4 septembre 2018
Cour de cassation
Pourvoi n°
17-83.674
N° B 17-83.674 F-D
N° 1637
VD1
4 SEPTEMBRE 2018
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
– La société Monop’,
contre l’arrêt, n°4, de la cour d’appel de PARIS, chambre 6-1, en date du 16 mai 2017, qui, pour contravention de mise en place illégale d’un travail de nuit dans une entreprise, l’a condamnée à quatre mille trois cent quatre vingt huit amendes de 10 euros et a statué sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 5 juin 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. X…, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller X…, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général Y… ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des procès-verbaux de l’inspection du travail, base des poursuites, qu’à l’occasion de contrôles effectués par cette administration les 13 mai et 15 octobre 2014 dans les commerces à l’enseigne Monop’ situés […] , […] , […] , celle-ci a relevé que chacun de ces établissements était ouvert au public au-delà de 21 heures et qu’ils l’avaient été jusqu’à minuit, à l’exception de la journée du dimanche, ainsi qu’il avait été affiché sur les devantures de ces établissements ; que la consultation des relevés d’horaires de ces derniers, entre les mois de janvier et d’octobre 2014, a mis en évidence l’emploi en leur sein de salariés au-delà de 21 heures, à quatre mille trois cent quatre vingt huit reprises ; que la société Monoprix Exploitation (la société) ayant été poursuivie du chef susvisé, le tribunal de police l’a condamnée à un nombre équivalent d’amendes de 20 euros chacune ; que la société prévenue, de même que le procureur de la République ont relevé appel de cette décision ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 du code pénal, L. 3122-32, L. 3122-33, L. 3122-36, L. 3122-29, R. 3124-15, alinéa 1er, du code du travail, 1351 du code civil, devenu 1355 du même code, 591 et 593 du code de procédure pénale défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société Monop’ coupable de mise en place illégale de travail de nuit et l’a condamnée à 4 388 amendes contraventionnelles de dix euros et à payer à chacun des syndicats, constitués partie civile, une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts ;
« aux motifs qu’il ressort de la procédure, spécialement des procès-verbaux de constat de l’inspection du travail – qui font foi jusqu’à preuve contraire – que, les 13 et 15 octobre 2014, chacun des magasins à l’enseigne Monop’ contrôlés étaient ouverts au public au-delà de 21 heures et l’a été jusqu’à minuit, les horaires d’ouverture « du lundi au samedi à minuit » étant d’ailleurs affichés sur la devanture ; que ces horaires d’ouverture de nuit au public ont nécessité la présence active et régulière de salariés – notamment vendeurs et caissiers – de 21 heures à minuit ; qu’il a été déclaré par M. Z… aux services de police que l’ouverture de ces cinq établissements entre 21 heures et minuit procédait d’une décision de la direction générale de la société Monop’ laquelle était représentée à la date de la prévention par M. Stéphane A… ; que la société prévenue, qui ne conteste pas les constatations des contrôleurs du travail, fait valoir qu’elle remplit les conditions légales justifiant le recours au travail de nuit dès lors qu’elle a conclu une convention collective et qu’un jugement définitif du tribunal de police d’Asnières du 14 octobre 2013 et l’a relaxée du chef de la même contravention ; que, suivant l’article R. 3124-15 du code du travail, le fait de méconnaître les dispositions relatives au travail de nuit est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, prononcée autant de fois qu’il y a de salariés concernés par l’infraction ; que l’article L. 3122-32 devenu L. 3222-1 énonce que le recours au travail de nuit est exceptionnel, qu’il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale ; que « la mise en place du travail de nuit est subordonnée à la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord de branche étendu ou d’un accord d’entreprise ou d’établissement » ; que l’article L. 3122-29 définit le travail de nuit comme « celui exécuté entre 21 heures et 6 heures du matin », une autre période de 9 heures consécutives, comprise entre 21 heures et 75 heures pouvant y être substituée par une convention ou un accord collectif étendu, un accord d’entreprise ou d’établissement ; que, cependant, la possibilité de modifier l’intervalle de 9 heures consécutives pour la fixer à partir de 22 heures suppose que l’entreprise concernée entre dans le champ des entreprises où il serait exceptionnellement nécessaire de recourir au travail de nuit, soit pour assurer la continuité de l’activité économique, soit pour répondre à un besoin d’utilité sociale ; que la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001 étendue par arrêté du 26 juillet 2002 précise en son article 5-12 que le travail de nuit doit répondre à la nécessité d’assurer le respect de la sécurité alimentaire et d’approvisionner les points de vente afin qu’ils soient prêts avant l’ouverture du public, à celle de préparer les marchandises, notamment alimentaires, et le magasin en général avant l’ouverture au public, d’assurer l’ouverture au public dans des conditions optimales et d’assurer de manière continue le fonctionnement des systèmes d’information et des services d’utilité sociale ; que le même article précise que ce type de travail doit rester circonscrit aux nécessités techniques et économiques de bon fonctionnement des entreprises ou établissements et demeurer exceptionnel en dehors de ces justifications ; qu’en l’état de ces éléments, c’est à bon droit que le premier juge est entré en voie de condamnation de la société Monop’ ; que le caractère exceptionnel visé à l’article L. 3122-1 du code du travail s’apprécie au regard du secteur d’activité pour lequel le travail de nuit est inhérent ou pour lequel il n’existe pas d’autres possibilités d’aménagement du temps de travail, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, l’employeur n’établissant pas que les difficultés de livraison alléguées et le caractère périssables de certaines denrées nécessitent que son établissement soit ouvert à la clientèle de nuit et qu’il soit dérogé au mode d’organisation normale du travail de son personnel ; qu’à supposer que les contreparties accordées aux salariés, prévues par la loi, et les mesures d’accompagnement mises en oeuvre permettent de répondre aux impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de nuit, l’attraction commerciale liée à l’ouverture de nuit de l’établissement, qui n’offre pas des services d’utilité sociale, ne constitue pas la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique au sens de l’article L. 3122-1 du code du travail ; que pas davantage, la société Monoprix Exploitation ne peut se prévaloir du souhait de certains de ses salariés de travailler la nuit pour déroger aux dispositions protectrices de l’article L. 3122-1 du code du travail, lesquelles, applicables à l’ensemble de ses salariés, sont d’ordre public ; qu’enfin, la discussion tirée de l’article L. 3122- 33 du code du travail sur la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif est dénuée de pertinence dès lors que cette convention ou cet accord collectif ne peut déroger aux dispositions protectrices d’ordre public de cette loi et suppose, pour être conclu, que les conditions du recours au travail de nuit énoncées à l’article L. 3122-1 soient réunies, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; que l’infraction poursuivie est, en conséquence, caractérisée en tous ses éléments à l’encontre de la société Monop’, représentée par M. A…, son président en charge de la politique générale d’ouverture des magasins ;
« et aux motifs éventuellement adoptés que le jugement du tribunal de police d’Asnières n’a d’autre portée que celle qui s’attache aux faits dont cette juridiction a eu à connaître ; que le tribunal est saisi d’autres faits ; que l’application au cas d’espèce des dispositions légales et réglementaires prohibant le travail de nuit, au visa de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, ne rend pas la règle de droit imprévisible ; que tout travail effectué par des salariés entre 21 heures et minuit doit être considéré comme du travail de nuit ; que l’accord collectif étendu dont excipe Monop’ n’autorise pas le recours au travail de nuit pour les personnels d’accueil et de caisse ou travaillant en rayon ; que la société Monop’ ne justifie d’aucune autorisation administrative de déroger accordée par l’inspection du travail après avis des institutions représentatives du personnel ; qu’en tout état de cause, toute dérogation collective ou individuelle doit procéder de la nécessité d’assurer la continuité de l’activité de l’entreprise ou apporter une contribution à l’utilité sociale ; qu’aucune des conditions n’est remplie au cas présent ;
« 1°) alors que l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions de justice interdit de soumettre à nouveau à un tribunal ce qui a déjà été jugé ; qu’en particulier, un prévenu, relaxé du chef de mise en place illégale du travail de nuit dans son entreprise par une décision irrévocable ne peut faire l’objet d’une nouvelle poursuite de ce chef pour avoir continué à avoir recours, dans les mêmes conditions et sous l’empire de la même réglementation, au travail de nuit ; que par un jugement rendu le 14 octobre 2013, le tribunal de police d’Asnières-sur-Seine a constaté que la société Monop’ remplissait les conditions posées par le code du travail pour recourir au travail de nuit dans ses magasins et l’a renvoyée des fins de la poursuite pour mise en place illégale du travail de nuit dans une entreprise ; en déclarant néanmoins coupable la société Monop’ de mise en place illégale du travail de nuit dans ces mêmes magasins entre janvier et octobre 2014 pour avoir eu recours au travail de nuit dans les mêmes conditions que celles jugées parfaitement légales par un jugement définitif, la cour d’appel a violé les textes et principes susvisés ;
« 2°) alors que l’article L. 3122-33 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, subordonne la mise en place du travail de nuit au sein de l’entreprise à la conclusion préalable d’une convention collective de branche étendue ou d’un accord d’entreprise comportant les justifications du recours au travail de nuit mentionnées à l’article L. 3122-32 ; que le législateur a ainsi confié à la négociation collective le soin de définir les situations de fait répondant aux critères de « continuité de l’activité économique » ou de « service d’utilité sociale » ; qu’en l’espèce, la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, étendue par arrêté du 26 juillet 2002, à laquelle est soumise la société Monop’, prévoit à l’article 5.12 plusieurs raisons qui justifient que certains salariés soient amenés à travailler la nuit parmi lesquelles « nécessité de préparer les marchandises, notamment alimentaires et le magasin en général avant l’ouverture au public ; horaires d’ouverture adaptés à l’accueil du public dans des conditions optimales » ; que dans ses conclusions d’appel, déposées à l’audience, la société Monop’ a fait valoir que les horaires d’ouverture tardifs de ses magasins répondaient à la nécessité d’adaptation au mode de vie de la clientèle de leurs zones d’implantation ; qu’elle a également fait valoir, preuve à l’appui, que les salariés travaillant de nuit préparaient les marchandises et le magasin afin d’assurer l’accueil de la clientèle le lendemain matin ; qu’en ne s’expliquant pas mieux sur les modalités concrètes de recours au travail de nuit posées par la convention collective et en s’abstenant de rechercher, ainsi qu’elle était requise de le faire, si les raisons pour lesquelles la société Monop’ avait mis en place du travail de nuit dans les magasins concernés ne correspondaient pas aux situations factuelles concrètes posées par le texte conventionnel pour recourir au travail de nuit, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
« 3°) alors qu’il résulte des dispositions de l’article L. 3122-32 du code du travail que s’il doit être exceptionnel dans certains secteurs d’activité, le recours au travail de nuit est autorisé lorsqu’il est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale ; que dans ses conclusions d’appel déposées à l’audience, la société Monop’ a fait valoir qu’elle exploitait des commerces de proximité dont l’ouverture tardive, correspondant à l’heure à laquelle la clientèle parisienne quittait son travail et rentrait chez elle, répondait à l’évolution sociale des rythmes de vie dans les zones d’implantations des magasins concernés et était donc nécessaire pour assurer la continuité de son activité économique ; qu’en se bornant à relever que l’attraction commerciale liée à l’ouverture de l’établissement ne constituait pas la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique sans rechercher, comme elle en était requise, si l’ouverture dans les seules limites des horaires de jour était suffisante pour assurer la pérennité de l’activité économique des magasins compte tenu des modes de vie de la clientèle dans les zones d’implantation concernées, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
« 4°) alors que dans ses conclusions d’appel déposées à l’audience, la société Monop’ a fait valoir que le critère légal de l’utilité sociale était rempli dès lors que dans le contexte économique et de concurrence qui ne pouvait être occulté, il était indéniable que l’ouverture en horaire de nuit présentait une forme d’utilité sociale liée au maintien voire à la création d’emplois et du pouvoir d’achat au profit des salariés ; qu’en s’abstenant de répondre à ces chefs péremptoires des conclusions d’appel, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision » ;