30 mai 2018
Cour de cassation
Pourvoi n°
16-26.394
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 mai 2018
Rejet
M. FROUIN, président
Arrêt n° 806 FP-P+B
Pourvoi n° V 16-26.394
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
1°/ l’Union des syndicats Auchan Force ouvrière, dont le siège est […],
2°/ le syndicat Force ouvrière Auchan Le Pontet, dont le siège est […],
3°/ M. Stéphane X…, domicilié […],
4°/ M. Marc Y…, domicilié […],
5°/ Mme Nathalie Z…, domiciliée […],
6°/ Mme Nathalie A…, domiciliée […],
7°/ M. Bruno B…, domicilié […],
contre l’arrêt rendu le 22 septembre 2016 par la cour d’appel de Nîmes (2e chambre civile, section A), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Auchan France, société anonyme, dont le siège est […],
2°/ à la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, dont le siège est […],
défenderesses à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 11 avril 2018, où étaient présents : M. Frouin, président, Mme Ducloz, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mme Goasguen, M. Chauvet, Mme Farthouat-Danon, M. Maron, Mme Aubert-Monpeyssen, MM. Rinuy, Pion, Schamber, Mme Slove, MM. Ricour, Pietton, conseillers, Mmes Sabotier, Salomon, Depelley, conseillers référendaires, M. Liffran, avocat général, Mme Piquot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de l’Union des syndicats Auchan Force ouvrière, du syndicat Force ouvrière Auchan Le Pontet, de MM. X…, Y… et B…, et de Mmes Z… et A…, de Me Le Prado, avocat de la société Auchan France et de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, l’avis de M. Liffran, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à M. Y… de ce qu’il se désiste de son pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 22 septembre 2016 par la cour d’appel de Nîmes ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué statuant en référé (Nîmes, 22 septembre 2016), que deux accords d’entreprise des 17 juillet 2003 et 27 juillet 2005 ont organisé, au sein de la société Auchan France, le recours au travail de nuit afin d’assurer la nécessité de préparer les marchandises, notamment alimentaires et le magasin en général avant l’ouverture au public ; que le syndicat Force ouvrière Auchan Le Pontet, l’Union des syndicats Auchan Force ouvrière et des salariés ont saisi un tribunal de grande instance, statuant en référé, pour qu’il soit interdit, sous astreinte, à la société Auchan France d’employer des salariés de 22 heures à 6 heures dans ses établissements Auchan Le Pontet et Auchan Avignon Mistral 7 ;
Attendu que les syndicats et les salariés font grief à l’arrêt de les débouter de leur demande et de dire n’y avoir lieu à référé alors, selon le moyen :
1°/ que selon l’article L. 3122-32 du code du travail (dans sa rédaction applicable à la cause), interprété à la lumière de la directive n° 93/104/CE du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, le recours au travail de nuit est exceptionnel ; qu’il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travaux et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale ; qu’il en résulte que le travail de nuit ne peut pas être le mode d’organisation normal du travail au sein d’une entreprise et ne doit être mis en oeuvre que lorsqu’il est indispensable à son fonctionnement ; que le fait pour un employeur de recourir au travail de nuit en violation des dispositions légales constitue un trouble manifestement illicite ; qu’il appartient dans tous les cas à l’employeur de démontrer que le recours au travail de nuit est indispensable au fonctionnement de l’entreprise, sans qu’il puisse être dispensé de cette preuve au motif que le travail de nuit a été mis en place dans l’entreprise à la suite de la conclusion d’un accord collectif ; qu’au cas d’espèce, en décidant au contraire qu’en raison de l’existence de deux accords d’entreprise en date des 17 juillet 2003 et 27 juillet 2015 en vigueur au sein de la société Auchan France, ayant mis en oeuvre le travail de nuit, l’employeur bénéficiait d’une présomption selon laquelle le recours au travail de nuit était légalement justifié, en sorte qu’il appartenait aux syndicats et aux salariés de démontrer le contraire, faute de quoi un trouble manifestement illicite ne pouvait être constaté, la cour d’appel a violé les articles L. 3122-32 et L. 3122-33 du code du travail (dans leur rédaction applicable à la cause) lus à la lumière de la directive n° 93/104/CE du 23 novembre 1993, ensemble l’article 809 du code de procédure civile et l’article 1315 ancien (1353 nouveau) du code civil ;
2°/ que selon l’article L. 3122-32 du code du travail (dans sa rédaction applicable à la cause), interprété à la lumière de la directive n° 93/104/CE du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, le recours au travail de nuit est exceptionnel ; qu’il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travaux et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale ; qu’il en résulte que le travail de nuit ne peut pas être le mode d’organisation normal du travail au sein d’une entreprise et ne doit être mis en oeuvre que lorsqu’il est indispensable à son fonctionnement ; que le fait pour un employeur de recourir au travail de nuit en violation des dispositions légales constitue un trouble manifestement illicite ; qu’à supposer même que l’existence d’un accord collectif ayant mis en oeuvre le travail de nuit puisse emporter présomption de régularité de cette mise en oeuvre au regard des dispositions légales d’ordre public, c’est à la condition que cet accord contienne la justification que le travail de nuit est indispensable soit pour assurer la continuité de l’activité économique, soit pour assurer des services d’utilité sociale ; que sous ce rapport, le travail de nuit n’est pas inhérent à l’activité d’un magasin de type grande surface, et les contingences liées à la mise en rayon des produits, de façon qu’en égard à sa surface, il puisse ouvrir le matin à la même heure que ses concurrents, sont étrangères à la notion de continuité de l’activité économique et ne peuvent donc légalement justifier le recours au travail de nuit ; qu’au cas d’espèce, en relevant, d’une part, que l’accord collectif du 17 juillet 2003 visait la « nécessité d’assurer la sécurité alimentaire et d’approvisionner les points de vente afin qu’ils soient prêts avant l’ouverture au public » et la « nécessité de préparer les marchandises, notamment alimentaires et le magasin en général avant l’ouverture au public et d’assurer l’ouverture au public dans des conditions optimales », d’autre part, qu’un alignement des prises de postes à 6 heures du matin ne permettrait pas une ouverture des magasins concernés à 8 heures 30, comme les deux concurrents directs de la société Auchan France dans la même zone de chalandise (Carrefour et Leclerc), pour considérer que le recours au travail de nuit au sein de la société Auchan France n’était pas manifestement illicite, quand le travail de nuit n’était pas inhérent à l’activité déployée dans les magasins de la société Auchan France et que les contingences liées à l’organisation interne desdits magasins ou à des considérations concurrentielles ne répondaient pas à la condition légale impérative que le travail de nuit soit indispensable à la continuité de l’activité économique de l’entreprise, la cour d’appel a violé les articles L. 3122-32 et L. 3122-33 du code du travail (dans leur rédaction applicable à la cause) lus à la lumière de la directive n° 93/104/CE du 23 novembre 1993, ensemble l’article 809 du code de procédure civile ;
Mais attendu que si le fait, pour un employeur, de recourir au travail de nuit en violation des dispositions de l’article L. 3122-32, devenu L. 3122-1, du code du travail, constitue un trouble manifestement illicite, il appartient à celui qui se prévaut d’un tel trouble d’en rapporter la preuve ;
Et attendu que la cour d’appel, qui a relevé que les syndicats n’établissaient pas le caractère manifestement illicite du recours au travail de nuit tel qu’organisé par les accords d’entreprise des 17 juillet 2003 et 27 juillet 2005, a pu en déduire qu’il n’y avait pas lieu à référé ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;