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10 janvier 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
21/01123
COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 10 JANVIER 2023
N° RG 21/01123 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GWZN
[S] [D]
C/ S.A.S. SAVOIE LABO poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHAMBERY en date du 06 Mai 2021, RG F 20/00011
APPELANT ET INTIME INCIDENT
Monsieur [S] [D]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Clélia PIATON, avocat au barreau de CHAMBERY
INTIMEE ET APPELANT INCIDENT
S.A.S. SAVOIE LABO poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Frédéric RENAUD de la SELARL RENAUD AVOCATS, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON
et par Me Franck GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue en audience publique le 04 Octobre 2022, devant Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s’est chargé du rapport, les parties ne s’y étant pas opposées, avec l’assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Copies délivrées le : ********
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [S] [D] a été engagé par la Sas Savoie Labo par contrat à durée indéterminée le 19 mars 2018 en qualité de responsable de service polluants organiques, statut cadre, position 2.1, coefficient 115, pour un salaire mensuel brut de 2 987,04 euros.
La Sas Savoie Labo exerce une activité de prélèvement et d’analyse dans l’hydrologie, l’environnement et l’agro-alimentaire. Elle emploie plus de 50 salariés et applique la convention collective des bureaux d’études techniques.
Par courrier du 21 octobre 2019, M. [S] [D] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable fixé au 30 octobre 2019.
Par lettre du 14 novembre 2019, la Sas Savoie Labo a notifié à M. [S] [D] son licenciement pour faute grave au motif de la production réitérée de résultats imprécis et incorrects et de manquements à l’obligation de mettre en place les mesure réglementaires et développements analytiques obligatoires.
Par lettre du 2 décembre 2019, M. [S] [D] a contesté son licenciement. La Sas Savoie Labo a confirmé son appréciation des faits par une lettre du 13 décembre 2019.
Par requête du 13 janvier 2020, M. [S] [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Chambéry afin de contester son licenciement et de solliciter le versement de diverses sommes à ce titre.
Par jugement en date du 6 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Chambéry a :
– dit que le licenciement de M. [S] [D] repose sur une faute grave,
– débouté M. [S] [D] de l’intégralité de ses demandes,
– débouté la Sas Savoie Labo de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [S] [D] aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 27 mai 2021 par RPVA, M. [S] [D] a interjeté appel de la décision sauf en ce qu’elle a débouté la Sas Savoie Labo de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La Sas Savoie Labo a formé appel incident.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 5 août 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, M. [S] [D] demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau :
– dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
– condamner la Sas Savoie Labo au paiement des sommes suivantes :
* 1716,55 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,
* 8961,12 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 896,11 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 2655,18 euros bruts au titre du salaire de la mise à pied conservatoire, outre 265,51 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 10454,64 euros nets de CSG-CRDS de dommages et intérêts pour licenciement sans cause
réelle et sérieuse,
* 5 000 euros nets de CSG-CRDS de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– condamner la Sas Savoie Labo à la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– condamner la Sas Savoie Labo aux dépens de première instance et d’appel.
M. [S] [D] expose avoir pris connaissance des échanges de mails entre la directrice Mme [I] et le service des ressources humaines car celle-ci s’était connectée à sa session sur l’ordinateur du salarié et ne s’était pas déconnectée.
La jurisprudence admet qu’un salarié produise des documents appartenant à l’entreprise dès lorsqu’il s’agit de documents dont il a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions et qu’ils soient strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense. Elle considère que la production de documents ne porte pas atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie personnelle des salariés concernés au regard du but poursuivi.
La plainte pénale visant M. [S] [D] pour accès frauduleux dans un système informatisé de données a été classée sans suite.
Dans sa lettre de candidature, il a indiqué avoir de l’expérience en chimie analytique mais aucunement en tant que responsable de service, ce qu’a elle-même reconnu Mme [I] lors de son entretien individuel du 18 avril 2020. Son CV indique bien qu’il n’a jamais occupé ce type de fonctions.
Une formation ne saurait égaler une expérience.
L’employeur n’apporte pas la preuve d’un suivi de M. [S] [D].
Le turn over de la société est dû au management autoritaire de Mme [I]. Les pressions aux fins de démissions ou de créations de dossier de licenciement étaient courantes.
M. [S] [D] est le seul cadre à avoir perçu une prime de 1 307,69 euros en février 2019 pour le récompenser de son travail.
La société doit apporter la preuve de la faute grave.
M. [S] [D] a lui-même procédé à l’identification des temps de rétentions des pesticides via l’appareil GCMSMS ‘TSQ’ car l’appareil GCMSMS ‘quantum’ ne fonctionnait pas. M. [P] n’a eu qu’à effectuer les ajustements habituels et lire les résultats.
Il conteste être à l’origine du problème d’étanchéité des flacons, ceux-ci étant vides d’échantillons, il n’était pas possible de détecter un défaut d’étanchéité.
Le fait que le salarié ait utilisé un autre appareil afin de mesurer l’Amitrole n’a pas d’incidence sur les résultats et sur l’obtention de la certification Cofrac dans la mesure où les résultats étaient conformes.
Le rapport d’intervention sur l’outil de travail déformé n’indique pas que la défectuosité provient de l’action de M. [S] [D]. Il était déjà déformé à son embauche.
La société reproche à l’appelant un dysfonctionnement du service, or cela n’est pas mentionné dans la lettre de licenciement qui fixe le litige.
Les maintenances annuelles n’ont jamais été faites à dates fixes, les entretiens étaient réalisés en septembre/octobre car l’activité était importante pendant l’été.
La mise en place des nouvelles mesures réglementaires sur l’évaluation du BenzoApyrène devait être faite avant janvier 2020. Le plan d’action du 22 mars 2019 prévoyait une mise en place à compter du 15 novembre 2019 jusqu’au 15 décembre 2019. Mme [I] a dû procéder à ses changements du fait du licenciement du salarié. Ce grief est prescrit car il datait de l’entretien individuel d’avril 2019.
Les contrôles de rendement bimestriels n’étaient pas respectés avant l’embauche du salarié. Il n’a pas été sanctionné à ce titre.
L’employeur ne démontrer pas une absence de tenue des dossiers d’habilitation du personnel ou ni une mise en danger de la sécurité des salariés. Les prétendus faits de mise en danger ne sont pas datés.
Sa rétrogradation en septembre 2019, qui a entraîné la suppression de son statut cadre, et la suppression de tous ses accès avant son licenciement par la réinitialisation de son téléphone portable constituent une exécution déloyale de son contrat de travail qui lui a causé un préjudice.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 1er mars 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la Sas Savoie Labo demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a retenu que le licenciement de M. [S] [D] reposait bien sur une faute grave et l’a condamné aux dépens de l’instance,
– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la Sas Savoie Labo de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
En conséquence,
– débouter M. [S] [D] de l’intégralité de ses demandes,
– juger déloyaux les éléments de preuves versées par M. [S] [D] soustraient de l’ordinateur professionnel de Mme [I] à son insu,
– écarter des débats les pièces n°11, 12, 16, 18, 29, 30, 31, 33 et 34 adverses,
– juger bien-fondé le licenciement pour faute grave de M. [S] [D],
– juger justifiée la mise à pied conservatoire,
– débouter M. [S] [D] de l’intégralité de ses demandes formulées au titre de la rupture du contrat,
A titre subsidiaire :
– juger le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– débouter M. [S] [D] de sa demande indemnitaire pour licenciement abusif,
A titre plus subsidiaire,
– juger que M. [S] [D] échoue à rapporter la preuve de l’existence et du quantum de son préjudice,
– juger que M. [S] [D] détenait une ancienneté inférieure à 2 ans,
– limiter le montant des dommages et intérêts alloués au titre du licenciement abusif à un mois de salaire, soit 2 987,04 euros, conformément à l’article L.1235-3 du code du travail,
– débouter M. [S] [D] de l’intégralité de ses demandes au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,
A titre subsidiaire :
– limiter à de plus justes proportions le montant alloué,
en tout état de cause :
– condamner M. [S] [D] à verser à la Sas Savoie Labo la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– dire que ceux d’appel seront recouvrés par la Selarl Lexavoué Chambéry-Grenoble conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– condamner M. [S] [D] aux dépens de l’instance.
M. [S] [D] n’était pas destinataire des mails entre Mme [I] et le service des ressources humaines, il est entré sans autorisation dans l’ordinateur de sa supérieure hiérarchique afin de consulter et récupérer des éléments confidentiels. Il a ainsi porté atteinte au secret des correspondances et au respect de la vie privée des salariés.
Le contenu de ces échanges fait état d’une proposition de rupture conventionnelle au salarié et de constats de ses manquements.
L’appelant a une démarche déloyale en produisant des élément privés et confidentiels.
La jurisprudence indique que la cour doit vérifier si les pièces versées sont issues d’un procédé loyal d’obtention. Le salarié n’a pas eu accès à ces éléments dans l’exercice de ses fonctions.
Les pièces 11, 12, 16, 18, 29, 30, 31, 33 et 34 sont irrecevables.
La société a déposé plainte pour vol contre M. [S] [D] auprès de la gendarmerie.
Le salarié n’a jamais indiqué à la société être inexpérimenté en tant que responsable de service, il a insisté sur son expérience professionnelle. Son CV en faisait état. Il a bénéficié de sept formations en moins d’un an et demi et était accompagné et suivi par la directrice.
M. [S] [D] produisait des résultats d’analyse imprécis voire erronés. Il ne pouvait identifier correctement les pesticides, il a fait preuve d’approximation technique et réglementaire.
Il était à l’origine d’un problème d’étanchéité en utilisant un matériel défectueux dénaturant les résultats. La directrice a résolu le problème. Les résultats rendus concernant la détection de la limite de quantification du pesticide Amitrole étaient erronés et contraires à l’accréditation Cofrac. M. [S] [D] a également déformé un outil de travail.
Il a planifié les maintenances annuelles des machines avec plusieurs mois de retard.
Son comportement a causé des retards de production et un surcoût financier.
Le 23 janvier 2019, la société a informé M. [S] [D] de la nouvelle limite réglementaire du Benzapyrène dans les analyses d’eaux, or il n’avait aucune intention de l’appliquer.
L’appelant n’effectuait plus les développements analytiques ou encore il ne respectait pas le processus de développement du laboratoire et n’exploitait pas les résultats.
Il attribuait à des salariés non habilités la responsabilité d’analyse au planning de l’été 2019.
Il a mis en danger la sécurité et la santé des salariés en laissant des bidons coulants d’huile usagée, par l’absence d’affichage des règles de rangement du stockage des produits utilisés et de la poudre d’acide oxalique dans un tiroir. Il a reconnu ces manquements.
La prime de février 2019 a été versée à tous les salariés cadres.
Lors de ses congés du 26 août au 7 septembre 2019, les délais avaient -25% de retard.
Le turn over de la société résulte de la mauvaise qualité du management de M. [S] [D].
Le poste de M. [S] [D] n’a pas été supprimé, il a toujours eu le statut cadre et la même rémunération.
La société n’a aucun accès aux téléphones des salariés.
L’instruction de l’affaire a été clôturée le 1er juillet 2022. Le dossier a été appelé à l’audience du 4 octobre 2022. A l’issue, il a été mis en délibéré au 10 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des pièces contestées
Il résulte d’une jurisprudence constante qu’un salarié peut produire en justice les documents de son employeur à condition qu’il en ait eu connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et que leur production soit nécessaire aux stricts besoins de sa défense. Il s’agit d’une condition cumulative.
En l’espèce, M. [S] [D] soutient avoir pris connaissance et copier des pièces litigieuses sur son propre poste de travail, car sa responsable Mme [Y] l’avait utilisé et y avait laissé sa session ouverte.
En tout état de cause, le salarié n’a pas pu avoir accès à l’ensemble des documents litigieux à l’occasion de la consultation par hasard de la session que sa responsable aurait malencontreusement laissée ouverte sur son ordinateur professionnel : il a nécessairement dû effectuer des recherches afin de trouver ces documents litigieux.
M. [S] [D] ne saurait soutenir avoir eu connaissance des pièces 11, 12, 29, 30 31, 33 et 34 à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, puisqu’il n’était pas sensé y avoir accès dans le cadre de l’exercice de ses fonctions s’agissant d’échanges se rapportant à la direction de la société, et que les recherches qu’il a nécessairement effectuées pour récupérer ces documents ne rentraient pas dans l’exercice normal de ses fonctions.
Compte-tenu de ces éléments, les pièces 11, 12, 29, 30 31, 33 et 34 produites par M. [S] [D] seront déclarées irrecevables.
Par ailleurs, il doit être considéré qu’un employé est légitime dans le cadre de ses fonctions à prendre connaissance de l’organigramme de la société qui l’emploie, de sorte qu’il n’y a pas lieu de déclarer irrecevables les pièces 16 et 18.
Sur le licenciement
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits, imputable au salarié, constituant une violation des obligations s’attachant à son emploi d’une importance telle qu’il rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
L’ancienneté du salarié et l’absence de sanction disciplinaire ne sont pas systématiquement des causes atténuantes de la gravité de la faute commise.
La gravité de la faute n’est pas fonction du préjudice qui en est résulté.
Le juge doit apprécier si la sanction prononcée est proportionnée à la nature et à la gravité des faits reprochés.
La procédure de licenciement doit être engagée avant l’expiration du délai de prescription de deux mois courant à compter de la date de connaissance des faits par l’employeur.
La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l’employeur.
En application de l’article L 1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige reproche au salarié une production réitérée de résultats imprécis et incorrects en août, septembre et octobre 2019, des retards dans la maintenance d’appareils, des manquements réitérés à l’obligation de mettre en place les mesures réglementaires et développements analytiques obligatoires, des manquements aux obligations de mettre en place des mesures managériales.
* Sur l’absence de fiabilité des résultats d’analyse résultant de la méthode de quantification des pesticides en GCMSMS
L’employeur fonde ses allégations sur ce point uniquement sur deux courriels échangés le 23 octobre 2019 entre M. [K] [P] [X] et Mme [G] [Y], dont le contenu ne permet pas à lui seul de démontrer que M. [S] [D] a commis sur ce point un fait fautif.
* Sur la production d’analyses effectuées dans des flacons défectueux le 18 septembre 2019
L’employeur produit un échange de courriels du 4 novembre 2019 entre Mme [G] [Y] et M. [L] [R] dont il ressort que la première rappelle au second qu’il avait constaté fin septembre 2019 que plusieurs flacons montraient des pertes d’étanchéité, et lui demande si de telles fuites ont été à nouveau constatées après le changement de la pince à sertir les flacons. M. [R] lui répond qu’il a trouvé les flacons, qui étaient vides d’échantillons, correctement sertis lors de son intervention.
Le salarié soutient que les flacons étaient vides d’échantillons, ce qui ne permettait pas selon lui de vérifier l’étanchéité des flacons. L’employeur ne répond pas sur ce point.
L’employeur soutient également que les tests qu’il a réalisés après le changement de la pince de sertissage automatique par une pince manuelle fin septembre 2019 montrent une répétabilité des analyses au moins deux fois meilleure qu’avec la pince utilisée par M. [S] [D]. Le salarié ne répond pas sur ce point.
