Group la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT