Secret des correspondances : 10 février 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04362

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Secret des correspondances : 10 février 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04362
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10 février 2023
Cour d’appel de Toulouse
RG n°
21/04362

10/02/2023

ARRÊT N°78/2023

N° RG 21/04362 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OODF

CB/AR

Décision déférée du 07 Octobre 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE (20/0037 )

RODRIGUEZ-JAUZE

[F] [E]

C/

S.A.S. LITED

CONFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le 10 02 2023

à Me Agnès DARRIBERE

Me Jérôme MESSANT

CCC POLE EMPLOI

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

Madame [F] [E]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Agnès DARRIBERE de la SCP CABINET DARRIBERE, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

S.A.S. LITED

prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège [Adresse 1]

Représentée par Me Jérôme MESSANT de la SELARL MESSANT ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant) et par Me Marie CONTENT de la SELEURL Marie Content Avocat, avocat au barreau de PARIS (plaidant)

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. Brisset, présidente et de A.Pierre-Blanchard, conseillère, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. Brisset, présidente

A. Pierre-Blanchard, conseillère

F. Croisille-Cabrol, conseillère

Greffier, lors des débats : A. RAVEANE

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par C. Brisset, présidente, et par A. Raveane, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [F] [E] a été embauchée selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 30 avril 2013 par la SAS Lited en qualité de responsable administratif et ressources humaines, statut non-cadre.

Par avenant du 2 janvier 2014, Mme [E] a été promue directrice administrative, financière et ressources humaines, statut cadre.

La convention collective du commerce de gros est applicable. La société emploie plus de 10 salariés.

À compter du 1er juillet 2019, Mme [E] était placée en arrêt de travail.

Le 14 octobre 2019 alors que son contrat de travail se trouvait suspendu, Mme [E] adressait à la société Lited, par l’intermédiaire de son conseil, un courrier aux termes duquel elle listait des griefs à l’égard de son employeur et indiquait qu’elle ne voyait pas d’autre solution que de parvenir à une rupture du lien contractuel avec ce dernier.

La société Lited répondait aux différents griefs allégués par Mme [E].

Par requête en date du13 janvier 2020, Mme [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 3 août 2020, Mme [E] était déclarée inapte par le médecin du travail.

Par un courrier du 18 août 2020, la société Lited convoquait Mme [E] à un entretien préalable fixé au 27 août 2020 puis lui notifiait son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 1er septembre 2020.

Le 15 octobre 2020, Mme [E] déposait une nouvelle requête auprès du conseil de prud’hommes de Toulouse.

Par jugement du 7 octobre 2021, le conseil a :

– ordonné la jonction des instances introduites par Mme [F] [E] sous les numéros RG 20/00037 et 20/01412 et dit qu’elles porteront désormais le numéro unique RG 20/00037,

– constaté qu’aucun manquement de la société Lited à l’encontre de Mme [E] n’est établi,

– jugé que les demandes de Mme [E] en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en contestation de son licenciement ne sont pas fondées. À ce titre débouté Mme [E] de l’ensemble de ses demandes y afférent,

– jugé que Mme [E] n’a subi aucun harcèlement moral. À ce titre débouté Mme [E] de l’ensemble de ses demandes y afférent,

– jugé que les demandes au titre d’heures supplémentaires de Mme [E] sont infondées. À ce titre débouté Mme [E] de l’ensemble de ses demandes y afférent,

– jugé que la société Lited n’a pas violé le principe de l’égalité de traitement. À ce titre débouté Mme [E] de l’ensemble de ses demandes y afférent,

– jugé que la société Lited n’a pas violé son obligation de sécurité de résultat. À ce titre débouté Mme [E] de l’ensemble de ses demandes y afférent,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– condamné Mme [E] aux entiers dépens de l’instance.

Le 25 octobre 2021, Mme [E] a interjeté appel de la décision, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués du jugement.

Dans ses dernières écritures en date du 21 décembre 2021, auxquelles il est fait expressément référence, Mme [E] demande à la cour de :

– réformer le jugement dont appel.

Et, statuant à nouveau,

A titre principal :

– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Mme [E] à la SAS Lited,

– condamner la société Lited au paiement de :

– la somme de 7 516,23 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– la somme de 13 529,22 euros au titre de l’indemnité de préavis, outre 1 352,92 euros de congés payés y afférents,

– la somme de 54 116 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou, si le harcèlement moral n’était pas reconnu, à la somme de 31 568,18 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A titre subsidiaire :

– prononcer la nullité du licenciement de Mme [E],

– condamner la société Lited au paiement de :

– la somme de 7 516,23 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– la somme de 13 529,22 euros au titre de l’indemnité de préavis, outre 1 352,92 euros de congés payés y afférents,

– la somme de 54 116 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou, si le harcèlement moral n’était pas reconnu, à la somme de 31 568,18 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause :

– juger que Mme [E] a subi le harcèlement moral de M. [O],

– en conséquence, condamner la société Lited à la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêt en réparation du préjudice subi du fait de cette situation,

– juger que Mme [E] a réalisé des heures supplémentaires qui n’ont été ni déclarées ni réglées,

– en conséquence, condamner la société Lited au paiement de :

– la somme de 27 058 euros au titre de l’infraction de travail dissimulé,

– la somme de 31 050,40 euros à titre de rappel de salaire au titre du paiement des heures supplémentaires, outre 3 105 euros de congés payés y afférents,

– juger que la société Lited a violé le principe de l’égalité de traitement,

– en conséquence, condamner la société Lited au paiement :

– de la somme de 77 107,8 euros à titre de rappel de salaire outre 7 710,78 euros de congés payés y afférents,

– de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la violation du principe d’égalité de traitement,

– juger que la société Lited a violé son obligation de sécurité de résultat,

– en conséquence, condamner la société Lited au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêt pour violation de l’obligation de sécurité de résultat,

– condamner la société Lited à régulariser la situation de Mme [E] auprès des organismes sociaux,

– condamner la société Lited aux entiers dépens, ainsi qu’au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient avoir subi le harcèlement moral de M. [O] sans que l’employeur réagisse. Elle invoque des heures supplémentaires non rémunérées dans les conditions d’un travail dissimulé. Elle se prévaut d’une disparité de traitement illicite et d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. À titre subsidiaire, elle conteste son licenciement prononcé pour une inaptitude dont elle impute la responsabilité à l’employeur.

Dans ses dernières écritures en date du 19 décembre 2022, auxquelles il est fait expressément référence, la société Lited demande à la cour de :

A titre principal,

– écarter des débats la pièce adverse n 28, communiquée en violation du secret des correspondances,

– confirmer le jugement rendu le 7 octobre 2021 par le conseil de prud’hommes de Paris en toutes ses dispositions,

– débouter Mme [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire, si la cour devait considérer que la rupture du contrat de travail de Mme [E] devait s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

– fixer le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 13 529,22 euros, en application de l’article L.1235-3 du code du travail,

– débouter Mme [E] du surplus de ses demandes.

En tout état de cause :

– condamner Mme [E] à verser à la société Lited la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Elle soutient que la salariée n’établit pas de faits laissant supposer un harcèlement moral la concernant alors en outre que son comportement n’était pas irréprochable. Elle estime que la pièce 28 de l’appelante doit être écartée des débats. Elle conteste les heures supplémentaires en considérant que la salariée avait le statut de cadre dirigeant. Subsidiairement, elle discute la réalité d’heures supplémentaires. Elle considère que la comparaison que veut réaliser la salariée n’est pas pertinente de sorte qu’il n’existe pas de disparité de traitement. Quant à l’obligation de sécurité, elle fait valoir que l’arrêt de travail avait pour origine les conséquences d’une chute étrangère au travail. Elle s’explique sur le licenciement et subsidiairement discute le montant des indemnités.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 20 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Si la rupture du contrat de travail est désormais acquise par l’effet du licenciement prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement, la juridiction était préalablement saisie d’une demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur qu’il convient d’apprécier en premier.

La salariée invoque quatre manquements de l’employeur à ses obligations, à savoir : un harcèlement moral, des heures supplémentaires non rémunérées, une disparité de traitement illicite et un manquement à l’obligation de sécurité qu’il convient d’envisager successivement.

Sur le harcèlement moral,

Il résulte des dispositions de l’article L. 1152-1 du code du travail qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par application des dispositions de l’article L. 1154-1 du même code lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

C’est tout d’abord à tort que l’employeur demande que la pièce 28 de l’appelante soit écartée des débats en visant des références concernant la communication par l’employeur d’éléments extraits de l’outil professionnel mais relevant de la vie privée. Le courrier électronique produit correspond à un mail circulaire adressé le 25 septembre 2020 par M. [C], président du groupe, à différents salariés. Ce courrier n’était certes pas adressé à Mme [E] mais il était cependant diffusé largement. Aucun élément ne permet de considérer que la salariée aurait obtenu ce document de manière déloyale étant observé qu’à la date du courrier, Mme [E] ne faisait plus partie des effectifs et n’avait plus accès au système informatique de l’entreprise. Au regard de la très large diffusion de ce document, adressé en copie à plus de 30 destinataires comprenant des boîtes structurelles et l’auteur indiquant lui-même qu’il s’exprimait sous forme de droit de réponse dans la mesure où M. [O], le destinataire, avait communiqué largement, il a pu être remis à la salariée laquelle pouvait donc le produire sans atteinte au secret des correspondances. La demande tendant à écarter cette pièce sera rejetée.

En synthèse, au titre du harcèlement moral, Mme [E] invoque un management agressif de M. [O] directeur du développement puis directeur général.

Elle produit :

– une attestation de M. [M] faisant état de plusieurs coups de téléphone de M. [O] envers Mme [E] où il hurlait pour des raisons pas ou peu fondées,

– une attestation de Mme [R] faisant état, entre ces deux mêmes personnes, d’un échange téléphonique basé sur des reproches non fondés,

– une attestation de Mme [K], dépourvue de justificatif d’identité et comme telle ne pouvant être retenue,

– un courrier électronique adressé le 2 avril 2019 par Mme [E] à M. [S] faisant état notamment de la difficulté des conditions de travail due à la récurrence des accusations fallacieuses, à la dureté et à l’irrespect des propos,

– une demande de rupture conventionnelle adressée par un salarié et faisant état du comportement de M. [O] (irrespect et agressivité),

– le courrier électronique de M. [C] à M. [O] faisant état notamment de son attitude agressive vis-à-vis de certains personnels de l’entreprise,

– la justification de la dégradation de son état de santé.

L’attestation de Mme [R], stagiaire, ne permet pas de déterminer ce qui pouvait conduire à considérer objectivement que les reproches n’étaient pas fondés. Par ailleurs, certains éléments ne concernent pas directement Mme [E] tout en constituant cependant des éléments de contexte. Mais dans leur globalité, les éléments ci-dessus, tels que retenus par la cour, établissent bien matériellement l’existence de coups de téléphones à tout le moins belliqueux de M. [O] envers Mme [E] et ce à plusieurs occasions ainsi qu’un management agressif de celui-ci de manière plus générale. Pris dans leur ensemble, ces éléments sont bien de nature à laisser supposer un harcèlement moral.

En réponse, l’employeur fait valoir que les auteurs des attestations n’ont pas pu être directement témoins du contenu des appels téléphoniques ; qu’il s’agit d’un seul appel ; que M. [M] était en arrêt de maladie lors de cet appel ; que la salariée a raccroché ; qu’elle n’était elle-même pas irréprochable ; que le management visé dans le courrier circulaire était postérieur à l’arrêt de travail de la salariée et qu’il a bien été répondu au courrier électronique de la salariée mais par un simple coup de téléphone.

À ce titre la cour constate que compte tenu du contenu des attestations sur les appels téléphoniques leur volume sonore a pu permettre aux témoins de faire des constatations personnelles ; qu’il n’est pas fait état d’un appel unique contrairement aux énonciations de l’employeur alors que M. [M] mentionne une habitude à ce titre de sorte qu’il ne fait pas référence à l’appel du 25 mars, date à laquelle il était effectivement en arrêt ; que le fait que la salarié ait raccroché n’est pas de nature à supprimer l’agressivité développée à son endroit ; que dans l’hypothèse où elle aurait elle-même pratiqué un management agressif, il appartenait à l’employeur d’exercer son pouvoir de direction comprenant le pouvoir disciplinaire ; que la référence faite par M. [C] à une attitude récente de M. [O] constitue un élément de contexte ; que le courrier circonstancié de la salariée faisant état de ses difficultés justifiait une réponse écrite ou à tout le moins permettant à la cour de s’assurer de sa nature et qu’un simple appel téléphonique tel qu’invoqué ne permet en aucun cas un tel contrôle.

Compte tenu de la confrontation de ces éléments, et l’employeur ne justifiant pas de ce que ses agissements étaient étrangers à tout harcèlement, il convient de retenir l’existence d’un tel harcèlement moral.

Sur les heures supplémentaires,

Pour échapper au débat de ce chef, l’employeur soutient en premier lieu que la salariée aurait été de fait cadre dirigeant.

Il résulte des dispositions de l’article L. 3111-2 du code du travail que les cadres dirigeants sont les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou leur établissement.

La cour ne saurait retenir qu’une telle définition s’appliquait au poste occupé par Mme [E] et il est même quelque peu contradictoire pour l’employeur de soutenir ci-après qu’elle ne peut pas se comparer à M. [W] mais qu’elle serait néanmoins cadre dirigeant. Plus précisément, il est possible qu’elle ait été autonome quant à l’organisation de son temps de travail, et aurait pu bénéficier à ce titre d’une convention de forfait mais cela n’en fait en rien une cadre dirigeante alors qu’il n’est donné aucun élément sur les décisions largement autonomes qui auraient été les siennes. Il n’est ainsi produit aucune délégation de pouvoir. S’il est soutenu qu’elle disposait d’une rémunération parmi les plus hautes de l’entreprise, il sera vu ci-après qu’elle était classée au niveau VIII échelon III de la convention collective alors que M. [W] son supérieur était classé au niveau X de cette convention. Le niveau VIII de la convention collective correspond à un cadre pouvant engager l’entreprise dans le cadre d’une délégation limitée et dans son domaine d’activité, l’échelon 3 correspondant à un responsable d’une unité ou d’un service autonome. Au contraire le niveau X correspond à un cadre dirigeant par délégation ou participant à la direction de l’entreprise. Dès lors, l’employeur qui maintient que la classification conventionnelle de la salariée était conforme à ses fonctions ne peut utilement soutenir utilement qu’elle aurait été cadre dirigeant. Il y a donc bien un débat sur le temps de travail.

Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Ainsi, si la charge de la preuve est partagée en cette matière, il appartient néanmoins au salarié de présenter à l’appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Mme [E] produit un décompte sous forme de tableau excel. Ce décompte n’est certes pas parfait. Mais il n’en demeure pas moins que pour les années 2017 et 2018, il mentionne les heures supplémentaires revendiquées en faisant référence à des heures journalières excédant le temps contractuel ainsi qu’un récapitulatif hebdomadaire et mensuel. Pour l’année 2019, avant la suspension du contrat, il est précisé des amplitudes horaires de travail ainsi que le récapitulatif des heures supplémentaires invoquées. Il est en outre produit un courrier faisant expressément référence à des heures supplémentaires dès février 2018. De tels éléments sont bien suffisamment précis pour permettre un débat contradictoire, l’analyse de l’employeur tendant en réalité à faire supporter au seul salarié la charge de la preuve.

En réplique, l’employeur se contente de discuter le décompte présenté et de considérer que la salariée établissant les bulletins de paie elle pouvait faire ressortir les heures supplémentaires alors qu’elle ne démontre pas l’accord de l’employeur. Il est là encore quelque peu contradictoire d’invoquer à la fois l’autonomie de la salariée qui lui aurait permis de faire figurer d’initiative des heures supplémentaires sur les bulletins de paie puis de faire état d’une absence d’accord de l’employeur, lequel accord a été au moins implicite. Il y a certes lieu de neutraliser les jours fériés dans le décompte. Toutefois, au regard des éléments produits par la salariée, du régime probatoire et après que la cour ait soustrait du décompte les heures mentionnées sur des semaines où des jours non travaillés n’ont pas été neutralisés puis appliqué le taux horaire majoré de 25%, il subsiste des heures supplémentaires non rémunérées pour la somme de 29 471,29 euros. Le jugement sera donc infirmé et l’employeur condamné au paiement de cette somme outre celle de 2 947,12 euros au titre des congés payés afférents.

Mme [E] sollicite en outre l’indemnité de l’article L. 8223-1 du code du travail au titre d’un travail dissimulé par dissimulation d’horaire. Il a été retenu ci-dessus des heures supplémentaires non rémunérées et ce pour un volume important. Le caractère intentionnel de la dissimulation est établi puisque dès février 2018, Mme [E] écrivait à son supérieur hiérarchique et lui faisait notamment valoir que ses heures supplémentaires n’étaient pas rémunérées. Il n’est invoqué aucune réponse à ce courrier, même pour contester sommairement l’existence des heures supplémentaires ou réorganiser le temps de travail de la salariée. Des heures supplémentaires ont continué à être exécutées après ce courrier, ce qui ne pouvait relever que d’une intention de l’employeur. Il y a donc lieu de retenir un travail dissimulé. Compte tenu d’un salaire de 4 509,74 euros, il sera fait droit à la demande d’indemnité pour la somme de 27 058 euros.

Sur la disparité de traitement,

Par application du principe d’égalité de traitement, il incombe à l’employeur d’assurer une égalité de rémunération entre les salariés assurant un même travail ou un travail de valeur égale.

Par application des dispositions de l’article L. 3221-4 du code du travail sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

Le régime probatoire est celui d’une preuve partagée, le salarié devant soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement et l’employeur devant rapporter la preuve d’éléments étrangers à toute disparité illicite et justifiant l’inégalité constatée.