Le salarié produit par ailleurs un courriel que lui a adressé M. [R] le 29 novembre 2019 par lequel celui-ci lui ‘confirme que les flacons employés par Savoie Labo ne sont pas conformes aux normes PerkinElmer’, et que ceux qu’il avait eu en sa possession ‘présentaient des défauts d’étanchéité au sommet, il y avait des stries’. L’employeur ne répond pas sur ce point.
Il résulte de l’analyse de ces éléments qu’il existe un doute quant à l’imputabilité des défauts d’étanchéité des flacons utilisés par l’employeur à M. [S] [D].
* Sur le manquement dans la détection de la limite de quantification du pesticide Amitrole
L’employeur soutient que les équipes du salarié l’avaient informé depuis janvier 2019 de leurs difficultés à détecter correctement la limite de quantification de cette substance. Il ne produit cependant aucun élément au soutien de cette allégation.
L’employeur se base sur les fiches de traçabilité pour les semaines 19,32 et 35 de 2019 pour soutenir que le dysfonctionnement allégué provenait d’un changement d’appareillage effectué par le salarié dans le courant de l’année 2019. Cependant, il ne ressort pas clairement de ces fiches que ce changement d’appareillage, reconnu par M. [S] [D], soit à l’origine des erreurs détectées.
Le salarié ne conteste cependant pas ne pas avoir informé son employeur, dans le cadre de la procédure de surveillance interne, du changement d’appareillage qu’il avait effectué.
Ce dernier grief est donc établi.
* Sur la déterioration des performances chromatographiques sur l’appareillage pour l’analyse des HAP suite à la maintenance qui aurait été effectuée par le salarié
Les pièces produites par l’employeur ne démontrent aucunement la responsabilité de M. [S] [D] dans la déterioration de l’outil de réglage des férules à l’injecteur, comme elles ne démontrent pas que celui-ci a pu ou même aurait nécessairement dû s’apercevoir de cette déterioration et/ou de la perte de sensibilité des mesures.
* Sur l’imputabilité de défaillances à M. [S] [D] évoquée par Mme [O]
Ce grief ne figurant pas à la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, il n’y a pas lieu de l’examiner.
* Sur les retards dans les maintenances annuelles des équipements
L’employeur soutient que le salarié aurait eu son accord sur les bons de commande pour les appareillages Agilent, Waters, Perkin et Thermo Electron respectivement le 3 juin 2019, le 10 juillet 2019, le 10 juillet 2019 et le 5 juillet 2019, mais que ces maintenances n’ont été planifiées par le salarié que le 28 octobre 2019 après relance pour les deux premiers, le 23 août 2019 pour le troisième, et qu’elles ont été planifiées par Mme [G] [Y] le 30 septembre 2019 pour la dernière.
Il ne ressort cependant pas des quatre bons de commande produits concernant ces maintenances que le salarié était tenu de les faire effectuer immédiatement ou en tout cas dans un délai impératif. Les courriels de Mme [G] [Y] à M. [S] [D] du 17 octobre 2019 n’évoquent aucun retard de la part de ce dernier dans la planification des maintenances des appareillages Agilent et Waters, se contentant de lui demander de les planifier, sans même mentionner la moindre notion d’urgence. Le courriel de Mme [G] [Y] du 30 septembre 2019 pour l’appareillage Terhmo Electron n’évoque là encore aucun retard ni urgence, indiquant seulement ‘nous souhaitons planifier la date de maintenance annuelle sur l’ISQ’ (un des appareils Thermo Electron). (…) Je vous laisse me transmettre vos propositions de dates’.
L’employeur soutient dans la lettre de licenciement que la dernière maintenance de l’un des appareillages Thermo Electron remontait au 6 février 2018 et que le salarié aurait attendu le 29 mai 2018 (date qui semble être une erreur, il doit s’agir de 2019) pour transmettre à la direction
la nature du contrat de maintenance à reconduire. Il ne produit cependant aucune pièce au soutien de cette allégation.
