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Savoir-faire : 9 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/09249

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Savoir-faire : 9 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/09249

9 novembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/09249

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2023

(n° 23, 56 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 23/09249 auquel sont joints les RG 23/09284 et 23/09286 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHVL5

Décision déférée à la Cour : Décision de l’Autorité des marchés financiers n° 223C0792 du 26 mai 2023

REQUÉRANTS :

MAT IMMO BEAUNE S.A.S.

Prise en la personne de son président

Immatriculée au RCS de Paris sous le n° 397 590 290

Dont le siège social est au [Adresse 4]

[Localité 22]

NEXTSTONE CAPITAL S.C.

Prise en la personne de son gérant

Immatriculée au RCS de Paris sous le n° 507 513 729

Dont le siège social est au [Adresse 16]

[Adresse 16]

Élisant toutes deux domicile au cabinet PELLERIN-DE MARIA-GUERRE

[Adresse 12]

[Adresse 12]

Représentées par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistées de Me Arnaud PÉRÈS, du cabinet Arnaud PÉRÈS, avocat au barreau de PARIS, toque : E2341

M. [S] [J]

Né le 10 décembre 1951 à [Localité 30]

Domicilié au [Adresse 27]

[Adresse 27]

Élisant domicile au cabinet de Me Jean-Claude CHEVILLER

[Adresse 12]

[Adresse 12]

Représenté par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque D945

Assisté de Me Nicolas CUNTZ, du cabinet CHANGE CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque C707

SOCIÉTÉ WHITEBOX MULTI-STRATEGY PARTNERS L.P.

Société de droit des Iles Caïmans sous la forme « exempted limited partnership »

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° QH-106262

Dont le siège social est [Adresse 31] (Îles Caïmans)

SOCIÉTÉ WHITEBOX RELATIVE VALUE PARTNERS, L.P.

Société de droit des Iles Caïmans sous la forme « exempted limited partnership »

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° QH-106266

Dont le siège social est situé [Adresse 31] (Îles Caïmans)

SOCIÉTÉ PANDORA SELECT PARTNERS, L.P.

Société de droit des Îles Caïmans sous la forme « exempted limited partnership »,

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° QH-106261

Dont le siège social est situé [Adresse 31] (Îles Caïmans)

SOCIÉTÉ WHITEBOX GT FUND LP

Société de droit du Delaware sous la forme « limited partnership»,

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° 5861266

Dont le siège social est au [Adresse 15]

SOCIÉTÉ KYMA CAPITAL LIMITED

Société de droit anglais sous la forme « Private limited company»

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° 11237279

Dont le siège social est au [Adresse 1] (RoyaumeUni)

SOCIÉTÉ LMR MULTI-STRATEGY MASTER FUND LIMITED

Société de droit des Iles Caïmans sous la forme « Exempted Company »,

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° MC-232296

Dont le siège social est situé [Adresse 34] (Îles Caïmans)

SOCIÉTÉ LMR CCSA MASTER FUND LIMITED

Société de droit des Iles Caïmans sous la forme « Exempted Company »,

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° MC-366030

Dont le siège social est situé [Adresse 34] (Îles Caïmans)

SOCIÉTÉ FCOF V UB INVESTMENTS L.P.

Société de droit des Iles Caïmans sous la forme « Exempted Limited Partnership company»,

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° MC-99538

Dont le siège social est situé [Adresse 34] (Îles Caïmans)

SOCIÉTÉ FCOF V EUROPE UB SECURITIES DAC

Société de droit irlandais sous la forme « Designated activity company »,

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° 641048

Dont le siège social est situé [Adresse 11] (Irlande)

SOCIÉTÉ FCCD DAC

Société de droit irlandais sous la forme « Designated activity company »,

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° 406170

Dont le siège social est situé [Adresse 11] (Irlande)

SOCIÉTÉ DRAWBRIDGE SPECIAL OPPORTUNITIES FUND LP,

Société de droit américain sous la forme « Limited liability partnership »,

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée sous le n° 3520826

Dont le siège social est situé [Adresse 29]

SOCIÉTÉ KL SPECIAL OPPORTUNITIES MASTER FUND LTD

Société de droit des Iles Caïmans, sous la forme « Exempt Company »,

Prise en la personne de son représentant légal

Enregistrée sous le n° 248883

Dont le siège social est situé à [Adresse 34] (Iles Caïmans)

SOCIÉTÉ WHITEBOX ADVISORS LONDON LLP

Société de droit anglais constituée sous la forme « limited liabiity partnership »

Prise en la personne de ses représentants légaux

Dont le siège social est situé [Adresse 18] (Royaume-uni)

Élisant toutes domicile au cabinet SEPTIME AVOCATS

[Adresse 7]

[Localité 23]

Représentées par Me Charles-Hubert OLIVIER du cabinet SEPTIME AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque L 0029

Assistées de Me Flavie HANNOUN, de la SELAS L&A, avocat au barreau de PARIS, toque L 0163

DÉFENDEURS AU RECOURS :

CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée au SIREN sous le n° 180 020 026 00019

Dont le siège social est au [Adresse 20]

[Localité 22]

CNP ASSURANCES S.A.

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 341 737 062

Dont le siège social est au [Adresse 19]

[Adresse 19]

MAIF – MUTUELLE ASSURANCE DES INSTITUTEURS DE FRANCE

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée au SIREN sous le n° 775709702

Dont le siège social est au [Adresse 13]

[Adresse 13]

MACSF – MUTUELLE D’ASSURANCES DU CORPS SANITAIRE FRANÇAIS

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée au SIREN sous le n°77566563101359

Dont le siège social est au [Adresse 2]

[Adresse 2]

Élisant toutes domicile au cabinet Baechlin Moisan Associés

[Adresse 21]

[Localité 24]

Représentées par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Assistées de Maîtres Dominique BOMPOINT et Éric LAUT de l’AARPI Cabinet Bompoint, avocats au barreau de PARIS

ORPEA S.A.

Prise en la personne de son directeur général

Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 401 251 566

Dont le siège social est au [Adresse 5]

[Adresse 5]

Élisant domicile au cabinet Lexavoué Paris-Versailles

[Adresse 26]

[Localité 22]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Maîtres Diane LAMARCHE et Saam GOLSHANI du cabinet WHITE AND CASE LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : P0134

S.C.P. BTSG

Prise en la personne de Maître [K] [L] agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Orpea S.A.

Immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 434 122 511

Dont l’étude est sise [Adresse 6]

[Adresse 6]

S.E.L.A.R.L. [Y] [H]

Prise en la personne de Maître [Y] [H] agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Orpea S.A.

Immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 505 012 385

Dont l’étude est sise [Adresse 9]

[Localité 28]

Élisant toutes deux domicile au cabinet de l’AARPI TEYTAUD-SALEH

[Adresse 3]

[Localité 23]

Représentées par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistées de Me Ambroise BLANLUET substituant Me Mathieu DELLA VITTORIA de l’AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R170

PARTIES INTERVENANTES VOLONTAIRES

S.E.L.A.R.L. AJRS

Prise en la personne de Maître [A] [R], agissant ès-qualités de co-administrateur judiciaire à la sauvegarde accélérée de la société Orpea S.A. dont la mission a pris fin par jugement du tribunal de commerce de Nanterre le 24 juillet 2023 et agissant ès-qualités de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde accélérée de la société Orpea S.A. par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 24 juillet 2023

Immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 510 227 432

Dont le siège est au [Adresse 25]

[Localité 24]

et l’établissement secondaire au

[Adresse 17]

[Localité 28]

S.E.L.A.R.L. FHBX

Prise en la personne de Maître [B] [N], agissant ès-qualités de co-administrateur judiciaire à la sauvegarde accélérée de la société Orpea S.A. dont la mission a pris fin par jugement du tribunal de commerce de Nanterre le 24 juillet 2023

Immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 491 975 041

Dont le siège est au [Adresse 10]

[Localité 28]

Élisant toutes deux domicile au cabinet GRV Associés

[Adresse 14]

[Localité 23]

Représentées par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Assistées de Me Anne-Sophie NOURY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0132

EN PRÉSENCE DE :

L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Prise en la personne de sa présidente

[Adresse 8]

[Adresse 8]

Représentée par Mme Patricia CHOQUET, dûment mandatée

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

‘ Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,

‘ M. Gildas BARBIER, président de chambre,

‘ Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : M. Valentin HALLOT

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale.

ARRÊT PUBLIC :

‘ contradictoire,

‘ prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

‘ signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre et par M.Valentin HALLOT, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Affaire 23/09249

Vu la déclaration de recours déposée au greffe le 5 juin 2023 contre la décision n° 223C792 de l’Autorité des marchés financiers de dérogations à l’obligation de déposer un projet d’offre publique visant les actions de la société Orpéa, adoptée le 25 mai 2023 et publiée le 26 mai 2023, par les sociétés Mat Immo Beaune et Nexstone Capital (ci-après désignées, « Concert’O ») ;

Vu l’exposé des moyens déposé au greffe le 19 juin 2023 par Concert’O ;

Vu les observations déposées au greffe le 28 juillet 2023 par l’Autorité des marchés financiers (ci-après désignée, « l’AMF ») ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe le 28 juillet 2023 par la Caisse des Dépôts et Consignations, le CNP Assurances, la MAIF (Mutuelle Assurance des instituteurs de France), la MACSF Épargne Retraite (Mutuelle d’Assurances du Corps Sanitaire Français Épargne Retraite), (ci-après désignées, collectivement, « le Groupement ») ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe le 28 juillet 2023 par la société Orpéa (ci-après, désignée, « Orpéa ») ;

Vu les Conclusions n° 1 déposées au greffe le 28 juillet 2023 comportant intervention volontaire de la SELARL FHBX et de la SELARL AJRS (ci-après désignées, les « administrateurs judiciaires » ou, dans le cas de la seconde, le « commissaire à l’exécution du plan ») ;

Vu le mémoire aux fins de mise hors de cause déposé au greffe le 28 juillet 2023 par la SCP BTSG et la SELARL [Y] [H] (ci-après désignées, les « mandataires judiciaires ») ;

Vu le mémoire responsif et récapitulatif, déposé au greffe le 11 septembre 2023, par Concert’O ;

Vu les observations déposées au greffe le 15 septembre 2023, respectivement, par le Groupement, par Orpéa, par les administrateurs judiciaires et commissaire à l’exécution du plan, par l’AMF, et par Concert’O, en réponse à une question de la Cour associée à la mise dans le débat, par courriels des 5 et 8 septembre 2023, du rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe le 25 septembre 2023 par le Groupement ;

Vu le mémoire récapitulatif en duplique déposé au greffe le 25 septembre 2023 par Orpéa ;

Vu l’avis du ministère public du 28 septembre 2023, transmis le même jour aux parties ;

Affaire RG n° 23/09284

Vu la déclaration de recours déposée au greffe le 5 juin 2023 contre la décision n° 223C792 de l’Autorité des marchés financiers de dérogations à l’obligation de déposer un projet d’offre publique visant les actions de la société Orpéa, adoptée le 25 mai 2023 et publiée le 26 mai 2023, par M. [S] [J] ;

Vu l’exposé des motifs déposé au greffe le 19 juin 2023 par le requérant ;

Vu les observations déposées au greffe le 28 juillet 2023 par l’AMF ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe le 28 juillet 2023 par le Groupement ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe le 28 juillet 2023 par Orpéa ;

Vu les Conclusions n° 1 déposées au greffe le 28 juillet 2023 comportant intervention volontaire des administrateurs judiciaires et du commissaire à l’exécution du plan ;

Vu le mémoire aux fins de mise hors de cause déposé au greffe le 28 juillet 2023 par les mandataires judiciaires ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe le 11 septembre 2023, par M. [J] ;

Vu les observations déposées au greffe le 14 septembre 2023 par M. [J] et le 15 septembre 2023, respectivement, par le Groupement, par Orpéa, par les administrateurs judiciaires et le commissaire à l’exécution du plan, par l’AMF, en réponse à une question de la Cour associée à la mise dans le débat, par courriels des 5 et 8 septembre 2023, du rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe le 25 septembre 2023 par le Groupement ;

Vu le mémoire récapitulatif en duplique déposé au greffe le 25 septembre 2023 par Orpéa ;

Vu l’avis du ministère public du 28 septembre 2023, transmis le même jour aux parties ;

Affaire RG n° 23/09286

Vu la déclaration de recours déposée au greffe le 5 juin 2023 contre la décision n° 223C792 de l’Autorité des marchés financiers de dérogations à l’obligation de déposer un projet d’offre publique visant les actions de la société Orpéa, adoptée le 25 mai 2023 et publiée le 26 mai 2023, par les sociétés Whitebox Multi-Strategy Partners, L.P., Whitebox Relative Value Partners, L.P., Pandora Select Partners, L.P., Whitebox GT Fund LP, Kyma Capital Limited, LMR Multi-Strategy Master Fund Limited, LMR CCSA Master Fund Limited, FCOF V UB Investments L.P., FCOF V Europe UB Securities DAC, FCCD DAC, Drawbridge Special Opportunities Fund LP, KL Special Opportunities Master Fund LTD, Whitebox advisors London LLP (ci-après désignées, collectivement, « le Support Club ») ;

Vu l’exposé des motifs déposé au greffe le 19 juin 2023 par le Support Club ;

Vu les observations déposées au greffe le 28 juillet 2023 par l’AMF ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe le 28 juillet 2023 par le Groupement ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe le 28 juillet 2023 par Orpéa ;

Vu les Conclusions n° 1 déposées au greffe le 28 juillet 2023 comportant intervention volontaire des administrateurs judiciaires et du commissaire à l’exécution du plan ;

Vu le mémoire aux fins de mise hors de cause déposé au greffe le 28 juillet 2023 par les mandataires judiciaires ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe le 11 septembre 2023 par le Support Club ;

Vu les observations déposées au greffe le 15 septembre 2023, respectivement, par le Groupement, par Orpéa, par les administrateurs judiciaires et le commissaire à l’exécution du plan, par l’AMF, et par le Support Club, en réponse à une question de la Cour associée à la mise dans le débat, par courriels des 5 et 8 septembre 2023, du rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe le 25 septembre 2023 par le Groupement ;

Vu le mémoire récapitulatif en duplique déposé au greffe le 25 septembre 2023 par Orpéa ;

Vu l’avis du ministère public du 28 septembre 2023, transmis le même jour aux parties ;

Vu le mémoire en duplique n° 2 déposé au greffe le 4 octobre 2023 par le Support Club ;

Vu la note en délibéré du Support Club du 18 octobre 2023 et la note en réponse du 23 octobre 2023 d’Orpéa ;

Après avoir entendu à l’audience du 5 octobre 2023, les conseils du Support Club, de Concert’O, de M. [J], du Groupement, d’Orpéa, des administrateurs judiciaires, des mandataires judiciaires, du Commissaire à l’exécution du plan, ainsi que la représentante des marchés financiers et le ministère public.

FAITS ET PROCÉDURE

§ 1

I. PRINCIPAUX ASPECTS DE LA PROCÉDURE DE SAUVEGARDE ACCÉLÉRÉE

§ 1

La procédure de conciliation

§ 2

La procédure de sauvegarde accélérée

§ 8

II.LA SOCIÉTÉ ORPÉA ET LES PRINCIPALES ÉTAPES DES PROCÉDURES CONCERNANT CETTE SOCIÉTÉ

§ 19

III. LE PLAN DE SAUVEGARDE

§ 50

IV. LA DÉCISION DE L’AMF DU 26 MAI 2023 (LA DÉCISION ATTAQUÉE)

§ 58

V. LE JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE NANTERRE DU 24 JUILLET 2023

§ 62

VI. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

§ 69

MOTIVATION

§ 82

I. SUR LA JONCTION DES AFFAIRES

§ 82

II. SUR LES MISES HORS DE CAUSE DES MANDATAIRES ET ADMINISTRATEURS JUDICIAIRES

§ 83

III. SUR L’INTERVENTION VOLONTAIRE DU COMMISSAIRE À L’EXÉCUTION DU PLAN DE SAUVEGARDE ACCÉLÉRÉE

§ 92

IV. SUR LA RECEVABILITÉ DES RECOURS DES REQUÉRANTS

§ 96

V. SUR LES MOYENS EN RAPPORT AVEC LA LÉGALITÉ EXTERNE DE LA DÉCISION

§ 142

VI. SUR LES MOYENS EN RAPPORT AVEC LA LÉGALITÉ INTERNE DE LA DÉCISION

§ 211

VII. SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS

§ 302

PAR CES MOTIFS

§ 307

FAITS ET PROCÉDURE

I. PRINCIPAUX ASPECTS DE LA PROCÉDURE DE SAUVEGARDE ACCÉLÉRÉE

1.Les dispositions qui régissent la procédure de sauvegarde accélérée sont issues de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce. Cette ordonnance a donné lieu à un rapport au président de la République publié au JO (16 septembre 2021) et qui a été mis dans le débat par la Cour. L’ordonnance a eu pour objet, notamment, de transposer la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132 (ci-après, la directive « Restructuration et insolvabilité »).

La procédure de conciliation

2.Les articles L. 611-4 et suivants du code de commerce instituent une procédure de conciliation qui constitue un préalable nécessaire au déclenchement de la procédure de sauvegarde accélérée. Le débiteur peut saisir le président du tribunal de commerce aux fins d’ouverture d’une procédure de conciliation par une requête exposant sa situation économique et financière, sociale et patrimoniale, ses besoins de financement, ainsi que, le cas échéant, les moyens d’y faire face. La procédure de conciliation est ouverte par le président de cette juridiction pour une période n’excédant pas quatre mois (susceptible d’être prorogée d’un mois au plus). Une nouvelle conciliation ne peut être ouverte dans les trois mois qui suivent l’expiration de cette période (art. L. 611-6).

3.Le président du tribunal, lorsqu’il ouvre la procédure, désigne un conciliateur, dont le rôle est de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers d’un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise (art. L. 611-6 et L. 611-7).

4.À la demande du débiteur, le tribunal peut homologuer (ou, le cas échéant, seulement constater) l’accord si certaines conditions sont réunies, notamment si l’accord ne porte pas atteinte aux intérêts des créanciers non signataires (art. L. 611-8).

5.Il est mis fin de plein droit à l’accord en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde (art. L. 611-11).

6.Il convient de relever que le législateur a confié au représentant légal du débiteur, et non pas à ses actionnaires, la responsabilité de négocier le plan au nom du débiteur.

7.Sur ce point, le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, précise que « Le considérant 53 de la directive laisse aux États membres le choix de décider si, aux fins de l’adoption ou de la validation d’un plan de restructuration, le débiteur dont l’accord est requis doit être considéré comme le représentant légal de la personne morale ou une majorité de détenteurs de capital. C’est le premier terme de l’option qui a été retenu. »

La procédure de sauvegarde accélérée

8.La procédure de sauvegarde accélérée est régie par les articles L. 628-1 et suivants du code de commerce. Cette procédure ne peut être ouverte qu’à la demande d’un débiteur engagé dans une procédure de conciliation et qui justifie avoir élaboré un projet de plan tendant à assurer la pérennité de l’entreprise. L’ouverture de cette procédure suppose que le débiteur ne se trouve pas en cessation de paiement depuis plus de quarante-cinq jours à compter de la requête (art. L. 628-5).

9.Le tribunal statue sur l’ouverture de la procédure après un rapport du conciliateur sur le déroulement de la conciliation et les perspectives d’adoption du projet de plan par les parties affectées concernées (art. L. 628-2). La juridiction désigne un ou plusieurs administrateurs judiciaires.

10.L’ouverture de cette procédure est subordonnée à la constitution de « classes de parties affectées » (art. L. 628-4).

11.L’article L. 626-30, I, précise que sont des parties affectées, (1°), « les créanciers dont les droits sont directement affectés par le projet de plan » et, (2°), notamment, « les membres de l’assemblée générale extraordinaire [‘], si leur participation au capital du débiteur, les statuts ou leurs droits sont modifiés par le projet de plan ». Ces derniers sont alors nommés « détenteurs de capital ».

12.Selon le III de l’article L. 626-30, l’administrateur répartit les parties affectées en « classes » représentatives d’une communauté d’intérêt économique suffisante, sur la base de critères objectifs vérifiables, et en respectant certaines conditions. Au nombre de celles-ci, les détenteurs de capital doivent former une ou plusieurs classes (III, 3°).

13.Une fois la procédure de sauvegarde accélérée ouverte, le débiteur, avec le concours de l’administrateur, présente aux classes de parties affectées des propositions en vue d’élaborer le projet de plan. Le projet de plan est ensuite transmis aux classes pour être soumis à leur vote (article L. 626-30-2). Seules les parties affectées se prononcent sur le projet de plan (article 626-30, I). La décision est prise par chaque classe à la majorité des deux tiers des voix détenues par les membres ayant exprimé un vote (article L. 626-30-2).

14.Il résulte encore de l’article L. 626-30-2 du code de commerce que, si la classe des détenteurs de capital constituée d’actionnaires est convoquée selon des modalités qui lui sont propres, elle statue par ailleurs « conformément aux dispositions applicables aux assemblées générales extraordinaires » (ci-après, « AGE »).

15.Le tribunal arrête ensuite le plan dans les conditions prévues aux articles L. 626-31 et L. 626-32 dans un délai de deux mois à compter du jugement d’ouverture, délai susceptible d’être prorogé d’une durée maximale de deux mois (art. L. 628-8).

16.Selon l’article L. 626-31, lorsque le plan a été adopté par chacune des classes, le tribunal statue après avoir vérifié que certaines conditions sont réunies.

17.Selon l’article L. 626-32, I, lorsque le plan n’a pas été approuvé par toutes les classes, mais qu’il l’a été par certaines d’entre elles (que le texte énumère) et que certaines conditions sont remplies, « [le plan] peut être arrêté par le tribunal sur demande du débiteur ou de l’administrateur judiciaire avec l’accord du débiteur et être imposé aux classes qui ont voté contre le projet de plan » (soulignement ajouté).

18.Dès lors, selon le II de ce même article, « la décision du tribunal vaut approbation des modifications de la participation au capital ou des droits des détenteurs de capital ou des statuts prévues par le plan » (soulignement ajouté). Cette phase de la procédure est ainsi dénommée « application forcée interclasse » (ou encore « cross-class cram-down »).

II.LA SOCIÉTÉ ORPÉA ET LES PRINCIPALES ÉTAPES DES PROCÉDURES CONCERNANT CETTE SOCIÉTÉ

19.La société Orpéa SA (ci-après, « Orpéa » ou « la société ») est une société anonyme cotée en bourse (Euronext [Localité 32], compartiment A). Elle est la société mère du groupe du même nom, créé en 1999, devenu l’un des leaders mondiaux de la prise en charge de la dépendance et de l’accompagnement et, de façon générale, des personnes âgées dépendantes.

20.L’activité de ce groupe, présent dans une vingtaine de pays, représentait au 31 décembre 2022, environ 90 000 lits en exploitation, répartis dans près de mille établissements. Deux cents de ces établissements se trouvent en France, où étaient employés, à cette date, près de 14 000 salariés.

21.À la suite de la publication du livre « Les fossoyeurs » au cours du mois de janvier 2022, Orpéa a été confrontée à d’importantes difficultés, notamment financières, qui ont conduit à la saisine du tribunal de commerce de Nanterre.

22.Orpéa a sollicité et obtenu de ce tribunal l’ouverture d’une procédure de conciliation, le 20 avril 2022.

23.Dans ce cadre, un accord de principe a été trouvé le 12 mai suivant entre la société et ses principaux partenaires financiers, de grands établissements bancaires. Il a donné lieu à l’établissement d’un protocole de conciliation (4 juin 2022), homologué par ledit tribunal de commerce le 10 juin 2022.

24.Ce protocole n’a pas été mené à son terme, et, le 25 octobre 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a ordonné l’ouverture d’une seconde procédure de conciliation.

25.C’est dans ce contexte que la Caisse des Dépôts et Consignations, la CNP Assurances, la MAIF (Mutuelle Assurance des instituteurs de France), la MACSF Épargne Retraite (Mutuelle d’Assurances du Corps Sanitaire Français Épargne Retraite), (ci-après, collectivement, « le Groupement »), se sont manifestées en vue de la négociation d’un nouvel accord.

26.Le 1er février 2023, Orpéa a diffusé un communiqué de presse annonçant la conclusion d’un accord de principe portant sur un plan de restructuration (ci-après, « la plan » ou « le plan de sauvegarde ») en plusieurs étapes dont l’application ‘ suspendue à l’obtention d’une dérogation de l’Autorité des marchés financiers (ci-après, « l’AMF ») à l’obligation de dépôt d’offres publiques d’achat ‘ entraînerait notamment une dilution massive de son actionnariat. La société a également annoncé l’ouverture d’une procédure de sauvegarde accélérée et la nomination d’un expert indépendant (sans préciser son nom). Ce plan fait l’objet d’une présentation infra (§ 50) .

27.Le 14 février 2023, la société a annoncé la conclusion d’un accord dit de « lock-up » par lequel elle s’est interdit d’étudier toute solution alternative à celle qui fait l’objet de l’accord avec le Groupement. Elle a également invité les créanciers non sécurisés à s’organiser et se rassembler, afin de lui permettre d’entrer en discussion avec un nombre représentatif d’entre eux. Dans ce contexte, un groupe de cinq institutions (dit le « SteerCo ») s’est organisé et a coordonné une partie des créanciers non sécurisés.

28.Le 14 mars 2023, la société a sollicité du cabinet Sorgem Evaluation qu’il procède à une analyse de sa situation et de ses perspectives en l’absence de mise en ‘uvre du plan envisagé et donne son avis sur le caractère équitable des conditions financières dudit plan pour les actionnaires actuels.

29.Le 17 mars 2023, Orpéa a conclu un accord complémentaire avec différents partenaires bancaires (désignés par l’acronyme « G6 »), qui se sont engagés, sous réserve notamment de mise en ‘uvre du plan, à lui fournir un financement supplémentaire à hauteur de 600 millions d’euros.

30.Le 21 mars 2023, les sociétés Mat Immo Beaune, société par actions simplifiée, et Nexstone Capital, société civile, (ci-après désignées collectivement, « Concert’O »), ont mis en ligne un plan alternatif.

31.Le 24 mars 2023, le tribunal de commerce de Nanterre a ordonné l’ouverture d’une procédure de sauvegarde accélérée au profit d’Orpéa, et a désigné en qualité d’administrateurs judiciaires les sociétés FHBX, prise en la personne de Maître [B] [N], et AJRS, prise en la personne de Maître [A] [R] (ci-après, « les administrateurs judiciaires »).

32.Les parties affectées ont été informées de la procédure et de leur affectation à une classe par une publication au bulletin des annonces légales obligatoires (ci-après, le « BALO ») du 5 avril 2023.

33.Le 21 avril 2023, par une nouvelle publication au BALO, les parties affectées ont été informées des modalités de leur répartition au sein des différentes classes définies par les administrateurs judiciaires. Les actionnaires d’Orpéa ont été rassemblés au sein de la 9ème et dernière classe.

34.Par décision du 11 mai 2023, le tribunal de commerce de Nanterre, à la demande d’Orpéa, a prolongé le délai de réunion de l’assemblée générale des actionnaires jusqu’au 29 décembre 2023, soit à une date postérieure à la mise en ‘uvre du plan et au renouvellement de l’actionnariat d’Orpéa qu’il implique.

35.Le 17 mai 2023, le Groupement, considérant que l’application du plan impliquait des franchissements de seuils de détention du capital, a saisi l’AMF d’une demande de dérogation à l’obligation de déposer un projet d’offre publique visant les actions de la société Orpéa.

36.La procédure de sauvegarde accélérée a été prolongée jusqu’au 24 juillet 2023 par une décision du tribunal de commerce de Nanterre du 22 mai 2023.

37.Le 24 mai 2023, Orpéa a mis en ligne le rapport établi par Sorgem Évaluation (ci-après, « le rapport Sorgem »), qui conclut qu’en l’absence de mise en ‘uvre du plan, le patrimoine de l’actionnaire actuel serait nul, et que la dilution massive de l’actionnariat actuel demeure préférable pour celui-ci, puisqu’elle n’exclut pas toute possibilité de captation de valeur future.

38.Par une décision du 25 mai 2023 (publiée le lendemain), l’AMF a accordé la dérogation demandée par le Groupement. C’est la décision attaquée.

39.Le 26 mai 2023, les administrateurs judiciaires ont publié au BALO un avis de réunion des classes de parties affectées à la date du 16 juin 2023 en vue du vote sur le projet de plan de sauvegarde.

40.Le 5 juin 2023, plusieurs requérants ont saisi la Cour de recours contre la décision de l’AMF, à savoir plusieurs sociétés de droit étranger (ci-après dénommées, « le Support Club ») (RG n° 23/09286), M. [J] (RG n° 23/09284) et Concert’O (RG n° 23/09249).

41.Par courrier du 6 juin 2023, les administrateurs judiciaires ont refusé à M. [J] la possibilité de faire inscrire des projets de résolution à l’ordre du jour du vote en classe de parties affectées.

42.Le même jour, le rapport établi par le cabinet Ricol-Lasteyrie (ci-après, « le rapport Ricol-Lasteyrie »), diligenté par le Support Club a été mis en ligne. Il conteste les conclusions du rapport Sorgem quant à la valorisation d’Orpéa.

43.Par avis publié au BALO le 14 juin 2023, le vote prévu initialement le 16 juin a été reporté au 28 juin 2023.

44.Le 21 juin 2023, le cabinet Sorgem Évaluations a communiqué un « Addendum » à son rapport, réfutant les critiques du rapport Ricol Lasteyrie concernant son rapport initial.

45.Le 23 juin 2023, Orpéa a publié deux nouveaux rapports établis par le cabinet Ledouble, portant sur la valorisation de la société en cas de continuité d’exploitation et en cas de liquidation si le plan n’était pas mis en ‘uvre.

46.Le 26 juin 2023 a été publié au BALO un avis d’actualisation des classes, consécutif à une décision du tribunal de commerce modifiant partiellement le projet initial des administrateurs judiciaires (une classe 7 bis a été intercalée au sein des 9 classes initiales).

47.Le vote des classes des parties affectées a eu lieu le 28 juin 2023. Il en ressort que le plan de sauvegarde accélérée a été voté par six des dix classes, dont au moins une classe de créanciers titulaires de sûretés réelles ou ayant un rang supérieur à celui de la classe des créanciers chirographaires. La classe des détenteurs de capital (9ème classe) a voté le plan à une majorité de 50,8 %, inférieure au seuil requis des deux tiers des voix des votants.

48.Le 11 juillet 2023, Orpéa a sollicité du tribunal de commerce de Nanterre l’arrêté du plan par voie d’application forcée interclasse.

49.Par jugement du 24 juillet 2023 (voir, notamment, la pièce n° 2 de la société AJRS, commissaire à l’exécution du plan), le tribunal de commerce a arrêté le plan de sauvegarde d’Orpéa SA « selon les modalités prévues au sein du plan en ce compris ses annexes ». Le contenu de cette décision sera décrit plus en détail ci-après (§ 62).

III. LE PLAN DE SAUVEGARDE

50.Le plan de sauvegarde d’Orpéa prévoit la recapitalisation de la société en trois étapes afin de lui permettre de faire face à ses engagements financiers à court terme et de retrouver une structure financière pérenne (pièce 27, Orpéa). Ce plan est notamment décrit par le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 24 juillet 2023, pages 28 à 34.

51.La première étape vise à l’apurement d’environ 3,8 milliards d’euros des dettes non sécurisées de la société par leur conversion en capital. Elle consiste en une augmentation de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription des actionnaires existants et est garantie par les créanciers financiers non sécurisés, souscrivant le cas échéant par voie de compensation avec leurs créances existantes, à un prix de 0,0601 € par action (prix prévu en cas de recours à la procédure d’application forcée interclasse, impliquant l’émission de 64,6 milliards d’actions nouvelles).

52.La deuxième étape a pour objet de permettre l’apport de capitaux ainsi que la prise de contrôle d’Orpéa par le Groupement. Elle consiste en une nouvelle augmentation de capital d’un montant d’environ 1,159 milliards d’euros réservée aux membres du Groupement, avec stipulation d’un droit de priorité de souscription des actionnaires existants avant la première augmentation de capital, à un prix par action de 0,0178 € (prix prévu en cas de recours à la procédure d’application forcée interclasse, impliquant l’émission d’environ 65,2 milliards d’actions nouvelles).

53.La troisième étape, complémentaire de la précédente, consiste en une dernière augmentation de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription des actionnaires à un prix par action de 0,0133 € (prix prévu en cas de recours à la procédure d’application forcée interclasse, impliquant l’émission d’environ 29,3 milliards d’actions nouvelles). Il est prévu que les membres du Groupement, devenus actionnaires à l’issue de la deuxième augmentation de capital, souscrivent à cette opération à hauteur d’un montant minimum de 196,4 millions, tandis que certains créanciers non-sécurisés s’engagent à garantir le solde de cette augmentation de capital en souscrivant jusqu’à 195 millions d’euros.

54.Au terme de ces opérations, le Groupement détiendrait 50,18 % des actions et droits de vote.

55.Dans sa demande de dérogation présentée à l’AMF, le Groupement a précisé que « l’atteinte de ce seuil de détention de 50,185 % du capital social de la Société est un objectif clé de l’investissement du Groupement » et qu’il lui permettra de disposer ainsi d’un « contrôle clair sur l’entreprise en vue de pouvoir mettre en ‘uvre une politique commune particulièrement vigilante sur les questions d’éthique et de santé publique » (demande de dérogation présentée à l’AMF, pages 19 et 23 – pièce 27 du Groupement)

56.Il a dès lors motivé sa demande de dérogation dans les termes suivants (même pièce, page 27) : « Conformément aux articles 234-8, 234-9, 2° et 234-10 de votre Règlement général, les membres du Groupement, agissant de concert, sollicitent une dérogation à l’obligation de déposer un projet d’offre publique sur les titres d’ORPEA en raison des différentes opérations qui sont prévues aux termes du Projet de Plan de Sauvegarde Accélérée et qui pourraient conduire les membres du Groupement à franchir à la hausse (i) le seuil de 30 % du capital et des droits de vote de la Société et (ii) le cas échéant, les seuils de 1 % du capital et des droits de vote de la Société (dans l’hypothèse où le Groupement détiendrait, à l’issue de la réalisation de l’Augmentation de Capital du Groupement, un nombre d’actions et de droits de vote de la Société compris entre 30 % et 49 % du nombre total des actions et des droits de vote de la Société) ».

57.Le règlement général de l’AMF sera désigné ci-après, « le règlement général » ou « le RGAMF ».

IV. LA DÉCISION DE L’AMF DU 26 MAI 2023 (LA DÉCISION ATTAQUÉE)

58.Par sa décision du 26 mai 2023, l’AMF a « octroyé, [‘], les dérogations au dépôt obligatoire d’un projet d’offre publique visant les titres de la société ORPEA sollicitées par le groupement composé de la CDC, CNP Assurances, MAIF et MACSF, agissant de concert, en application des dispositions des articles 234-8, 234-9, 2° et 234-10 du règlement général ».

59.Il suffit ici de préciser que l’article 234-9, 2°, du RGAMF autorise l’AMF à accorder une telle dérogation en cas de « souscription à l’augmentation de capital d’une société en situation avérée de difficulté financière, soumise à l’approbation de l’assemblée générale de ses actionnaires » (soulignement ajouté par la Cour).

60.Dans ses motifs, l’AMF a pris « acte que la société ORPEA, qui est en situation avérée de difficulté financière, relève des dispositions du code de commerce relative à la sauvegarde accélérée, par suite de l’ouverture de la procédure de sauvegarde accélérée par le tribunal de commerce spécialisé de Nanterre par jugement du 24 mars 2023 (procédure de sauvegarde accélérée prolongée jusqu’au 24 juillet 2023, par jugement du 22 mai 2023) ».

61.Elle a notamment considéré (soulignement ajouté) :

‘ « qu’en application des dispositions du code de commerce relatives à la sauvegarde accélérée, le projet de plan de sauvegarde, lequel comprend les augmentations de capital à l’origine de l’obligation d’offre publique pour le demandeur à la dérogation, sera soumis au vote des actionnaires, en tant que l’une des classes de parties affectées, selon les formes prescrites aux articles L. 626-30-2 et R. 626-32 du code de commerce »,

‘ que « si les actionnaires réunis en classe de parties affectées approuvent le projet de plan de sauvegarde, ils approuveront de facto les augmentations de capital prévues dans le cadre dudit plan »,

‘ qu’ « en cas de rejet par les actionnaires d’ORPEA réunis en classe de parties affectées, du projet de plan de sauvegarde, celui-ci pourra alors être arrêté par le tribunal de commerce », que « l’approbation des actionnaires sera réputée acquise », dès lors que « le tribunal se voit attribuer, par la loi, les prérogatives de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires, aux fins de décider les augmentations de capital et les modifications statutaires prévues par le plan ».

V. LE JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE NANTERRE DU 24 JUILLET 2023

62.Aux termes de son jugement du 24 juillet 2023, le tribunal de commerce de Nanterre a exposé que l’adoption du plan de restructuration « devrait permettre de financer le besoin de financement identifié et de renouer à l’horizon du plan avec des niveaux de leviers permettant d’envisager un refinancement de la dette financière du groupe à maturité » et que sa mise en ‘uvre « permettrait en outre l’entrée d’actionnaires institutionnels [‘] qui s’inscrivent dans un projet de long terme, éthique et responsable, de nature à redonner du crédit au groupe auprès des clients, des familles et des financeurs, et qui serait donc de nature à renforcer la pérennité du groupe Orpéa et la solidité des engagements souscrits dans le plan de sauvegarde accélérée » (jugement, page 30).

63.Le tribunal a également précisé que certains actionnaires et prêteurs d’ORPEA S.A. ont formulé publiquement des propositions alternatives au plan de sauvegarde accélérée mais que celles-ci ne répondaient pas aux besoins identifiés par la société, n’étaient pas fermes et ne recevaient pas le soutien du Groupement ni des Banques du G6 dont l’accord était requis pour permettre leur mise en ‘uvre. Il a conclu « qu’il n’existe en l’espèce pas de meilleure solution alternative si le plan n’était pas validé. » (jugement, page 42).

64.S’agissant de la classe de détenteurs de capitaux (n° 9), le tribunal a précisé que « le plan prévoit une dilution à hauteur de 0.04 % du capital des actionnaires existants ne participant pas aux augmentations de capital prévues par le plan, ce qui demeure supérieur au retour des actionnaires qui serait nul dans les scénarios liquidatifs au vu du rapport établi par le cabinet Ledouble, dans la mesure où la valorisation des actifs et activités d’Orpéa SA (de 2.6 Md € à 3.7 Md €) est inférieure au montant de la dette nette de la société (7.4 Md € à fin 2022) » (jugement, page 42).

65.Le tribunal de commerce a exposé enfin que « l’investissement du Groupement dans le cadre des augmentations de capital prévues est soumis aux conditions suspensives suivantes :

‘ dérogation de l’AMF, purgée de tout recours, aux membres du Groupement (agissant de concert) sur le fondement de l’article 234-9, 2°, du règlement général de l’AMF relatif à l’obligation de déposer un projet d’offre dans le cadre de la mise en ‘uvre de la restructuration ;

‘ arrêté du plan de sauvegarde accélérée par le tribunal de commerce de Nanterre conformément [‘] à l’article L. 626-32 du code de commerce en cas d’application forcée interclasse » (jugement, page 36).

66.Il a ajouté que « la condition suspensive relative à l’octroi de la dérogation AMF sera considérée comme accomplie à l’égard du Groupement si la Cour d’appel de Paris confirme la décision de l’AMF (l’audience devant la Cour étant prévue le 5 octobre 2023), au plus tard le 13 novembre 2023 » et que « le plan de sauvegarde accéléré prévoit que l’éventuelle annulation de la dérogation AMF par la Cour d’appel entrainerait la résolution du plan ».

67.Le tribunal, dans son dispositif, a notamment :

‘ déterminé la valeur d’entreprise de la société Orpéa en continuité d’exploitation entre 6 et 7 millions d’euros, conformément à ce qui ressort des rapports Ledouble,

‘ fixé la valeur liquidative de la société entre 2,6 et 3,7 millions d’euros, conformément à ce qui ressort desdits rapports, que ce soit par une cession d’actifs pris isolément ou dans leur ensemble par un seul repreneur,

‘ pris acte de la levée des conditions suspensives préalables à la mise en ‘uvre du plan de sauvegarde accélérée « à l’exception de celle relative à l’octroi de la dérogation AMF qui sera considérée comme accomplie en cas d’obtention de l’arrêt de la cour d’appel de Paris confirmant la décision de l’Autorité des marchés financiers »,

‘ arrêté le plan de sauvegarde accélérée d’Orpéa SA « selon les modalités prévues au sein du plan en ce compris ses annexes »,

‘ rappelé que « le jugement vaudra approbation des modifications de la participation au capital ou des droits des détenteurs de capital ou de statuts prévues par le plan et dit que le conseil d’administration d’Orpéa devra réaliser les opérations visées à l’annexe 7 du plan de sauvegarde accélérée (projets de résolutions relatives aux augmentations de capital et opérations sur le capital) conformément aux termes de celle-ci »,

‘ pris acte de ce qu’à défaut d’entrée en vigueur de l’engagement du Groupement avant la date butoir [13 novembre 2023, date susceptible de prorogation jusqu’au 29 décembre 2023 sous certaines conditions], le plan de sauvegarde pourra être résolu,

‘ dit que le plan et ses annexes sont opposables à tous.

68.Par ailleurs, le tribunal a :

‘ mis fin à la période d’observation,

‘ mis fin à la mission de la SELARL FHBX et de la SELARL AJRS, en leur qualité d’administrateurs judiciaires,

‘ a nommé la SELARL AJRS en qualité de commissaire à l’exécution du plan,

‘ a maintenu les SCP BTSG et la SELARL [Y] [H] en qualité de mandataires judiciaires pendant le temps nécessaire à la vérification et à l’établissement définitif de l’état des créances,

‘ dit que le jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire en application de l’article R. 661-1 du code de commerce.

VI. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

69.M. [J], Concert’O et le Support Club ont chacun, respectivement, formé un recours le 5 juin 2023 contre la décision de l’AMF du 25 mai 2023, publiée le 26, en vue de son annulation ou, à défaut, de sa réformation.

70.Par courriels des 5 et 7 septembre 2023, la Cour a communiqué à l’ensemble des parties le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce (JO du 16 septembre 2021).

71.Elle les a également invitées à préciser, pour le 15 septembre 2023, leur analyse de l’intention du législateur au regard des considérants 57 et 96 de la directive 2019/1023 du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive.

72.Concert’O, M. [J], et le Support Club seront désignés collectivement, ci-après, « les requérants ».

73.Aux termes de leurs dernières écritures, les requérants soutiennent :

‘ que leurs recours sont recevables,

‘ que la décision dont recours est viciée sur le plan de la légalité externe, faute pour l’AMF d’avoir respecté les dispositions de son règlement intérieur afférentes à l’organisation des séances (argumentation soutenue par M. [J] et le Support Club, seuls)

‘ que cette décision procède, sur le plan de la légalité interne, d’une application erronée des dispositions de l’article 234-9, 2°, du RGAMF.

74.Le Support Club et [J] demandent en conséquence l’annulation de la décision de l’AMF du 25 mai 2023 et la condamnation de cette Autorité aux dépens et frais irrépétibles.

75.Concert’O demande :

‘ l’annulation ou la réformation de ladite décision,

‘ la condamnation de l’AMF à verser à la société Nextstone Capital et la société Mat Immo Beaune la somme de 30 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ la condamnation de l’AMF aux entiers dépens.

76.La SCP BTSG et la SELARL [Y] [H] demandent à la Cour leur mise en hors de cause, ès-qualités de mandataires judiciaires d’Orpéa, faute de qualité pour poursuivre les actions introduites avant le jugement ayant arrêté le plan, en application de l’article L. 626-25 du code de commerce.

77.Orpéa et le Groupement contestent la recevabilité des recours des requérants.

78.Orpéa et le Groupement, ainsi que l’AMF, concluent au rejet des demandes et moyens produits par les requérants et à la confirmation de la décision attaquée.

79.La SELARL FHBX et la SELARL AJRS demandent à la Cour :

‘ de déclarer recevable la SELARL AJRS, prise en la personne de Maître [A] [R], ès-qualités de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde accélérée de la société Orpéa, en sont intervention volontaire,

‘ de confirmer la décision de l’AMF du 25 mai 2023,

‘ de débouter les requérants de l’ensemble de leurs demandes.

80.Le ministère public demande le rejet des recours et la confirmation de la décision attaquée.

81.À la suite de questions posées au cours de l’audience, le Support Club a été autorisé à produire une note en délibéré et des pièces justifiant l’intérêt à agir de certaines des sociétés qui le composent. Cette note, datée du 18 octobre, est parvenue à la Cour le lendemain. Orpéa a communiqué une réponse à cette note le 23 octobre 2023.

MOTIVATION

I. SUR LA JONCTION DES AFFAIRES

82.En raison de leur connexité, les trois affaires enrôlées sous les numéros RG 23/09286, 23/09284 et 23/09249 seront jointes sous le numéro RG 23/09249.

II. SUR LES MISES HORS DE CAUSE DES MANDATAIRES ET ADMINISTRATEURS JUDICIAIRES

83.La SCP BTSG et la SELARL [Y] [H], mandataires judiciaires, demandent leur mise hors de cause en se prévalant des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 626-25 du code de commerce.

84.Lors de l’audience, sur le fondement du même texte, la SELARL FHBX et la SELARL AJRS, administrateurs judiciaires, ont demandé leur mise hors de cause en cette qualité.

85.Ni les autres parties, ni l’AMF n’ont formulé d’objection à ces demandes.

Sur ce, la Cour :

86.Aux termes de l’alinéa 3 de l’article L. 626-25 du code de commerce, « [l]es actions introduites avant le jugement qui arrête le plan et auxquelles l’administrateur ou le mandataire judiciaire est partie sont poursuivies par le commissaire à l’exécution du plan ou, si celui-ci n’est plus en fonction, par un mandataire de justice désigné spécialement à cet effet par le tribunal ».

87.Il résulte du jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 24 juillet 2023 que la SCP BTSG, prise en la personne de Maître [K] [L], et la SELARL [Y] [H], prise en la personne de Maître [Y] [H], désignées en qualité de mandataire judiciaire, ne demeurent en fonction que pour achever les opérations de vérification du passif.

88.Ces sociétés n’ont dès lors pas qualité pour poursuivre, après le jugement arrêtant le plan, les actions introduites avant ledit jugement.

89.Il résulte encore du même jugement que le tribunal de commerce de Nanterre a mis fin à la mission de la SELARL FHBX et de la SELARL AJRS, en leur qualité d’administrateurs judiciaires.

90.Ces sociétés n’ont dès lors plus qualité pour poursuivre après le jugement arrêtant le plan, les actions introduites antérieurement.

91.Il y aura lieu de prononcer lesdites mises hors de cause.

III. SUR L’INTERVENTION VOLONTAIRE DU COMMISSAIRE À L’EXÉCUTION DU PLAN DE SAUVEGARDE ACCÉLÉRÉE

92.La SELARL AJRS, prise en la personne de Maître [A] [R], commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde accélérée de la société Orpéa, demande que son intervention volontaire soit déclarée recevable en application du troisième alinéa de l’article L. 626-25 du code de commerce.

93.Ni les autres parties, ni l’AMF n’ont formulé d’objection à ces demandes.

Sur ce, la Cour :

94.Par jugement du 24 juillet 2023, le tribunal de commerce de Nanterre a arrêté le plan de sauvegarde accélérée d’Orpea et a nommé la SELARL AJRS, prise en la personne de Maître [A] [R], en qualité de commissaire à l’exécution du plan, pour la durée du plan de sauvegarde accélérée.

95.En application de l’alinéa 3 de l’article L. 626-25 du code de commerce, précité, la demande d’intervention volontaire de la société AJRS sera déclarée recevable en cette qualité.

IV. SUR LA RECEVABILITÉ DES RECOURS DES REQUÉRANTS

96.Orpéa et le Groupement contestent la recevabilité des recours du Support Club, de M. [J] et de Concert’O.

97.En premier lieu, s’agissant du Support Club, Orpéa soutient, sur le fondement des articles R. 621-46 du code monétaire et financier et 648 du code de procédure civile, que toute personne morale est tenue d’indiquer, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, l’organe la représentant légalement devant la Cour et qu’il en résulte qu’elle doit préciser expressément, aux termes de sa déclaration de recours, l’identité et le statut exact de son représentant légal. En conséquence, elle considère que la simple mention « prise en la personne de son représentant légal » ne satisfait pas aux prescriptions légales (CA Paris, 29 avril 2014, n° 2013/15177).

98.Orpéa ajoute que l’irrecevabilité ainsi soulevée n’est pas susceptible d’être régularisée après l’expiration du délai de recours prévu à l’article R. 621-44 du code monétaire et financier (CA Paris, 21 novembre 2019, n° 18/16992, portant sur le défaut de mention de l’objet du recours) et qu’en tout état de cause, les précisions apportées par les sociétés du Support Club quant à l’organe qui les représente et les pièces justificatives ultérieurement produites, ne satisfont pas aux exigences légales pour les premières et ne sont pas probantes pour les secondes.

99.Le Groupement développe une argumentation analogue dirigée contre le Support Club.

100.Orpéa se fonde en outre sur les dispositions combinées des articles 31 et 32 du code de procédure civile, pour contester l’intérêt à agir de l’ensemble des requérants, faute de preuve de détention d’un titre à la date de la décision attaquée (25 mai 2023) et à la date du recours (5 juin 2023).

101.Elle soutient que les sociétés membres du Support Club n’ont pas d’intérêt à agir dès lors qu’elles ne sont pas actionnaires, mais seulement créancières d’Orpéa, et qu’au surplus, les pièces versées aux débats n’établissent pas qu’elles étaient créancières aussi bien au jour de l’adoption de la décision de l’AMF qu’au jour de l’introduction de leur recours.

102.En deuxième lieu, s’agissant de M. [J], Orpéa soutient que son intérêt à agir n’est pas plus établi, ni par voie de conséquence son recours recevable, dès lors qu’il ne résulte pas des pièces produites par le requérant qu’il était actionnaire de la société au jour de la décision de l’AMF.

103.En troisième lieu, s’agissant de Concert’O, Orpéa expose que pour les mêmes raisons, le recours des sociétés Mat Immo Beaune et Nextstone Capital est irrecevable, les intéressées ne produisant pas de pièces justifiant d’une détention d’actions d’Orpéa au jour de l’introduction de leur recours, le 5 juin 2023.

104.Le Groupement, dans ses dernières écritures, développe une argumentation analogue à celle d’Orpéa, mais ne la dirige qu’à l’encontre du Support Club et de Concert’O, à l’exclusion de M. [J].

105.En ce qui concerne le Support Club, le Groupement ajoute que les sociétés en cause ne peuvent soutenir avoir un intérêt à agir en se prévalant de leur future qualité d’actionnaire (par l’effet du plan et par suite de la conversion de leurs créances en actions) alors que la finalité de leur recours est d’empêcher précisément l’application dudit plan.

106.Dans le cas de Concert’O, le Groupement précise encore que dès lors qu’il a reconnu dans ses dernières écritures que l’objet de son recours n’est pas d’obtenir une offre publique obligatoire (ci-après, une « OPA ») ‘ et une « porte de sortie » ‘, mais de faire émerger un plan alternatif en faisant échouer le projet de plan approuvé par le tribunal, lui ouvrir ce recours devant la présente Cour reviendrait à lui permettre de chercher à atteindre son objectif devant deux juridictions d’appel différentes en ajoutant au contentieux concernant le plan, un recours contre la décision de dérogation. Le Groupement conclut que cela irait à l’encontre de la directive « Restructuration et insolvabilité » qui impose aux États membres de « veiller à ce que [les actionnaires ou autres détenteurs de capital] ne puissent déraisonnablement empêcher l’adoption de plans de restructuration ».

107.Enfin, tant le Groupement qu’Orpéa soutiennent que les pièces justificatives produites par le Support Club ne sont pas suffisamment probantes.

108.Le Support Club, dans ses mémoires du 11 septembre et du 4 octobre, ainsi que par note en délibéré du 18 octobre, apporte des précisions concernant les organes des sociétés qui le composent et produit de nouvelles pièces tendant, d’une part, à identifier les organes précités, d’autre part, à établir la détention de créances entre le 25 mai et le 5 juin 2023.

109.Il soutient en effet que la régularisation des éventuelles insuffisances des mentions exigées pour la formalisation de la déclaration de recours, de même que l’administration de la preuve de l’intérêt et de la qualité à agir, sont possibles tant que la Cour n’a pas statué, en application de l’article 126 du code de procédure civile.

110.Il expose qu’au demeurant, la preuve de la qualité de créancier est suffisante, dès lors qu’il résulte de l’article R. 621-44, alinéa 1er du code monétaire et financier, que le recours est ouvert aux « personnes intéressées », c’est-à-dire à toute personne justifiant d’un intérêt financier, direct ou indirect, avec la société initiatrice ou qui fait l’objet de l’opération boursière. Il rappelle encore que les demandeurs ont tous la qualité de parties affectées en application de l’article L. 626-30, I, code de commerce.

111.Il précise encore qu’en tout état de cause, les sociétés qui le composent ont vocation à devenir actionnaires d’Orpéa par l’effet du plan et qu’elles ont donc un intérêt à agir, la dérogation accordée étant une condition sine qua non de son application.

112.Concert’O produit des attestations d’inscription en compte (pièce 51) de nature à justifier de la qualité d’actionnaires des deux sociétés qui le composent aux dates mentionnées par le Groupement et Orpéa.

113.M. [J] produit une attestation de détention de 1 065 731 actions Orpéa du 25 mai 2023 au 20 juin 2023 (pièce 37).

114.Le commissaire à l’exécution du plan et l’AMF ne discutent pas la recevabilité des recours des requérants.

115.Le ministère public soutient qu’il est permis aux requérants de défendre à la fin de non-recevoir qui leur est opposée en produisant des pièces justificatives postérieurement à l’expiration du délai de recours et jusqu’à ce que la Cour statue, en application de l’article 126 du code de procédure civile.

116.S’agissant de la détermination de l’organe des différentes sociétés qui composent le Support Club, le ministère public considère que les précisions nécessaires ont été apportées par leur réplique du 11 septembre 2023 et qu’il leur est toujours loisible de compléter leurs pièces justificatives jusqu’à la décision de la Cour.

117.S’agissant du défaut allégué de qualité à agir, il considère que Concert’O et M. [J] produisent des pièces de nature à écarter la fin de non-recevoir soulevée à leur encontre. Dans le cas du Support Club, le ministère public considère que la qualité de créancières des différentes sociétés qui le composent suffisent à établir leur qualité à agir dès lors qu’en l’espèce, la confirmation de la décision attaquée par la Cour constitue une condition suspensive du plan de sauvegarde accélérée, que l’adoption de ce plan suppose leur consultation en classe de parties affectées, et que leurs droits sont affectés au travers du mécanisme d’application forcée interclasse.

Sur ce, la Cour :

‘ Sur l’irrecevabilité du recours des membres du Support Club faute de précision concernant l’organe qui les représente

118.Il résulte de l’article R. 621-45, II, du code monétaire et financier que les recours contre les décisions de portée individuelle prises par l’AMF (autres que celles concernant les agréments ou les sanctions concernant certaines personnes), sont portés devant la Cour et sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de l’article R. 621-46 de ce code, et ce par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile.

119.Aux termes des articles R. 621-46 du code monétaire et financier, « [l]e recours devant la cour d’appel de Paris [contre les décisions individuelles prises par l’AMF] est formé par une déclaration écrite déposée en quadruple exemplaire au greffe de la cour d’appel de Paris contre récépissé. À peine d’irrecevabilité prononcée d’office, elle comporte les mentions prescrites par l’article 648 du code de procédure civile et précise l’objet du recours » (soulignement ajouté).

120.L’article 648 du Code de procédure civile précise que « Tout acte d’huissier de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs : 1. Sa date ; 2. A) Si le requérant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; b) Si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement » (soulignement ajouté).

121.Dans leur déclaration de recours, les sociétés qui composent le Support Club ont toutes inséré la mention suivante : « prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège ».

122.La Cour considère que cette mention suffit à satisfaire à l’exigence de l’article 648 du code de procédure civile, lu à la lumière de l’article R. 621-46 du code monétaire et financier.

‘ Sur l’irrecevabilité du recours des requérants, faute de qualité et d’intérêt à agir

123.L’article 31 du code de procédure civile énonce le principe selon lequel « [l’] action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime à agir au succès ou au rejet d’une prétention [‘] ». L’article 32 du même code précise qu’« est recevable toute prétention émise pour ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ».

124.M. [J] communique une attestation émanant du Crédit Industriel et Commercial en date du 7 septembre 2023 (pièce 37), dont il ressort que l’intéressé a été détenteur de plus d’un million d’actions Orpéa entre le 25 mai 2023 et le 7 septembre 2023.

125.Il en résulte que la qualité et l’intérêt à agir de M. [J] sont établis.

126.Concert’O produit deux attestations de la Banque Populaire, l’une, datée du 25 mai 2023 (pièce 23), qui indique que la société Nextstone Capital détient 773 706 titres Orpéa, l’autre, en date du 5 juin 2023 (pièce 51), qui précise que ladite société détenait le même nombre d’actions à cette date.

127.Une attestation du Crédit Agricole Indosuez, en date du 16 juin 2023 (pièce 27), précise que la société Mat Immo Beaune détenait 1 875 281 titres de la société Orpéa le 25 mai 2023. Une autre attestation du même établissement, du 5 juin 2023 (pièce 51), indique que ladite société détenait ce même nombre d’actions à cette date.

128.Il en résulte que la qualité et l’intérêt à agir des sociétés Mat Immo Beaune et Nextstone Capital (Concert’O) sont établis.

129.En ce qui concerne le Support Club, la Cour observe en premier lieu que la société ainsi décrite dans la déclaration de recours « 13. Société Whitebox advisors London LLP, société de droit anglais constituée sous la forme « limited liabiity partnership » agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège », n’est plus mentionnée dans les mémoires successifs du Support Club. Aucune pièce n’a été produite de nature à établir que cette société détiendrait des créances, obligations ou actions en lien avec Orpéa.

130.Dès lors, force est pour la Cour de constater que cette société ne justifie pas d’un intérêt à agir contre la décision de l’AMF. Elle sera déclarée irrecevable.

131.S’agissant des autres sociétés du Support Club (que la Cour appellera encore, collectivement, sous cette dénomination), les pièces produites permettent d’établir la détention de titres de créance de natures diverses selon le tableau de synthèse suivant :

Numéro repris de la déclaration de recours

Titre de créance

Détention au 25/05/2023 (décision AMF)

Détention au 5/06/2023 (recours)

N° pièce et contenu

1. Whitebox Multi-Strategy Partners LP

Securities

Titre ISIN FR0013301942

EUROCLEAR SECURITIES

Pièce 27 p1 à 4

Détention au 25.05.2023 (p1-2) : Statement of Account for the purpose of proof of holding en date du 26.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

Détention au 5.06.2023 (p3-4) : Statement of account for the purpose of proof of holding en date du 27.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

L’échéance du titre ISIN FR0013301942 est fixée au 15 décembre 2024

2. Whitebox Relative Value Partners LP

Securities

Titre ISIN FR0013301942

EUROCLEAR SECURITIES

Pièce 27 p5 à 8

Détention au 25.05.2023 (p5-6) : Statement of Account for the purpose of proof of holding en date du 26.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

Détention au 5.06.2023 (p7-8) : Statement of account for the purpose of proof of holding en date du 27.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

L’échéance du titre ISIN FR0013301942 est fixée au 15 décembre 2024

3. Pandora Select Partners LP

Securities

Titre ISIN FR0013301942

EUROCLEAR SECURITIES

Pièce 27 p9 à 12

Détention au 25.05.2023 (9-10) : Statement of Account for the purpose of proof of holding en date du 26.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

Détention au 5.06.2023 (p11-12) : Statement of account for the purpose of proof of holding en date du 27.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

L’échéance du titre ISIN FR0013301942 est fixée au 15 décembre 2024

4. Whitebox GT Fund LP

Securities

Titre ISIN FR0013301942

EUROCLEAR SECURITIES

Pièce 27 p9 à 12

Détention au 25.05.2023 (14-15) : Statement of Account for the purpose of proof of holding en date du 26.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

Détention au 5.06.2023 (p16-17) : Statement of account for the purpose of proof of holding en date du 27.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

L’échéance du titre ISIN FR0013301942 est fixée au 15 décembre 2024

5. Kyma Capital Limited

Schuldschein / Loan / Prêt (pièce 26)

Titre ISIN FR0013301942 (pièce 27)

Voir § 132 et § 134

EUROCLEAR

La société qui est renseignée est la société « Kyma Capital Opportunities Master Fund Limited » (pièce 26 p31 et pièce 27 p18 à 21)

Pièce 26 (p8 et 31) et note en délibéré du 18 octobre 2023 :

Le contrat initial a été conclu le 1er juillet 2021 entre ORPEA SA et la société Générale SA Frankfurt Branch (pièce 26 p1 et 31).

La date de remboursement est fixée au 5.07.2026 (pièce 26 p8).

Le contrat a fait l’objet d’une cession entre JO MORGAN SE et KYMA CAPITAL OPPORTUNITIES MASTER FUND LIMITED en date du 20.12.2022 avec date d’effet au même jour (pièce 26 p31-32).

Pièce 27 (p18 à 21)

Détention au 25.05.2023 (18-19) : Statement of Account for the purpose of proof of holding en date du 28.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

Détention au 5.06.2023 (p20-21) : Statement of account for the purpose of proof of holding en date du 28.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

L’échéance du titre ISIN FR0013301942 est fixée au 15 décembre 2024

6. LMR Multi-Strategy Master Fund Limited

Securities

Titre ISIN FR0013322187

EUROCLEAR SECURITIES

Pièce 27 (p22 à 25)

Détention au 25.05.2023 (p22-23) : Statement of Account for the purpose of proof of holding en date du 25.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

Détention au 5.06.2023 (p24-25) : Statement of account for the purpose of proof of holding en date du 27.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

L’échéance du titre ISIN FR0013322187 est fixée au 10 mars 2025

7. LMR CCSA Master Fund Limited

Securities

Titre ISIN FR0013322187

EUROCLEAR SECURITIES

Pièce 27 (p26 à 29)

Détention au 25.05.2023 (26-27) : Statement of Account for the purpose of proof of holding en date du 26.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

Détention au 5.06.2023 (p28-29) : Statement of account for the purpose of proof of holding en date du 27.09.2023, émis par EUROCLEAR BANK SA/NV

L’échéance du titre ISIN FR0013322187 est fixée au 10 mars 2025

8. FCOF V UB Investments LP

Schuldschein / Loan / Prêt (en pièce 26)

Titre ISIN FR0013322187 + Titre ISIN FR00140011S0

Voir § 134

EUROCLEAR SECURITIES

Pièce 26 (p40 et 57)

Le contrat de prêt a été initialement conclu entre ORPEA SA et la Société Générale Frankfurt am Main en date du 30.06.2016 (pièce 26 p35) avec effet au 5.07.2023 (pièce 26 p35 et 40).

Le contrat de prêt a fait l’objet d’une cession entre JP MORGAN CHASE BANK NA LONDON BRANCH et FCOF V UB INVESTMENTS LP avec effet au 22.02.2023 (pièce 26 p57).

Pièce 27 (30 à 33)

Au 25.05.2023, détention de deux « securities ». L’attestation, présentée sous forme de tableau, est datée du 28.09.2023 :

‘ un premier Security ISIN FR0013322187 détenu le 25.05.2013, dont la date de maturité est fixée au 10.03.2025,

‘ un second Security ISIN FR00140011S0 détenu le 25.05.2023, dont la date de maturité est fixée au 18.12.2028.

9. FCOF V Europe UB Securities DAC

[Adresse 33]

Loan

Prêt

Voir § 133 et § 134

Pièce 26 (p66 et 83) et note en délibéré du 18 octobre 2023

Contrat conclu entre ORPEA et la Société Générale Frankfurt am Main le 13 avril 2015 (p 61 et 81), avec terme au 17 avril 2023 (p61), gelé par jugement du 24 mars 2023.

Cessions partielle de ce contrat entre JP MORGAN CHASE BANK NA LONDON BRANCH et FCOF V EUROPE UB SECURITIES DAC par deux actes signés le 23.02.2023 (p82 et 84) avec effet aux 27 et 28 février 2023 (p82 et 84)

10. FCCD DAC

Registered Note

Voir § 134

Pièce 26 (p87-113)

Note émise par ORPEA en date du 31.07.2019 avec date de maturité fixée au 31.07.2031 (p87).

Cette Note a fait l’objet de deux cessions à FCCD DAC :

‘ par la Société Générale Securities Services avec effet au 1.03.2023(p113),

‘ entre Goldman Sachs Bank Europe SE et FCCD DAC en date du 14 février 2023 et avec effet au 16 février 2023 (p115).

11. Drawbridge Special Opportunities Fund LP

Amortizing Term Loan Agreement

Voir § 134

Pièce 26 (p132 et 148)

Le contrat initial a été conclu entre ORPEA SA et BANCO DO BRASIL AG ‘ FRENCH BRANCH en date du 16.09.2020 (p123).

Le contrat prévoyait les trois échéances suivantes : 20.09.2021, 19.09.2022 et 18.09.2023 (p132).

Le contrat a été transféré par BANCO DO BRASIL à DRAWBRIDGE SPECIAL OPPORTUNITIES FUNDS LP le 21.04.2023 avec effet fixé au 10.05.2023 (p147-148).

12. KL Special Opportunities Master Fund Ltd

Titre ISIN FR0013418795 ‘ EUR 0,375 ORPEA + Titre ISIN FR001331942 ‘ EUR 2,20 ORPEA SA 17-2024 (détention au 25.05.2023)

Titre ISIN FR0013301942 ‘ EUR 2,20 ORPEA SA 17-2024 + Titre ISIN FR0013418795 ‘ EUR 0,375 ORPEA S(REGS CV) 19-2027 (détention au 5.06.2023)

CLEARSTREAM

CLEARSTREAM

Pièce 27 (p34 à 37) et note en délibéré du 18 octobre 2023

La pièce 27 comprend deux « confirmation of holding » émises le 27.09.2023 par la banque UBS AG (p34-35 et 40-41 pour les détentions au 25.05.2023 et p36 à 39 pour les détentions au 5.06.2023)

132.La société Kyma Capital Limited (n° 5 dans la déclaration de recours) justifie par la note en délibéré du 18 octobre être la société de gestion du fonds Kyma Capital Opportunities Master Fund Limited, lequel a souscrit les contrats de type Schuldschein qui sont mentionnés à la pièce 26 du dossier du Support Club et détient également des titres ISIN FR001331942 dont la détention a été certifiée aux 25 mai et 5 juin 2023 par EUROCLEAR BANK SA/NV (pièce 27 du dossier du Support Club). La première société justifie également avoir le pouvoir de représenter et d’agir au nom et pour le compte de la seconde. Elle est en conséquence recevable en son recours.

133.S’agissant de la société FCOF V Europe UB Securities DAC (n° 9), le terme du prêt qu’elle détient était fixé au 17 avril 2023. Cependant, comme le Support Club l’indique dans sa note en délibéré du 18 octobre 2023, par suite du jugement en date du 24 mars 2023 par lequel le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé l’ouverture d’une procédure de sauvegarde accélérée au bénéfice d’Orpea, et en vertu du principe d’interdiction des paiements des créances antérieures édicté par l’article L. 622-7, I, du code de commerce (« principe du gel du passif »), la créance que cette société détenait (dont le fait générateur est antérieur au jugement) n’a pu être remboursée le 17 avril 2023, et a donc été régulièrement déclarée au passif d’Orpea. Il résulte de ces considérations que cette société est toujours créancière d’Orpéa.

134.En application de ce même principe du gel du passif, aucun des prêts mentionnés dans le tableau ci-dessus (tableau, lignes 5, 8, 9, 10, 11), n’a été remboursé, de sorte qu’en absence d’éléments contraires, il y a lieu de retenir qu’ils sont toujours détenus par les sociétés membres du Support Club depuis que celles-ci justifient en avoir fait l’acquisition, dans tous les cas antérieurement à la date de la décision attaquée.

135.La Cour considère encore que les certificats Euroclear et Clearstream produits pour justifier la détention de certains titres (« securities », certaines obligations) par plusieurs sociétés du Support Club sont suffisamment circonstanciés et sont probants.

136.Ainsi, la Cour retient que toutes les sociétés du Support Club à l’exception de la société Whitebox advisors London LLP justifient être titulaires de créances, tant à la date de la décision attaquée qu’à la date du recours.

137.Il résulte de l’article R. 621-44 du code monétaire et financier que le délai de recours court, « pour les personnes qui font l’objet de la décision, à compter de sa notification et, pour les autres personnes intéressées, à compter de sa publication » (soulignement ajouté).

138.En l’espèce, le plan de sauvegarde arrêté par jugement du tribunal de commerce du 24 juillet 2023 affecte les sociétés du Support Club (pages 25 à 27 du jugement, notamment), dépend pour sa mise en ‘uvre, des dérogations à l’obligation de déposer un projet d’offre publique accordées par l’AMF, et prévoit encore que les créances dont les requérantes sont titulaires seront converties en actions.

139.Il en résulte que les sociétés du Support Club ont la qualité de « personnes intéressées » au sens de l’article R. 621-44.

140.Elles justifient dès lors de leurs qualité et intérêt à agir.

141.En conséquence, seule la société Whitebox advisors London LLP (n° 13) sera déclarée irrecevable en son recours.

V. SUR LES MOYENS EN RAPPORT AVEC LA LÉGALITÉ EXTERNE DE LA DÉCISION

142.L’AMF, dans sa décision du 25 mai 2023, indique notamment (soulignements ajoutés) que :

« (‘) le cabinet Sorgem, représenté par M. [D] [I], a été désigné, le 14 mars 2023, par le conseil d’administration d’ORPEA, en application des dispositions de l’article 261-3 du règlement général aux fins de se prononcer sur le caractère équitable des conditions financières du plan de restructuration envisagé pour les actionnaires actuels de la société » (page 2) ;

« Dans le cadre de l’examen des demandes de dérogation à l’obligation de déposer un projet d’offre qu’elle a mené en application des dispositions des articles 234-8, 234-9, 2° et 234-10 du règlement général, l’Autorité des marchés financiers a aussi pris connaissance du rapport de l’expert indépendant et des arguments d’actionnaires minoritaires de la société ORPEA qui font notamment valoir que la dérogation ne saurait être accordée sans la tenue d’une assemblée générale des actionnaires et qu’à ce titre, la réunion des détenteurs de capital dans le cadre des classes de parties affectées ne vaut pas assemblée générale, dans la mesure où les actionnaires réunis en classe de parties affectées peuvent uniquement adopter le plan proposé dans sa totalité ou le rejeter, sans pouvoir le modifier via la soumission de projets de résolution, en ce compris des projets de résolution visant à demander la recomposition du conseil d’administration, aucun quorum n’est requis dans le cadre du vote en classe et, en cas de rejet de plan par les actionnaires, leur vote pourra être « contourné » par l’application forcée interclasses du plan de sauvegarde. » (point 4, page 4) ;

« (‘) en application des dispositions du code de commerce relatives à la sauvegarde accélérée, le projet de plan de sauvegarde, lequel comprend les augmentations de capital à l’origine de l’obligation d’offre publique pour le demandeur à la dérogation, sera soumis au vote des actionnaires, en tant que l’une des classes de parties affectées, selon les formes prescrites aux articles L. 626-30-2 et R. 626-32 du code de commerce » (page 5) ;

« l’Autorité des marchés financiers a octroyé, dans sa séance du 25 mai 2023, les dérogations au dépôt obligatoire d’un projet d’offre publique visant les titres de la société ORPEA sollicitées par le groupement composé de la CDC, CNP Assurances, MAIF et MACSF, agissant de concert, en application des dispositions des articles 234-8, 234-9, 2° et 234-10 du règlement général. » (page 5).

143.Le Support Club soutient que les règles encadrant la procédure devant l’AMF ont été violées à plusieurs égards.

144.En premier lieu, il estime que le collège de l’AMF s’est réuni irrégulièrement, et précipitamment, le 25 mai 2023, en violation des articles 1.1.1 et 1.1.1.2 de son règlement intérieur, qui précisent les conditions, notamment d’urgence ou tenant à des circonstances exceptionnelles, qui peuvent affecter le calendrier prévisionnel de ses réunions, ainsi que les délais dans lesquels les pièces utiles sont communiquées à ses membres. Aucune urgence ne justifiait, selon lui, de ne pas attendre la séance prévue le 30 mai 2023.

145.Le rapport Sorgem n’ayant été communiqué que la veille seulement de la réunion du collège, les membres du collège n’auraient pas disposé du temps nécessaire à son assimilation.

146.En deuxième lieu, le Support Club soutient que la procédure suivie par l’AMF a gravement porté atteinte au principe de la contradiction, lequel emporte l’obligation de répondre et de tenir compte des arguments des différentes parties prenantes.

147.Les requérantes estiment ainsi qu’un « certain contradictoire », voire une obligation de « loyauté », doit s’imposer dès lors que l’AMF ne statue pas sur une offre publique volontaire, (cas dans lequel cette autorité n’est pas une instance de règlement des différends), mais sur une dérogation à une OPA. Elles se réfèrent sur ce point à un arrêt de la Cour du 2 avril 2008 (n° 2007/11675, Sacyr).

148.Elles déplorent n’avoir pu, dans un délai utile, être entendues par le collège pour faire valoir leurs critiques à l’encontre du rapport Sorgem, n’avoir pu soumettre un rapport de contre-expertise avant sa délibération (alors qu’il ressort du rapport Ricol-Lasteyrie, « une sous-évaluation de la valeur de l’entreprise Orpéa »), n’avoir pu transmettre à l’expert indépendant leurs observations sur le rapport Sorgem avant sa finalisation et sa transmission.

149.M. [J] soulève les mêmes critiques.

150.Il ajoute que l’AMF, dans le cadre d’une procédure non transparente, après avoir eu communication de rapports préliminaires du cabinet Sorgem Evaluation, aurait avalisé l’irrégularité de la désignation de l’expert indépendant sur le fondement des dispositions de l’article 261-3 du RGAMF ainsi que le fait que la société Orpéa ait refusé de communiquer le nom de l’expert indépendant désigné le 14 mars 2023.

151.Il soutient encore que l’AMF s’est appuyée sur le rapport Sorgem tout en refusant de communiquer le nom de l’expert indépendant, et ce en contravention avec sa propre réglementation (article 5 de la recommandation DOC-2006-15 AMF. ; Instruction n° 2006-07 relative aux offres publiques ; Instruction n° 2006-08 en matière d’expertise indépendante) et alors que la désignation de l’expert indépendant par Orpéa, présentée comme « volontaire » (communiqué de presse Orpéa du 1er février 2023), relevait en réalité d’une exigence du RGAMF.

152.Il tire de ce qui précède la conséquence que l’AMF a voulu « cadenasser » le débat et imposer le plan soutenu par Orpéa et le Groupement au plus vite et précise que l’addendum communiqué par le cabinet Sorgem Evaluation postérieurement à la décision de l’AMF ne saurait purger l’irrégularité de la procédure.

153.M. [J] expose encore que l’AMF, en violant le principe de la contradiction, comme déjà indiqué, a méconnu le principe de loyauté dégagé par la Cour, qui proscrit une instruction clandestine ou frauduleuse ainsi que la prise de décision sur la base de « renseignements incomplets, erronés ou fallacieux » (Paris, 1ère ch., 24 juin 1991, SA Devanlay c. Sté des Galeries Lafayette et autres).

154.En effet, il considère que l’absence de contradiction a permis au Groupement de développer une argumentation fallacieuse au travers de la « thèse de l’équivalence » (entre AGE des actionnaires et classe des détenteurs de capital), qui heurte pourtant de front la lecture et l’esprit des textes applicables.

155.L’AMF réplique, s’agissant des conditions dans lesquelles le collège s’est réuni, que le président de l’AMF, qui dispose du pouvoir de réunir le collège, fixe un calendrier prévisionnel des séances, qu’il peut librement modifier.

156.S’agissant de l’information dont le collège bénéficiait le 25 mai, l’AMF indique, d’une part, qu’elle n’avait pas connaissance de l’existence et de la communication à venir du rapport Ricol-Lasteyrie, d’autre part, que la remise du rapport Sorgem la veille de la séance n’est pas contraire à l’article 1.1.1.2 du RGAMF, des « notes ou pièces complémentaires » pouvant être « remises en séance ».

157.Elle observe que les membres du collège n’ont pas demandé le report de la séance alors que cette possibilité est prévue par le RGAMF (art. 1.1.2.2).

158.Elle précise également que le rapport du cabinet Sorgem Évaluation n’était pas, au sens des dispositions du RGAMF, un élément nécessaire pour l’examen des demandes de dérogation, contrairement à ce qui est requis dans le cas de l’examen de la conformité d’un projet d’offre publique (art. 231-21, 5°, sur envoi à l’article 261-1).

159.L’AMF a communiqué différentes pièces tendant à faire ressortir qu’elle a pris connaissance de l’affaire au cours de plusieurs séances qui ont précédé celle du 25 mai (18 avril, 2 mai, 11 mai et 15 mai) et conclut qu’on ne saurait lui reprocher d’avoir statué sur la base d’une information tardive ou incomplète.

160.S’agissant du principe du contradictoire, l’AMF indique que le collège, lorsqu’il examine les conditions d’une opération au vu de la législation et de la réglementation qui lui sont applicables, n’a pas à faire application du principe du contradictoire, et qu’ainsi elle n’a pas « obligation d’entendre en séance toute personne intéressée par l’opération examinée qui en fait la demande » (Cass., com, 19 octobre 1999, n° 97-21.601). Elle se réfère encore à une décision de la Cour du 12 janvier 2017 (Paris, 12 janvier 2017, n° 16/17607) rendu dans une affaire où elle avait jugé que « le collège de l’AMF, qui n’est pas une instance de règlement de différends et qui, de fait, n’était saisi d’aucun litige ni n’était appelé à prononcer une sanction, n’était pas tenu de respecter le principe du contradictoire ni celui du respect de l’égalité des armes ». Elle récuse enfin la pertinence de la décision « Sacyr » (Paris, 2 avril 2008, n° 2007/11675) invoquée par les requérants, en ce que dans cette affaire, la décision critiquée s’analysait en une injonction. Elle conclut qu’en tout état de cause, elle a eu connaissance et a pris en compte, dans le cadre de sa décision, les arguments des actionnaires d’Orpéa.

161.Orpéa, le Groupement et le Commissaire à l’exécution du plan soutiennent les mêmes arguments que l’AMF et ajoutent, s’agissant des conditions de réunion du collège, que l’emploi de l’adverbe « notamment » à l’article 1.1.1.1 du RGAMF interdit de considérer que les exceptions tenant à la démonstration de circonstances exceptionnelles ou d’une urgence seraient limitatives.

162.Le Groupement et le Commissaire à l’exécution du plan précisent qu’un dossier de l’importance de la restructuration d’Orpéa était de nature à caractériser l’urgence et ainsi justifier un aménagement de calendrier (ampleur de l’endettement, nécessité de concilier des délais contraignants).

163.En tout état de cause, le Groupement soutient que le règlement intérieur de l’AMF n’a valeur de texte ni légal, ni réglementaire dès lors qu’il s’agit d’une simple décision de l’AMF, certes publiée au Journal Officiel.

164.Orpéa, le Groupement et le Commissaire à l’exécution du plan exposent encore que la désignation de l’expert indépendant n’était en aucune manière requise par la règlementation, qu’elle a participé d’une démarche purement volontaire de la part d’Orpéa, que la décision de l’AMF, si elle précise que le collège a eu connaissance du rapport Sorgem, n’est en réalité pas fondée sur ses conclusions.

165.Le Groupement observe, enfin, que le collège, dès le 11 mai 2023, avait auditionné le représentant du cabinet Sorgem Evaluation et avait disposé d’un projet de rapport.

166.S’agissant du principe du contradictoire, Orpéa, le Groupement et le Commissaire à l’exécution du plan soutiennent que la jurisprudence n’impose aucunement à l’AMF de respecter, dans le cadre de l’examen d’une demande de dérogation, le principe de la contradiction et qu’en tout état de cause, les requérants ont eu l’opportunité de porter à la connaissance de l’AMF, par courrier, leur argumentation à l’encontre de la demande de dérogation alors qu’elle était en phase d’instruction.

167.S’agissant du principe de loyauté, le Groupement estime que le Support Club et M. [J], sous couvert de prétendu manquement à un devoir de loyauté, ne font qu’exprimer leur désaccord sur le fond.

168.Le ministère public partage l’analyse de l’AMF, et, s’agissant des conditions de réunion du collège, considère que son président peut modifier librement le calendrier prévisionnel de réunion.

169.Il soutient, s’agissant du principe du contradictoire, qu’en matière de décision d’octroi de dérogation à l’obligation de dépôt d’un projet d’offre publique, l’Autorité n’est pas tenue de prendre sa décision autrement que par l’examen des demandes, pièces et mémoires qui lui sont adressés ou dont elle peut demander la production (Paris, 1ère ch., 7 octobre 1997, RB n° 97/15445 ; Cass. Com. 19 octobre 1999, n° 97-21601, Affaire Géniteau c. SA Filipacchi Médias et autres). Il récuse la pertinence de l’arrêt « Sacyr » (Paris, 2 avril 2008, n° 2007/11675) invoqué par le Support-Club et M. [J], sauf à relever qu’il précise « qu’en cette matière, des impératifs de souplesse et d’efficacité, entièrement compatibles avec la défense des droits de l’Homme, peuvent justifier l’intervention préalable d’organes administratifs ne satisfaisant pas sous tous leurs aspects aux prescriptions de forme de ce texte [art. 6 § 1 CESDH], dès lors que les décisions prises par ceux-ci subissent a posteriori, sur les points de fait et les questions de droit, le contrôle effectif d’un organe judiciaire offrant toutes les garanties au sens du texte susvisé ; que tel est le cas de l’AMF qui, lorsqu’elle instruit une procédure de conformité d’une projet d’offre publique, n’est pas tenue de faire observer le principe de la contradiction, ni d’instruire sa décision autrement que par l’examen des demandes, pièces et mémoires qui lui sont transmis ou dont elle peut demander la production ».

170.Il observe qu’au demeurant, les arguments des requérants ont été portés à la connaissance de l’AMF par courriers des 22 mars, 3 avril et 22 mai 2023, pendant la phase d’instruction de la demande de dérogations.

171.Il conclut que l’AMF, dont la décision n’était pas subordonnée aux conclusions de l’expert indépendant, a disposé des éléments nécessaires à l’instruction de la demande de dérogations et que son collège n’a violé aucune disposition légale ou réglementaire en prenant connaissance du rapport Sorgem la veille de la séance, ses membres n’ayant pas demandé son report.

Sur ce, la Cour :

‘ Sur le manquement de l’AMF au respect du principe du contradictoire

172.Il est constant que la décision de l’AMF d’accorder une dérogation à l’obligation de dépôt d’un projet d’offre publique est une décision individuelle.

173.Dans le cas de décisions de cette nature, le collège n’est pas une instance de règlement de différends et n’est saisi d’aucun litige. Il n’est pas non plus appelé à prononcer une sanction. Il en résulte, selon une jurisprudence constante, qu’il n’est pas tenu de respecter le principe du contradictoire, ni celui de l’égalité des armes.

174.Dans le cas d’une décision de dérogation à l’obligation de dépôt d’un projet d’offre publique, l’AMF n’est ainsi pas tenue de prendre sa décision autrement que par l’examen des demandes, pièces et mémoires qui lui sont adressés ou dont elle peut demander la production (Cass. Com. 19 octobre 1999, n° 97-21601, décision rendue sur un cas d’application des dispositions devenues l’article 234-9, 3°, du RGAMF).

175.En outre, si aux termes de l’article 1.1.2.2 du RGAMF, le président peut, pour des motifs légitimes, convier toute personne à être entendue par le collège, les dispositions de ce texte ne lui font pas obligation d’entendre en séance toute personne intéressée par l’opération examinée qui en fait la demande.

176.Il en va autrement lorsque la décision en cause s’analyse en une injonction, laquelle suppose une procédure contradictoire. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

177.Il ne saurait non plus être soutenu que les auditions auxquels le collège a procédé et la remise éventuelle d’un pré-rapport par le cabinet Sorgem, le 11 mai, s’analyseraient en une instruction « clandestine ou frauduleuse » menée sur la base de « renseignements incomplets, erronés ou fallacieux » (selon le mémoire de M. [J]). Il était en effet permis au collège d’entendre des personnalités extérieures à l’AMF en application de l’article 1.1.2.2 précité.

178.Il ne saurait davantage être valablement reproché à l’AMF de ne pas avoir sursis à statuer dans l’attente du rapport Ricol-Lasteyrie, dont la communication n’est survenue que le 6 juin 2023. Outre que le dépôt d’un tel rapport n’est pas requis dans le cadre de cette procédure et qu’il n’est pas établi que le collège ait eu connaissance de son existence lors de la séance du 25 mai, ce dernier n’aurait de toute façon pas été tenu de différer sa décision pour en prendre connaissance s’il s’était estimé déjà suffisamment informé.

179.En conséquence, le Support Club et M. [J] ne sauraient faire grief à l’AMF de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire.

180.La Cour observe encore qu’en l’espèce, l’AMF a pris connaissance des principales articulations de droit et de fait développées depuis lors par M. [J] à l’occasion des courriers qui lui ont été adressés par un cabinet d’avocats s’exprimant au nom d’actionnaires minoritaires, en dates des 22 mars, 3 avril et 22 mai 2023 (pièce 16, M. [J]), soit pendant la période d’instruction du dossier, et a mentionné dans la décision la principale thèse soutenue par les requérants (« l’Autorité des marchés financiers a aussi pris connaissance du rapport de l’expert indépendant et des arguments d’actionnaires minoritaires de la société ORPEA qui font notamment valoir que [‘]»). L’AMF a donc pu prendre sa décision après avoir bénéficié d’éclairages diversifiés et contradictoires.

181.Enfin, la contestation par M. [J] du bien-fondé de la thèse du Groupement et d’Orpéa, admise par l’AMF, tendant à assimiler le vote de l’AGE des actionnaires au vote de la classe des détenteurs de capital dans le cadre de la procédure de sauvegarde accélérée, ne saurait caractériser une quelconque déloyauté de l’AMF.

‘ Sur les conditions de réalisation des travaux du cabinet Sorgem Évaluation

182.L’article 231-21, 5°, du RGAMF dispose que « [p]our apprécier la conformité du projet d’offre aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables, l’AMF examine : [‘] 5° Dans les cas prévus à l’article 261-1, les conditions financières de l’offre, au regard notamment du rapport de l’expert indépendant et de l’avis motivé du conseil d’administration, du conseil de surveillance ou, dans le cas d’une société étrangère, de l’organe compétent. [‘] » (soulignement ajouté).

183.L’article 261-1 du RGAMF précise les cas dans lesquels la société visée par une offre publique d’acquisition désigne un expert indépendant.

184.L’article 261-3 du RGAMF dispose que « [t]out émetteur ou tout initiateur d’une offre publique d’acquisition peut désigner un expert indépendant qui applique les dispositions du présent titre » (soulignement ajouté).

185.L’article 3 de l’instruction de l’AMF n° 2006-08, relative à l’expertise indépendante, précise notamment (soulignement ajouté) que :

« I. Le rapport d’expertise mentionné à l’article 262-1 du règlement général de l’AMF a pour objectif de permettre au conseil d’administration, au conseil de surveillance ou à l’organe compétent de la société visée par une offre publique d’acquisition d’apprécier les conditions financières de l’offre afin de rendre son avis motivé.

II. Le rapport d’expertise comporte les informations suivantes : [‘] 10. Lorsque l’expert indépendant reçoit des observations écrites d’actionnaires concernant sa mission dans les conditions précisées par l’article 1er de l’instruction AMF DOC-2006-07 sur les offres publiques d’acquisition, il présente, dans un chapitre dédié de son rapport, les principaux arguments développés dans ces observations, ainsi que son analyse et son appréciation. Il indique, le cas échéant, les raisons pour lesquelles il a, ou non, tenu compte de ces observations dans ses travaux ; »

186.L’instruction de l’AMF n° 2006-07 relative aux offres publiques, comporte notamment un article 1er qui énonce (soulignement ajouté) que « les actionnaires peuvent faire connaître à l’AMF leurs observations sur un projet d’offre publique déposé ou annoncé, en envoyant celles-ci à l’adresse suivante : [‘]. L’AMF transmet ces observations, en tant que de besoin, à l’initiateur, à la société visée et à l’expert indépendant ».

187.Le communiqué de presse d’Orpéa du 1er février 2023 (Orpéa, pièce 13, page 6/8), indique : « Compte tenu de la dilution devant résulter des augmentations de capital, le conseil d’administration procèdera, sur une base volontaire en application de l’article 261- 3 du Règlement général de I’AMF, à la nomination d’un expert indépendant aux fins de se prononcer sur la restructuration financière. L’expert indépendant évaluera les conditions financières de la restructuration financière pour les actionnaires et délivrera un rapport contenant une attestation d’équité qui sera mis à la disposition des actionnaires » (soulignement ajouté).

188.Le communiqué de presse d’Orpéa du 24 mai 2023 (Groupement, pièce 25, page 1), indique : « Les actionnaires sont informés de la mise à leur disposition du rapport établi en date du 24 mai 2023 par le cabinet Sorgem Évaluation, qui est intervenu en qualité d’expert indépendant avec pour mission de rendre un avis, conformément à l’article 261-3 du Règlement général de l’Autorité des marchés financiers, sur le caractère équitable du projet de restructuration financière de la Société pour les actionnaires de la Société » (soulignement ajouté).

189.Le rapport Sorgem indique (soulignement ajouté) que « (‘) dans la perspective (i) du vote de classe de parties affectées des actionnaires qui interviendra en juin 2023 et (ii) de l’examen, par l’Autorité des marchés financiers, des prospectus relatifs aux augmentations de capital envisagées, le conseil d’administration de la Société a, le 14 mars 2023, après étude de la proposition d’intervention par le comité ad hoc et en application de l’article 261-3 du Règlement général de l’AMF, désigné Sorgem Évaluation, représentée par [D] [I], comme expert indépendant afin qu’il se prononce sur le caractère équitable des conditions financières du Plan de restructuration pour les actionnaires actuels de la Société » (dossier Orpéa, pièce 33, page 6/95).

190.Ce rapport indique encore « nous comprenons que la désignation d’un expert indépendant, au sens des dispositions du RGAMF, est ici réalisée par Orpéa conformément à la doctrine de l’AMF concernant les recapitalisation d’émetteurs en difficultés ».

191.En premier lieu, il ne résulte ni de l’article 261-1, ni de l’article 261-3 précités, que la désignation d’un expert indépendant par la société visée par une demande de dérogation à l’obligation de déposer une OPA soit une obligation légale.

192.Il était en revanche loisible à Orpéa de procéder à la désignation d’un expert sur une base volontaire.

193.En second lieu, l’article 231-21, 5°, du RGAMF, s’il prévoit les cas dans lesquels l’AMF est tenue « d’examiner les conditions financières de l’offre, au regard notamment du rapport de l’expert indépendant », n’est pas applicable au cas d’une demande de dérogation à l’obligation de déposer une OPA.

194.L’AMF n’était dès lors pas tenue de prendre sa décision au regard du rapport Sorgem.

195.Le cabinet Sorgem Evaluation n’ayant pas été désigné en qualité d’expert indépendant soumis aux instructions de l’AMF n° 2006-07 et n° 2006-08 précitées, le moyen qui critique le défaut de transmission du nom de l’expert, en méconnaissance de ces instructions, est inopérant.

‘ Sur la régularité de la séance du collège du 25 mai 2023

196.L’article R. 621-1 du code monétaire et financier dispose notamment que « [l]e collège se réunit sur convocation de son président ou à la demande de la moitié de ses membres. [‘].

197.Le règlement intérieur de l’AMF (JO du 24 avril 2020) comporte un article « Organisation des séances » (1.1.1), qui comporte deux parties consacrées respectivement aux « Calendrier, convocation et présence » (1.1.1.1) et à l’« Ordre du jour » (1.1.1.2). Il contient également un article 1.1.2, « Déroulement des séances » et un 1.1.2.2, « Présidence et police des séances ».

198.Le 1.1.1.1 du règlement intérieur dispose notamment (soulignements ajoutés) que « [c]onformément à l’article R. 621-1 du code monétaire et financier, le collège se réunit sur convocation de son président ou à la demande de la moitié de ses membres, à laquelle est jointe un ordre du jour prévisionnel transmis par tout moyen. [‘] Un calendrier prévisionnel des séances du collège, établi par semestre, est communiqué aux membres. Le président peut le modifier pour des raisons liées notamment à l’ordre du jour, à l’urgence ou à des circonstances exceptionnelles. »

199.Le 1.1.1.2 précise (soulignements ajoutés) que « [l]’ordre du jour est arrêté par le président. Tout membre du collège peut demander au président d’inscrire à l’ordre du jour un ou plusieurs points. Sauf cas d’urgence, l’ordre du jour prévisionnel est envoyé huit jours ouvrables avant la tenue de la séance par tout moyen. [‘] Les notes et annexes relatives à chaque point de l’ordre du jour sont communiquées par tout moyen aux membres du collège ainsi qu’au directeur général du Trésor ou son représentant en même temps que la convocation et l’ordre du jour auxquels ils sont annexés, sans préjudice de notes ou pièces complémentaires adressées dans l’intervalle ou remises en séance. Certains points peuvent faire l’objet d’une présentation uniquement orale. [‘] ».

200.Le 1.1.2.2 ajoute notamment que « Dans l’éventualité où un point de l’ordre du jour n’a pas pu être examiné au cours de la séance, ce dernier est inscrit en priorité à l’ordre du jour de la séance suivante. Au cas où le report est motivé par la nécessité de recueillir un supplément d’informations, la question est inscrite à l’ordre du jour de la séance pour laquelle l’Autorité disposera des éléments nécessaires lui permettant de procéder à cet examen. »

201.La présidente de l’AMF a transmis un extrait de plusieurs procès-verbaux de séances du collège à M. [J] en les accompagnant d’un courrier du 8 août 2023 (AMF, pièces non numérotées, déposées le 28 juillet 2023) dans lequel elle lui indique, notamment :

« À titre liminaire, je rappelle que c’est lors de sa séance du 25 mai 2023 ‘ dont le procès-verbal a été produit avec nos observations écrites (pièce n° 18) ‘ que le collège de l’Autorité des marchés financiers a statué sur la demande de dérogations susvisées, bien que le dossier ait été évoqué lors de plusieurs séances précédentes. À cet égard, outre les dates que vous mentionnez, ce dossier a également fait l’objet d’un point oral d’information le 11 mai 2023. »

« [‘] je vous prie de trouver ci-joint une copie d’un extrait des procès-verbaux des collèges des 18 avril, 2, 11, 15 et 25 mai 2023, expurgés des délibérations, ces dernières étant couvertes par le secret des délibérations en application de l’article 9 de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2020 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, conformément à l’avis de la Commission d’accès aux documents administratifs n° 20227355 du 12 janvier 2023. »

202.Le procès-verbal de la séance du 18 avril indique « 7.2.1. Questions relatives à une future demande de dérogation au dépôt obligatoire d’un projet d’offre publique : ORPEA (décision) [‘] Le Collège prend acte de ces informations. Sur la question de l’applicabilité du cas de dérogation prévu à l’article 234-9, 2° du RG AMF au plan de restructuration envisagé par Orpéa, le Collège est favorable à l’option 1 (cf. p. 2 de la note des services), proposée par les services, consistant à accepter la dérogation ».

203.Le procès-verbal de la séance du 11 mai mentionne un « point oral » concernant le dossier Orpéa ainsi que la présence, dans la rubrique « personnes extérieures », notamment, de M. [A] [R] et Mme [B] [N], administrateurs judiciaires, et de « M. [D] [I], expert », ce dernier étant le président du cabinet Sorgem Évaluation (rapport Sorgem, pièce 33, Orpéa). Dans ses écritures, le Groupement explique, en outre, qu’« un projet de rapport a été transmis par le cabinet SORGEM à l’AMF dès le 11 mai 2023, date à laquelle son représentant [‘] a été auditionné par les membres du Collège après les administrateurs judiciaires d’ORPEA ».

204.Le procès-verbal du 15 mai expose que « le Collège décide de reporter l’examen de ce dossier lors d’une prochaine séance exceptionnelle programmée le 25 mai à 15h00 qui se tiendra en présentiel et à distance ».

205.La Cour relève que le calendrier prévisionnel mentionné au 1.1.1.1 du règlement intérieur n’a qu’une portée indicative et est dépourvu de tout caractère contraignant, ainsi que le révèlent les locutions « peut modifier » et « notamment ».

206.Il était donc loisible au collège de reporter l’examen du dossier lors d’une séance exceptionnelle. Au demeurant, c’est à juste titre que l’AMF souligne que le choix qu’elle a fait de consacrer une séance spéciale, le 25 mai, au seul dossier Orpéa révèle son intention de statuer dans des conditions optimales et non pas de « cadenasser » le débat, comme le prétend M. [J]. La Cour observe encore sur ce point que le collège a décidé le 15 mai de reporter sa décision à une séance ultérieure, mais n’a pas jugé nécessaire de réitérer ce report le 25, démontrant ainsi qu’il s’estimait être suffisamment éclairé pour prendre sa décision.

207.Il ressort au surplus des procès-verbaux précités des séances de l’AMF que si le rapport Sorgem a été communiqué la veille de la séance du 25 mai, le collège a en fait disposé du temps nécessaire à l’analyse du dossier Orpéa, puisqu’il avait commencé à l’examiner dès le 18 avril.

208.Par ailleurs, la remise de pièces en séance étant expressément prévue par le règlement intérieur (1.1.1.2), la communication du rapport Sorgem la veille de la séance n’est pas en elle-même irrégulière.

209.C’est donc en parfaite conformité aux dispositions de son règlement intérieur que le collège s’est réuni et a pris sa décision sur les demandes de dérogations qui lui étaient soumises, le 25 mai 2023.

210.Il convient en conséquence d’écarter l’intégralité des moyens et arguments développés par le Support Club et par M. [J] afférents à la légalité externe de la décision attaquée.

VI. SUR LES MOYENS EN RAPPORT AVEC LA LÉGALITÉ INTERNE DE LA DÉCISION

211.L’AMF, dans la décision attaquée, indique, notamment (soulignés ajoutés) :

« (‘) à la suite de la réalisation des opérations de recapitalisation d’ORPEA, le groupement :

‘ est susceptible de franchir en hausse les seuils de 30 % du capital et des droits de vote d’ORPEA au résultat de la deuxième augmentation de capital, se plaçant ainsi dans l’obligation de déposer un projet d’offre publique, en application des dispositions de l’article 234-2 du règlement général, et

‘ si la détention du groupement est supérieure à 30 % du capital et des droits de vote d’ORPEA, mais inférieure à 50 %, au résultat de la deuxième augmentation de capital, le groupement est susceptible d’accroître, à raison de sa souscription à la troisième augmentation de capital d’ORPEA, sa détention en capital et en droits de vote, comprise entre 30 % et 50 % du capital et des droits de vote, de plus de 1 % en moins de douze mois consécutifs, ce qui le placerait dans l’obligation de déposer un projet d’offre publique, conformément aux dispositions de l’article 234-5 du règlement général.

Les membres du groupement, agissant de concert, sollicitent ainsi de pouvoir déroger à l’obligation de déposer un projet d’offre publique visant les titres ORPEA, sur le fondement de l’article 234-9, 2° du règlement général »

« S’agissant de la soumission des augmentations de capital à l’origine des situations d’offre obligatoire à l’approbation des actionnaires :

L’Autorité a relevé au cas d’espèce :

‘ qu’en application des dispositions du code de commerce relatives à la sauvegarde accélérée, le projet de plan de sauvegarde, lequel comprend les augmentations de capital à l’origine de l’obligation d’offre publique pour le demandeur à la dérogation, sera soumis au vote des actionnaires, en tant que l’une des classes de parties affectées, selon les formes prescrites aux articles L. 626-30-2 et R. 626-32 du code de commerce ;

‘ si les actionnaires réunis en classe de parties affectées approuvent le projet de plan de sauvegarde, ils approuveront de facto les augmentations de capital prévues dans le cadre dudit plan ;

‘ en cas de rejet par les actionnaires d’ORPEA réunis en classe de parties affectées, du projet de plan de sauvegarde, celui-ci pourra alors être arrêté par le tribunal de commerce, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l’article L. 626-32, I du code de commerce selon lesquelles « la décision du tribunal vaut approbation des modifications de la participation au capital ou des droits des détenteurs de capital ou des statuts prévues par le plan », après s’être assuré que les conditions posées notamment aux articles L. 626-31 et L. 626-32 du code commerce (cf. ci-dessus) sont remplies ; qu’ainsi l’approbation des actionnaires sera réputée acquise et que le tribunal se voit attribuer, par la loi, les prérogatives de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires, aux fins de décider les augmentations de capital et les modifications statutaires prévues par le plan.

Dans les circonstances de l’espèce, prenant acte que la société ORPEA, qui est en situation avérée de difficulté financière, relève des dispositions du code de commerce relative à la sauvegarde accélérée, par suite de l’ouverture de la procédure de sauvegarde accélérée par le tribunal de commerce spécialisé de Nanterre par jugement du 24 mars 2023 (procédure de sauvegarde accélérée prolongée jusqu’au 24 juillet 2023, par jugement du 22 mai 2023), et étant observé que, d’une part, les augmentations de capital prévues par le plan de sauvegarde accéléré doivent être soumises à l’approbation des actionnaires existants d’ORPEA, et, d’autre part, que la mise en ‘uvre du plan de sauvegarde accéléré implique, soit l’approbation des actionnaires réunis en classe de parties affectées en application des dispositions de l’article L. 626-30-2 du code de commerce, soit une « décision du tribunal de commerce [valant] approbation des modifications de la participation au capital ou des droits des détenteurs de capital » au sens des dispositions de l’article L. 626-32, I dernier alinéa du code de commerce, disposition législative issue de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, l’Autorité des marchés financiers a octroyé, dans sa séance du 25 mai 2023, les dérogations au dépôt obligatoire d’un projet d’offre publique visant les titres de la société ORPEA sollicitées par le groupement composé de la CDC, CNP Assurances, MAIF et MACSF, agissant de concert, en application des dispositions des articles 234-8, 234-9, 2° et 234-10 du règlement général. »

212.Le Support Club soutient que l’absence d’approbation du plan par une véritable AGE entache la décision de l’AMF d’une grave irrégularité. Il développe ce moyen selon les axes suivants.

213.En premier lieu, il expose que les conditions dans lesquelles l’AMF peut accorder une dérogation à l’obligation de déposer une OPA sont fixées par le RGAMF, et nul autre texte, en application de l’article L. 433-3, I, du code monétaire et financier, et que la liste des cas de dérogation, prévue par l’article 234-9 du RGAMF, est limitative, une dérogation venant limiter la protection dont bénéficient les actionnaires minoritaires en cas de franchissement de certains seuils du capital et des droits de vote par un actionnaire. Ainsi, l’AMF ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire pour accorder une dérogation que le texte précité ne prévoit pas ‘ ce que la Cour a déjà jugé (Paris P. 5, ch. 5-7, 17 févr. 2011, n° 11/01064, [F] c/ Sté Hermès International et a.) ‘ et doit respecter les exigences textuelles du RGAMF. À titre d’illustration, le Support Club rappelle que dans une affaire où l’opération projetée n’avait pas fait l’objet en AGE de l’approbation exigée, vérification qui s’imposait au Conseil des marchés financiers (devenu l’AMF), la Cour a annulé la décision de dérogation (CA Paris, 11 juin 1997, n° 9316 P, [T] c/ Sté Lagardère SCA et autres ‘ affaire dite Filipacchi Médias). Il conclut que l’AMF aurait dû modifier son règlement général avant de prononcer la décision attaquée sur le fondement des motifs invoqués, tenant à l’approbation par la classe des actionnaires, ou à défaut par l’application forcée interclasse.

214.En deuxième lieu, selon les termes de l’article 234-9, 2° du RGAMF, la locution « soumise à l’approbation », suppose une approbation effective.

215.Selon ce texte, la dérogation fondée sur la souscription à l’augmentation de capital d’une société en situation avérée de difficulté financière nécessite que cette opération soit soumise à l’approbation de l’assemblée générale et plus précisément celle de l’AGE en cas d’augmentation de capital, conformément à l’article L. 225-96, alinéa 1 du code de commerce (modification des statuts). Selon cet article, l’AGE est en effet « seule habilitée à modifier les statuts dans toutes leurs dispositions. Toute clause contraire est réputée non écrite ». Dès lors, la locution « soumise à l’approbation » implique approbation effective. Le CMF puis l’AMF ont toujours veillé à motiver leurs décisions au regard de cette condition, constamment rappelée dans les décisions fondées sur les difficultés financières avérées. La Cour rappellerait également l’exigence de l’approbation du projet par l’assemblée générale des actionnaires (CA Paris, 5-7, 25 septembre 2014, n° 2013/15900). L’article 234-10 du RGAMF, qui permet à l’AMF de constater, après coup, la caducité de la dérogation, confirmerait encore cette analyse.

216.En troisième lieu, Support Club estime que l’« assemblée générale » mentionnée par l’article 234-9, 2°, du RGAMF vise une réunion des actionnaires pleinement conforme aux dispositions du livre II du code de commerce, point qui se déduirait de l’arrêt rendu dans l’affaire Filipacchi Médias précitée (1997). Dans cet arrêt, la Cour a précisé que le projet d’opération avait été soumis à l’approbation des actionnaires « dans les conditions et formes » prévues, notamment « aux articles 372 al. 2, 374 et 376 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ».

217.C’est cette dernière exigence que la dérogation publiée le 26 mai 2023 aurait violée. En effet, contrairement au précédent Pierre et Vacances (2022) où une véritable assemblée générale avait été convoquée pour permettre aux actionnaires de faire valoir leurs droits, les actionnaires d’Orpea n’ont été appelés à se réunir qu’en classe de parties affectées pour se prononcer uniquement sur le Plan dans le cadre d’un vote bloqué.

218.Il relève que, si l’AMF considère que la réunion de la classe des actionnaires équivaut à une véritable approbation par l’AGE du projet d’opération, cependant, la réunion en classe de parties affectées, prévue par l’article L. 626-30-2 du code de commerce, bien qu’elle se réfère aux dispositions régissant les AGE, prévoit plusieurs dérogations, moins protectrices pour les actionnaires. Ces dérogations résultent notamment de l’article R. 626-62 du code de commerce et portent sur des délais de convocation réduits à dix jours et l’absence de quorum minimum pour procéder au vote.

219.En outre, il fait valoir qu’Orpéa et les administrateurs judiciaires ont non seulement refusé de convoquer une assemblée générale régulière, mais se sont en outre opposés à l’inscription à l’ordre du jour de projets de résolutions, alors que l’article R. 626-62 les autorise. Ils ont considéré que si le III de ce texte permet l’inscription de projets de résolutions à l’ordre du jour de la classe des actionnaires, c’est uniquement dans une mesure compatible avec l’objet de cette réunion et selon les modalités du Livre VI du code de commerce (lettre du 6 juin 2021, pièce 21).

220.Le vote en classes de parties affectées permettrait enfin d’outrepasser (quand les conditions énumérées par la loi sont remplies, notamment lorsque les actionnaires sont « hors la monnaie »), un rejet des actionnaires par la procédure d’application forcée interclasse.

221.L’AMF, sans être juge des irrégularités commises au cours de la procédure de sauvegarde accélérée, aurait dû en tenir compte.

222.En quatrième et dernier lieu, l’adoption du plan par le tribunal de commerce de Nanterre en cas de rejet par les classes de parties affectées, dans le cadre de la procédure dite d’application forcée interclasse serait radicalement incompatible avec l’exigence d’une approbation par les actionnaires.

223.En effet, l’approbation en AGE constitue une manifestation du pouvoir souverain des actionnaires alors que l’adoption du plan par une décision judiciaire vise précisément à le contourner, le tribunal pouvant « passer outre » leur refus d’approuver ce projet.

224.Enfin, la loi (art. L. 626-32, I, al. 2 du code de commerce), en instaurant un mécanisme permettant de se passer de l’approbation des actionnaires, a certes précisé que la décision judiciaire « vaut approbation » « des modifications [‘] prévues par le plan ». Mais, le texte ne va pas jusqu’à indiquer que cette décision vaut approbation par les actionnaires.

225.Par conséquent, en considérant que l’article L. 626-32, I du code de commerce équivalait à une approbation par les actionnaires, l’AMF aurait violé les dispositions des articles 234-8 et 234-9, 2° du RGAMF. La décision attaquée devrait donc être annulée.

226.Concert’O soutient que l’AMF ne peut pas procéder par assimilation et considérer que la consultation des détenteurs de capital réunis en classe de parties affectées (processus relevant du droit des procédures collectives), serait équivalente à une assemblée générale (au sens du droit des sociétés), et permettrait de déroger à l’obligation de déposer une offre publique (au sens du droit des marchés financiers).

227.En premier lieu, il expose que les cas de dérogation à l’obligation de déposer une OPA sont limitativement énumérés par l’article 234-9 du RGAMF. En application du 2° de ce texte (souscription à l’augmentation de capital d’une société en situation avérée de difficulté financière), l’opération doit être approuvée par l’assemblée générale des actionnaires, à l’exclusion de tout autre organe, et dans le cadre d’un vote spécifique. La Cour contrôle le respect par l’AMF des conditions d’application de ce texte (CA Paris, Pôle 5, chambre 7, 25 septembre 2014, n°2013/16164).

228.Il précise que, la réunion des détenteurs de capital en classe de parties affectées n’est pas une assemblée générale au sens de l’article 234-9, 2° du règlement général de l’AMF. Ainsi, aucune disposition du Livre VI du code de commerce ne permet d’assimiler la consultation de la classe de détenteurs de capital à une assemblée générale des actionnaires. S’il est fait référence aux assemblées générales aux termes des articles L. 626-30-2 et R. 626-62 du code de commerce, ce n’est que pour déterminer ponctuellement certaines conditions dans lesquelles les classes de détenteurs de capital sont convoquées et statuent. Ces dispositions ne prévoient pas que la classe de détenteurs de capital réunissant les actionnaires serait une assemblée générale qui obéirait simplement à quelques règles dérogatoires.

229.Il relève les différences suivantes :

‘ l’objet de la consultation de la classe de détenteurs de capital est radicalement différent de celui d’une assemblée générale ;

‘ le vote en bloc de la classe des détenteurs de capital : dans le cadre du vote des classes de parties affectées organisé par les administrateurs judiciaires d’Orpea, les détenteurs de capital sont appelés à se prononcer sur une résolution unique, ayant pour objet le refus ou l’approbation du plan de sauvegarde dans son ensemble. C’est un vote en bloc, contraire au droit des sociétés, selon lequel, lorsque plusieurs augmentations de capital sont soumises à l’assemblée générale des actionnaires, ces derniers doivent impérativement se prononcer sur des résolutions distinctes ‘ opération par opération (art. L. 225-129-2 du code de commerce). D’ailleurs, au cas présent, les augmentations de capital que le plan renferme, prises ensemble, révèlent le caractère inéquitable pour les actionnaires des opérations sur le capital prévues au plan. En effet, comme le relève l’« attestation d’équité » transmise à l’AMF, les actionnaires actuels n’ont « pas d’intérêt financier » (pièce n°28, page 78) à souscrire à la première augmentation de capital, dans la mesure où son prix est plus de trois fois supérieur à la seconde augmentation de capital réservée au Groupement. Les instigateurs du projet de plan ont de fait dévoyé les dispositions de l’article L. 626-32, I, 5°, c), du code de commerce ;

‘ l’absence de règle de quorum : l’article L. 225-96 du code de commerce prévoit pour les assemblées générales extraordinaires un quorum du quart des actions ayant le droit de vote sur première convocation, et le cinquième de ces actions sur seconde convocation. Le quorum a pour fonction d’exprimer un « plancher de représentativité ». Or, aucun quorum n’est prévu s’agissant des classes de parties affectées ;

‘ le refus opposé par les administrateurs judiciaires aux détenteurs de capital de proposer des résolutions : l’article L. 225-105 du code de commerce permet aux actionnaires de soumettre des points et résolutions à l’ordre du jour de l’assemblée générale. Ces résolutions et points n’ont pas à être en lien avec l’ordre du jour établi par l’auteur de la convocation pour être recevables. Pourtant, contrairement à ce que à ce que permet l’article R. 626-62, III, du code de commerce, les administrateurs judiciaires d’Orpea ont rejeté la demande d’un actionnaire qui avait soumis des projets de résolutions (approbation des comptes, révocations et nominations de dirigeants) à l’ordre du jour de la classe de détenteurs de capital. Ils ont considéré que la réunion de classes ne se substituait pas à l’assemblée générale ordinaire des actionnaires « dont l’objet est différent de celui d’une classe de parties affectées » (lettre du 6 juin 2023, pièce n° 30).

230.En réponse à l’argumentation développée par l’AMF et le Groupement, Concert’O ajoute que :

‘ l’argumentation de l’AMF selon laquelle la locution « soumise à l’approbation » n’impliquerait pas une approbation effective, et reviendrait à ne désigner qu’une consultation, est contredite par la lettre même de l’article 234-8 du règlement, qui prévoit que l’AMF doit vérifier les « conditions dans lesquelles, le cas échéant, l’opération a fait ou fera l’objet d’une approbation par l’assemblée générale » ;

‘ contrairement à ce que soutient le Groupement, le législateur se borne à dire que, dans le cas d’application forcée interclasse, la décision du tribunal vaut « approbation des modifications du capital » prévues par le plan, et non pas un « jugement valant approbation des décisions d’assemblée générale ». Cette distinction fondamentale recoupe celle entre les règles de droit des sociétés (qui doivent parfois céder devant les exigences du droit des procédures collectives) et les règles de droit boursier.

