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Savoir-faire : 8 novembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03377

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Savoir-faire : 8 novembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03377

8 novembre 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/03377

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 8 NOVEMBRE 2023

N° RG 21/03377

N° Portalis DBV3-V-B7F-U2WP

AFFAIRE :

GEODIS RT GRAND EST

C/

[N] [C]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 octobre 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 19/00261

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Philippe GAUTIER

Me Laurent TIXIER

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

GEODIS RT GRAND EST

[Adresse 7]

[Localité 2]

Représentant : Me Philippe GAUTIER de la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 741

APPELANTE

****************

Monsieur [N] [C]

né le 04 avril 1980 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Laurent TIXIER de la SELARL SAJET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0071

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 septembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [C] a été engagé en qualité d’assistant commercial, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 7 octobre 2002, par la société Calberson Grand Est (GE), devenue Geodis RT Grand Est.

Cette société, filiale de la holding Geodis elle-même filiale de SNCF Participations, est spécialisée dans l’affrètement et le transport à destination des pays de l’Est de l’Europe. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires.

Le salarié a ensuite occupé le poste de responsable commercial du 1er novembre 2010 au 31 décembre 2011 puis de directeur commercial.

Selon avenant du 26 octobre 2016, le salarié a été promu directeur d’agences pour le périmètre France de la société.

Par lettre du 11 octobre 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 23 octobre 2018 puis reporté au 14 novembre 2018, le salarié étant en congé de paternité.

Il a été licencié par lettre du 4 décembre 2018 dans les termes suivants:

« (‘) En tant que directeur d’agence, vos principales missions, contractuellement définies, consistent à gérer et animer l’agence, de manière à favoriser son bon fonctionnement et son développement dans les domaines commercial, économique et social et, avec pour objectif, d’atteindre le budget.

La gestion et animation d’agence doit plus précisément passer par le pilotage économique et commercial (suivi et reporting d’indicateurs), la tenue de réunions régulières (hebdomadaires et mensuelles) avec les responsables de services des deux agences afin de faire le point régulièrement sur l’activité, identifier les éventuels dysfonctionnements, mettre en place des plans d’actions adéquats et les suivre.

Vous devez également appuyer l’activité commerciale afin de contribuer au développement du chiffre d’affaires, suivre et objectiver les indicateurs de performance de vos sites.

Par ailleurs, il vous appartient, chaque année, de définir votre budget et de le présenter à votre responsable ainsi qu’à la direction générale de Road Transport.

Enfin, un reporting est attendu de votre part par votre hiérarchie concernant plusieurs indicateurs, conformément au process en vigueur au sein du groupe.

Or, il s’avère que vous ne remplissez toujours pas vos obligations de Manager et ce, malgré un premier recadrage intervenu le 10 avril 2018 et plusieurs rappels récurrents de notre part réalisés tout au long des mois de juin, juillet et août derniers. En effet, malgré ces rappels, nous avons constaté de nouveaux dysfonctionnements depuis fin août ainsi que depuis votre retour de congés payés.

En premier lieu, sur le pilotage budgétaire, qui est un des sujets fondamentaux d’une direction d’agence, les manquements sont les suivants :

Les 2 et 9 juillet, deux réunions ont eu lieu, à mon initiative, afin de préparer votre budget 2019.

En complément de ces réunions, le 3 août 2018, nous vous avons communiqué la lettre de cadrage budgétaire 2019, en vous précisant clairement les attendus de votre présentation budgétaire. Ayant posé vos congés d’été sur le mois de septembre, cela vous laissait donc tout le mois d’août (mois de faible activité) pour travailler votre budget, la réunion de présentation budgétaire étant prévue le 4 septembre à [Localité 5].

Le 30 août, vous n’avez pas été en mesure de nous présenter les éléments préparatoires à votre réunion budgétaire planifiée le 4 septembre.

Ce n’est que le 3 septembre, suite à ma relance, que vous m’avez finalement transmis ces éléments, lesquels consistaient en une simple reprise de votre budget 2018 et ne tenait absolument pas compte de mes demandes précises formulées depuis le mois de juillet, ni de la situation économique dégradée des agences de [Localité 2] et [Localité 6]. En effet, il n’y avait aucun élément tangible soutenant les éléments chiffrés transmis. Cette absence de travail de fond m’oblige à prendre à mon compte certains sujets en vue de construire un plan d’action pour le budget 2019.

De surcroît, vous avez attendu la veille de la présentation budgétaire pour me transmettre vos éléments, me mettant ainsi devant le fait accompli.

En second lieu, nous constatons des manquements en matière de pilotage d’activité.

Malgré nos attentes sur ce point, lesquelles vous ont été signifiées dans notre courrier précité du 10 avril 2018, ainsi que les 19 juillet 2018, 24 juillet et 23 août (nécessité d’une clarification de l’organisation et d’un meilleur suivi des indicateurs, d’une mise en place de réunions hebdomadaires avec les équipes, d’un point sur l’activité de votre commercial notamment en termes de contrôle du nombre de visites’), nous n’avons reçu, ni vos rapports hebdomadaires, ni les analyses, ni les plan d’actions associés.

Depuis fin août, nous avons dû vous relancer d’une part, sur la qualité des informations transmises, comme précisé dans notre message électronique du 8 octobre. Votre pipe était complétement surestimé et ne tenait pas compte de la perte des dossiers, alors que celle-ci était par ailleurs confirmée par vos propres collaborateurs. D’autre part, l’activité d'[E] [K] reste encore en écart par rapport à ce que nous avions convenu en juillet 2018 : trop de cotations et pas assez de prospection.

Ces nouveaux faits constatés sur les mois de septembre et octobre représentent des manquements avérés à vos obligations contractuelles, perturbant notre organisation et mettant directement en péril le devenir de la société.

En effet, depuis ces deux dernières années, aucun engagement de chiffre d’affaires n’a été tenu, que ce soit le budget (ou bien même la reprévision établie en septembre). Cette année encore, le chiffre d’affaires affiche un retard de 9,3 % par rapport au budget à fin octobre, avec une nette dégradation depuis juillet : -15% en juillet, -27% en août, -38% en septembre, -31% en octobre.

Par ailleurs, le nombre de clients travaillant avec nous n’a cessé de baisser, sans qu’aucune acquisition majeure ne puisse compenser ces pertes.

En conséquence, la marge brute s’écroule et affiche un retard de 19,6% par rapport au budget à fin octobre.

Finalement, à fin octobre, notre niveau de perte atteint -569 K€, soit un décalage de 553 K€ sur notre budget 2018.

Ces manquements interviennent alors que vous avez bénéficié de notre support, à travers la communication et l’explication de plusieurs outils de suivi ainsi que de l’aide apportée par nos services supports, notamment le contrôle de gestion.

Loin de vous mobiliser face à cette situation alarmante, existante depuis plusieurs mois maintenant, en proposant un plan d’action à votre hiérarchie afin de redresser la situation, vous faites preuve d’une absence de rigueur et d’engagement.

De telles négligences dans l’accomplissement de vos fonctions ne sont pas compatibles avec le poste à responsabilité que vous occupez (‘).

Dans de telles conditions, nous considérons que ces faits, eu égard à votre poste, à votre expérience au sein du groupe et à vos responsabilités constituent des manquements avérés à vos obligations professionnelles. Ils nous contraignent à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute (‘). »

Le 1er février 2019, M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de condamner la société à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 15 octobre 2021, le conseil de prud’hommes de Nanterre (section encadrement) a :

– dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse

– fixé le salaire (moyenne des douze derniers mois de salaire) de M. [C] à 8 066,57 euros,

en conséquence,

– condamné la société Calberson GE à lui verser la somme de 80 665,70 euros (sic),

– condamné la société Calberson GE à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article

700 du code de procédure civile,

– mis les entiers dépens d’instance à la charge de la société Calberson GE,

– dit que l’exécution provisoire est de droit.

Par déclaration adressée au greffe le 15 novembre 2021, la société Calberson GE a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 5 septembre 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Geodis RT Grand Est venant aux droits de la société Calberson GE demande à la cour de :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 octobre 2021 par le conseil de prud’hommes de Nanterre,

en conséquence,

– dire et juger que le licenciement de M. [C] repose sur une cause réelle et sérieuse,

par suite,

– débouter M. [C] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner M. [C] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [C] demande à la cour de :

– confirmer le jugement prononcé le 15 octobre 2021 (RG n° F 19/00261) par la formation paritaire de la section encadrement du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a « dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse » et condamné la société Calberson GE devenue Geodis RT Grand Est à lui verser des dommages et intérêts,

– infirmer le jugement sur le quantum des dommages et intérêts alloués,

– statuant à nouveau sur le quantum des dommages et intérêts alloués, condamner la société Geodis RT Grand Est à lui verser la somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de la date du Bureau de conciliation (25 février 2021) avec anatocisme,

– confirmer le jugement prononcé le 15 octobre 2021 en ce qu’il a condamné la société Geodis RT Grand Est à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Geodis RT Grand Est à lui verser en cause d’appel la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la société Geodis RT Grand Est de toutes ses demandes,

– condamner la société Geodis RT Grand Est aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur le licenciement

L’employeur fait valoir que le salarié entend quereller la qualification du licenciement notifié, arguant qu’une insuffisance professionnelle échapperait au droit disciplinaire. Il explique que les négligences reprochées au salarié relèvent non pas d’insuffisance professionnelle mais d’insubordinations, le salarié n’ayant pas respecté les consignes et instructions de sa hiérarchie et qu’il était parfaitement légitime de placer le licenciement sur le terrain disciplinaire. Il expose que le salarié procède par voie d’affirmations en parfaite méconnaissance des règles de preuve applicables en matière de licenciement pour cause réelle et sérieuse et qu’il a commis de multiples négligences fautives.

Le salarié réplique que l’employeur a choisi d’emprunter la voie disciplinaire et qu’en l’absence de démonstration de faits caractérisant ne serait-ce qu’une faute ordinaire, le licenciement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse, peu important la cause de l’insuffisance avancée. Il soutient ne pas avoir bénéficié de formation pour occuper son poste et que la charge de travail était insurmontable. Il affirme qu’il est difficile de croire qu’après seize années de collaboration couronnées d’encouragements de l’employeur, il soit devenu subitement incompétent au point d’être licencié pour faute.

Sur la qualification du licenciement

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et il appartient au juge de qualifier les faits évoqués.

Le grief d’insuffisance professionnelle peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsqu’il repose sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié (Soc., 1er juillet 1981, pourvoi n°79-42.423, publié). L’insuffisance professionnelle ne revêt pas un caractère fautif et ne peut donc donner lieu à un licenciement disciplinaire sauf lorsque qu’elle procède de la mauvaise volonté délibérée ou de l’abstention fautive du salarié (Soc., 31 mars 1998, Bull. civ. V, n°186, pourvois n°96-40.022 et 95-45.639).

L’insuffisance professionnelle est caractérisée par des manquements ou des carences du salarié dans l’exécution des tâches qui lui ont été confiées en vertu du contrat de travail.

S’il résulte des termes de la lettre de licenciement, quand bien même l’employeur n’aurait pas expressément qualifié les faits de « fautifs » que celui-ci a entendu sanctionner par le licenciement un agissement du salarié qu’il estimait fautif, ce licenciement présente un caractère disciplinaire et le juge est tenu par cette qualification.

Au cas présent, la lettre de licenciement mentionne expressément que le licenciement est prononcé pour faute en raison d’un comportement fautif caractérisé par une absence de rigueur et d’engagement, des négligences du salarié dans l’accomplissement de ses fonctions et de plusieurs manquements à ses obligations professionnelles, sans réaction du salarié en dépit de plusieurs constats et rappels à la suite de dysfonctionnements, de sorte que l’ensemble des griefs est bien de nature disciplinaire.

La cour retient donc le caractère disciplinaire du licenciement.

Sur le bienfondé du licenciement

Il résulte de l’article L. 1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties mais que le doute doit profiter au salarié.

Au cas présent, le salarié qui a fait part à l’employeur de son souhait d’évolution, ce qui est mentionné dans l’avenant au contrat de travail, a été nommé directeur d’agences en charge de l’établissement principal de [Localité 2], de l’établissement secondaire de [Localité 6] et du bureau de représentation de Sofia (Bulgarie).

Lors de l’entretien d’évaluation tenu le 23 janvier 2018 au titre de l’année 2017, M. [D], directeur général et supérieur hiérarchique du salarié, a indiqué notamment que le salarié a atteint ses objectifs relatifs à la réalisation du budget et que les objectifs relatifs à l’obtention de la certification et au management sont partiellement atteints. Il est également indiqué que le salarié ‘ fait systématiquement preuve’ de compétence à gérer les résultats, privilégier l’intérêt commun et être exemplaire, et qu’il fait ‘occasionnellement preuve de compétence’ pour débattre, décider, s’aligner et communiquer, maîtrisant partiellement la négociation ainsi que la définition des actions.

En synthèse, l’employeur conclut que le salarié ‘ a réussi à finir en 2017 avec un ROAP positif; le niveau de marge brute est supérieur au % budgété ce qui est très encourageant’ et que le salarié ‘ doit porter en 2018 une attention particulière au développement commercial de Géodis GE France dont la performance et le suivi/reporting ne sont pas au niveau attendu ; [N] devra préparer avec sa direction les prochaines étapes visant à améliorer la performance des équipes opérationnelles.’.

L’employeur a versé au salarié au mois d’avril 2018, au titre de l’année 2017, un bonus d’un montant de 14 080 euros au titre de sa prime sur objectifs, le bonus de l’année précédente s’élevant à 15 000 euros.

Par lettre remise en mains propres le 10 avril 2018, M. [D] fait part au salarié de ‘la dégradation continue de la situation économique de la société Geodis RT Grand Est constatée depuis le début de l’année’ et lui a indiqué que l’objectif de la réunion du 27 mars 2018 était d’analyser la situation des agences [Localité 2], Sofia et [Localité 6] et de définir les plans d’action adéquats, M. [D] ajoutant au plan commercial que ‘ malgré plusieurs demandes et relances de ma part sur ce sujet ( cf les deux agences), tout au long de l’année 2017, force est de constater que rien de significatif n’a bougé sur le plan qualitatif (suivi et pilotage de l’activité) que quantitatif (croissance de notre CA)’, M. [D] constatant en outre l’absence de nouvelle acquisition significative permettant de compenser les pertes enregistrées.

Le salarié ne conteste pas le bilan effectué par l’employeur et il appartient à la cour de déterminer si le salarié s’est conformé aux instructions professionnelles délivrées par son supérieur hiérarchique après l’envoi de cette lettre de ‘cadrage’ en avril 2018, intitulée comme telle par l’employeur dans ses conclusions.

S’agissant du premier grief, le défaut de pilotage budgétaire, M. [X], Directeur Grand Est, nouveau supérieur hiérarchique du salarié, lui a précisé par courriel du 17 juillet 2018 portant sur la performance commerciale, l’organisation et le pilotage que ‘ la prochaine présentation budgétaire ( 3-4 septembre 2018) sera déterminante pour s’assurer que le plan d’action a été engagé en vue de repartir à la conquête de nouveaux clients et un fine tendre vers un minimum de 2,5 X le coût de nos activités affrètement en terme de marge brute.’. M. [X] a ensuite détaillé les éléments sur lesquels le plan d’action doit s’appuyer et ajoute que ‘ la maîtrise de ces sujets est inhérente à tes fonctions de direction d’agence et ceux-ci doivent maintenant être sérieusement repris en main.’ et il a demandé des précisions sur le rôle de Mme [P] affectée en renfort auprès du salarié depuis plusieurs mois.

Par courriel du 3 août 2018, M. [X] a donné des instructions précises au salarié sur la présentation de plusieurs sujets relatifs à l’élaboration de son budget prévisionnel 2019.

Par courriel du 3 septembre 2018 à 10h31, M. [X] a demandé notamment au salarié de lui transmettre sous brefs délais, ‘les éléments que tu as commencé à préparer pour ton budget (…) conformément à nos réunions du 2 et 9 juillet’ et ce pour la réunion du 4 septembre 2018.

Si le salarié a remis pour le 4 septembre 2018 son plan prévisionnel budgétaire, il ne conteste pas que la veille de la réunion, le document qu’il devait remettre ne comprenait pas les informations suivantes :

– l’activité de Mme [P],

– le plan d’action ( appels d’offres, prise de rdv, offres commerciales, reporting opérationnel et commercial,

– les objectifs/ acteur/ établissement

– les tableaux de bord quotidien, hebdomadaire et mensuel,

– la politique commerciale et tarifaire,

– ‘l’incentive’ lien avec les objectifs définis.

Toutefois, si le salarié a tardé à remettre ces éléments réclamés par M. [X], le document finalisé pour les réunions des 3 et 4 septembre 2018 ne compte en réalité qu’une seule page relative au budget prévisionnel 2019, toutes les informations demandées le 3 septembre au salarié n’y figurent pas et l’analyse des plans d’action, que l’employeur allégue avoir réalisée à la place du salarié, ne tient qu’en cinq lignes.

Enfin, si l’employeur soutient que les documents présentés lors de la réunion budgétaire du 4 septembre 2018 sont très éloignés de ceux produits par le salarié, il ne les communique pas de sorte qu’aucune comparaison n’est possible entre le travail réellement effectué par le salarié et celui complété par M. [X].

Le grief relatif au défaut de pilotage budgétaire n’est donc pas établi.

S’agissant du second grief, le défaut de pilotage d’activité, M. [X] a demandé au salarié par courriel du 10 avril 2018 susvisé et que l’employeur intitule dans ses conclusions ‘lettre de recadrage’ :

– la mise en place du pilotage de l’activité commerciale par l’intermédiaire de points hebdomadaires avec les équipes des deux établissements,

– une actualisation mensuelle de la ‘management Letter’ du salarié,

– la mise en oeuvre obligatoire de chaque action du plan- action défini le 27 mars 2018 avec le contrôle de gestion, le suivi de chaque action, plan à compléter le cas échéant avec ses équipes.

Par nouveau courriel du 4 juillet 2018, message qualifié de haute importance, M. [X] a demandé au salarié de mettre en place les ‘ basiques ‘ de pilotage par des reports, des synthèses et réunions (d’affrètement/commerce/direction) ainsi que par des compte rendus mensuels de réalisation des objectifs et de suivi du plan d’action.

Il est établi qu’à compter du mois de mai 2018, le salarié n’a pas remis chaque semaine les reportings, que M. [X] a dû lui adresser plusieurs relances en juillet et août 2018, le salarié n’étant en congés qu’en septembre 2018.

Par courriel du 17 juillet 2018, M. [X] a reproché également au salarié l’absence ou le peu de suivi des résultats de l’établissement de [Localité 6] et l’absence de pilotage d’un autre collaborateur de l’équipe du salarié qui gère le portefeuille clients.

Par autre courriel du 3 septembre 2018, M. [X] a demandé au salarié de lui remettre régulièrement les points hebdomadaires concernant le pilotage de l’agence et les informations relatives à l’activité commerciale de son équipe.

En outre, dans son message ‘ de recadrage’ d’avril 2018, M. [X] a dénoncé la dégradation continue de la situation commerciale sur les fonctions de prospection commerciale et d’affrètement de la société en dépit de l’arrivée en septembre 2017 de Mme [P] (affectée au poste administration des ventes France dans le service du salarié), du recentrage de M. [K] sur les fonctions de prospection, et du transfert des tâches d’un autre salarié.

Dans ce même message, M. [X] a indiqué au salarié qu’ils ‘accusent un retard de 272 k€ sur l’Ebitda budgété’ et que la situation relative au chiffre d’affaires est ‘préoccupante’, relevant également ‘l’absence de nouveaux clients’ et aucun ‘changement dans l’orientation de la recherche et la conquête de nouveaux clients’. M. [X] a demandé au salarié des compléments d’informations et de lui présenter la fonction de Mme [P], son rôle et ses actions au quotidien.

Dans son message du 17 juillet 2018, M. [X] a relevé l’absence de visites de clientèle de M. [K], lequel a relevé le manque de réactivité des équipes opérationnelles, l’employeur invoquant également l’absence de formation de Mme [P], l’absence de prospection commerciale, ce qui n’est pas contesté.

Le salarié a été une nouvelle fois interpellé par M. [X] le 31 août 2018 qui lui a réclamé le détail des offres de M. [K] qui devait se focaliser sur de nouveaux clients, comme convenu le 9 juillet 2018.

Il ressort du contenu des échanges qui se sont poursuivis dans les jours suivants entre M. [X] et le salarié que ce dernier n’a pas pris connaissance ni analysé le travail effectué par M. [K] alors que l’employeur lui avait demandé le 17 juillet 2018 d’être attentif à la situation, M. [K] n’ayant ‘ pas suivi les recommandations de M. [C] pour l’année 2018 malgré l’établissement d’une feuille de route’ et le salarié ne s’étant pas assuré que M. [K] avait privilégié la prospection et les visites des clients alors que sur 28 jours de travail, il n’avait réalisé que 3 visites.

L’employeur justifie en outre que le salarié a commis des erreurs d’estimation du ‘Pipe’, surestimé en octobre 2018 depuis plusieurs semaines et il n’a pas distingué la part fixe de la part variable de la facturation des entrepôts dans la ‘Management Letter’ de mai 2018.

Les données chiffrées produites par l’employeur confirment aussi les remarques adressées au salarié en février puis juillet 2018 en ce que les résultats commerciaux sont moins bons que ceux des années précédentes. Ainsi entre 2016 et 2018, le chiffre d’affaires a baissé de 19,3%, la marge brute de 31,6% et l’analyse mois par mois en 2018 montre une très nette diminution des résultats notamment au dernier quadrimestre 2018.

Pour justifier les difficultés de la société au long terme, le salarié verse au dossier la fiche Infogreffe dont il ressort une diminution du chiffre d’affaires en 2014 et 2015 mais une forte amélioration du chiffre d’affaires est survenue en 2016, suivie d’une nouvelle diminution en 2017, confirmée en 2018.

Le salarié ne conteste également pas que le chiffre d’affaires a affiché à la fin du mois d’octobre 2018 un retard de 9,3% par rapport au budget prévisionnel.

Enfin, il ressort des éléments chiffrés que produit le salarié que la situation de la société Geodis RT Grand Est s’est améliorée en 2019, après son départ.

Dès lors, il résulte de l’ensemble de ces éléments que le grief de défaut de pilotage du salarié est établi.

En conséquence, l’employeur établit un des deux griefs allégués.

Si le salarié invoque une absence de formation et une charge de travail ‘insurmontable’, ces allégations sont dépourvues d’offre de preuve.

En effet, le salarié ne produit aucun élément afférent à une surcharge de travail sauf à soutenir que le poste qu’il occupe est ‘insurmontable’ en raison de la variété et de la quantité des responsabilités qui lui ont été confiées, ce dont il a été informé lors de sa prise de poste aux termes de l’article 2 de l’avenant du contrat de travail qui liste les principales tâches et missions du salarié, lequel a sollicité son affectation sur ce poste et n’a pas présenté d’observations à ce sujet lors de son entretien d’évaluation en janvier 2018.

Le salarié a bénéficié en 2017 d’une formation à l’affrètement (deux journées) et au management (quatre journées en deux modules).

Pas davantage le salarié n’est en mesure de justifier que les estimations attendues en matière commerciales n’étaient pas réalistes et il ne verse aux débats aucune pièce dans laquelle il entend discuter de ses résultats avec M. [D] puis M. [X] entre janvier et décembre 2018, y compris lors de l’entretien d’évaluation de janvier 2018.

Si le salarié estime que la perte de clients importants ne lui est pas imputable et qu’il apporte des explications désormais dans le cadre du présent litige, il n’a pas toutefois donné d’ explications en son temps à l’employeur, se contentant en novembre 2018 d’indiquer à M. [X] qu’une marge supérieure à 10% risquait de leur faire perdre une affaire (cf client Conforama).

Pour justifier la perte des clients importants, le salarié a effectué un relevé des clients perdus et ‘reconquis’ en 2019 par l’employeur après la rupture du contrat de travail . Ces documents, c’est à dire une liste de nom et de chiffres, sans explication et interprétation de toutes ces données, n’apportent aucun élément probant établissant que la perte de clientèle est due aux choix stratégiques de la société.

En tout état de cause, indépendamment des objectifs du salarié qui n’ont pas été atteints en 2018, force est de constater que les résultats de la société ont chuté comme susvisé pour l’année 2018 et se sont améliorés en 2019.

Enfin, le salarié n’établit pas que ‘M. [X] n’a pas accompagné [sa] carrière’ alors que ce dernier lui a adressé de très nombreuses lettres et courriels, détaillés et précis, lui rappelant à plusieurs reprises à la fin de ses messages qu’il est à la disposition du salarié si besoin, ayant également en juillet 2018 échangé avec lui sur l’activité par client.

En définitive, le salarié qui ne peut se prévaloir d’une ancienneté de deux années sur le poste de directeur d’agences, après avoir certes atteint tous ses objectifs en 2017 mais sans valider l’ensemble des compétences et savoir-faire requis, a fait preuve d’un manque de rigueur dans le suivi des actions à mener, l’analyse de la perte de clients et la recherche d’une nouvelle clientèle et n’a ainsi pas réussi à prendre en compte la dimension du poste en matière de pilotage de l’activité alors qu’il a été accompagné pour ce faire par l’employeur, a bénéficié de l’arrivée de collaborateurs en renfort.

Enfin, il est établi que le salarié n’a pas suivi les recommandations et instructions reçues de sa hiérarchie, ce comportement étant constitutif de la faute qui lui est reprochée.

Par voie d’infirmation du jugement, il convient de dire que le licenciement fondé sur une cause sérieuse et réelle, de débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes afférentes à la contestation de son licenciement.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il y a lieu de condamner le salarié qui succombe aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Par voie d’infirmation, la demande des parties de ce chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions déférées à la présente cour,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,

DEBOUTE M. [C] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DEBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [C] aux dépens de première instance et d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Marine Mouret, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

 


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