La particularité est qu’il existait deux salariés dont l’intitulé de fonction était celui de directeur administratif et financier. Mais au-delà de cet intitulé qui n’est pas en soi déterminant de la réalité des fonctions, il apparaît que Mme [E] ne peut utilement se comparer à M. [W] puisqu’elle-même dans un courrier électronique du 19 février 2018, qu’elle produit, lui indiquait qu’il était son N+1, ce qui est exclusif d’une comparaison pertinente de tâches de valeur égale. Elle se compare également à un autre salarié qui était lui contrôleur de gestion et ce sans justifier de tâches comparables, alors que la fonction est bien différente.

Ainsi, les éléments de comparaison produits ne sont pas pertinents et il ne peut être admis de disparité de traitement illicite de sorte que ce manquement ne peut être retenu. Il n’y a pas lieu à rappel de salaire à ce titre ni à dommages et intérêts. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes à ce titre.

Sur le manquement à l’obligation de sécurité,

À ce titre Mme [E] se prévaut des autres manquements qu’elle articule, retenus par la cour pour le harcèlement moral et les heures supplémentaires, et fait valoir que la société n’ayant rien mis en place pour la protéger ils ont été à l’origine d’une dégradation de son état de santé.

Si son arrêt de travail a été causé par une chute lors d’un accident domestique elle justifie cependant de ce qu’elle était bien atteinte d’un syndrome dépressif qu’elle rattachait au travail. Toutefois, si elle le présente de manière séparée ce manquement n’est pas distinct de celui procédant du harcèlement moral. Il n’y a donc pas lieu de le retenir en tant que tel.

Sur la rupture et les conséquences,

Au total, la cour, au titre des manquements retient, le harcèlement moral et le non-paiement des heures supplémentaires. Ce dernier manquement à lui seul est d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du contrat en ce que l’employeur a manqué, pour une somme importante, à son obligation essentielle de paiement du salaire. Au regard de l’existence du harcèlement, la résiliation produira les effets d’un licenciement nul. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Mme [E], dont le salaire était de 4 509,74 euros, peut ainsi prétendre, à l’indemnité de préavis pour la somme de 13 529,22 euros outre 1 352,92 euros au titre des congés payés afférents. Elle peut également prétendre à des dommages et intérêts au titre d’un licenciement nul. Compte tenu de son ancienneté (7 ans), de son âge à la rupture (56 ans), d’un licenciement nul mais également du fait qu’il n’est pas justifié de la situation de la salariée après la rupture, le montant des dommages et intérêts sera fixé à 36 000 euros.

Mme [E] peut enfin prétendre à des dommages et intérêts au titre du harcèlement moral que la cour fixe à 5 000 euros au regard des circonstances mais non à des dommages et intérêts supplémentaires au titre de l’obligation de sécurité à défaut de préjudice distinct de celui réparé au titre du harcèlement. Sa demande au titre de l’indemnité de licenciement sera rejetée, l’employeur justifiant que cette somme a été versée au jour du licenciement prononcé sur le terrain de l’inaptitude.

La société Lited sera condamnée au paiement de ces sommes. Il y aura lieu à remboursement par l’employeur des indemnités Pôle emploi dans les conditions précisées au dispositif.

Il n’y a pas spécialement lieu à condamnation de l’employeur à régulariser la situation de la salariée auprès des organismes sociaux, les sommes allouées en nature de salaire étant fixées en brut et comme telles soumises aux charges patronales.

L’appel étant bien fondé la société Lited sera condamnée au paiement de la somme de 3 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande tendant à voir écarter des débats la pièce 28 de la communication de Mme [E],

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse du 7 octobre 2021 en ce qu’il a rejeté les demandes au titre de la disparité de traitement et la demande indemnitaire pour manquement à l’obligation de sécurité,

L’infirme pour le surplus et statuant à nouveau,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail à effet au jour du licenciement,

Dit qu’elle produira les effets d’un licenciement nul,

Condamne la SAS Lited à payer à Mme [E] les sommes de :

– 29 471,29 euros à titre de rappels de salaire,

– 2 947,12 euros au titre des congés payés afférents,

– 27 058 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,

– 13 529,22 euros à titre d’indemnité de préavis,

– 1 352,92 euros au titre des congés payés afférents,

– 36 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 3 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne le remboursement par l’employeur des indemnités chômage dans la limite de six mois,

Déboute Mme [E] du surplus de ses demandes,

Condamne la SAS Lited aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.

La greffière La présidente

A. Raveane C. Brisset.

 


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