231.En second lieu, Concert’O soutient que la consultation des détenteurs de capital, même suivie d’une décision du tribunal arrêtant le plan, ne peut être considérée comme une « approbation » de l’assemblée générale .

232.Il explique, d’abord, que les épargnants doivent « pouvoir bénéficier d’une possibilité de sortie » dans l’hypothèse d’un changement de contrôle conférant à un actionnaire une position déterminante dans la gouvernance de la société et la définition de sa stratégie. C’est dans cette perspective qu’est requise l’approbation de l’assemblée générale en vertu de l’article 234-9, 2° du RGAMF.

233.Il ajoute que ce texte n’a pas été modifié depuis sa création, ni donc à l’occasion de la transposition de directive « Restructuration et insolvabilité », à telle enseigne que l’AMF l’avait appliqué littéralement à l’occasion de sa décision Pierre et Vacances (2022), où la procédure de sauvegarde accélérée était également mise en ‘uvre. En outre, la directive est muette sur le sujet, le droit des sociétés (impacté par la directive) n’étant pas le droit des marchés financiers (non impacté). Le droit boursier, selon la doctrine, se distingue du droit des sociétés « en ce sens que le premier s’intéresse à l’organisation d’un marché et le second à celle d’une personne morale ».

234.Ainsi, le postulat selon lequel le législateur aurait voulu étendre la portée de l’ordonnance du 15 septembre 2021 aux règles qui gouvernent les offres publiques obligatoires serait inexact. Cela ressortirait du rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, qui ne comporte pas un mot relatif au droit boursier.

235.Concert’O en déduit que l’AMF ne pouvait pas créer une nouvelle exception aux règles qui gouvernent les offres publiques obligatoires.

236.Il explique encore que la solution retenue par l’AMF donne une portée qu’elles n’ont pas aux dispositions issues de l’ordonnance du 15 septembre 2021. Le raisonnement de l’AMF consiste à poser une équivalence entre la consultation des détenteurs de capital réunis en classe de parties affectées (processus relevant du droit des procédures collectives), et une assemblée générale (au sens du droit des sociétés), et permettrait de déroger à l’obligation de déposer une offre publique (au sens du droit des marchés financiers). Il repose sur une confusion.

237.Si la réforme du droit des procédures collectives opère un changement de paradigme en matière de prévention des entreprises en difficulté, cela n’implique pas qu’il ait entendu sacrifier purement et simplement les intérêts des épargnants. D’ailleurs, l’article L. 631-19-2 du code de commerce, issu de la loi Macron de 2014, impose une obligation de déposer une offre publique dans le cas où le tribunal de commerce statue pour adopter un plan de redressement judiciaire de manière forcée. Cette disposition, comme les travaux parlementaires qui l’ont préparée, démontrent que le fait d’imposer une offre publique n’est pas en soi, pour le législateur, un obstacle au succès de la restructuration.

238.En conclusion, Concert’O indique que les requérants ne demandent ni une offre publique, ni une « porte de sortie » (dernières écritures, § 86), mais demandent de pouvoir remplir leur rôle d’actionnaire et d’accompagner un nouveau plan de sauvegarde qui soit plus respectueux des intérêts de chacune des parties prenantes.

239.Il précise encore qu’aucun effet direct ne peut être reconnu à la directive dès lors qu’elle a fait l’objet d’une transposition complète (dans le délai d’habilitation) par l’ordonnance du 15 septembre 2021 et son décret du 23 septembre 2021 ; qu’il n’y a pas matière à interpréter une disposition claire et précise ; que le juge ne peut édicter une règle contra legem par rapport aux dispositions du droit national applicables.

240.Ainsi, il estime que la solution retenue par l’AMF procède d’une véritable réécriture qui dénature le sens du 2° de l’article 234-9 du RGAMF.

241.M. [J] soutient le même moyen et le développe une argumentation comparable. Il souligne ainsi, en premier lieu :

‘ qu’il appartient au RGAMF de fixer de façon précise les conditions dans lesquelles l’autorité peut accorder une dérogation (art. L. 433-1, I, du code monétaire et financier) ;

‘ que l’AMF est en conséquence tenue de faire une application stricte des conditions fixées par son règlement général lorsqu’elle accorde une dérogation à une offre publique obligatoire, sauf à provoquer la censure de la Cour (affaire Filipacchi, précitée) ;

‘ qu’il lui est corrélativement interdit de procéder à une interprétation extensive de son propre règlement général, et qu’elle ne saurait dès lors avoir recours à une « approche téléologique » ;

‘ que la liste des dérogations prévues par l’article 234-9 du RGAMF est limitative, l’AMF ne disposant d’aucun pouvoir discrétionnaire pour accorder une dérogation (affaire Hermès, Paris, ch. 5-7, 17 février 2011, n° 11/01064).

242.Ce requérant ajoute, en deuxième lieu :

‘ que l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 a été adoptée dans le cadre de l’habilitation conférée par la loi Pacte en 2019 et dans les limites de l’article 60, alinéa 14, de ladite loi, en sorte que le Gouvernement n’était pas habilité à modifier le régime des offres publiques et que le rapport au président de la République confirme cette analyse ; qu’ainsi le droit des offres publiques est très nettement placé hors du champ d’application matériel de l’ordonnance ;

‘ qu’en outre l’ordonnance n’ayant pas été ratifiée, elle n’a qu’une valeur réglementaire, ce dont il résulte qu’elle n’a pas pu modifier les dispositions du RGAMF en cause, qui demeurent d’interprétation stricte ;

‘ que l’AMF eût mieux fait de modifier le RGAMF au préalable.

243.En troisième lieu, M. [J] expose :

‘ que la locution « soumise à l’approbation de l’assemblée générale de ses actionnaires » qui se trouve à l’article 234-9, 2°, du RGAMF implique approbation effective, ainsi qu’il se déduit de la lettre même de l’article 234-8 « (‘) l’opération a fait ou fera l’objet d’une approbation par l’assemblée générale (‘) » ;

‘ que l’expression « l’assemblée générale des actionnaires » renvoie à un mode spécifique de consultation des actionnaires encadré par les dispositions du livre II du code de commerce, à l’exclusion de tout autre mode de réunion ou votation ;

‘ que l’interprétation des 3° et au 4° de l’article 234-9, précité, où l’on trouve cette même locution, est constante et suppose une approbation effective ;

‘ que l’interprétation contraire, selon laquelle une approbation effective de l’assemblée générale des actionnaires ne serait pas nécessaire pour l’application du 2° de l’article 234-9, que l’AMF soutient dans ses écritures, n’a jamais été illustrée par aucun précédent en 25 ans ;

‘ qu’a fortiori, l’application forcée interclasse ne peut se substituer à une AGE, ce que l’AMF avait parfaitement relevé dans sa décision Pierre et Vacances (2022).

244.En quatrième lieu, il soutient :

‘ que la consultation des actionnaires réunis en classe de parties affectées n’équivaut pas à la réunion d’une AGE ;

‘ que des différences essentielles distinguent les deux réunions s’agissant des délais de convocation, de publication au Balo, d’inscription de points ou de projets de résolutions, ou s’agissant du droit à l’information des actionnaires ou encore des modalités de vote (absence de quorum dans le cadre du dispositif de la classe de parties affectées), l’ensemble de ces différences conduisant à un affaiblissement des droits des actionnaires dans le cadre du dispositif de la classe de parties affectées ;

‘ que surtout, le vote défavorable des actionnaires réunis en classe de parties affectées peut être outrepassé et imposé par un tribunal à travers le dispositif d’application forcée interclasse (art. L. 626-32 du code de commerce), alors qu’un tel contournement est impossible dans le cadre d’une AGE ;

‘ que les administrateurs judiciaires eux-mêmes reconnaissent que la réunion des actionnaires en classe de parties affectées diffère de la réunion d’une assemblée générale d’actionnaires (courrier du 6 juin 2023, précité, pièce 28 de l’intéressé) ;

‘ qu’au cas particulier, le processus de consultation des actionnaires d’Orpéa en classe de partie affectée a été mené de manière irrégulière, de façon à contenir encore davantage les droits des actionnaires : refus des administrateurs d’inscrire des projets de résolution, convocation de la réunion par les administrateurs, pourtant seulement habilités à décider des modalités de convocation des classes (art. R. 626-60 du code de commerce), et non par le conseil d’administration d’Orpéa ; ou encore, violation du principe de révocation ad nutum des administrateurs (pièce 30) ;

‘ enfin, que la procédure d’application forcée interclasse est en totale contrariété avec l’exigence d’une approbation en AGE posée par les articles 234-8 et 234-9, 2°, du RGAMF, qui réserve le dernier mot sur la restructuration envisagée aux actionnaires ;

‘ étant précisé que l’article L. 626-32 du code de commerce ne va pas jusqu’à indiquer que la décision du tribunal de commerce vaut approbation par les actionnaires, le législateur n’ayant pas prévu d’instaurer un dispositif qui permettrait au tribunal de changer rétroactivement la décision prise par les actionnaires.

245.En réplique, l’AMF expose que les critiques des requérants, qui résultent d’une analyse comparative des textes applicables pris isolément, ne sauraient prospérer au regard de leur finalité, laquelle doit être appréhendée globalement au regard d’une société cotée soumise à une procédure de sauvegarde accélérée en raison de sa situation avérée de difficulté financière au sens boursier du terme.

246.Elle ajoute que la dérogation accordée a vocation à favoriser la recapitalisation d’une société cotée en difficulté financière et partant la continuité de son activité et précise que le fondement de cette dérogation réside dans le fait qu’à partir du moment où une société rencontre de graves difficultés financières et que la continuité de son exploitation est en péril, celui qui viendrait y injecter des fonds pourrait légitimement ne pas avoir à supporter le coût d’une offre publique en raison des franchissements de seuils en capital ou en droit de vote qu’emporterait éventuellement cet apport de fonds propres, sauf à compromettre sa réalisation, et par-delà faire échec au rétablissement de la viabilité de l’activité de la société concernée.

247.L’AMF considère que dans le cadre de l’examen d’une demande de dérogation au motif de la situation avérée de difficulté financière d’une société cotée, l’AMF ne saurait interpréter son règlement général sans tenir compte d’autres normes spécifiques également applicables à une telle situation, à l’instar, comme en l’espèce, des dispositions régissant la procédure de sauvegarde accélérée ouverte au bénéfice d’Orpéa.

248.Elle précise, après avoir fait référence au principe de plénitude et d’unité du système juridique, qu’une approche téléologique est au c’ur de la régulation boursière et qu’au cas particulier, la réunion de la classe des détenteurs de capital répond à la finalité de l’article 234-9, 2° du RGAMF, et qu’il y a lieu d’admettre, in fine, que le tribunal se voit attribuer, par la loi, les prérogatives de l’AGE des actionnaires, aux fins de décider des augmentations de capital et des modifications statutaires prévues par le plan.

249.Elle ajoute que l’article 234-9, 2° du règlement général de l’AMF ne requiert nullement une augmentation de capital approuvée par l’assemblée générale, mais simplement que l’augmentation de capital soit « soumise à l’approbation » de l’assemblée des actionnaires.

250.S’agissant de la décision Pierre et Vacances, invoquée par les requérants, l’AMF explique que dans cette espèce, l’assemblée générale mixte des actionnaires n’a statué qu’après avoir eu connaissance du vote de chacune des classes de parties affectées, lesquelles, en ce compris la classe des actionnaires, avaient toutes approuvé le plan de sauvegarde accélérée dans les conditions requises par le droit des procédures collectives dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, soit, en l’espèce, a bien plus qu’à la majorité des deux tiers. Il n’est donc pas possible de considérer que l’AMF aurait, par cette décision, dérogé au principe de la primauté du vote des classes de parties affectées appelées à se prononcer sur le plan de sauvegarde accélérée en faisant référence à la tenue d’une assemblée générale des actionnaires au sens du RGAMF.

251.Le Groupement répond, à titre liminaire que l’invocation de l’article L. 631-19-2 du code de commerce, relatif aux procédures de redressement judiciaire, est inopérante, cette disposition étant inapplicable dans le cadre de la procédure de sauvegarde accélérée (art. L. 631-19, I, al. 5 et 6) et ajoute que l’AMF, si elle s’est livrée à une interprétation du RGAMF, n’en a nullement écarté l’application.

252.Il soutient, en premier lieu, que l’analyse des différences et des similitudes entre la classe des parties affectées des détenteurs de capital constituée des seuls actionnaires, et une assemblée générale d’actionnaires, présente peu d’intérêt pour apprécier le bien-fondé de la dérogation accordée au Groupement.

253.Il considère que la réunion de la classe des détenteurs de capital a correspondu, du fait des personnes la composant et de sa règle de majorité, à une réunion des membres de l’assemblée générale des actionnaires d’Orpéa et qu’aucune des différences entre les assemblées ne conduit à considérer qu’une approbation donnée par les actionnaires réunis en classe de parties affectées n’équivaudrait pas à une approbation donnée en AGE.

254.Il ajoute que les actionnaires ont été amenés à exprimer leur avis sur les opérations sur le capital, à la majorité requise pour une telle opération, même dans le cadre du vote de la classe des détenteurs de capital.

255.Il relève qu’une double consultation des actionnaires sur les mêmes opérations serait d’une inutilité manifeste et que le précédent de l’AMF « Pierre et Vacances », compte tenu des particularités du cas, n’éclaire en rien les conditions minimales à satisfaire pour l’octroi d’une dérogation fondée sur l’article 234-9, 2°, du RGAMF.

256.Le Groupement expose encore que l’AMF pouvait interpréter son règlement car elle doit se voir reconnaître une faculté d’appréciation s’agissant de l’octroi des dérogations, en ligne avec les principes de liberté d’acquérir et de liberté contractuelle, et qu’en tout état de cause, dans le cas de la présente affaire, elle n’a pas agi de manière discrétionnaire.

257.En second lieu, le Groupement précise que dans le cadre de la sauvegarde accélérée, les actionnaires bénéficient de certaines règles protectrices, mais également que, certaines conditions étant remplies, le tribunal peut passer outre le rejet du plan par la classe des détenteurs de capital avec pour conséquences, d’une part, que le jugement du tribunal de commerce « vaut approbation des modifications de la participation au capital ou des droits des détenteurs de capital ou des statuts prévues par le plan » (art. L. 626-32, I, in fine, du code de commerce), en sorte que le tribunal « fait fonction d’assemblée générale extraordinaire », d’autre part, que les dispositions du plan sont rendues « opposables à tous » (art. L. 636-31, in fine, du même code). Ainsi, la force juridique de la décision du tribunal arrêtant le plan lui confèrerait une valeur et un effet équivalents à celui d’un vote de l’assemblée générale des actionnaires de par les dispositions de la directive « restructuration et insolvabilité ».

258.Il récuse la pertinence des arguments développés par les requérants et conclut que la solution retenue par l’AMF est cohérente, d’une part, avec les principes de la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021, selon lesquels les actionnaires ne sont plus en capacité, lorsqu’ils ont perdu la totalité de leur investissement, d’exiger ou de forcer l’émetteur à leur accorder une quelconque compensation pour qu’il puisse mettre en ‘uvre son plan de sauvegarde. Or précisément, le tribunal doit s’assurer qu’en l’absence d’adoption du plan, la valeur des titres détenus par les actionnaires serait nulle. La solution adoptée par l’AMF est cohérente, d’autre part, avec les objectifs de la directive, ainsi qu’il ressort notamment du rapport au président de la République.

259.Le Groupement ajoute qu’aucune conclusion ne peut être tirée du fait que la directive ne prévoirait pas de dérogations en matière de droit boursier, la distinction entre droit boursier et droit des sociétés étant à la fois artificielle et inexistante en droit de l’Union et, enfin, qu’offrir aux actionnaires, via une OPA, une « porte de sortie » heurterait la règle de priorité absolue prévue en matière de sauvegarde accélérée.

260.Orpéa expose, en premier lieu, que la directive « Restructuration et insolvabilité » (considérants 96, articles 11, 12 et 32) fait passer au second plan la protection des associés, le droit des sociétés devant dorénavant s’adapter au droit des entreprises en difficulté et que son objectif est clair : lever les obstacles du droit des sociétés en retirant à l’assemblée des associés son pouvoir souverain. La société ajoute qu’il incombe au juge d’interpréter le droit national, après transposition de la directive, à la lumière du texte et de la finalité de la directive.

261.Orpéa précise que seules les parties affectées se prononcent sur le plan de sauvegarde (art. L. 626-30 du code de commerce), et, s’agissant des actionnaires, la classe des détenteurs du capital, à l’exclusion de l’assemblée générale des actionnaires du livre II du code de commerce, à laquelle elle se substitue.

262.En second lieu, Orpéa souligne qu’en l’absence d’un vote favorable de chaque classe à la majorité des deux tiers, le tribunal de commerce peut décider d’arrêter le projet de plan de sauvegarde et l’imposer aux classes dissidentes (sous réserve que certaines conditions soient remplies), et ainsi priver les détenteurs de capital d’un pouvoir de nuire en bloquant un plan favorable au redressement de l’entreprise. Ainsi, le tribunal se voit attribuer les prérogatives de l’AGE.

263.S’agissant des pouvoirs de l’AMF, Orpéa indique, d’une part, que cette Autorité dispose d’une liberté d’appréciation importante, et peut ainsi ne pas faire une application littérale des conditions prévues à l’article 234-9 du RGAMF, ce que révèle d’ailleurs sa pratique décisionnelle, d’autre part, que la lecture littérale de ce texte pourrait faire échec à la mise en ‘uvre du plan de sauvegarde, pourtant approuvé par le tribunal, et ce au mépris des objectifs poursuivis par la directive.

264.La société estime qu’imposer à un investisseur de lancer une offre publique d’achat dans un tel contexte serait tout à fait injustifié alors que les actionnaires sont, par principe, « hors la monnaie » en application de l’article L. 626-32, I, 5°, b) du code de commerce, et qu’elle serait en outre contraire à la règle de priorité absolue prévue à l’article L. 626-32, I, 3° du même code.

265.Orpéa soutient encore que les différences invoquées par les requérants entre les deux institutions (AGE, réunion de la classe des détenteurs de capital) sont largement insuffisantes pour remettre en cause leur assimilation, l’essentiel étant que les actionnaires puissent donner leur avis.

266.Enfin, il résulte des termes de l’article L. 626-32 (« la décision du tribunal vaut approbation des modifications (‘) ») que le législateur a voulu assimiler l’approbation du plan de sauvegarde accélérée, en ce compris les opérations sur le capital, par l’autorité judiciaire à une approbation des actionnaires réunis en assemblée générale en lui conférant strictement les mêmes effets.

267.Orpéa récuse, par ailleurs, toute pertinence aux développements consacrés par les requérants à l’article L. 631-19-2 du code de commerce en ce que cette disposition n’est pas applicable dans le cas d’une procédure de sauvegarde accélérée, et qu’elle ne prévoit aucunement qu’il serait impossible de solliciter une dérogation à l’obligation de déposer une offre publique d’achat.

268.Enfin, la société considère que le droit boursier n’est pas autonome du droit des sociétés et qu’il ne saurait être admis que les dispositions du droit des offres publiques puissent aboutir à ressusciter indirectement un obstacle à la sauvegarde des entreprises que le droit des procédures collectives a manifestement souhaité éliminer. Il relève ainsi qu’en application de l’article L. 632-31 du code de commerce, « le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions opposables à tous », et par voie de conséquence, à l’AMF entre autres.

269.Le commissaire à l’exécution du plan développe une argumentation analogue à celles du Groupement et d’Orpéa, et soutient plus précisément que :

‘ la consultation des actionnaires réunis en classe de parties affectées équivaut à la réunion de l’assemblée générale au sens de l’article 234-9 du RGAMF, cette équivalence résultant, d’une part, de la directive, d’autre part de la lettre de l’article précité, qui n’exige ni la réunion d’une « assemblée générale extraordinaire », ni celle d’une « assemblée générale au sens du Livre II du code de commerce » ;

‘ la classe des actionnaires a été régulièrement convoquée par les administrateurs judiciaires.

270.Le ministère public partage les argumentations développées par le Groupement et Orpéa et conclut au rejet des recours après avoir exposé plus particulièrement que :

‘ l’AMF, non plus que la Cour, ne sont compétentes et ne sont juges des irrégularités le cas échéant commises au regard du droit des sociétés,

‘ l’AMF n’a pas décidé d’écarter le RGAMF, mais en a fait une interprétation en présence d’une application forcée interclasse dans une procédure de sauvegarde accélérée, les textes applicables ne pouvant être pris isolément, et leur finalité devant être prise en compte,

‘ le précédent « Pierre et vacances » n’invalide pas ces analyses, compte tenu des particularités de l’espèce,

‘ il suffit, pour l’application de l’article 234-9, 2°, du RGAMF, que les actionnaires soient consultés sur l’augmentation de capital en cause,

‘ l’approbation des augmentations de capital a été arrêtée de facto par le tribunal de commerce de Nanterre le 24 juillet 2023 par voie d’application forcée interclasse,

‘ les actionnaires, conformément à la volonté du législateur européen et du législateur interne, ne peuvent plus s’opposer indûment à un plan de restructuration qui impliquerait une modification du capital.

Sur ce, la Cour :

271.L’article L. 433-3, I, du code monétaire et financier dispose que « le règlement général de l’Autorité des marchés financiers fixe les conditions dans lesquelles (‘) [une] personne est tenue (‘) de déposer un projet d’offre publique en vue d’acquérir une quantité déterminée des titres de la société » et « fixe également les conditions dans lesquelles l’autorité peut accorder une dérogation à l’obligation de déposer un projet d’offre publique ».

272.Il résulte des articles 234-2 et 234-5 du RGAMF que lorsqu’une personne, agissant seule ou de concert, vient à détenir, directement ou indirectement, des titres de capital ou des droits de vote d’une société au-delà de certains seuils, elle est tenue de déposer un projet d’offre publique visant la totalité du capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote.

273.Les articles 234-8, 234-9 et 234-10 du RGAMF précisent les cas dans lesquels il peut cependant être dérogé à cette obligation.

274.L’article 234-8 est ainsi rédigé (soulignements ajoutés) :

« L’AMF peut accorder une dérogation à l’obligation de déposer un projet d’offre publique si la ou les personnes concernées justifient auprès d’elle remplir l’une des conditions énumérées à l’article 234-9.

L’AMF se prononce après avoir examiné les circonstances dans lesquelles le ou les seuils ont été ou seront franchis, la répartition du capital et des droits de vote et les conditions dans lesquelles, le cas échéant, l’opération a fait ou fera l’objet d’une approbation par l’assemblée générale des actionnaires de la société visée. »

275.L’article 234-9, 2°, précise (soulignements ajoutés) :

« Les cas dans lesquels l’AMF peut accorder une dérogation sont les suivants : [‘] 2° Souscription à l’augmentation de capital d’une société en situation avérée de difficulté financière, soumise à l’approbation de l’assemblée générale de ses actionnaires ; »

276.L’article 234-10 ajoute, notamment (soulignements ajoutés) :

« Dans le cas d’opérations soumises à l’approbation des actionnaires de la société visée, l’AMF peut statuer sur une demande de dérogation avant la tenue de cette assemblée sous réserve de disposer d’informations précises sur l’opération projetée. [‘] L’AMF est informée du déroulement de l’opération et, dans l’hypothèse où celle-ci n’est pas mise en ‘uvre selon les conditions initialement prévues, peut constater la caducité de la décision précédemment rendue. [‘] ».

277.En l’espèce, il est constant qu’Orpéa est une société en situation avérée de difficulté financière et qu’en application du plan de sauvegarde arrêté par jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 24 juillet 2023, certains seuils de détention des actions et droits de vote sont appelés à être franchis par le Groupement, en sorte que le 2° de l’article 234-9 du RGAMF est applicable, ainsi que les articles 234-8 et 234-10 du même règlement.

278.La Cour observe, en premier lieu, qu’en l’état du droit antérieur à l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, ayant transposé la directive 2019/1023 du 20 juin 2019 relative, notamment, aux cadres de restructuration préventive, l’interprétation de la locution « soumise à l’approbation de l’assemblée générale de ses actionnaires » figurant au 2° de l’article 234-9, ne faisait pas l’objet de contestation.

279.Il était admis et il ressort de la pratique décisionnelle constante de l’AMF que les mots « assemblée générale » mentionnés au 2° de l’article 234-9 du RGAMF pouvaient être entendus comme désignant l’AGE prévue à l’article L. 225-96 du code de commerce, puisque dans le cas des sociétés anonymes, il résulte de cet article que seule l’AGE est « habilitée à modifier les statuts dans toutes leurs dispositions », et donc à approuver des augmentations de capital.

280.Pour autant, cette interprétation résultait d’une déduction cohérente en l’état du droit mais non d’une nécessité absolue dans la mesure où, d’une part, l’expression « assemblée générale » au sens de l’article 234-9 du RGAMF est empreinte d’un caractère de généralité, en ce qu’elle ne précise pas que l’assemblée doit être extraordinaire, d’autre part, ce texte ne renvoie pas explicitement au Livre II du code de commerce (et en particulier aux dispositions relatives aux assemblées d’actionnaires des sociétés anonymes).

281.Dès lors, la locution « assemblée générale » au sens de l’article 234-9 du RGAMF est susceptible, en considération de l’évolution du système juridique dans son ensemble, de faire l’objet d’une interprétation autonome, et de désigner une catégorie générique, détachée des dispositions contingentes relatives aux assemblées d’actionnaires mentionnées au Livre II du code de commerce.

282.Il était également admis que l’expression « soumise à l’approbation » impliquait une approbation effective, la pratique décisionnelle de l’AMF n’ayant au demeurant jamais démenti cette interprétation.

283.Si l’AMF affirme que tel n’est pas le cas dans ses observations du 28 juillet 2023, force est pour la Cour de relever que l’article 234-9, 2°, mentionne la soumission à l’approbation et non à la simple consultation de l’assemblée générale. En outre, la lettre même de l’article 234-8 implique que l’assemblée approuve effectivement l’augmentation sur le capital (« l’opération a fait ou fera l’objet d’une approbation »).

284.La Cour considère dès lors que l’approbation effective de l’augmentation de capital projetée est une condition d’application de l’article 234-9, 2°, du RGAMF.

285.La Cour observe, en deuxième lieu, que la directive « Restructuration et insolvabilité » a été transposée par l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021.

286.Aux termes du considérant 57 de la directive « [b]ien que les intérêts légitimes des actionnaires ou autres détenteurs de capital doivent être protégés, les États membres devraient veiller à ce qu’ils ne puissent déraisonnablement empêcher l’adoption de plans de restructuration qui permettraient au débiteur de retrouver la viabilité » ; » [‘] lorsque des détenteurs de capital disposent du droit de vote sur un plan de restructuration, une autorité judiciaire ou administrative devrait être en mesure de valider le plan en appliquant les règles d’application forcée interclasse même si une ou plusieurs classes de détenteurs de capital font dissidence ». En outre, selon le considérant 96, « [l]’efficacité de la procédure d’adoption et de mise en ‘uvre du plan de restructuration ne devrait pas être mise en péril par le droit des sociétés. »

287.Le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 indique que le cadre de restructuration préventive prévu par la directive a pour objet, notamment, « de permettre aux entreprises de poursuivre leur activité et de prévenir les suppressions d’emplois et les pertes de savoir-faire (considérant 2 de la directive) ». Il ajoute que le choix du législateur (entendu au sens large), s’agissant des cadres de restructuration préventive, a consisté à « faire de la procédure de sauvegarde accélérée, organisée par le chapitre VIII du titre II du livre VI, le cadre de restructuration préventif au sens de la directive ».

288.Cette finalité de la directive et des dispositions qui la transposent ne peut qu’être rapprochée du second alinéa de l’article 1833 du code civil, qui dispose que « [l]a société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

289.Cette réforme a ainsi fait prévaloir, au travers du droit de la sauvegarde accélérée, l’intérêt de la société et des créanciers que sa situation affecte, sur celui des actionnaires, d’une part, en instaurant le système du vote sur le plan de sauvegarde en classes de parties affectées ‘ celle des détenteurs de capital occupant le dernier rang ‘, d’autre part, en instaurant le mécanisme de l’application forcée interclasse, qui permet de passer outre l’opposition au plan de sauvegarde de la classe des détenteurs de capital lorsque les actionnaires sont « hors la monnaie ». La loi prévoit ainsi que « la décision du tribunal vaut approbation des modifications de la participation au capital ou des droits des détenteurs de capital (‘) » (art. L. 626-32 du code de commerce).

290.Dès lors, en cas de difficulté d’application ou d’interprétation d’une norme relevant du droit boursier en rapport avec la mise en ‘uvre des dispositions régissant la procédure de sauvegarde accélérée, il convient, afin de préserver l’effet utile de la directive, d’interpréter la première à la lumière des secondes.

291.Il résulte de l’article L. 626-30, I, 2°, du code de commerce que les actionnaires, membres de l’AGE au sens de l’article L. 225-96 du code de commerce, sont des parties affectées et appartiennent en conséquence à la ou à une classe des détenteurs de capital.

292.Il résulte encore de l’article L. 626-30-2 du même code que la classe des détenteurs de capital constituée des actionnaires, statue « conformément aux dispositions applicables aux assemblées générales extraordinaires », et en particulier à la majorité des deux tiers des voix.

293.Il apparaît ainsi que la classe des détenteurs de capital constituée des actionnaires est assimilable à l’AGE lorsqu’il s’agit de voter sur le plan de sauvegarde dans le cadre de la procédure de sauvegarde accélérée.

294.Il résulte de l’ensemble de ces considérations que l’AMF était fondée à interpréter l’article 234-9, 2° du RGMF, en ce sens que la locution « assemblée générale » renvoie à la classe des détenteurs de capital constituée des actionnaires dans le cas où une procédure de sauvegarde accélérée est appelée à être mise en ‘uvre.

295.En troisième lieu, dans le cas où le tribunal de commerce fait application du mécanisme d’application forcée interclasse, il résulte de l’article L. 626-32 du code de commerce que « [l]a décision du tribunal vaut approbation des modifications de la participation au capital ou des droits des détenteurs de capital ou des statuts prévues par le plan ». Le plan arrêté par le tribunal est alors « opposable à tous » (art. L. 626-31, dernier alinéa) (soulignements ajoutés).

296.C’est précisément ce qu’a jugé le tribunal de commerce de Nanterre par sa décision du 24 juillet 2023.

297.Sous réserve d’un tel jugement, dont il résulte que les augmentations de capital prévues par le plan de sauvegarde font l’objet d’une approbation opposable aux actionnaires, l’AMF pouvait dès lors considérer que l’approbation était « réputée acquise » (décision attaquée, page 5).

298.Quoi qu’il en soit, la décision du tribunal de commerce se substitue ‘ en cas d’application forcée interclasse ‘ au vote négatif de la classe des détenteurs de capital composée des actionnaires, laquelle constitue l’assemblée que vise l’article 234-9, 2°, du RGAMF en cas de recours à la procédure de sauvegarde accélérée.

299.C’est en vain que les requérants invoquent la décision de l’AMF « Pierre et vacances » (décision 222C1253 du 25 mai 2022, pièce 26 de l’AMF) dans la mesure où les circonstances factuelles de cette affaire différaient du cas d’Orpéa sur le point essentiel que les actionnaires étaient alors favorables aux opérations sur le capital en cause et se sont réunis le même jour à la fois en classe de détenteurs de capital et en assemblée générale mixte (cf. « Résultat des votes exprimés en AG et en classe de détenteurs de capital », 8 juillet 2022, pièce 28, dossier AMF), ce qui n’a pas permis de faire émerger la difficulté afférente à la conciliation de l’article 234-9, 2°, du RGAMF avec le mécanisme d’application forcée interclasse mis en ‘uvre dans le cadre de la procédure de sauvegarde accélérée.

300.Il résulte de l’ensemble de ces développements que l’AMF était fondée à regarder les conditions de l’article 234-9, 2°, du RGAMF comme satisfaites.

301.Le moyen sera en conséquence rejeté.

VII. SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS

302.Le Support Club demande la condamnation de l’AMF en tous les dépens et frais irrépétibles.

303.M. [J] demande la condamnation de l’AMF en tous les dépens et frais irrépétibles.

304.Concert’O demande à la Cour de :

‘ condamner l’AMF à verser à la société Nextstone Capital et la société Mat Immo Beaune la somme de 30 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ condamner l’AMF aux entiers dépens.

305.Orpéa demande à la Cour de :

‘ condamner solidairement les sociétés Mat Immo Beaune et Nextstone Capital au paiement de la somme de 20 000 euros à la société ORPEA au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ condamner Monsieur [S] [J] au paiement de la somme de 20 000 euros à la société ORPEA au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ condamner solidairement les sociétés Whitebox Multi-Strategy Partners, L.P., Whitebox Relative Value Partners, L.P., Pandora Select Partners, L.P., Whitebox GT Fund LP, Kyma Capital Limited, LMR Multi-Strategy Master Fund Limited, LMR CCSA Master Fund Limited, FCOF V UB Investments L.P., FCOF V Europe UB Securities DAC, FCCD DAC, Drawbridge Special Opportunities Fund LP, KL Special Opportunities Master Fund LTD, Whitebox Advisors London LLP au paiement de la somme de 20 000 euros à la société ORPEA au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ condamner les sociétés Mat Immo Beaune et Nextstone Capital au paiement des dépens ;

‘ condamner Monsieur [S] [J] au paiement des dépens ;

‘ condamner les sociétés Whitebox Multi-Strategy Partners, L.P., Whitebox Relative Value Partners, L.P., Pandora Select Partners, L.P., Whitebox GT Fund LP, Kyma Capital Limited, LMR Multi-Strategy Master Fund Limited, LMR CCSA Master Fund Limited, FCOF V UB Investments L.P., FCOF V Europe UB Securities DAC, FCCD DAC, Drawbridge Special Opportunities Fund LP, KL Special Opportunities Master Fund LTD, Whitebox Advisors London LLP au paiement des dépens.

306.Le Groupement demande à la Cour de :

‘ Condamner solidairement Mat Immo Beaune et Nextstone Capital au paiement de la somme de 15 000 euros à chacune de la Caisse des Dépôts et Consignations, CNP Assurances, MAIF (Mutuelle Assurance des Instituteurs de France) et MACSF Épargne Retraite (Mutuelle d’Assurances du Corps Sanitaire Français Épargne Retraite) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ Condamner M. [S] [J] au paiement de la somme de 15 000 euros à chacune de la Caisse des Dépôts et Consignations, CNP Assurances, MAIF (Mutuelle Assurance des Instituteurs de France) et MACSF Épargne Retraite (Mutuelle d’Assurances du Corps Sanitaire Français Épargne Retraite) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ Condamner solidairement les sociétés Whitebox Multi-Strategy Partners, L.P., Whitebox Relative Value Partners, L.P., Pandora Select Partners, L.P., Whitebox GT Fund LP, Kyma Capital Limited, LMR Multi-Strategy Master Fund Limited, LMR CCSA Master Fund Limited, FCOF V UB Investments L.P., FCOF V Europe UB Securities DAC, FCCD DAC, Drawbridge Special Opportunities Fund LP, KL Special Opportunities Master Fund LTD, Whitebox Advisors London LLP au paiement de la somme de 15 000 euros à chacune de la Caisse des Dépôts et Consignations, CNP Assurances , MAIF (Mutuelle Assurance des Instituteurs de France) et MACSF Épargne Retraite (Mutuelle d’Assurances du Corps Sanitaire Français Épargne Retraite) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ Condamner Mat Immo Beaune et Nextstone Capital au paiement des dépens ;

‘ Condamner M. [S] [J] au paiement des dépens ;

‘ Condamner les sociétés Whitebox Multi-Strategy Partners, L.P., Whitebox Relative Value Partners, L.P., Pandora Select Partners, L.P., Whitebox GT Fund LP, Kyma Capital Limited, LMR Multi-Strategy Master Fund Limited, LMR CCSA Master Fund Limited, FCOF V UB Investments L.P., FCOF V Europe UB Securities DAC, FCCD DAC, Drawbridge Special Opportunities Fund LP, KL Special Opportunities Master Fund LTD, Whitebox Advisors London LLP au paiement des dépens.

307.L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l’une ou de l’autre des parties. Chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement,

JOINT les procédures enregistrées sous les n° RG 23/09286, 23/09284 et 23/09249, sous le n° RG 23/09249 ;

PRONONCE la mise hors de cause de la SCP BTSG et de la SELARL [Y] [H] en leur qualité de mandataires judiciaires ;

PRONONCE la mise hors de cause de la SELARL FHBX et de la SELARL AJRS en leur qualité d’administrateurs judiciaires ;

DÉCLARE recevable l’intervention volontaire de la SELARL AJRS, prise en la personne de Maître [A] [R], en qualité de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde accélérée de la société Orpéa ;

DÉCLARE irrecevable le recours de la société Whitebox advisors London LLP ;

DÉCLARE recevables les recours des sociétés suivantes :

‘ Whitebox Multi-Strategy Partners LP,

‘ Whitebox Relative Value Partners LP,

‘ Pandora Select Partners LP,

‘ Whitebox GT Fund LP,

‘ Kyma Capital Limited,

‘ LMR Multi-Strategy Master Fund Limited,

‘ LMR CCSA Master Fund Limited,

‘ FCOF V UB Investments LP,

‘ FCOF V Europe UB Securities DAC,

‘ FCCD DAC,

‘ Drawbridge Special Opportunities Fund LP ;

‘ KL Special Opportunities Fund LP ;

DÉCLARE recevable le recours de M. [J] ;

DÉCLARE recevables les recours des sociétés Mat Immo Beaune et Nextstone Capital ;

REJETTE l’ensemble des recours contre la décision n° 223C792 de l’Autorité des marchés financiers de dérogations à l’obligation de déposer un projet d’offre publique visant les actions de la société Orpéa, adoptée le 25 mai 2023 et publiée le 26 mai 2023 ;

DIT que chaque partie conservera la charge des frais irrépétibles et dépens par elle exposés.

LE GREFFIER,

Valentin HALLOT

LA PRÉSIDENTE,

Agnès MAITREPIERRE

 


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