Ce grief n’est donc pas établi.
* Sur les manquements réitérés à mettre en place les mesures réglementaires et les développements analytiques obligatoires
– Sur l’évaluation de la nouvelle limite réglementaire du Benzo(a)pyrène
L’employeur soutient dans la lettre de licenciement que le salarié ne se serait pas préoccuppé de préparer l’évaluation de la nouvelle limite réglementaire du Benzo(a)pyrène.
La modification de la limite réglementaire devait intervenir au plus tard le 1er janvier 2020.
M. [S] [D] produit un ‘plan d’action’, dont l’employeur ne conteste pas qu’il a été transmis à Mme [G] [Y] le 22 mars 2019. Ce plan d’action mentionne que l’action sur l’abaissement de la limite de quantification du Benzo(a)pyrène débuterait le 15 novembre 2019 pour se terminer le 15 décembre 2019.
L’employeur ne produit aucun élément de nature à démontrer qu’il a, depuis la communication de ce plan d’action, sollicité ou relancé le salarié par rapport à l’avancée de cette évaluation et qu’il n’a pas validé les dates proposées par le salarié.
Si l’employeur soutient dans la lettre de licenciement que ce point ‘n’a pas été inscrit aux revues de projet 2019 actualisés en réunion QHSE’, et que le salarié ne tenait plus à jour cette revue de projet depuis juin 2019 malgré les rappels de la direction sur ce point, il ne produit aucun élément au soutien de cette allégation.
Le salarié ayant été licencié avant la date, qu’il avait communiquée à sa direction et que celle-ci ne démontre pas avoir remise en question, à laquelle il comptait commencer l’évaluation de la nouvelle limite réglementaire du Benzo(a)pyrène, date lui permettant de respecter le délai butoir du 1er janvier 2020, ce grief n’est pas établi.
– Sur les développement analytiques qui n’auraient pas été initiés
L’employeur produit sur ce point deux pièces:
– un courriel de Mme [G] [Y] du 23 juillet 2019 adressé au salarié par lequel celle-ci lui demande ‘Ou en est on de la validation de la NDMS”,
– un projet se rapportant à la NNDMS avec une date de validation mentionnée au 6 décembre 2019.
S’agissant du transfert du dosage du glyphosate en LCMS, également mentionné dans la lettre de licenciement, l’employeur ne produit aucun élément au soutien de ce grief.
Il résulte par ailleurs du compte-rendu de l’entretien préalable à licenciement produit par le salarié que les parties étaient d’accord sur le fait que ces développements avaient été planifiés sur la fin de l’année et validés par la direction, mais n’avaient pas encore été définis en mode projet.
Ces éléments ne sauraient démontrer les allégations de l’employeur selon laquelle M. [S] [D] n’avait pas initié au jour de son licenciement le développement de la validation de la NNDMS et le transfert du dosage du glyphosate.
Les griefs allégués ne sont donc pas établis.
– Sur les projets analytiques des Eaux Minérales Naturelles et Thermales
L’employeur reconnaît que la date limite fixée à M. [S] [D] pour les nouvelles accréditations Eaux Minérales Naturelles et Thermales était le 28 février 2020.
L’employeur produit un document ‘Définition du projet méthode’ en date du 15 septembre 2019 relatif au nouvel agrément des Eaux Minérales Naturelles et Thermales, rédigé par Mme [G] [Y], soutenant que cette dernière a dû suppléer la carence du salarié dans l’exercice de cette mission.
L’employeur ne démontre cependant pas avoir relancé le salarié quant à cette mission où lui avoir fait des remarques quant à des retards éventuels.
Ainsi la production de ce seul document ne saurait démontrer que M. [S] [D] a commis une faute à ce titre.
– Sur les carences dans les contrôles rendement bimestriels depuis mars 2019
M. [S] [D] ne conteste pas que ces contrôles relevaient de ses fonctions, et l’employeur démontre qu’aucun contrôle n’a été effectué entre le 9 août 2018 et le 3 janvier 2019 et entre le 25 avril 2019 et le 21 octobre 2019.
Il résulte du compte-rendu d’entretien préalable au licenciement que ces contrôles rendement sont nécessaires pour assurer la qualité et la validation des résultats.
Le salarié ne procède que par allégation quand il soutient que sa responsable Mme [G] [Y] lui avait indiqué qu’il n’était pas nécessaire de respecter la bimestrialité des contrôles.
Ce grief est donc établi.
– Sur les manquements managériaux
S’agissant des dossiers d’habilitation d'[J] [W] et de [K] [P] [X] non signés et/ou non faits, il résulte du compte-rendu d’entretien préalable communiqué aux débats par le salarié que celui-ci a reconnu cette carence, indiquant ‘tout était en cours, ce n’était pas la priorité de faire signer les dossiers. L’importance était le rendu des résultats’. Ce grief est donc établi.
Cependant, l’employeur ne produit aucun élément de nature à démontrer que le salarié aurait confié à ces personnels non habilités la responsabilité d’analyses.
S’agissant de la ‘présence de bidons coulants d’huile usagée avec exposition du personnel au poste de travail GSMS’, le salarié a reconnu au cours de son entretien préalable la présence de deux bidons d’huile qui débordaient. Cependant, ce grief n’est pas daté, de sorte qu’il ne saurait être pris en compte, puisqu’il n’est pas possible d’en vérifier l’éventuelle prescription.
Le salarié a également reconnu au cours de cette entretien qu’il n’avait pas établi le planning de déménagement de la salle LC.
L’employeur ne produit aucun élément de nature à accréditer les autres manquements relatifs à la mission de manager de l’équipe et de garant de la sécurité sur son périmètre reprochés au salarié et mentionnés au sein de la lettre de licenciement.
Il résulte de ces constatations que les griefs suivants repris à la terre de licenciement sont imputables au salarié :
– pas d’information de l’employeur, dans le cadre de la procédure de surveillance interne, d’un changement d’appareil pour effectuer des analyses,
– contrôles rendement bimestriels non effectués, alors que ces contrôles sont nécessaires pour assurer la qualité et la validation des résultats,
– dossiers d’habilitation de deux salariés de son équipe non finalisés,
– pas d’établissement du planning de déménagement de la salle LC.
M. [S] [D] avait été engagé en qualité de responsable de Service polluants organiques, statut cadre. Il avait accepté sans conditions les missions qui lui étaient confiées.
Il ne démontre pas avoir été mis par l’employeur dans une situation l’empêchant de remplir les missions qui lui étaient confiées.
Ces griefs avérés constituent, compte-tenu de la formation et des responsabilités du salarié telles que détaillées dans ses fiches de fonction produites aux débats, une violation volontaire des obligations résultant de son contrat de travail qui justifient son licenciement. Ils ne sont cependant pas d’une importance telle qu’ils aient rendu impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée de son préavis, étant par ailleurs constaté que l’employeur avait dans un premier temps, le 14 octobre 2019, proposé au salarié une rupture conventionnelle.
Le licenciement pour faute grave sera donc requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse. La décision du conseil de prud’hommes sur ce point sera infirmée.
M. [S] [D] est en droit de solliciter l’indemnité légale de licenciement qui, compte-tenu de son ancienneté d’un an et dix mois et d’un salaire mensuel brut moyen sur les douze derniers mois de 2922,64 euros, se monte à 1339,54 euros net.
Il se verra allouer une indemnité compensatrice de préavis (trois mois) de 8767,92 euros brut, outre 876,79 euros brut de congés payés afférents.
Il se verra allouer 2149,62 euros brut, outre 214,96 euros brut de congés payés afférents, au titre du salaire non versé durant la mise à pied conservatoire.
La décision du conseil de prud’homems sera confirmée en ce qu’elle a débouté M. [S] [D] de sa demande au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail
M. [S] [D] soutient qu’il a été rétrogradé en septembre 2019 au poste de technicien et que son statut de cadre lui a été supprimé sans respect de la procédure disciplinaire applicable.
Le courriel de Mme [H] [Y] du 18 septembre 2019 qu’il invoque au soutien de cette allégation est le suivant: ‘Je pense que ce sera difficile que tu participes à la réunion de coprod de ce mois, compte-tenu des difficultés actuelles du service. Je préfère que tu te concentres sur la production. Je te transmettrai les informations essentielles. Nous verrons pour la réunion du mois prochain’.
Il invoque également le fait qu’il ne figurait plus sur l’organigramme de la société d’octobre 2019.
Ces éléments ne sauraient démontrer qu’il aurait été rétrogradé au poste de technicien et que son statut cadre aurait été supprimé, alors que la ‘production’ faisait également partie des fonctions du salarié, et que son bulletin de paye d’octobre 2019 mentionne toujours son statut de cadre et comporte le salaire prévu à son contrat de travail. Par ailleurs, le salarié ne démontre pas, s’agissant de l’organigramme d’octobre 2019, que celui-ci était définitif, étant rappelé qu’à cette époque il était en discussion avec sa direction pour une rupture conventionnelle de son contrat de travail, situation susceptible d’expliquer l’existence d’un projet d’organigramme où il n’apparaît plus.
M. [S] [D] évoque également le fait que son téléphone personnel aurait été réinitialisé à distance et sans son accord par son employeur le 18 octobre 2019. Le courriel qu’il produit au soutien de cette allégation, mentionnant seulement que la réinitialisation à distance du téléphone s’est déroulée correctement, ne permet cependant pas à lui seul de démontrer que l’employeur est à l’origine de cette réinitialisation.
Au regard de ces constatations, la décision du conseil de prud’hommes en ce qu’elle a débouté M. [S] [D] de sa demande çau titre de l’exécution déloyale du contrat de travail sera confirmée.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La décision du conseil de prud’hommes sur ces points sera infirmée.
La Sas Savoie Labo sera condamnée aux dépens tant de première instance que d’appel.
La Sas Savoie Labo sera condamnée à verser à M. [S] [D] la somme de 2200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant de la première instance, et 2200 euros s’agissant de la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
DÉCLARE M. [S] [D] et la Sas Savoie Labo recevables en leurs appel et appel incident,
DÉCLARE irrecevables les pièces 11, 12, 29, 30 31, 33 et 34 produites par M. [S] [D],
DÉCLARE recevables les pièces 16 et 18 produites par M. [S] [D],
CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Chambéry du 6 mai 2021 en ce qu’il a :
– débouté M. [S] [D] de sa demande au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,
– débouté M. [S] [D] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– débouté la Sas Savoie Labo de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
INFIRME pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
DIT que le licenciement de M. [S] [D] repose sur une cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la Sas Savoie Labo à verser à M. [S] [D] une somme de :
– 2149,62 euros brut, outre 214,96 euros brut de congés payés afférents, au titre du salaire non versé durant la mise à pied conservatoire,
– 8767,92 euros brut, outre 876,79 euros brut de congés payés afférents, au titre de l’indemnité de préavis,
– 1339,54 euros net à titre d’indemnité légale de licenciement,
CONDAMNE la Sas Savoie Labo aux dépens de première instance,
CONDAMNE la Sas Savoie Labo à verser à M. [S] [D] la somme de 2200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant de la première instance,
Y ajoutant,
CONDAMNE la Sas Savoie Labo aux dépens d’appel,
CONDAMNE la Sas Savoie Labo à verser à M. [S] [D] la somme de 2200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Ainsi prononcé publiquement le 10 Janvier 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président